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Comœdia avait chargé sa collaboratrice Mlle Simonne Ratel d'étudier quels sont à l'heure actuelle les grands courants de la pensée contemporaine en France. Il s'agissait de consulter [---] parmi les esprits les plus marquants de la génération déjà autorisée par ses œuvres à répondre aux deux questions suivantes :
1° Reconnaissez-vous sur la formation de votre pensée et sur votre
œuvre une influence particulièrement distincte?
2° Est-ce l'influence d'un seul ou de plusieurs maîtres ou bien celle d'une doctrine contemporaine?
Nous publions aujourd'hui le premier article de cette série et celui qui répond à nos questions est M. François Mauriac.
Il y a, chez François Mauriac, deux hommes –au moins: le catholique et le Gascon.
Le Gascon, de sa nature, est indiscipliné, jaloux de son indépendance, impatient de tout bien: merveilleux terrain pour l'incrédulité, lorsqu'il n'a pas le doux scepticisme de Montaigne, le Gascon sent le fagot, comme Cyrano, comme Théophile, à moins qu'il ne sente le huguenot, comme d'Aubigné! Aussi, lorsqu’un Gascon est imprégné de catholicisme, il devient le champ d'étranges contradictions et de riches soubresauts: et l'on voit un écrivain profondément religieux comme Mauriac créer avec amour une lignée de rebelles, en lutte contre la famille, contre le mariage, contre toutes les manifestations de l'ordre social, en lutte même contre rien. Comme le conflit est l'essence du roman, l'art a tout à gagner à cette alliance du catholique et du Gascon.
Le reporter aussi, qui arrive chargé d'une enquête accablante chez le fils de l'Eglise et de la Gironde.
— Rien que cela! sourit le Gascon. Rien que cela. L'évolution spirituelle contemporaine. La Méditerranée, la Chine et la Russie et l'Amérique et la Scandinavie. Asseyez-vous.
— Merci.
Le catholique parle, qui est entraîné à démêler les ressorts secrets des actions et connaît toutes les ruses du mensonge –et ses yeux haut perchés dans un visage osseux, pascalien, ont une mobilité inquiète: “Je veux bien vous répondre. Mais qu'il est difficile de répondre avec sincérité! Vous demandez: “Quelle influence avez-vous subie?” A cette question, chacun sera tenté de répondre selon ses préférences, selon ses vanités –jamais selon la vérité. Ah! les truquages inconscients!
“Vous demandez encore: “Quelle est la part de telle ou telle tendance dans la pensée contemporaine? Laquelle vous paraît devoir l'emporter?” Mon Dieu! mais c'est comme si on interrogeait le poisson sur les courants de l'Océan! Et puis, à supposer que le poisson soit capable de vous répondre, son opinion sera déterminée, encore une fois, par ses désirs secrets: il ne vous donnera pas du tout une image objective de l'Océan, le poisson!
Afin d'être mieux armé contre les “truquages inconscients” de l'improvisation, le scrupuleux écrivain a noté ses idées sur un papier qui me fascine, car il me rappelle –l'atmosphère aidant– les “confessions écrites”, tourment des enfances pieuses. Ah! ces listes hebdomadaires! ces mots qu'il fallait aligner, traditionnels moules à péchés de taille décroissante et dans lesquels on nous demandait de couler le sable impalpable de nos consciences. A les relire, on n'y retrouvait rien de soi. Effarant cubisme de la confession! Je comprends le regard de Mauriac…
Mais voici que le Gascon reparaît, ami du “Quant à soi”:
— Les influences, je n'y crois pas. Je crois à la personnalité préexistante de l'artiste. Je crois que si tel ou tel n'avait pas existé qui fut mon auteur favori, la combinaison Mauriac n'en aurait pas moins eu lieu. Et, si l'on prétend que chaque lecture agit sur nous pour nous modeler, je dis alors que je dois autant à Zénaïde Fleuriot et à Mme de Ségur qu'à Balzac!
Une image vient à l'appui de la pensée:
— La personnalité s'élabore comme le miel. De même que l'abeille butine toutes les fleurs pour en faire une substance particulière, par sa propre chimie, de même l'écrivain ou futur écrivain puise çà et là sa nourriture, assimile les apports étrangers, pour en faire quelque chose d'absolument personnel. Proust en est un exemple-type, lui qui avait tant lu et n'imita personne et reste inimitable!
D'autre part, on appelle souvent “influence” & l'attrait qu’exerce un écrivain sur un esprit ou un tempérament qui se découvre avec lui des analogies. Dans ce cas, on va chercher dans une œuvre la confirmation de ce qu'on pensait ou ressentait plus ou moins confusément: c'est ainsi que mon adolescence inquiète, mystique et formidablement orgueilleuse se jeta dans Barrès. Mais encore une fois, si Barrés n 'avait pas existé, cela n'aurait pas changé une ligne à toute mon œuvre.”
Mauriac affirma de bonne heure cette indépendance de la personnalité créatrice –au moins vis-à-vis des êtres, car le poète qui sait évoquer la nature avec tant de puissance qu'on a pu voir en lui un panthéiste, semble admettre d'autres influences: “Les pins géants d'un parc que je connais, a-t-il écrit, les charmilles, devant la terrasse d'un autre jardin, m'ont mieux instruit que les livres dont je m'enchantais à leur ombre.”
Cela doit s'entendre de la personnalité de l'artiste, du créateur. Car Mauriac ne songe pas à contester l'action des hommes et des doctrines sur la formation de la pensée: il reconnaît que la sienne est tout imprégnée de catholicisme et s'alimente naturellement aux philosophies qui favorisent les tendances mystiques, telles que le bergsonisme.
— Mon maître à penser, c'est Pascal.
Mais ajoute le Gascon:
— Mais je fais mes délices de Montaigne…
Parlons maintenant des “courants de l'Océan”. Il m'est impossible, je le répète, de discerna clairement vers quoi se dirige le monde. Tout ce que je peux faire, c'est de donner mon opinion sur les directions qu'on nous propose.
Le communisme? Je ne le connais pas. Je n'ai donc rien à en dire, sinon qu'il m'inspire une horreur instinctive, une horreur physique, une horreur de toutes les papilles. Je suis et je serai jusqu'au bout un individualiste effréné.
L'Orient? Mon Dieu, l'attrait ou le danger de l'Orient, tel que le conçoivent Keyserling ou Massis me paraît être une invention de quelques bons esprits, comme l'hystérie fut l'invention de Charcot: il l'inventa pour la guérir, mais la chose disparut avec son inventeur. L'orientalisme disparaîtra de même, lorsqu'il n'y aura plus personne pour en parler.
L'esprit américain? Je ne sais s'il menace de nous envahir, mais j’en ai très peur.
Ce que je redoute, par-dessus tout, c'est l'uniformisation. Individualiste, j'ai le goût des personnalités marquées, aussi bien chez les nations, les races, que chez les êtres. Je souhaite donc que chaque peuple se développe selon la discipline la plus conforme à son génie, celle qui lui permettra le mieux d'affirmer son caractère propre. Pour la France, l'esprit gréco-latin est un climat naturel: il me paraîtrait désastreux qu'il fut submergé ou seulement altéré.
Notez bien que mon particularisme ne comporte aucune xénophobie, au contraire. J'estime que la notion des Français et la notion d'universel ne sont pas du tout contradictoires: ces deux notions me paraissent avoir trouvé leur alliance dans la formule admirable du catholicisme français, tel qu'il fut dans le passé.”
La conversation dévie sur l'œuvre de la Propagation de la Foi, œuvre de portée internationale (et même mondiale) et dont la composition était uniquement française jusqu'à ces dernières années, jusqu'au moment, pour préciser, où le pape actuel s'en mêla.
Puis Mauriac parle d'une récente conférence à laquelle il fut convié, sur les œuvres d'un vieux cardinal –conférence où l'on mit en œuvre des procédés de barnum et tout l'esprit de la publicité américaine. Il n 'y manquait que les saxophones et le nègre à la porte.
“Je crains bien que le catholicisme ait tout à perdre, au moins en France, s'il renonce à ses vertus de dignité et de discrétion.”
Un petit crochet du côté de l'Action Française:
“Elle est nécessaire comme un vaccin. Mais il ne faut pas la prendre pure.”
Un soupir :
“Tout est nécessaire. Tout doit être nécessaire. Nous ne savons pas. Notre regard est trop court, notre horizon trop limité.”
Le romancier de la Grâce et du Péché se tait, penchant la tête et frottant pensivement l'une contre l'autre ses deux longues mains ivoirées. Il a son expression habituelle: tourmentée, incertaine.
“Que sais-je?”, disait déjà Montaigne, son “pays”.
Simonne RAYEL
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Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1928-07-12
Title
A name given to the resource
Entretien avec François Mauriac
...qui semble désespérer du catholicisme
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Comœdia
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
MEL_0050
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Simonne RATEL
Contributor
An entity responsible for making contributions to the resource
François MAURIAC
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
Pdf
Language
A language of the resource
Français
Source
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22e année, n°5666, p.1
Type
The nature or genre of the resource
Interview
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