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L'hiver est la saison qu'enfant j'ai le moins connue : Pâques nous dévoilait le printemps, dans ces landes où les chênes noirs sont encore en avril vêtus de feuilles mortes, et où le renouveau ne se décèle qu'à l'odeur du vent, à cette fumée à peine verte des premiers bourgeons, au bord des ruisseaux. Pour l'été, il nous était familier, à mes frères et à moi, comme aux jeunes Hébreux la fournaise du roi Nabuchodonosor. Nous ne pouvions nous promener pieds nus dans le sable surchauffé. Les pins nous retenaient prisonniers avec le feu, et il suffisait au soleil d'un éclat de verre pour allumer des milliers de torches jusqu'à l'océan.
L'automne nous délivrait : il était le miracle du Dieu qui obligea Nabuchodonosor debout sur le seuil de la fournai ardente, à crier aux trois enfants : « Chadrac, Meschac, Abed-Nego, serviteurs du Dieu suprême, sortez et venez ! » Ainsi nous parlait l'automne, et nous sortions, et nous venions. Des brumes s'élevaient dès quatre heures du ruisseau et de la prairie qu'il inonde. L'année future était devant nous pleine de bonheur : la nouvelle classe, le professeur inconnu, et dans la cour de récréation, tous ces amis encore sans visage.
L'hiver seul me fut toujours étranger. Durant les mois où il règne sur nos contrées, j'étais séparé de la nature, prisonnier d'une ville pluvieuse. L'ai-je jamais contemplé face à face dans sa nudité? J'ignorais cette odeur de l'argile, quand la vie végétale est suspendue et qu'il nous est donné de respirer la terre toute pure.
Du moins ne l'ai-je connu qu'en de rares circonstances, lorsque j'étais un peu souffrant et que ma mère, obligée d'aller « régler ses gemmes » ou compter des pins, m'amenait avec elle. Le pays des grandes vacances, qui était pour moi celui de la torpeur et de la soif, m'apparaissait soudain comme dans un autre monde, frappé de froid et d'éternité. Une vapeur me cachait les cimes. Les prés inondés luisaient au bord du ruisseau inaccessible. Nos chapeaux de soleil dans le vestibule glacé attendaient les vacances futures. Je troublais le mystère d'une métamorphose, j'avais franchi hors du temps un seuil interdit. Le soir, les draps glacés de cette maison morte me donnaient des idées de suaire et d'ensevelissement. Le silence de l'hiver faisait peur au sommeil et, les yeux ouverts dans le noir, je me souvenais de cet immense chant d'amour des nuits d'été.
Le train du retour partait à l'aube. Le vieil Ardouin entrait avec une bougie. De métairie en métairie, les coqs saluaient une sombre aurore. Dans quelques heures, ce serait de nouveau la ville, le collège, les garçons indifférents ou durs, les professeurs implacables. Le songe de l'hiver se refermait sur le pays des vacances ; les chapeaux de soleil restaient accrochés dans le vestibule.
La neige à Bordeaux me laisse le souvenir d'un miracle manqué, car elle tombait à demi-fondue. La haine que j'en garde encore après tant d'années, vient peut-être de ce qu'au commencement de ma vie elle ne fut pour moi qu'une boue glacée. Rimbaud redoutait l'hiver « parce que c'est la saison du confort ». Et moi, enfant choyé, adolescent bourgeois, je comprends cette rancune de vagabond comme si au bord d'une route, j'avais rompu avec lui son pain trempé de pluie.
L'hiver était mon ennemi : il gonflait mes mains et mes pieds d'engelures. Il me semble que les enfants d'aujourd'hui n'ont plus de ces pauvres doigts crevassés. Au petit jour, mes pieds enflés n'entraient qu'au prix d'une torture dans les souliers encore humides. Tandis que les « forts » se réchauffaient autour du ballon, je grelottais sous ma pèlerine, dans un coin de la cour : « Je me rappelle qu'à dix ans, quand je pleurais contre le poteau de gauche, sous le hangar, au fond de la cour des petits... » J'ai d'abord aimé Barrés pour cette phrase de Sous l’œil des barbares et elle résume la connaissance, qu'enfant, j'ai eue de l'hiver : des pleurs sur ma figure gercée, une misère physique de petit pauvre.
Toute joie, en cette saison, naissait de ce qui me défendait contre son atteinte : les flambées, dans la chambre de maman, ces lampes si douces d'autrefois dont la flamme s'étirait dans le verre, ce livre de Jules Verne ou un Saint-Nicolas relié des années 1890 sur mes genoux, et durant les vacances du Jour de l'An, ce sac de chocolats à portée de ma main. Alors les sirènes des bateaux dans la brume devenaient le cri impuissant de la saison qu'on appelait mauvaise, dont j'étais délivré pour un peu de temps, et qui fouettait d'une furieuse pluie les vitres de ma chambre. Mais elle savait bien que, le congé fini, elle m'aurait au petit jour.
Je la haïssais surtout pour ses matins sombres. « Mais vrai, j'ai trop pleuré : les aubes sont navrantes... » Je n'ai pas fini encore d'épuiser, à l'âge où je suis parvenu, la joie de cette revanche : me lever tard. L'hiver m'arrachait de mon lit avant six heures, en plein sommeil, dans un sépulcre qu'éclairait la petite flamme d'une lampe Pigeon. J'écartais les rideaux et n'imaginais pas que cette naissance d'un jour aussi morne pût procéder de la nature bien-aimée. L'aube d'hiver ne naissait pas au bas du ciel. Je la voyais sourdre des tuiles luisantes, monter d'entre les pavés mouillés. La respiration de milliers d'hommes mal éveillés se condensait, formait ce halo au-dessus de la ville, cette brume de fatigue et de tristesse.
Et pourtant il m'arriva, au collège, de surprendre la merveille de l'hiver en de brèves minutes, et de contempler son vrai visage. Mais ce ne fut jamais, comme avec les autres saisons, une possession longue et paisible. L'hiver ne se révéla à moi qu'en des rencontres furtives. Je le voyais tout à coup : il m'apparaissait aux vitres embuées de la longue étude du soir, et me faisait signe.
Dans l'odeur de métal chauffé, de pensionnaires jamais lavés, de buvard et d'encre, ma figure se tournait vers la fenêtre où je voyais les branches noires du platane et une étoile qui palpitait. Je levais le doigt ; le surveillant inclinait la tête. Le froid me guettait dès le seuil. Ce souffle glacé sur ma figure était une purification avant le mystère. Je traversais àpetits pas la cour vide. Au delà de la barrière, les arbres dénudés ne cachaient pas le ciel. Rien que ce sol piétiné, ce préau sombre où restait suspendue une pèlerine oubliée. Je surprenais une odeur de pierre, d'asphalte, d'argile, l'odeur secrète de la saison sans feuilles, le parfum hivernal. Absence de tout ce qui nous cache Dieu ! L'enfant, en pleine étude du soir, demande de sortir pour un humble besoin ; et durant cette traversée furtive de la cour, il retrouve l'éternité. Plus tard, j'ai compris pourquoi un Psichari, un père de Foucauld ont retrouvé Dieu dans le désert, en me rappelant ces minutes de mon adolescence où la nature dépouillée me livrait l'Être Infini.
Toutes les autres saisons sont complices de la chair. Le printemps est au dedans de nous. Il confond dans un même règne les arbres et les hommes, et les soumet aux mêmes lois. Cette marée de sang et de sève qu'il a reçu pouvoir d'arracher au monde, il l'exige aveuglément des plantes, des bêtes et de l'animal humain, sans se souvenir des cœurs souffrants, des esprits et des âmes qui s'y débattent. L'été est mortel aux bonnes pensées. Seules les passions veillent dans cette canicule. Elles grondent au fond des corps. L'absence de Dieu pèse sur la campagne morte. La sieste ne frappe de sa stupeur que les hommes qui travaillent à la sueur de leur front, mais non les enfants oisifs : « Où vas-tu par cette chaleur ? demandait ma mère. On ne sort même pas les bœufs ; et toi, tu cours les routes... » Je courais les routes, tous les faux dieux devenaient vrais : ils riaient derrière les feuilles, ils mordaient à pleines lèvres dans les grappes.
Pour l'automne, il nourrissait les regrets de nos cœurs, nous endormait dans des odeurs de pourriture et de néant. L'hiver seul, le temps de traverser la vieille cour, m'aura montré la face du Père. Je me demande s'il existe beaucoup d'hommes qui ont reçu le bienfait de ces illuminations : ceux-là seulement peuvent me comprendre. En apparence, il ne se passe rien. Ce sont les platanes du collège, c'est le ciel familier et la palpitation diffuse des mondes sans pensée. Le petit garçon, au milieu de la cour, ramasse un papier d'argent qui luit. Le relent des latrines s'unit à celui du gravier froid et du bitume. Et pourtant les apparences s'amincissent jusqu'à n'être plus qu'une plaque de verre, une feuille d'étain ; derrière la mince paroi du monde visible, déferle un amour sans rivage. Évidence tout à coup, certitude que cet amour existe vers lequel nous tendons de toutes les forces de notre cœur et de notre esprit. C'est l'hiver : Dieu a arraché les feuilles épaisses de devant sa Face dont la lumière fuse à travers l'ossature des arbres. Cette vérité que Rimbaud sentait autour de lui avec tous ses anges pleurant, elle est là, elle respire, à portée de nos mains, de notre bouche ; l'enfant étend un peu les bras... Mais un tramway sonne au loin ; de toutes ses fenêtres le grand collège flambe. C'est fini : il faut rentrer dans la vie qui n'est pas la vie...
Que c'est loin derrière moi ! Et maintenant je marche vers un autre hiver : cet hiver dont la mort sera le printemps. La vieillesse devrait être cette révélation de Dieu que je viens de décrire. Comme je m'étonnais, enfant, durant une nuit de décembre passée à la campagne, de ne pas entendre les prairies murmurantes, je m'étonne aujourd'hui de ce silence grandissant sur ma vie : passions engourdies, insectes morts... Voici la saison sans amour où d'un pas hésitant je pénètre. Beaucoup d'hommes vont à la vieillesse par un glissement insensible. Je voudrais ne rien perdre de cet hiver qui ne finira pas et que rien de ce qu'il doit me révéler ne soit perdu. Si vous faites le silence en nous et autour de nous, mon Dieu, n'est-ce pas pour que nous vous entendions? Qu'importent les haillons de nos péchés, si nous les avons arrachés de notre corps, et si nous demeurons nus et grelottants en votre présence? « Le sacrifice selon Dieu, c'est un esprit brisé. Le cœur contrit et brisé, vous ne le méprisez jamais. » Seule, l'arrière-saison de la vie nous brise sans espoir de retour. Il faudra bien que la vieille passion crève d'un tel froid, que son cadavre glacé n'ait même plus d'odeur.
Nous plaignons les enfants morts avant l'âge de l'amour. Qui sait s'il ne faudrait pas les plaindre plutôt de n'avoir pas connu l'approche de la grande paix, ce silence du déclin, cet élargissement d'une destinée à son embouchure, lorsqu'elle se jette dans l'océan et dans la nuit de Dieu ?
De même que dans la cour de récréation, sous les platanes sans feuilles, aucun parfum végétal ne nous empêchait plus de sentir l'odeur de l'argile, la mort des passions et la paix qui succède à leur tumulte rendent attentif l'homme vieillissant à un charme venu d'ailleurs.
Mais n'est-ce une illusion ? Durant les nuits muettes de l'hiver, à la campagne, la profondeur même du silence enfantait des voix ; je ne savais si cette lamentation c'était l'océan dans la nuit, ou les cimes des pins livrés au vent d'ouest, ou simplement, contre mon oreille, le bourdonnement de mon sang. Est-ce vous qui criez en moi ou est-ce le besoin que j'ai de vous ? Ce vieux cœur insatiable des hommes et que la vie presque toujours a laissé sur sa faim, reconnaissez-le : avide de tout, et même quelquefois de cette vieillesse où il aborde et dont il attend il ne sait quelle révélation infinie. Trompé presque toujours, dupé à un degré que vous êtes seul à connaître, il ne se console pas de son avril trouble, de cette jeunesse étriquée et sournoise. Pour l'été, il en découvre derrière lui le désert de cendres. Quand l'homme se tourne vers cette canicule de sa vie, il voit sur l'azur terne monter la colonne sombre de ce feu qui n'était pas celui que vous êtes venu allumer sur la terre : mornes incendies qu'on ne finit jamais d'éteindre tout à fait et qui couvent, et reprennent jusqu'à ce que vienne l'automne.
L'automne est venu enfin et voici que j'ai récolté quelques fruits amers. Et maintenant la saison approche qui ne nous trompera plus. Plus rien à attendre en ce monde que la révélation de l'hiver.
Mais, poète, méfie-toi des mots qui sont tes jouets. Souviens-toi que les chênes antiques n'éprouvent pas moins que les arbrisseaux le printemps redoutable, et que leurs cimes aussi souffrent de tous ces bourgeons lentement dépliés. L'hiver de tout repos n'existe pas. La vieillesse est travaillée par la vie infatigable de ce cœur créé à la mesure d'un printemps éternel. Méfie-toi de son dernier battement. Aussi vieux que tu vives, tu auras jusqu'à la fin besoin d'être sauvé à chaque seconde. Ne te rassure ni sur ton visage éphémère ni sur ce corps détruit, déjà à demi englouti. Mais accueille cette consolation : peut-être l'hiver est-il la saison du plus grand amour : « Au soir de ta vie, tu seras jugé sur l’amour... » Cet avertissement de saint Jean-de-la-Croix nous est adressé au seuil du dernier hiver. Voici le temps, non de la sécheresse ni des sources gelées, mais de la tendresse purifiée, et du don de nous-même à toute créature qui nous approche. Voici le temps où Dieu ne connaîtra plus de rival dans ce vieillard dont l'aspect rebute les jeunes créatures. Mais vous, aucune corruption ne vous a jamais fait reculer, petite hostie que je regarde parfois s'engouffrer dans de vieilles bouches effroyables. C'est à vous que j'aime adresser une sublime prière de sainte Gertrude, telle que me l'a enseignée l'image mortuaire de Francis Jammes : « O Jésus mon amour, amour du soir de ma vie, réjouissez-moi de votre vue à l'heure de mon départ. O mon Jésus du soir, faites-moi m'endormir en vous d'un sommeil tranquille... »
C'est à ce Dieu du soir que nous disons : « Reste avec nous car le jour baisse... » C'est le Dieu d'Emmaüs qui sort blessé d'entre les mains des hommes, comme nous en sortons nous aussi pour pénétrer dans le dépouillement de l'hiver et de la nuit.
Ainsi nous prenions les palombes après le coucher du soleil lorsque arrivées au bout de leur effort, elles s'abattent dans les vieux chênes ; ainsi le chasseur des âmes les attend au déclin quand on commence à dire de nous ce que nous disions du vol hésitant et lourd des palombes : « Il baisse... » Oui, il baisse, il va se poser, vous n'avez qu'à étendre la main.
Faites que dans le calme de mon hiver, dans le silence pro¬ fond des nuits qui précèdent votre nuit, toutes les passions ayant fini de donner de la voix, j'entende enfin l'immense gémissement des hommes crucifiés par d'autres hommes. Laissez-nous un peu de temps pour vous servir en eux. Qu'elles se fraient enfin une route à travers tant de pierres accumulées, cette faim et cette soif de justice que nous refoulons depuis que nous sommes au monde, afin d'être tout entiers au service de nos convoitises. Faites qu'en cette dernière saison de notre
vie avant le grand repos, nous ne goûtions plus de repos, et que les crimes du monde nous interdisent de ressentir ses délices.
Peut-être cette douzaine d'années qui me séparent encore de la vraie vieillesse m'empêchent-elles de la considérer sous l'aspect du supplice dont Michelet s'effrayait. Que l'hiver nous apparaissait beau, à la fin des grandes vacances, quand mes frères et moi nous faisions au crépuscule un dernier tour de parc, le cœur plein de la plus folle attente ! Et au lieu de la merveille attendue, ce que les sombres mois recélaient dans leurs flancs, ce fut ces levers dans les ténèbres, un ruissellement sans fin contre les vitres où le petit jour terne appuyait son front souillé.
Mais non ! Je crois à la promesse de l'hiver où vous nous attendez. Déjà son approche se manifeste par des signes - par ce signe surtout que nous n'espérons plus des créatures, ce que seul vous pouvez nous donner. L'homme, pénétré de cette certitude que nul ne tient plus à lui, si ce n'est pour les raisons qui ne sont pas celles du cœur, est enfin préparé à ne rien perdre de ce que lui révéleront les derniers jours de son voyage sur la terre.
C'était un enfant qui était parti à l'aube, dans le chant des merles, l'enfant dont parle Baudelaire en des vers qui me sont chers entre tous :
II joue avec le vent, cause avec le nuage,
Et s'enivre en chantant du chemin de la Croix;
Et l'Esprit qui le suit dans son pèlerinage
Pleure de le voir gai comme un oiseau des bois.
Les oiseaux ont fui, ou ils se sont tus, ou ils sont morts de froid... Mais aux yeux du Père, ce vieil homme chauve et à la figure consumée, c'est encore l'enfant du départ, un enfant qui ne joue plus et qui ne sait plus rire. Car nous n'avons pas le temps de sortir de l'enfance et la mère qui nous a précédé nous reconnaîtra au premier regard.
L'aile immense de la neige couve les germes, les sources cachées, le sommeil des bêtes enfouies. L'apparente mort couve la vie. La saison sans amour nous arme pour une révélation ineffable.
Quand sera venue la dernière heure du dernier hiver, donnez nous la force de ne pas nous retourner vers le tumulte des survivants. Donnez-nous la confiance tremblante du fils qui n'a pas peur de son père, autant qu'il l'ait offensé. Faites que la dernière parole humaine retenue par cette âme avant que votre silence l'ait recouverte, soit l'adjuration de la prière des agonisants : « Ne vous souvenez point de ses iniquités d'autrefois, ni des égarements où l’ont entraîné la violence et l’ardeur de ses passions, car si elle a péché, elle n a cependant jamais renié ni le Père, ni le Fils, ni l’Esprit ; mais elle a cru, elle a aimé son Dieu. »
Il sera l'écolier toujours en retard, assis sur la pierre du seuil, jusqu'à ce que le Maître lui ouvre. Il ne possède rien, hors cette besace pleine de livres et de cahiers raturés. Il ne rapporte rien, hors ce visage et ce cœur marqués et brûlés par toute une vie de désirs. Mais il a cru en votre cœur et en votre visage tout près de lui maintenant, et dont il attend la manifestation de seconde en seconde, avec un tremblant amour.
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Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1939-08-01
Title
A name given to the resource
Saisons
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Revue de Paris
Source
A related resource from which the described resource is derived
46e année, n°15, p.481-489
Type
The nature or genre of the resource
Chronique
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
François MAURIAC
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
Pdf
Language
A language of the resource
Français
Relation
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<a href="http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34404247s/PUBLIC" target="_blank">Notice bibliographique BnF<br /></a>Repris avec le titre "Hiver" :<br />in, p.69-88, <em>La Guirlande des années : Images d'hier et pages d'aujourd'hui</em>, Paris : Flammarion, 1941.<br />in, p.341-350, <em>Oeuvres complètes, IV,</em> Paris : Fayard, 1950-1956.<br />in, p.911-921, in <em>Oeuvres romanesques et théâtrales complètes,3</em>, Paris : Gallimard, 1978-1985.<br /><br />
Identifier
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MEL_0617
Subject
The topic of the resource
enfance, Bordeaux, campagne, collège, vieillesse, Dieu
Description
An account of the resource
Au milieu de sa vie, François Mauriac organise ses souvenirs de l’enfance et du collège à partir du rythme des saisons et de ses sensations. Cela le conduit à élargir sa réflexion aux saisons de sa vie, et sa vieillesse approchant, il s’aperçoit que l’hiver est la saison la plus favorable pour rencontrer l’amour divin.
Bordeaux
campagne
collège
Dieu
enfance et adolescence
vieillesse
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cade450715b629440bf7ec8d4cb9d26c
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La joie que donne à un écrivain qui siège à l’Académie française l’élection d’un autre écrivain est un phénomène curieux. Je n'entends pas parler ici de l'élection d'un ami : le succès d'André Maurois comblait mon vœu le plus cher. Mais l'étrange est que, même si nous n'avions pas été liés par l'affection, je n'aurais pas ressenti un moindre plaisir à voir triompher l'auteur de Climats.
C'est que, comme il existe un esprit de corps, il existe un esprit de génération. Nous ne sommes pas peu fiers de la nôtre. Les humbles sentiments qu'il convient que nous ayons de nous-mêmes, ne défendent pas à notre petite étoile d'admirer la constellation où elle brille d'un éclat modeste. La constellation tout entière viendra-t-elle un jour s'inscrire sous la Coupole ? Nous doutons que le désir en soit également ressenti par tous nos confrères, puisque la condition pour que le miracle s'accomplisse, c'est hélas que nous soyons nombreux à passer d'une immortalité à l'autre.
Du moins s'étonnera-t-on qu'ils ne paraissent guère regretter de n'avoir pas réussi, avec la génération de nos aînés, cette conjonction d'astres dont je rêve pour la nôtre. Que l'Académie de ces vingt dernières années ne puisse s'enorgueillir des noms de Paul Claudel, de Francis Jammes, d'André Gide de Marcel Proust, de plusieurs autres, c'est un malheur auquel j'ai des raisons de croire que beaucoup d'entre nous sont assez peu sensibles.
Pour moi, aucune idée ne me console mieux du passage à l'immortalité définitive à laquelle tôt ou tard nous sommes tous appelés, que l'image de ce Baudrier d'Orion qui commence de se dessiner peu à peu au ciel de l'Académie et où viendront s'inscrire les Tharaud, les Giraudoux, les Jules Romains, les Vaudoyer, les Martin du Gard, les Bourdet, les Morand, les Chardonne, les Halévy, les Schlumberger, les Maritain, les Gabriel-Marcel, les Du Bos, les Léon-Paul Fargue, les Romier, les Montherlant, les Marcel Arland, pour citer les premiers noms de ma génération et de la suivante, qui me viennent à l'esprit et au cœur ; et il resterait encore beau¬ coup de place pour les Illustrations, pour les Gloires, pour les grands personnages décoratifs de la politique et du monde, et naturellement aussi pour ces candidats plus âgés dont la longue patience et l'opiniâtreté ne devraient point nous faire oublier le talent.
Dans notre constellation, quelle place occupe Maurois, et comment décrirons-nous cette belle étoile?... D'abord, je serais tenté d'affirmer qu'il est le plus intelligent, si je n'entendais aussitôt Jules Romains me souffler : « Non, c'est moi ». Qu'il nous suffise donc de le mettre au rang de ceux dont on disait au collège « qu'ils pigent tout ». On m'assure que son maître Alain, qui, pourtant, a fait mûrir de si beaux fruits (quelques-uns même un peu trop gros, un peu « forcés »), se souvient de notre ami comme du lycéen le plus éblouissant entre tous ceux auxquels, pendant un demi-siècle, il crut apprendre à se passer de Dieu.
Chaque fois (et c'est souvent) qu'à table ma voisine me glisse : « Moi, le livre de vous que je préfère, c'est le Cercle de famille... », l'accablante paresse d'esprit qui parfois m'envahit dans le monde m'empêche de protester : « Je ne suis pas lui, je suis moi... » Mais en même temps j'éprouve un petit froid à me dire : « Elle va s'apercevoir que je ne sais rien, et elle va me parler anglais... »
Tellement intelligent, notre Maurois, qu'il fallait que l'univers s'en aperçût, bien que toutes les circonstances fussent réunies pour que cette manifestation ne se produisît pas. Quelle apparence, en effet, qu'un jeune industriel d'Elbeuf, responsable d'une importante affaire, eût à la fois l'ambition et les loisirs de « se lancer dans la littérature » ? Ces loisirs, ce fut la guerre qui les lui fit. L'éclatant succès des Silences du Colonel Bramble, écrit pour son propre divertissement et pour celui de quelques amis, fit paraître d'abord le don essentiel d'André Maurois : cette grande intelligence n'était pas un feu solitaire. Elle ne brûlait pas, comme tant d'autres, au fond d'un ciel inaccessible. Ses rayons ne nous arrivaient pas déjà affaiblis et refroidis par un voyage à travers des millions de lieues. Ils atteignaient directement la foule des hommes, savants et ignorants, « les subtils et les crustacés » (ce sont les deux grandes espèces d'esprits que Gide distingue dans l'humanité) et les baignait également de leur lumière et de leur chaleur.
Quand je lus Bramble, je ne connaissais pas André Maurois ; ce ne fut donc pas l'amitié qui m'obligea aussitôt de crier au chef-d’œuvre. Je suis toujours dans le même sentiment : je ne crois pas que l'esprit français ait rien donné dans ce genre de plus fin ni de plus délié, sans rien de grinçant comme chez Voltaire ou comme chez France.
Dès ce premier ouvrage d'André Maurois, l'esprit le plus vif est pénétré d'une bonne grâce dont la qualité exquise annonce qu'elle vient du cœur et qu'elle est une forme de la charité. Une sorte de pudeur nous défend d'esquisser ici le portrait moral de notre ami. Indiquons pourtant qu'il possède cette vertu bien insolite chez un homme de lettres : la bonté. Dans André Maurois, pour ceux qui le connaissent, se trahit souvent l'anima naturaliter christiana dont parle saint Augustin. Mais ceci est une autre histoire ; revenons à l'auteur.
Un succès plus étrange et plus significatif que celui de Bramble, fut celui de Climats. Le jeudi 23 juin, après être allé féliciter notre ami, je voulus finir la journée avec lui. Portes closes, téléphone décroché, je relus Climats d'un trait (ou presque). Il est très rare qu'on relise le livre d'un ami, surtout un roman. Soyons franc : cela n'arrive pour ainsi dire jamais. On relit les Classiques, Proust, la Correspondance de Flaubert, Sainte-Beuve ; mais il ne viendrait à l'esprit de personne de reprendre les romans de nos contemporains, autant qu'on les ait aimés au moment de leur publication.
A mesure que je redécouvrais Climats, je me demandais comment un livre qui va si loin dans la connaissance du couple humain avait connu cette diffusion extraordinaire et ces tirages réservés d'habitude aux romans policiers. Il existe en France de trente à cinquante mille personnes capables de consacrer 15 francs à l'achat du livre d'un romancier coté. Si quelques-uns de nos ouvrages ont dépassé ce chiffre, ce fut à la suite d'un prix, ou après des années de vente continue. Si l'un d'eux crève du premier coup le plafond, c'est qu'il s'agit d'un travail exceptionnel, comme le fut ma Vie de Jésus, dont le succès n'est pas seulement d'ordre littéraire. Le vrai est que l'immense majorité des Français ne franchit le seuil d'une librairie que pour acheter des crayons et des enveloppes.
Or, le tirage de Climats fut tout de suite énorme, battit tous les records connus, phénomène à première vue inexplicable ; comme si Lucien Leuwen eût été acheté tout à coup par trois cent mille personnes. Mais c'est justement ce phénomène qui nous aidera à mieux discerner la place de Maurois dans sa génération. Pour plusieurs écrivains, il s'agit d'abord d'attirer le lecteur, dans leur univers particulier d'où eux-mêmes se savent peu capables de sortir ; et quand ils y sont parvenus, de l'y retenir par tous les prestiges de l'écriture, d'éveiller en lui un certain goût, de l'exciter assez pour qu'au prochain livre, il se dirige de lui-même vers ce labyrinthe de passions, de paysages et d'odeurs. Ainsi l'œuvre de quelques écrivains d'aujourd'hui se présente sous l'aspect d'une porte étroite qui ouvre sur des défilés, par où il faut atteindre une cité souterraine, tout un monde secret et délectable.
L'œuvre d'André Maurois s'élève au contraire comme un beau palais aéré que des galeries ouvertes et de vastes portiques relient à des terrasses et à des jardins. Une lumière vive mais égale s'y épand sur les idées et sur les êtres, sur les systèmes et sur les hommes. C'est un lieu d'échanges spirituels où se rencontrent les politiques et les poètes, les soldats et les philosophes. Il est inutile ici d'insister sur le rapprochement qui s'est accompli à l'ombre de ces portiques entre l'esprit français et le génie anglo-saxon. Le peu que les Anglais et les Français savent les uns des autres, ils l'ont appris de Maurois ; non que beaucoup d'autres ne s'y soient efforcés, depuis le XVIIe siècle. Mais Maurois seul paraît avoir réussi à mordre sur cette masse d'ignorance réciproque. Tout cela est trop connu pour que nous nous y arrêtions. Ce qui l'est moins, c'est la mauvaise humeur que cette réussite éveilla chez quelques-uns. Je me rappelle la boutade d'un homme politique (il appartenait à l'Académie française, mais il n'est plus de ce monde) : « Maurois, me disait-il, abuse vraiment de la connaissance qu'il a d'une langue que personne ne parle. » Il n'abuse de rien, mais il est vrai qu'il administre mieux son talent qu'aucun de nous — en quoi il me semble digne d'être loué. On ne voit point la nécessité d'unir la maladresse à tous les dons de l'esprit. Il ne lui servirait à rien de savoir « mener sa barque » si elle n'était chargée d'une œuvre à la fois éclatante et profonde.
Car elle est profonde, en dépit de sa grâce légère et de son brillant.
Sous le beau palais que j'ai décrit, s'étend aussi un monde inconnu, plein de détours et de labyrinthes et qui est fait de toutes les amours et de toutes les souffrances d'une vie. Mais bien loin d'y attirer le lecteur inconnu, comme nous faisons presque tous, l'auteur de Climats y descend seul et rapporte lui-même, de ses propres abîmes, une flore et une faune qui s'animent et brillent soudain dans la pure clarté, aux yeux d'une foule immense d'admirateurs. Ces algues, ces coquillages des grandes profondeurs ont été choisis avec un tel discernement, une si curieuse divination, que chaque visiteur, chaque visiteuse les reconnaît pour siens. Quelquefois, André Maurois ne revient de ses voyages au fond de lui-même qu'avec une goutte d'eau pure, une seule goutte, mais il y fait tenir un monde de sentiments : de ces récits de deux ou trois pages, je n'ai pu retrouver qu'un seul : le Porche corinthien (dans Fragment d'un journal). Je ne sais s'il a recueilli les autres brèves nouvelles dont j'ai gardé un souvenir émerveillé. Climats, roman aux vastes proportions, est tout composé de ces gouttelettes précieuses. Le miracle est que dans ce livre, le mieux fait pour instruire nos arrière-neveux des mœurs amoureuses d'un monde restreint d'après la guerre, des centaines de milliers de lectrices s'y soient reconnues. C'est qu'au lieu de les attirer et de les perdre dans son labyrinthe intérieur, l'auteur y a choisi lui-même, à leur intention, entre tant de richesses, quelques éléments de ses personnages. De là peut-être, dans les héros inventés par Maurois, un excès des transparences. C'est une humanité de cristal. Il y manque un peu de cette buée qui flotte autour des grandes créations du génie. Comme il arrive dans les eaux trop pures, la clarté trompe sur la profondeur. Mais quoi ! C'est justement ce que nous éprouvons, parfois, avec Adolphe, ou avec madame de Chasteller.
Faut-il tout de même risquer une critique et mettre à notre tableau une ombre légère? Notre ami cède trop parfois au plaisir d'être compris. C'est enivrant que de rendre intelligible à des milliers de lecteurs ce qui intéressait jusqu'alors un petit nombre de spécialistes. Il arrive que le magicien du beau palais que j'ai décrit réduise un monde à une belle pomme rouge qu'il dépose dans la main du visiteur ébloui. Il écrira par exemple : « Un couvent est un lieu où un certain nombre d'hommes fuient la vie sociale et s'occupent de leur salut personne] ; égoïsme collectif qui, parce qu'il est collectif, redevient constructeur. » A première vue, que reprendre à cette définition? Tout en semble vrai, et pourtant il y manque le mot essentiel : la Communion des Saints. Un homme qui entre au couvent croit à la Communion des Saints. C'est dire que son salut personnel est lié pour lui à celui du plus grand nombre possible de ses frères. La foi en la réversibilité des mérites donne leur sens à ces renoncements de chaque jour, de chaque heure. Et même si quelques moines glissent à l'égoïsme, l'institution ne tient que parce qu'elle est fondée sur cette croyance étrange et sublime que nous pouvons mériter, expier les uns pour les autres. Une petite armée de contemplatifs tient devant Dieu la place d'un monde tout occupé de ses délices et de ses crimes.
Mais je m'excuse de détacher ainsi et de critiquer un texte qui n'est qu'une note de lecture. Il ne faut point trop s'arrêter au revers d'un art si volontairement intelligible, et surtout ne point conclure de ce que j'en ai dit, qu'il n'use pas de toutes les ressources que l'auteur découvre dans la connaissance de soi-même.
Lorsque Maurois, biographe, se montre excellent (comme dans son admirable Disraeli), c'est qu'il a mis en pratique ce que j'écrivais un jour : « Un auteur ne se décide à écrire une biographie entre mille autres que parce qu'avec ce maître choisi, il se sent accordé. Pour tenter l'approche d'un homme disparu depuis des années, la route la meilleure passe par nous-mêmes. »
Je me réjouis pour André Maurois de cette liberté où il se trouve à l'égard de son monde intérieur : comme il n'en est pas le prisonnier, il s'en évade et goûte tous les présents de la vie : les voyages, les lectures, la société, la conversation des femmes. Je lui envie cette curiosité des doctrines et des systèmes, cette aptitude à se tenir au courant de la science, et à dialoguer avec un bonheur égal sur tout ce que l'actualité lui propose. J'admire ce regard lucide sur le monde et que ne trouble aucun parti-pris. On rêve d'un journal qui remplacerait tous les autres, et qui serait rédigé par Lucien Romier et par André Maurois. Nous aurions enfin quelque chance de n'être pas dupes.
Quel rôle jouera à l'Académie un esprit aussi fin et qui eût rendu d'admirables services dans la Carrière? L'Académie est un lieu fait à souhait pour les diplomates refoulés. Je souhaite que notre ami y mette, au service des lettres, l'esprit de finesse dont Dieu le combla. Ce dont je me tiens en tout cas pour assuré, c'est qu'en dépit du ton solennel des séances et de la monotonie du Dictionnaire, l'auteur de Bramble est homme à se fort divertir dans notre Compagnie. Oui, plus j'y songe et plus je me persuade qu'il trouvera le moyen de beaucoup s'amuser chez nous.
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1938-07-15
Title
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André Maurois de l'Académie française
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Revue de Paris
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François MAURIAC
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Vol.3, n°14, p.241-247
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MEL_0616