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Un magnifique éloge d’Eugène Brieux
Midi. Devant les portes closes de l’Institut, la foule stationne en longue file. Pour le profane qui passe, l’objet de cette attente insolite est exposé sur des rectangles en papier multicolores fixés sur des panneaux: “Académie Française, réception de M. François Mauriac. On ouvrira les portes à 1 heure.” Eh bien attendons!
La garde républicaine, en armes, vient justement de prendre position dans la cour du vieux palais. Cet appareil guerrier, qui fait l’admiration des poulbots du quartier, est complété par un peloton de cavaliers dont les montures sont observées avec une gourmande curiosité par une compagnie de moineaux.
Treize heures. Cohue courtoise, bousculades sur les travées du centre et dans les tribunes. Selon l’usage, les journalistes accrédités sont parqués sous les combles. Etrange procédé. Que dirait-on d’un directeur de théâtre qui placerait la critique au poulailler? Nous posons encore une fois la question à M. Robert Regnier, chef du secrétariat de l’Institut.
Mais voici les premiers académiciens qui arrivent, quelques habits verts, des soutanes violettes, mêlent leurs couleurs éclatantes aux jaquettes sombres des invités.
Un officier de la garde précède soudain un groupe d’Immortels dans la salle des créances. M. André Bordeaux et Paul Valéry, parrains du récipiendaire, M. René Doumic, secrétaire perpétuel, encadrent M. François Mauriac, dont la haute silhouette est bien prise dans son bel uniforme à palmes qui amincit davantage sa taille.
La parole est à M. François Mauriac
— Messieurs, la parole est à M. François Mauriac pour son remerciement.
Quelle aimable formule.
Innovation. La voix qui s’élève grave et lente est amplifiée par des haut-parleurs qui accrochent leurs cônes aux corniches:
“Comme il n’existe pas, pour un écrivain, dit-il, de pus grand honneur que celui d’être appelé à siéger parmi vous, la joie qu’il éprouve à vous témoigner sa reconnaissance devrait être sans ombre. Mais faut-il que votre nouvel élu soit insatiable! Il ne lui suffit pas de la promptitude avec laquelle vous l’avez accueilli. Tant d’illustres suffrages réunis sur mon nom, ne peuvent qu’adoucir ma tristesse de ne pas trouver aujourd’hui, pour me sourire à l’arrivée, celui qui, en quelque sorte, m’avait béni au départ.
“Si l’on peut dire qu’un homme de lettres vient au monde avec son premier livre, en la personne de Maurice Barrès, votre Compagnie s’est penchée sur mon berceau: elle m’a donné l’être et la vie. Avant l’extraordinaire fortune qui m’échoit aujourd’hui, mes vingt ans avaient eu déjà le bénéfice d’une élection singulière. L’écrivain le plus aimé, que j’admirais au point de n’avoir osé lui adresser mon premier livre, soudain je le voyais me distinguer dans la jeune foule qui le pressait de toutes parts, s’approcher de moi, demeurer attentif à mes balbutiements. A vrai dire, cette voix d’enfant ne fût jamais venue jusqu’à lui, si le maître du Roman psychologique, si Maul Bourget ne lui avait, un jour, récité quelques vers des Mains jointes. Ebloui par ce double parrainage, un jeune homme risquait de céder à l’enivrement; mais le témoignage public que Maurice Barrès me donna de son estime, éveilla en moi, et pour toujours, l’ambition de ne pas faire mentir un tel prophète, lorsque ayant écarté les frêles roseaux de mes poèmes, il avait cru y découvrir une source.”
De Barrès, M. François Mauriac passe à son illustre prédécesseur Eugène Brieux, pour louer l’œuvre du dramaturge et condamner justement les “misérables productions” de quelques auteurs d’aujourd’hui.
“Messieurs, il nous reste l’espérance que le mauvais théâtre, ira si loin dans l’horreur, qu’il finira par ramener le public au vrai drame et à la vraie comédie. Ils n’ont jamais cessé d’être pratiqués au pays de Racine, de Molière et de Musset, car le théâtre est éternel: le théâtre, le plus vieux plaisir de l’humanité et qui déjà fait battre le cœur du petit enfant lorsque bouge le rideau de Guignol. Plus les temps lui sont défavorables, et plus il suscite de passion désintéressée. Nous avons tous sur les lèvres les noms de nos camarades chez qui brûle la même flamme qui, au temps du Théâtre Libre, animait déjà Antoine et le jeune Brieux.”
Ces vingt-sept pages de son bel éloge, ses émouvants souvenirs sur la bonté de Brieux, sont fréquemment applaudis. L’élégante foule qui emplit l’ancienne chapelle, apprécie visiblement le style limpide du discours, l’affectueux respect avec lequel l’écrivain de Génitrix évoque la magnifique mémoire de l’auteur de la Robe rouge.
Le discours de M. André Chaumeix
Mais jusqu’à présent il n’a pas encore été question du nouvel élu.
M. André Chaumeix va s’en charger sans le moindre égard pour l’exquise modestie de M. François Mauriac.
“Mais si grand est le prestige de votre art, que vous ne nous laissez pas le temps de remarquer les limites du domaine où vous nous entraînez à votre suite. Il y a chez vous une véhémence brûlante, un emportement, qui sont d’un maître. Vous avez le goût passionné des âmes. Vous êtes sans cesse animé par ce souci de la vie intérieure qui est la dignité des lettres françaises. Vous savez qu’un livre est peu de chose s’il n’est méditation et poésie. Vous avez soin que les vôtres soient les deux à la fois. Vous avez réussi à faire du décor provincial et des paysages du Sud-Ouest, le signe sensible, le langage imagé qui sert de support à votre pensée. Vous nous attirez dans des ténèbres déchirées de lueurs fulgurantes qui éblouissent, traversées de figures ensorcelées et fascinantes. Vous nous y retenez. Cette lourde atmosphère est pleine d’effluves et d’incantations, de bruissements mystérieux, de battements d’ailes périlleux et tentants, de promesses déconcertantes et voluptueuses. On ne s’y sent pas en sûreté. On y éprouve tour à tour une sombre ivresse et une inquiétude exaltante. On y étouffe. On redoute de s’y plaire. On y frissonne. On y vit dangereusement. Mais on y vit! Vous être un puissant artiste, et vos dons d’écrivain vous ont mis tout de suite au premier rang des romanciers de votre génération”.
De nouveaux applaudissements crépitent. M. François Mauriac se dérobe à la foule de ses admirateurs par un couloir mystérieux qui aboutit au pavillon Decœen où un thé est offert aux deux héros de la journée. Et, dehors, la garde rend les honneurs à l’Académie qui sort avec une majestueuse lenteur, cependant qu’on cherche partout le nouveau venu dans l’humaine immortalité.
D’AIMIS
Dublin Core
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Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1933-11-17
Title
A name given to the resource
M. François Mauriac est reçu à l’Académie
par M. André Chaumeix
Publisher
An entity responsible for making the resource available
L'Intransigeant
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
MEL_0548
Source
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54e année, n°19743, p.1-2
Contributor
An entity responsible for making contributions to the resource
François MAURIAC
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