1
10
924
-
https://mauriac-en-ligne.huma-num.fr/files/original/dcc4db4ecc5d9a558b7e33fe5e73cf8c.pdf
5dfe0084ba22093a77ffbadc76c2112b
Texte
Ressource textuelle
Text
Any textual data included in the document
L'aube, à travers les vitres du compartiment, fait pâlir la flamme qui vacille au plafond. Lourdes!... les pèlerins du Sillon descendent exténués, et leur groupe lamentable piétine dans la boue, sous une petite pluie glacée qui tombe désespérément... Mais voici qu'un trait de soleil déchire la brume, les sommets neigeux s'estompent dans le brouillard, le vent matinal nettoie allègrement le ciel et porte jusqu'à nous les échos adoucis des cantiques lointains. Nous courons à la grotte où tout un peuple à genoux récite de bruyants chapelets, et les mille petites lueurs des cierges palpitent à peine visibles dans le jour éclatant. A la vue de nos épis, des mains se tendent vers nous, et les camarades palois, blayais, limousins, brestois arborent à leur tour l'insigne du Sillon.
Quelques heures après, trente mille hommes enivrés et conquis suivent Jésus à travers la ville, comme les foules d'autrefois sur les chemins de Galilée, l'acclamant, implorant sa pitié avec un amour infini. Au-dessus de cet océan de têtes inclinées, et comme porté par elles, l'ostensoir d'or s'avance, rutilant dans le grand soleil, et autour de lui le vent agite les oriflammes multicolores et les lourdes bannières armoriées. Puis ce fut, le soir, quinze mille flambeaux serpentant sur l'esplanade ainsi qu'une étrange procession de vers luisants, cependant que la basilique s'illuminait jusqu'au faîte et que les Ave Maria déferlaient vers elle en une immense clameur. Un silence s'établit et majestueusement le Credo monta dans la nuit. Alors la foule s'écoula, ce ne fut plus qu'une rumeur lointaine de cantiques et les derniers flambeaux erraient sur le fond noir de la terre, comme les étincelles dans les cendres d'un papier à demi consumé...
Le lendemain, le Sillon eut sa véritable journée. Tandis que les jeunes gens de la Jeunesse Catholique et le député Lasies prononçaient au château-fort d'enthousiastes discours, quatre-vingts camarades gravissaient le calvaire sous un soleil de feu. A chaque station, M. l'abbé Villaume, de Blaye, nous disait avec beaucoup de foi tout ce que peut inspirer à un chrétien du Sillon la voie douloureuse... Et la petite troupe, recueillie, s'élevait dans l'ardente lumière vers le sommet où elle s'agenouilla –très loin, semblait-il, de la terre, –autour de la croix qui se détachait, grêle, sur le ciel profond.
La dernière oraison achevée, nous suivîmes gaîment l'ingénieux Pérotin, qui entonnait avec sa conviction bien connue le chant de la Jeune Garde; et l'on s'étagea sur le revers d'une colline, au bas de laquelle une route passait. Le bord d'un chemin… n'était-ce pas l'endroit choisi pour causer une dernière fois de nos craintes et de nos espoirs avec ces camarades lointains que la destinée nous avait fait rencontrer dans la ville bénie et que le soir nous allions quitter?... C'est sur cette route que Germain, Barbon, Mauriac parlèrent éloquemment du Sillon, et aussi le petit camarade employé à l'arsenal de Brest qui nous dit son attachement à la Cause et son grand désir de la faire triompher... Tout cela était intime et fraternel. Les passants, captivés, s'arrêtaient devant ces jeunes hommes, orgueilleux d'avoir le Christ dans leur cœur et trouvant en Lui une invincible force pour préparer la cité de justice et d'amour... Il montait de la plaine un refrain de litanies avec des éclats de fanfare adoucis par la distance, et une odeur d'encens rôdait à travers les feuillages des marronniers... L'heure vint de se séparer. En la mourante lueur du soleil couchant, le petit chemin fut plein de tristesse. On descendit silencieusement. A cette heure-là, nous rencontrâmes Mgr Enard, évêque de Cahors, le grand orateur qui fit pendant trois jours vibrer autour de sa chaire la foule ardente des pèlerins. Il vit nos épis et il nous dit: “J'aime le Sillon..., dites à Marc Sangnier que j'ai prié pour lui...”. Puis il ouvrit son bréviaire et nous montra le portrait de Marc qu'il y gardait pieusement... Et notre joie augmenta lorsque le prélat italien Mgr Radini-Tedeschi, évêque de Bergame et ami personnel de Pie X, déclara à ceux d'entre nous qui le visitèrent que le Souverain Pontife nous aimait et nous bénissait. Ainsi la Vierge avait bien voulu réserver dans sa ville au Sillon de pareils encouragements!
Le soir, les Sillonistes de Bordeaux, agenouillés devant la grotte, prièrent pour que Jésus demeure l'invisible ami toujours assis au milieu de nous et pour qu'il nous aide à édifier la cité rêvée, malgré l'égoïsme et l'inintelligence du monde... Puis ce fut l'écœurement du morne retour en wagon..., le brusque réveil dans la vie brutale et monotone.
Dublin Core
The Dublin Core metadata element set is common to all Omeka records, including items, files, and collections. For more information see, http://dublincore.org/documents/dces/.
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1905-06-15
Title
A name given to the resource
À Lourdes
Publisher
An entity responsible for making the resource available
La Vie fraternelle
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
MEL_0109
Source
A related resource from which the described resource is derived
[Sillon de Bordeaux et du Sud-Ouest], 1re année, n° 6, p. 129-131
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
François MAURIAC
Relation
A related resource
<a href="http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb328890314/PUBLIC" target="_blank">Notice bibliographique BnF</a>
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
Pdf
Microfilm
Language
A language of the resource
Français
-
https://mauriac-en-ligne.huma-num.fr/files/original/6a11f0901447ea063ea6df3a6276e5cc.pdf
89431ffad2d5cee7e8342d2284465a0e
Texte
Ressource textuelle
Text
Any textual data included in the document
Mercredi, 20 novembre
Le blé qui lève de René Bazin, par M. Fr. MAURIAC, licencié ès-lettres.
M. Mauriac est de Bordeaux. Il en a l'esprit fin, pénétrant, joyeux. Sa voix est faible, timide; son verbe incisif et mordant. Il faut prêter l'oreille pour l'entendre mais on prête si volontiers l'oreille à ses malices! Il ne résiste pas au plaisir de lancer quelque trait à ses amis les meilleurs et on serait tenté de le lui reprocher un peu s'il n'y mettait tant de bonne grâce.
Il est inutile d'analyser ici “le blé qui lève” nos lecteurs connaissent tous ce dernier livre de René Bazin. Il fera date dans l'œuvre de l'éminent académicien. Il marque un étape nouvelle, un pas en avant dans cette évolution constante et progressive de l'auteur des “Contes de Bonne Perrette” et de “Ma tante Giron” vers un réalisme plus profond et plus puissant. Les problèmes contemporains le sollicitent: il les aborde hardiment avec toute sa foi chrétienne et il les regarde avec une impartialité tranquille. “La vie morale d'un pauvre” est l'histoire de toute une classe ouvrière qui a faim et soif de la justice mais qui ne sait pas où puiser de quoi vivre. La question ouvrière n'est pas seulement une question de pain. Gilbert Cloquet en a fait à ses dépens l’expérience. Le syndicat, la hausse des salaires n'ont pas calmé les esprits. Le vieux bucheron entrevoit la solution sans la comprendre encore toute entière “Je te dis mon chagrin, Ravoux, ma pensée sur les camarades; eh bien! ils n'ont pas de quoi vivre!”. Il ne sait pas lui-même où puiser de quoi vivre. Il n'a pas su le donner à sa fille qui le ruine et le déshonore. “Ma pauvre Marie, toi non plus tu n'avais pas de quoi vivre et pourtant c'est moi qui t'ai élevée!”. Et quand il s'est enfui en Picardie à la ferme du Pain Fendu pour refaire sa vie, il se sent impuissant. Lui, le travailleur honnête et courageux, est terrassé par l’amour qui le prend pour la femme de son contre-maître. Il en fait tristement l'aveu à l'ami chrétien qui le recueille: “J'avais cru que je n'étais pas comme les autres, Hourmel, je suis comme eux: je n'ai pas de quoi vivre!” Conduit par son ami dans une maison de retraite belge à Fayt-Monaye, Gilbert trouve ce qu'il cherchait. Il songea au temps de la vigie quand la mère Cloquet attendait son gars tous les dimanches sur la plus haute marche de l'Église “j'ai mis bien du temps à venir, maman, dit-il, mais me voilà!”. Le cœur du bucheron simple et droit comme les grands chênes de la forêt, avait rencontré Dieu, il avait de quoi vivre.
Pendant ce temps s'achevait à Fonteneilles la vie morale d'un riche. Michel de Meximieu s'est débattu entre l'ouvrier qui repousse ses avances et son père, le général de Meximieu qui ne voit dans ses bois que le moyen de subvenir à ses besoins pécuniaires. Michel meurt de faiblesse, de chagrin, d'isolement; sa bonté et sa souffrance ont été fécondes. Des germes lèvent silencieusement et quand Gilbert revient se poser hardiment en face des meneurs, il se trouve des jeunes pour l'entourer et lui dire “M. Cloquet, je suis de votre bord”.
M. Mauriac met merveilleusement en relief l'inspiration chrétienne de ce roman, la pensée forte et profonde qui se dérobe sous la grâce légère du style. Il craindrait seulement que les retraites de Fayt-Monaye et les conversions de Gilbert Cloquet ne soient en France qu'un beau rêve. Qu'il se rassure. Le rêve est vrai. Il aurait pu se rendre l'automne dernier en Bretagne, dans un pélerinage où est particulièrement honoré le B. Grignon de Montfort, l'apôtre des humbles, il aurait vu des travailleurs de la terre, au nombre d'une vingtaine, suivre les exercices d'une retraite donnée à leur intention et au milieu d'eux, un membre de notre comité d'honneur qui siège à l’Académie française.
M. Hené Bazin nous pardonnera cette indiscrétion. Son roman est de ceux qui ouvrent des perspectives nouvelles et contribuent à faire grandir “le blé qui lève”.
Dublin Core
The Dublin Core metadata element set is common to all Omeka records, including items, files, and collections. For more information see, http://dublincore.org/documents/dces/.
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1908-01-25
Title
A name given to the resource
Conférence Saint-Paul – Le blé qui lève
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Revue Montalembert
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
MEL_0744
Relation
A related resource
<a href="http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32860833f.public" target="_blank">Notice bibliographique BnF</a>
Source
A related resource from which the described resource is derived
1re année, n°1, p.75-77
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
Pdf
Language
A language of the resource
Français
Contributor
An entity responsible for making contributions to the resource
François MAURIAC
-
https://mauriac-en-ligne.huma-num.fr/files/original/71c8a8679bc26da130f045f845100bfd.pdf
179e61d78f72933e27505a9c059b735c
Texte
Ressource textuelle
Text
Any textual data included in the document
Mercredi 12 février.
L'idée de Patrie, par M. Fr. MAURIAC, licencié es-lettres.
L'auteur n'a pas entrepris de défendre l'idée de patrie contre les théories individualistes ou internationalistes. Il n'y a pas d'hervéistes à la Réunion mais il y a des patriotes. N'y a-t-il pas patriote et patriote?
“Quelqu'un me disait un jour sévèrement: Je ne vois pas deux manières d'aimer la France, Monsieur! –Cet homme avait raison car il en aurait pu voir cinq ou six. Pourtant en généralisant un peu et en donnant aux mots leur sens le plus large on peut distinguer, je crois la conception individualiste et la conception démocratique de l'idée de patrie. Mais ensuite j'essayerai de vous montrer qu'il existe un certain patriotisme traditionnel. Celui-là est commun à tous les bons français quelles que soient leurs divergences politiques ou sociales et c'est peut-être en ce sens qu'on peut dire en effet: il n'y a qu'une façon d'aimer la France!”
I. Certains théoriciens nationalistes font de l'idée de patrie un absolu qu'ils placent au dessus de l'idée de Dieu, au-dessus de l'idée de justice. La raison d'Etat devient la règle suprême de la morale et contre eux demeurera cette parole du P. Lacordaire: “Celui qui emploie des moyens misérables, même pour sauver son pays, celui-là demeure toujours un misérable.” Ces moyens ne sont pas plus légitimes contre les peuples que contre les individus.
Beaucoup des représentants de cette théorie croient également être les seuls à aimer la France.
Nul n'aimera la France hors nous et nos amis.
Mais leur amour du pays souvent se double de la haine du gouvernement et, à cela, il y a sans doute bien des raisons légitimes. Mais, en cela, leur patriotisme manque peut-être de clairvoyance.
II. Il est des hommes qui aiment la France mais d'une autre manière. La patrie n'est pas pour eux une “fin en soi” parce que malgré tout il y a quelque chose qui la domine; au-dessus de la patrie, il y a Dieu et la justice: “Nous aimons la France disent-ils parce que nous entendons nous servir de la France pour travailler à faire régner dans le monde plus de justice et plus d'amour”.
Mais pour remplir son rôle d'éducatrice, la France doit être forte pour être à l'abri de toute agression étrangère. Eux aussi veulent donc une armée forte et disciplinée –et ils voudraient que cette armée elle-même soit non pas un mal nécessaire mais un instrument d'éducation populaire. La caserne sera une école où la jeunesse française recevra une formation morale et une formation sociale.
Ils veulent rendre la France de plus en plus consciente, libre et forte afin qu'elle soit digne de guider les autres peuples et afin que se réalise la grande parole d'espoir de Michelet que le peintre Carrière a mis comme devise au bas d'un de ses tableaux: “au xxe siècle la France déclarera la paix au monde.”
III. Mais un Français ne doit-il aimer la France qu'en raison de sa mission démocratique dans le monde? Le jour où l'Allemagne apparaîtrait mieux armée devrait-il se faire naturaliser Allemand? Quel Français oserait le soutenir! C'est que l'amour de la patrie est plus profond et on le sent frémir au fond des cœurs à ces jours où tous oublient leurs querelles pour communier dans un même amour patriotique.
Voici la fin de cette intéressante conférence:
“Je vais, Messieurs, en terminant essayer d'analyser cet amour grâce auquel nous avons –en dépit de nos opinions divergentes– une âme commune... Mais je ne serai ici que l'écho [affaibli] de Brunetière, de Faguet, de Barrès de tous ceux qui depuis quelques années travaillent à réveiller dans la jeunesse française l'amour des traditions nationales.
Il est un homme qui dans une seule phrase, mais splendide, a fait tenir l'essence même de l'idée de patrie et, –quelle ironie, –cet homme s’appelle Jean Jaurès. Ecoutez ce qu'un jour il disait aux ouvriers: “Vous êtes attachés à ce sol par vos souvenirs et par vos espérances, par vos morts et par vos enfants, par l'immobilité des tombes et par le tremblement des berceaux...”
Ce peuple, en effet, est d'abord attaché au sol par ses souvenirs. L'histoire de France où il a appris à lire, lui a appris aussi qu'il ne date pas d'hier, qu'il n'est pas isolé mais ressemble au chaînon d'une immense chaîne s'étendant très loin devant lui et qui s'étendra encore très loin après lui... Le sens profond lui apparaît de cette grande parole: “l'humanité se compose de plus de morts que de vivants”, et, c'est bien la leçon de “nos seigneurs les morts” comme dit Barrès, que par la voix de l'histoire il reçoit avec amour. “Il se reconnaît dans le passé, il s'aime profondément dans le passé.” Ceux, dont sont issus son âme et sa chair, ont peiné dans la vieille France, à l'ombre de la crosse ou du château-fort. Ils ont été les héros légendaires des chansons de geste; ils ont formé les grandes foules illuminées qui derrière la bure de Pierre l'Ermite roulaient vers Jérusalem et c'est encore leur âme mystique et fervente, éclairée par François d'Assise, amoureux de la dame Pauvreté que nous sentons prier dans le silence de nos cathédrales... Au temps où les Anglais dévastaient les campagnes de France ils ont comme le grand Ferré défendu jusqu'à la mort le sol natal envahi, l'oriflamme de Jeanne d'Arc a claqué dans le vent au-dessus de leurs espoirs... Puis, l'Anglais une fois bouté hors de France, ils ont pendant des siècles collaboré fidèlement à l'œuvre de la Royauté capétienne –défendant, contre le protestantisme l'unité religieuse du pays, et contre la noblesse, son unité territoriale.
Mais où le peuple du xxe siècle se retrouve encore bien plus que dans “l'histoire – bataille” comme disait Duruy, c'est dans l'histoire même de notre liberté, dans cette lente ascension de l'esclave vers le servage, du serf vers l'affranchissement des communes d'abord et l'affranchissement définitif que lui donna Louis XVI et c'est dans les foules enthousiastes de 1789 saluant l'aube des temps nouveaux, dans celles de Bretagne et de Vendée, de Lyon et de Toulon défendant âprement cette liberté contre la férocité jacobine.
Mais pour nous rattacher à la patrie, les morts ne nous ont pas seulement laissé des souvenirs glorieux et le devoir de les perpétuer, ni un territoire à défendre contre l'étranger. Ils nous ont aussi laissé une langue admirable dans laquelle ils ont immortalisé leur pensée, une certaine façon d'exprimer la beauté dans une tragédie, dans un palais, dans un jardin dessiné, voire même dans une assiette peinte comme dit je ne sais plus quel personnage d'une comédie de Maurice Donnay. Nous sommes en un mot les dépositaires du génie latin et un impérieux devoir s'impose à nous de le sauvegarder. Brunetière a fait sous ce titre, “le génie latin”, une magistrale conférence à laquelle je vous renvoie n'ayant pas le temps de la résumer ici... mais vous comprenez bien quand vous lisez Rabelais, Lafontaine, Molière et Voltaire qu'il existe un certain esprit qui nous est particulier au point qu'on l'appelle l'esprit gaulois.
Quand un jour, qui n'est pas un dimanche, vous errez au crépuscule sur les terrasses de Versailles, vous sentez une émotion qui monte en vous et qui vient de loin et que ne peut pas éprouver cet Anglais occupé à vérifier si les objets que cite Bedecker sont bien à la place indiquée. Nous sommes les héritiers d'une certaine forme de beauté. Elle est le dépot sacré qui s'est transmis fidèlement jusqu'à nous de générations en générations. Nous avons le devoir de le transmettre à notre tour aux enfants qui nous succèdent et pour cela nous devons le défendre et même, s'il le faut, à coup de canon. Car, il est bien certain qu'une race vaincue et dominée matériellement voit, par le fait même, s'altérer son génie. Ceux qui ont aimé l'Allemagne de Goethe et de Schiller, l'Allemagne de Wagner savent bien que la victoire de la Prusse a été la suprême défaite de l'Allemagne.
Donc, Messieurs, le patriotisme résume notre devoir social tout entier: envers les générations disparues comme je viens de vous le marquer; envers les hommes d'aujourd'hui puisqu'en éclairant de plus en plus le peuple de France nous éclairons par· le fait même toute l'humanité; envers nos enfants à qui nous devons rendre intact le génie de la race et son héritage de gloire et pour qui nous devons préparer une France plus chrétienne et plus fraternelle. Aujourd'hui le patriotisme est attaqué, comme le sont tous les sentiments désintéressés. Mais je le crois indéracinable comme tous les sentiments qui sont en nous en quelque sorte malgré nous. Car il y a en nous infiniment plus que nous-même et les théoriciens qui prêchent la haine de la patrie trouvent au fond de nos âmes des milliers de contradicteurs: c'est la foule immense des morts qu'ils ne convaincront jamais!”
Ouvrages à consulter :
Ferdinand BRUNETIÈRE: Discours de combats; l’idée de Patrie; la nation et l’armée. –Emile FAGUET: Le Pacifisme. –Maurice BARRÈS: Toute l’œuvre et particulièrement: le jardin de Bérénice, les amitiés françaises; Au service de l’Allemagne. –Frédéric NIETZSCHE: Par delà le bien et le mal. –Le Sillon, numéro du 25 mars 1905: Une idole, par Marc SANGNIER.
Dublin Core
The Dublin Core metadata element set is common to all Omeka records, including items, files, and collections. For more information see, http://dublincore.org/documents/dces/.
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1908-03-25
Title
A name given to the resource
Conférence Saint-Paul – L'idée de patrie
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Revue Montalembert
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
MEL_0745
Relation
A related resource
<a href="http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32860833f.public" target="_blank">Notice bibliographique BnF</a>
Source
A related resource from which the described resource is derived
1re année, 3e année, p.234-238
Contributor
An entity responsible for making contributions to the resource
François MAURIAC
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
Pdf
Language
A language of the resource
Français
-
https://mauriac-en-ligne.huma-num.fr/files/original/15ad568ad18ccaa09349fe0d0825def4.pdf
49931324ba67ca065e0eaff201d9212f
Texte
Ressource textuelle
Text
Any textual data included in the document
Mercredi 10 février,
Vingt ans de vie syndicale à Limoges, par M. l'abbé J. Desgranges.
M. l'abbé Desgranges qui habite une grande cité ouvrière du centre, veut bien nous apporter le résultat des observations qu'il y a pu faire sur le mouvement syndical, durant ces vingt dernières années. Dans une première partie, il marque les différentes étapes franchies par les syndicats ouvriers et distingue la période politicienne, la période révolutionnaire, puis celle des syndicats véreux et suspects; enfin l'ère, qui semble s'ouvrir, des syndicats véritablement professionnels. Dans une seconde partie, il note les expériences qui furent tentées à Limoges pour y instaurer des syndicats mixtes, des syndicats jaunes –et des syndicats patronaux–. Pour terminer, M. l'abbé Desgranges, se basant sur les faits qu'il vient d'exposer, nous enseigne ce que doit être l'attitude des catholiques en face du problème social. La loi de 1884 sur les syndicats fut en général mal reçue, –et en 1897, un patron disait à l'abbé Desgranges qui se préparait à faire une conférence aux ouvriers: “Surtout ne prononcez pas le mot de syndicat!” –Les catholiques négligèrent de s'en occuper et laissèrent aux socialistes le champ libre. –Mais ceux-ci avaient du syndicat une conception simpliste: “Pour faire un syndicat, disait J. Guesde, il faut un trésorier, un secrétaire et un timbre on caoutchouc.” De 1887 à 1900, on vit ainsi se multiplier des syndicats subventionnés par les départements et qui furent des comités électoraux. Ils ne servirent en rien les intérêts ouvriers, mais fournirent aux secrétaires généraux de la bourse du travail, des places grassement rétribuées. –Les journaux socialistes dénoncèrent ce scandale, et l'on tomba d'un extrême dans un autre: les ouvriers, persuadés que les politiciens étaient leurs pires ennemis, écoutèrent ceux qui leur montraient les syndicats comme les seules machines de guerre capables de détruire la société capitaliste. Cette conception révolutionnaire du syndicat amena les tragiques journées d'avril 1905 dont M. l'abbé Desgranges nous fait un vivant récit. Les syndicats organisèrent d'abord des grèves sans interruption, et jamais pour des raisons professionnelles, mais parce que la grève était le point de départ d'un mouvement révolutionnaire. On en compta 37 en 16 mois. Certains patrons furent réduits à autoriser l'élection des contremaîtres par les ouvriers. L'absurdité de quelques-unes de ces grèves est incroyable. Voici un exemple entre mille: Les ouvriers de la maison X ... étaient plus payés que ceux des autres usines, qui réclamèrent. On fit droit à leurs doléances et le tarif de la maison X ... fut établi partout. C'est alors que les ouvriers de cette maison se mirent en grève parce qu'ils voulaient eux aussi une augmentation!
M. l'abbé Desgranges assista vraiment “aux grandes manœuvres de la Révolution”. Les ouvriers campaient dans les rues, cernaient les usines et les habitations particulières des patrons, insultaient les personnes qui entraient ou qui sortaient. Le jour de l'entrée solennelle du général Tournier à Limoges, ils se livrèrent au sabotage des costumes officiels et les constellèrent de crachats. Le 17 avril 1905, 15.000 grévistes après la proclamation du lock-out se heurtèrent à 8 régiments, et à plusieurs centaines de gendarmes. Des révolutionnaires de profession, experts dans l'art des barricades, vinrent de Paris diriger le mouvement. Des armureries furent pillées, les portes de la prison enfoncées. Mais dès que la troupe eut tiré sur la foule, une morne stupeur succéda à l'agitation. Ce fut la déroute des ouvriers. Les syndicats révolutionnaires tombèrent dans le plus complet discrédit, surtout depuis la condamnation d'un de leurs secrétaires qui avait fait des faux et emporté la caisse. Après ces rudes épreuves et ces expériences chèrement payées, il semble que le désir se précise dans les milieux ouvriers, d'organiser des chambres syndicales sérieuses, libérées de toute influence politique ou révolutionnaire, et occupées seulement d'intérêts professionnels. On essaya d'organiser des syndicats mixtes qui ne fonctionnèrent jamais sérieusement parce que les patrons s'en désintéressaient et que les seuls ouvriers besogneux en faisaient partie. Les syndicats jaunes ne donnèrent pas de meilleurs résultats. Les ouvriers sérieux qui se résignent à y entrer sont considérés toujours comme des mouchards et perdent toute influence. D'ailleurs à Limoges, le secrétaire du syndicat jaune disparut lui aussi avec la caisse, et cet incident marqua l'échec définitif de la tentative. Les patrons s'avisèrent de fonder des syndicats patronaux et y réussirent parfaitement. Grâce à l'arme terrible du lock-out, ils sont restés maîtres du champ de bataille. Mais, M l'abbé Desgranges nous montre éloquemment quels effets désastreux peut causer l'emploi trop fréquent du lock-out. C'est par lui que s'exaspère la lutte des classes, que de lamentables divisions se produisent dans la classe ouvrière, et que l'armée tend de plus en plus à devenir une force au service du patronat. Enfin M. l'abbé Desgranges demande aux catholiques qui l'écoutent, de ne jamais faire servir la religion à la défense de la classe privilégiée, contre celle des travailleurs. Que chacun de nous s'efforce de collaborer pour son humble part, à la formation d'une élite ouvrière, d'où sortiront les chefs syndicalistes dont la classe ouvrière a besoin.
Dublin Core
The Dublin Core metadata element set is common to all Omeka records, including items, files, and collections. For more information see, http://dublincore.org/documents/dces/.
Title
A name given to the resource
Vingt ans de vie syndicale à Limoges,
par M. l’abbé J. Desgranges
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1909-02-25
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Revue Montalembert
Source
A related resource from which the described resource is derived
2e année, n°10, p.118-120
Relation
A related resource
<a href="http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32860833f.public" target="_blank">Notice bibliographique BnF</a>
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
Pdf
Language
A language of the resource
Français
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
F. M.
-
https://mauriac-en-ligne.huma-num.fr/files/original/feffb96f51b376d2d11eb14c3cf0ec76.pdf
68e5f9e66e00c9886063ae3e0dc7b34b
Texte
Ressource textuelle
Text
Any textual data included in the document
29 avril-2 mai 1909
Le jardin est dessiné à souhait pour la méditation, et l'on y peut marcher sans inconvénient les yeux clos –ou dévotement levés vers le ciel. –Sur les murs blancs et nus des cellules, il n'est rien qui rappelle la vie antérieure, et l'on n'y trouve pas de ces menus souvenirs dont nous encombrons nos chambres et qui nous font prisonniers du passé.
Nous avons vécu là des journées de printemps qui furent comme des journées d'automne: Un vent froid secouait les nids dans les jeunes frondaisons, et nous goûtions l'harmonie de nos âmes avec ce ciel voilé sur un paysage silencieux. D'heure en heure le règlement nous faisait mettre à genoux pour un examen de conscience ou une prière, et, tout le jour, nous conduisait sans effort de bonnes œuvres en œuvres pies.
La joie de se taire fut révélée ù quelques-uns d'entre nous. Car nos pauvres existences tourmentées s'écoulent au milieu du bruit. Nous souhaitons le tumulte, et que l'on en fasse autour de nous. Le silence est un hôte importun qui nous met en face de nous-même et je songe à cette pensée de Pascal: “Rien n'est si insupportable à l'homme que d'être dans un plein repos sans passions, sans affaire, sans divertissement, sans application. Il sent alors son néant, son abandon, son insuffisance, sa dépendance, son impuissance, son vide.”
Mais nous acceptâmes le silence courageusement. Et une voix divine s'éleva en nous que depuis longtemps nous n'entendions qu'à peine. Elle réveilla les bonnes pensées endormies, les aspirations vers une vie plus morale et plus féconde, le désir passionné de faire un peu de bien à ceux que nous aimons. Et nous connûmes qu'il y a en nous infiniment plus que nous-même.
Aujourd'hui le silence ne nous fait plus peur. Nous savons qu’il est, selon un mot de Carlyle, “l'élément dans lequel se forment les grandes choses, pour qu'enfin elles puissent émerger à la lumière de la vie qu'elles vont dominer.”
Des mystères admirables à sonder, la paix d'une bonne conscience, un grand jardin silencieux aux allées nettes, ce sont là de solides éléments de bonheur. Et nos âmes se seraient abandonnées à cette calme joie, dans la pieuse monotonie des chapelets récités à heure fixe. Mais par de brèves méditations l'abbé Desgranges les mettait en face de leur destinée.
Toute notre vie, le souvenir nous restera de cette chapelle un peu sombre, et que le soleil, entre deux nuages, emplissait par instant de lumière et de joie. D'une voix nuancée et passionnée, avec une émotion contenue, l'abbé Desgranges évoquait sur les bords du lac de Tibériade le Sauveur dominant les foules étonnées. Nous avons vu réellement ce jeune homme que Jésus aima s'éloigner triste parce qu'il avait de grands biens, ce jeune homme qui ressemblait ù plusieurs d'entre nous comme un frère!
Et dans la calme torpeur de la sixième heure du jour, quand les femmes de Samarie vont au puits de Jacob, nous avons entendu cette parole inouïe: “Celui qui boira l'eau que je lui donnerai, n'aura jamais soif...”
Nous fûmes avec la foule dans la synagogue de Capharnaüm. Le prophète au milieu des murmures et des interruptions promettait de donner sa chair à manger et son sang à boire. Quelques-uns riaient et haussaient les épaules. Ils s'éloignèrent pour toujours et beaucoup les suivirent. Mais nous sommes restés avec les disciples fidèles autour du Sauveur, sachant que nul miracle n’est impossible à son amour, non pas même celui de se donner à nous tout entier, dans le recueillement des messes matinales.
En retraite on n'éprouve pas seulement ce bonheur intime et profond. Beaucoup même ne connaîtront jamais la surnaturelle ivresse qui le 23 novembre 1654, entre 10 heures et minuit, inondait l'âme de Pascal et le faisait balbutier: “joie, joie, joie, pleurs de joie!...”
Le passé est encore si près avec toutes ses lâchetés et toutes ses misères! Ni le repentir, ni les larmes ne peuvent empêcher que le crime autrefois commis n'engendre logiquement toutes ses conséquences, et les effets s'enchainent encore d'un exemple donné, d'une parole dite, il y a des années. On essaye vainement de se rassurer avec les aspirations vers Dieu que l'on découvre en soi: nos actes seuls sont la mesure de ce que nous valons. Nous les voyons peu a peu émerger de notre passé ainsi que les sommets neigeux de la brume qui se déchire, et c'est par eux que nous sommes Jugés et condamnés.
Mais l'âme pécheresse déconne le remède infini en même temps que le mal infini, comme cette Samaritaine à qui le Sauveur fait voir dans une même minute et les péchés qu'elle a commis et l'eau qui l'en délivre à jamais.
A travers une médiocre vie, nous allions sans le savoir vers la grâce immense de cette retraite, comme la femme de Samarie qui de voluptés en voluptés arriva un soir au puits de Jacob.
Le dimanche, les ouvriers de la dernière heure nous ont rejoint. Mais ceux que l'abbé Desgranges avait pendant trois jours élevé au-dessus d'eux-mêmes, étaient selon une heureuse comparaison du P. Plazenet, semblables aux disciples d'Emmaüs qui disaient: “notre âme n'était-elle pas ardente en nous pendant qu’il nous expliquait les Écritures?”
L'abbé Desgranges adressa à nos vénérables hôtes de la villa Saint-Régis des compliments empreints d'une spirituelle cordialité.
Et nous quittâmes cette maison, mieux armés pour la vie, songeant que le P. Plazenet et l'abbé Desgranges –à qui nos âmes pauvres et nues doivent d'être aujourd'hui vêtues de grâce et riches d'espoir– entendront un jour la parole promise aux justes: "J'étais nu et vous m'avez vêtu, j'étais malade et en prison et vous m'avez visité.”
Dublin Core
The Dublin Core metadata element set is common to all Omeka records, including items, files, and collections. For more information see, http://dublincore.org/documents/dces/.
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1909-05-09
Title
A name given to the resource
Une retraite à la villa Saint-Régis
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Revue Montalembert
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
MEL_0746
Relation
A related resource
<a href="http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32860833f.public" target="_blank">Notice bibliographique BnF</a>
Source
A related resource from which the described resource is derived
2e année, n°13, p.376-378
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
François MAURIAC
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
Pdf
Language
A language of the resource
Français
-
https://mauriac-en-ligne.huma-num.fr/files/original/4e762da80626c742dce9d1a0d15a88ff.pdf
aa3b83d3ea0da1f3e0900452ca8eece1
Texte
Ressource textuelle
Text
Any textual data included in the document
On retrouve dans la Caravelle cette délicatesse un peu fade et précieuse des élégies d'Albert Samain. –Il apparaît que M. R. Reignier se souvient du “Jardin de l'infante” quand il écrit:
Dans l’ombre quelque part une nef doit mourir.
Cela ne lui rappelle-t-il pas le vers de Samain:
Quelque part, une enfant très douce doit mourir?
Il se peut d'ailleurs que ce soit une coïncidence, et que M. Reigner écrive:
Je souris à l'écho des voix qui se sont tues,
sans connaître le vers de Paul Verlaine:
L'inflexion des voix chères qui se sont tues.
Je ne fais pas là un bien grave reproche à l'auteur de la Caravelle. Il n'y a guère que les poètes qui lisent les poètes et il faut bien se résigner à subir l'influence de ceux qu'on aime.
Mais je regrette que la Caravelle contienne trop de poèmes délicats abimés par des expressions usées, que l'auteur semble avoir décrochées au hasard dans le magasin des accessoires. On retrouve comme de vieilles connaissances “le ciel d'opale”, “le linceul de givre”, “la nuit brune” et le “vallon diapré”.
Il est certain que M. R. Reigner fait souvent un visible effort pour donner à sa pensée une forme originale. Il y réussit quelquefois, mais n'évite pas les mots impropres. Il dira d'une infante qu'elle
souille de son printemps les vieilles galeries.
Il n'hésite pas à écrire:
L'horizon est rouge
Du meurtre d'une enfant par l'automne effeuillée (?)
L'auteur de la Caravelle voit dans les yeux de celle qu'il aime de “somptueux berceaux” –cela est déjà déconcertant. Mais l'usage qu'il veut faire de ces berceaux me trouble surtout:
Je veux y déposer les fœtus des poèmes
Qui frémissent encore au fond de mon cerveau.
Malgré cela il y a dans la Caravelle des vers touchants: ceux qui disent la plainte éternelle du poète isolé, l'absence de celle qui devait venir et n'est pas venue. Hélas! pourquoi faut-il qu'au plus bel endroit éclate ce vers étonnant:
Vraiment, elle en prend à son aise, l'attendue!
Si je m'attarde un peu sur ces menues critiques, c'est que je crois M. R. Reigner capable de nous donner, quand il voudra, des vers excellents. Il y en a beaucoup dans la Caravelle. En voici quelques-uns cueillis presque au hasard:
Assieds-toi doucement dans l'or de la croisée,
Prends la position familière des soirs
Et pique sur le deuil de ton tablier noir
Le frêle bouquet blanc de tes deux mains croisées.
.
Par le silence bleu de la chambre endormie
Autour de toi, sens-tu rôder mon souvenir?
Blêmes du même émoi nos âmes vont s'unir
Pour contempler le jour trembler son agonie...
Et d'autres encore:
Le rêve était trop beau que nous avions rêvé
Tu n'étais qu'une femme entre les autres femmes.
Moi, mon Dieu, un enfant qui dorlote son âme
Aux vagues clapotis des lieds inachevés.
.
Quel désir ennemi nous prit de cultiver
Au jardin de nos cœurs cette leurrante envie
D'égrener à nous deux le rosaire de vie...
Nos doigts étaient distraits dès le premier ave!
Henry Charpentier: La Mer fabuleuse . –Je ne saurais trop recommander aux amateurs de rimes riches et singulières les vers de M.H. Charpentier:
L'élan des hauts vaisseaux écrase les sargasses,
L'eau frappe la figure incrustée aux arcasses.
Cela réclame évidemment quelque érudition, et sans doute un dictionnaire de rimes très complet. –Nous sommes si habitués aujourd'hui aux vers assonancés des disciples de Francis Jammes que nous trouvons un charme de nouveauté à ces poèmes somptueux qu'eût goûtés de Hérédia. Mais puisque M.H. Charpentier veut se conformer à l'idéal parnassien, pourquoi n'en accepte-t-il pas toutes les lois? Certaines négligences qui plaisent dans une élégie de Jammes choquent étrangement dans un sonnet “genre Trophées”:
Nous avons retrouvé brisée sur les galets
La proue de ta galère...
De même la plus infime cheville, qui semblerait négligeable ailleurs, est visible dans un poème parnassien où l'auteur est inquiet surtout de donner à sa pensée une forme splendide:
.... avec ses hauts palais et ses cariatides
Et ses jardins en fleurs, et puis la mer aride.
Les poèmes de M.H. Charpentier sont d'une beauté impersonnelle et froide. Il ne sent pas le besoin de nous confier, sur des rythmes divers, ses tristesses, ses joies et ses amours.
En fermant ce petit volume, vous ne saurez rien de celui qui, pour vous, évoqua si magnifiquement la mer fabuleuse,
Et le vol triomphant des trirèmes romaines.
Alfred Machard: Les Frimousses . –Vous rappelez-vous, dans les Pleureuses d’Henry Barbusse, ces douces visions d'ouvrières où s'attarde le poète? Il nous les montre au crépuscule se hâtant vers la maison “le cœur plein d'impossible” et fredonnant un air:
Elle est seule dans la foule
A cause de sa chanson...
D'un art moins subtil, les frimousse[s] que crayonne M. Alfred Machard au hasard de la rue sont douloureusement vivantes et vraies. Sur les minces visages d'écolières et de midinettes, où le passant ne voit qu'un charme voluptueux, le poète sait lire toutes les misères de ces pauvres vies.
Elles ont un regard très doux
Et s'attendent de porte en porte,
Tandis que l'aigre bise emporte
Avec leurs voix grêles leur toux.
Car la misère sur leur front
Met la pâleur des anémies,
Quand tombent les feuilles jaunies
Beaucoup s'en vont, beaucoup s'en vont...
Les petits poèmes de M. Alfred Machard se terminent presque tous sur une vision de mort. C'est la même obsession qui faisait inlassablement répéter à Jules Laborgne:
Oh! soigne-toi, je t'en conjure,
Oh! je ne veux plus entendre cette toux...
Notre poète est même tenté parfois de faire la vie plus méchante qu'elle n'est. Après avoir évoqué les gamins des rues, pieds nus, déguenillés, le regard mauvais, il conclut aussi:
Et dans les faubourgs révoltés
Par les soirs tragiques d'émeute
On les voit en bande, exaltés,
Humant le sang comme une meute
.
Voilà pourquoi, les lendemains,
Tout le long des ruisseaux putrides,
On ramasse tant de gamins
Bras en croix, fronts troués, livides.
Cela n'arrive pas tous les jours, mais c'est peut-être une vision prophétique, et je voudrais mettre en épigraphe au-dessus de ces tristes vers la dernière phrase du “Jean Servien” d'Anatole France: “il avait à la tempe un petit trou à peine visible; du sang et de la boue souillaient ses beaux cheveux qu'une mère avait baisés avec tant d'amour.”
M.A Machard ne chante pas d'ailleurs que les gamins, les écolières et les apprenties. Il s'attendrit sur les orphelines qui traversent le Square et nous livre en vers ténus le mystère de ces humbles destinées. Certaines mélancolies, auxquelles nul avant lui ne songea, lui inspire des poèmes d'une émotion profonde et discrète. Il n'oublie même pas la petite pensionnaire qui ne sort jamais, et qui, le temps des vacances, rêve seule dans le couvent désert:
Seule au couvent silencieux
Une pauvre gamine reste
Et son ennui se manifeste
Par le trouble de ses grands yeux.
Dans l'ombre et dans le recueillement
Du jardin désert qui s'étonne
D'être si calme et monotone
.
Elle se distrait simplement...
Mais les jours gris et pluvieux
On l'enferme dans une classe.
Aussi le soir, quand elle est lasse
De relire un livre pieux:
Elle écoute gémir le vent
Dans les arbres mélancoliques
Et pleurer de lentes musiques
Dans les corridors du couvent...
Deux ou trois morceaux “genre Coppée” m’ont semblé moins personnels que les autres, encore qu'il soient très “réussis” (la Marchande de salades, Dans les rues) . Je reprocherai surtout à M. Alfred Machard de ne nous donner qu'une si mince plaquette. Elle prouve du moins que “les Humbles” vont retrouver en lui le poète que l'an dernier ils ont perdu. Mais si j'en crois M. Vincent Muselli, dans le joli poème où il nous présente l'auteur des frimousses, le nouvel an des pauvres gens ne leur dira pas comme l'ancien le charme consolant du christianisme:
Jeune révolté, toi qui penche
Sur ton cou maigre un front pensant
Il te suivra dans ta revanche
Lorsque, les mains pleines de sang
Fille de l'aurore et du bouge,
La Sainte Révolution
Promènera le drapeau rouge
De Barbès à la Nation!
Dublin Core
The Dublin Core metadata element set is common to all Omeka records, including items, files, and collections. For more information see, http://dublincore.org/documents/dces/.
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1909-08-02
Title
A name given to the resource
La Caravelle, par Roger Reigner
—La Mer fabuleuse, par Henry Charpentier
—Frimousses, par Alfred Marchard
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Revue du temps présent
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
MEL_0641
Source
A related resource from which the described resource is derived
3e année, t.2, n°2, p.116-120
Type
The nature or genre of the resource
Note de lecture
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
François MAURIAC
Relation
A related resource
<a href="http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32859358c/PUBLIC" target="_blank">Notice bibliographique BnF</a>
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
Pdf
Language
A language of the resource
Français
-
https://mauriac-en-ligne.huma-num.fr/files/original/cccda32eec8e9c8380eb6ea834e87aca.pdf
44cac5245c8d458543af705117636b1e
Texte
Ressource textuelle
Text
Any textual data included in the document
Jacques Noir: L'Ame inquiète. –Le livre de M. J. Noir débute par une préface qui est admirable et dont vous goûterez comme moi la troublante solennité. Je cite: “L'auteur estime dans sa solitude deux choses évidentes, d'abord que chez le poète se donnant à la foule l’orgueil est un gage indiscutable de sincérité; ensuite que l'œuvre offerte est absolument, du sens même de celui qui la fit, parfaite et définitive..... Alors de toute son énergie tendue il dit simplement ceci: “Foule, me voici!”
Que répondra la foule à la noble simplicité de telles paroles, et peut-elle mieux faire que rester silencieuse et admirer?... L’auteur nous avoue que “depuis déjà longtemps il a pensé et écrit ces pages”. –Et, en effet, elles ont le charme très réel du cahier que tout rhétoricien mélancolique dissimule au fond de son bureau. M. Jacques Noir dut mettre souvent, en étude, son dictionnaire latin-français sur son lexique français-latin, et à l'abri de ces doctes volumes, rimer pour une Laïs imaginaire ces poèmes d'un romantisme effréné mais délicieux. Il excelle surtout à dire dans les soirs monotones et vides sa solitude et sa mélancolie. Il cherche sa formule et nous la livre sans hésitation:
Mon âme est celle d'un cloporte,
Et je vais, mes mille pattes recroquevillées sur la vie.
L’amour même ne le peut consoler. Il est vrai qu'il y porte une âme bien farouche:
Et parce que je suis cet être ténébreux
Devant ton corps doré, mes yeux meurtris voient rouge...
...Si je ne fuyais pas, je te tuerais à cause
De ton corps insolent et de mon corps de gueux.
Avant je te ferais pleurer à ma manière
En mordant ta chair comme un fou,
Après je te tordrais le cou,
Et prendrais l'or de ta crinière
Et les diamants de tes yeux
Que je t'arracherais de leur orbite affreux. Etc., etc.
Tout commentaire diminuerait l'effet de ce réalisme saisissant. D'ailleurs à la page 109 nous apprenons que le poète est apaisé. Il a trouvé une raison de vivre et un culte: celui de la Beauté. Et la Beauté ne se montre pas ingrate envers son serviteur et lui donne
Le laurier toujours vert de l'immortalité.
Certes M. Jacques Noir a la foi qui transporte les montagnes et qui peut rendre ses vers immortels. Il dit quelque part:
A la foule qui ne meurt pas, je les confie.
Puissent-ils faire comme la foule, et ne pas mourir. “J'en accepte l'augure et j'ose l'espérer.”
Alfred Mortier : Le Temple sans Idoles (Mercure de France). –“On n'est jamais bon quand on aime”, dit un héros d'Anatole France dans le Lys rouge. Les poèmes de M. A. Mortier, qui tous célèbrent avec une audace habile et une précision souvent choquante les jeux de l'amour, me semblent exprimer surtout la haine et le mépris de la femme. Je cite au hasard:
A de certains instants je crois que je te hais,
.....Car je sens tout autant que ton cœur me déteste.
Je douterais vraiment de t'avoir asservie
Si, passés les trompeurs élans de frénésie,
Dans tes yeux, maintenant libérés de l'émoi,
Je ne voyais monter la haine d’être à moi.
La femme vaincue par l'homme lui apparaît comme une esclave méprisée. Il la définit:
Une petite brute étonnamment sensible.
Il estime que la petite brute ne saurait mieux faire que de combiner des toilettes et que les seuls chiffons peuvent intéresser cette cervelle minuscule:
Car il n'est rien de plus grave
Que de préparer l'amour.
Et la femme, cette esclave,
Y médite nuit et jour.
Quand l'esclave a donné au maître tout le plaisir possible, il ne lui reste plus qu’à s'en aller discrètement:
Songeons du moins qu'aucun effet de mélodrame
Ne ridiculisa la scène des adieux.
Cette psychologie cruelle de ceux qui disent s'aimer ne m'a guère séduit, non plus que cette ironie féroce et trop continue. Mais on sent, à la mélancolie de certains vers, que le poète doute parfois que l'on puisse donner le nom d'amour à ces liaisons d'une heure, et dont il connaît la misère. Sa jeunesse, uniquement organisée pour l'amour, ne l'a peut-être jamais rencontré.
Un jour il crut pourtant que sa fantaisie allait se fixer:
.... Et lorsque d'elle je m'épris,
Pour la première fois je compris
Que j'allais connaître l'amour...
Mais, hélas! après peu de jours
C'est celle-ci précisément
Qui est morte...
En face de ce tombeau, l'amant ironique et cruel montre un peu de souffrance vraie. Peut-être sent-il confusément que son cœur ignore tout de ce que savent des adolescents simples et purs, et que don Juan est sans doute l'homme du monde qui a le moins aimé...
...Hélas! Hélas! c'est l'heure
Où le remords grandit dans mon cœur tourmenté,
Le remords éternel de t'avoir mal aimée...
Non, je n'ai pas compris la majesté tranquille
Du ciel consolateur que reflétaient tes yeux
Et je n'ai pas compris, cœur stupide et débile,
Combien le tien fut sûr, tendre et mystérieux.
Ces derniers vers montrent de quelle forme splendide M. A. Mortier sait revêtir sa pensée. L'emploi de vers libre est chez lui presque toujours judicieux et d'une négligence qui n'est qu'apparente.
Paul Castiaux : La Joie vagabonde (Mercure de France). –Vous trouverez dans la Joie vagabonde, minutieusement exprimées, les sensations du poète en face d'un horizon à une certaine heure; pour en fixer chaque nuance, le vers se fait souple et changeant. Le poète, inquiet seulement d'images justes et inattendue, néglige de chercher des rimes ou même des assonances, –et du paysage ainsi obtenu il s'applique parfois à dégager un symbole:
Etirant, langoureux, leurs torses d'or sanglant,
Des nuages adolescents sommeillent nus
En l'extase infinie d'un beau soir immobile.
Et silencieux, lentement, voiles pendantes,
Frappant la mer, au clair clapotis de ses rames,
Une barque de pêche remonte vers le port
Où cligne l'incendie épars des premiers feux
…Définitif et solennel comme un adieu
Glisse dans la pénombre
Un fantômal transatlantique.
Le jour qui meurt, un bateau qui s'efface dans la brume, prennent peu à peu, aux yeux du poète, un sens symbolique, et tous les souvenirs lui reviennent d'un ancien amour:
Nous devons regarder le soir et notre amour
A cet instant définitif d'unique adieu...
Le talent de M. Paul Castiaux nous apparaît donc comme très personnel –encore qu’il soit facile de s'amuser au petit jeu des rapprochements, et qu'on puisse découvrir les influences nombreuses que le poètes a subies. J'en veux noter quelques-unes –et que l'auteur me pardonne si dans son œuvre je vois des ressemblances avec des vers qu'il n’a jamais lus. Car il y a d’étranges hasards, et le plus habile peut s'y tromper.
Il est certain que le poèmes intitulé “Dimanches” n’est un pastiche –d'ailleurs excellent– des “dimanches” de Jules Laforgue:
Ah! c'est encor dimanche au cœur de cet automne...
Le beau jour du Seigneur inoculé de spleen!
Et pour se reposer, ainsi qu'il est écrit,
Du coutumier manège encrassé des semaines,
Les bonnes gens
Exacerbent l’ulcère à vif de leur bêtise.
Les fervents admirateurs d'Albert Samain retrouveront le vocabulaire complet de ce poète dans le “lied au crépuscule”:
Le soir tout frémissant comme un sanglot d'amour
Se dorlote aux terrasses bielles du crépuscule
. . . . . le crépuscule tout vibrant d'agonie lente
Se parfume indiciblement de violettes...
Donne-moi tes mains nues,
Que je les presse sur mes yeux comme deux fleurs!
Rappelez-vous l'élégie du “Jardin de l'infante”, où Albert Samain dit aussi:
Mets sur mes yeux tes mains douces comme les fleurs ...
Voici deux vers que les auteurs de “à la manière de...” auraient voulu trouver pour un pastiche de la comtesse de Noailles :
O lumière divine et toi, divin Matin,
Je veux étreindre votre cœur contre mon cœur!
Dans le poème intitulé “La Route dans la lumière”, M. P. Castiaux nous dévoile sa philosophie: c'est le nietzscheisme facile et un peu naïf à l'usage des littérateurs. Le poème oppose au vieil idéal religieux
la simple vie si belle en sa nativité...
Vous connaissez le thème, il vaut la peine qu'on le développe, et j'aurais voulu que M. P. Castiaux le fît en bonne prose avec de solides arguments. Mais cette façon de résoudre un problème aussi complexe en vers solennellement affirmatifs est faite pour crisper les gens qui ont le goût de raisonner:
Les hommes
Ont crié le blasphème de leurs religions
Devant la face auguste et sereine du ciel...
Et ne comprenant pas qu'ils étaient eux les seuls,
Les vrais dieux...
Hélas! L'homme n'est pour lui-même qu'un bien petit dieu... –Malgré la préciosité du vocabulaire, la recherche de certaines images, et une prosodie dont beaucoup jugeront les libertés excessives, l'œuvre de M. P. Castiaux révèle un talent très riche et surtout très personnel. Son livre, une fois feuilleté, n'est pas de ceux que l’on oublie. Au déclin de ces grandes vacances je me réserve comme une joie d'y relire des évocations de crépuscule sur les jardins et sur la mer.
Dublin Core
The Dublin Core metadata element set is common to all Omeka records, including items, files, and collections. For more information see, http://dublincore.org/documents/dces/.
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1909-10-02
Title
A name given to the resource
Jacques Noir, L’Ame inquiète
—Alfred Mortier, Le Temple sans Idoles
—Paul Castiaux, La Joie vagabonde
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Revue du temps présent
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
MEL_0642
Relation
A related resource
<a href="http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32859358c/PUBLIC" target="_blank">Notice bibliographique BnF</a>
Source
A related resource from which the described resource is derived
3e année, t.2, n.4, p.248-252
Type
The nature or genre of the resource
Note de lecture
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
François MAURIAC
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
Pdf
Language
A language of the resource
Français
-
https://mauriac-en-ligne.huma-num.fr/files/original/fe92103080839d6e4b674775440fa7ac.pdf
08dd4f7d8977af3524cd8e09c4bbcaf8
Texte
Ressource textuelle
Text
Any textual data included in the document
André Lafon, Poèmes provinciaux. –De la plus humble destinée, M. A. Lafon sait dégager ce que Maeterlinck appelle “le tragique quotidien”. Il évoque dans le silence d'une petite ville, la veillée de famille autour de la lampe, les voix qui se taisent à cause du sommeil de l'aïeule, les visages tristes qui sourient à l'arrivée du père pour ne pas troubler sa joie... Jamais il ne nous dit une peine sans la “situer” dans le cadre et à l'heure qui lui conviennent: Les crépuscules sur le pauvre jardin, les vieux meubles de famille, les objets usuels jouent leur rôle dans ce drame de chaque jour où s'épuisent nos vies tourmentées:
Ce jour-ci m'a meurtri plus qu’un dur faix de branches,
Pourtant je ne hais pas sa lueur qui s'en va.
Près des vitres le soir me ramène et me penche,
J'oublie en ma langueur ce mal qu'il me porta.
Une brune douceur se glisse dans la pièce.
L'horloge centenaire en sa gaine de bois
Laisse égoutter le temps sans hâte ni faiblesse
Ayant vu s'enlacer le rire et la détresse
Et puis tout s'effacer des âmes d'autrefois.
Si tu rentrais, ô toi, toi par qui je défaille
En ce soir où mon cœur et plus lourd que ses poids,
Je dirais seulement : “Te voilà... te voilà...”
Tu viendrais près de moi sur la chaise de paille,
Je reverrais tes mains, tes cheveux, ta médaille.
Et je ne serais pas plus amer pour cela.
Quelques-uns diront: C'est du Francis Jammes. On trouve en effet dans les poèmes provinciaux la même résignation devant la vie étroite, l'amour des plus humbles choses, exprimés aussi simplement, aussi directement que dans l'œuvre de Jammes. Mais M. A. Lafon ne s'abandonne pas au hasard de l'inspiration; son art est discipliné, l'harmonie de ses poèmes n'est due qu'aux moyens les plus classiques: il n'a subi l'influence du poète d’Orthez qu'avec mesure et discrétion.
Son défaut est de ne se point méfier assez de formules bordelaises, d'une correction douteuse:
On ne parlera plus, et la mère pourtant
En s'éveillant fera: “J'entendais mes enfants.”
Je ne résiste pas au plaisir de citer encore un des poèmes provinciaux. Les jeunes gens qui souffrent dans l'isolement d'une sous-préfecture, les Emma Bovary fatiguées de leurs jours médiocres y verront quels trésors de poésie recèle une vie obscure, quelles beautés insoupçonnées les vers du poète en ont su faire jaillir:
Dis, c'est assez rêver au bord des vitres pâles.
C'est assez se meurtrir le cœur à ce qui fut.
Vois quelle obscurité par la pièce s'étale;
Allume le foyer et la lampe, veux-tu?
C'est l’heure. Mets la nappe et les assiettes blanches,
Les chaises, l'abat-jour qui est sur le buffet,
Et que ton père entrant puisse avec le soufflet
Faire s'épanouir la flamme de ces branches.
Que las de son travail et du chemin montant,
Las de tant d'autres jours et t'aimant comme il t'aime,
Il n'ait pas cet émoi douloureux en ouvrant
De voir la salle énorme et sur les dehors blêmes
Ta face où trop de deuil se peint en ce moment.
Ta peine cache-la, fais-la doublement tienne,
Car plus que le feu clair et la table et le pain
C'est ton rire discret. ta voix, ta voix sereine
Ton front libre d'ennui, ton regard sur le sien
Que souhaite son vœu de paix quotidienne.
Va, souris, par bonté, n'entends-tu pas? ...il vient.
Ceux qu'ont exaspérés les lieux communs chers à cette génération: “le droit à l'amour”, “le devoir de vivre sa vie”, et qui sont las de symboles usés et de vocabulaires prétentieux, trouveront dans les Poèmes provinciaux l'écho d'une âme résignée, qui dit sa peine et sa joie de chaque jour “de la façon la plus simple qu'il est possible”.
Jacques Nayral, Le Temple sans Idoles. –Je n'en pourrais dire autant de M. Jacques Nayral qui ne traite au contraire que des grands sujets. La bible et l'histoire romaine lui en fournissent à sa mesure: son livre est une toute petite “légende des siècles”. On y trouve quelques digressions philosophiques sur l'angoisse du doute et “les mensonges des prêtres”. M. Jacques Nayral écrit facilement et avec abondance des vers “bien frappés”.
J.-Louis Merlet, L'Idole fragile (Société de l'Edition libre). –M. J.-L. Merlet publie des vers somptueux et somptueusement édités. Il les fait précéder de lettres que lui écrivit Albert Samain et qui sont bien flatteuses pour lui: “vos vers ont de la couleur, du nombre, de la chaleur et un goût naturel du faste et ce que j'appelle l'atmosphère impériale.”
Albert Samain avait lui aussi le goût de “l'atmosphère impériale”. Encore que nous lui devions de fades élégies, il écrivit sous l'influence de Baudelaire et de Poë des sonnets tout à fait néroniens, dont le dégoûtant héros de Jean Lorain, M. de Phocas, put faire ses complaisances.
Sur ce modèle, M. J.-L. Merlet a rimé des poèmes “orgiaques ct mélancoliques”. La femme y est célébrée en détail et on y voit danser beaucoup de courtisanes rousses parmi les cassolettes. En beaux vers massifs et rutilants comme de lourds bijoux, le désenchantement s'exprime d'une jeunesse qui a trop cherché le bonheur où il n'est pas. –M. Merlet commente en des son nets ingénieux cette curieuse toile d'H. Martin “Chacun sa chimère” qui souvent m'attira au musée de Bordeaux.
A. Skuffo, Les Chansons blêmes (Sansot). –M. A. Skuffo a le mérite d'écrire des vers qui ne rappellent pas ceux de Jammes, non plus que ceux de Moréas ou de Régnier. C'est aujourd'hui une curieuse originalité. Ses poèmes sont d'un enfant du siècle: il est resté fidèle à Musset, au poète charmant qui fit pleurer notre adolescence. Atteint “du mal de vivre”, il garde au milieu des plaisirs les dégoûts d'une âme fière et son incurable ennui.
Voici des vers que je ne choisis pas et qui suffisent à révéler en M. A. Skuffo un disciple attardé mais charmant d'Alfred de Musset:
J'avais longtemps erré sur une mer lointaine
Où du vieil univers j'ai sondé l'horizon.
Le souci du plaisir fut mon seul capitaine;
Enfant d'un siècle impur, nourri de trahison,
J'ai déchiré mon cœur dans sa course incertaine,
Et sans vouloir le mal, j'en ai bu le poison.
Dublin Core
The Dublin Core metadata element set is common to all Omeka records, including items, files, and collections. For more information see, http://dublincore.org/documents/dces/.
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1909-11-02
Title
A name given to the resource
André Lafon, Poèmes provinciaux
—Jacques Nayral, Le Temple sans Idoles
—J.-Louis Merlet, L'Idole fragile
—A. Skuffo, Les Chansons blêmes
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Revue du temps présent
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
MEL_0643
Relation
A related resource
<a href="http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32859358c/PUBLIC" target="_blank">Notice bibliographique BnF</a>
Source
A related resource from which the described resource is derived
3e année, t.2, n.5, p.308-310
Type
The nature or genre of the resource
Note de lecture
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
François MAURIAC
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
Pdf
Language
A language of the resource
Français
-
https://mauriac-en-ligne.huma-num.fr/files/original/897c37bd8844370932dac691f392e490.pdf
16ef004ad396ccf5130d46d45a544b76
Texte
Ressource textuelle
Text
Any textual data included in the document
Je m'étonnai d'abord à la Semaine sociale de Bordeaux qu'on y vit tant de soutanes et je lui trouvai l'aspect d'une retraite ecclésiastique où l'on aurait admis quelques pieux laïques par grande exception. Ce n'est pas un regret que j'exprime ici: le prêtre est en effet le seul homme vraiment libéré de tout travail égoïste et personnel. Le plus obscur de ceux qui suivaient les cours de la Semaine sociale a retrouvé en rentrant dans sa paroisse ses catéchismes, ses patronages, ses dirigés, son cercle d’études, peut-être son journal. Il est donc mieux placé que la plupart des simples laïques pour communiquer à un grand nombre d'âmes la bonne parole qu'il a reçue.
Cette parole fut à la fois très intelligente et très pratique. Et les catholiques sociaux y peuvent trouver ce qui leur a manqué jusqu'à ce jour et ce que l'enthousiasme ni la générosité ne peuvent remplacer: une doctrine sociale.
Il ne leur suffit plus aujourd'hui de “se laisser faire par la vie” et d'improviser de hâtives théories, contredites par les faits. Ils ne se peuvent plus contenter de proclamer leur foi démocratique dans des conférences contradictoires, ni de résoudre avec de vagues formules les problèmes très précis qui se posent: le droit syndical en est un, le droit de grève, le mutualisme en sont aussi. Sur ces points et sur beaucoup d'autres MM. Boissard, Deslandres, Duthoit, Turmann et tous les professeurs de la Semaine sociale ont apporté d'admirables précisions.
Il n'est plus temps de vous résumer ici l'enseignement que nous avons reçu: toute la presse s'en est déjà occupée et vous avez lu sans doute la magnifique étude de M. Etienne Lamy dans le Correspondant. Mais je tiens à vous signaler surtout celle qui est en cours de publication dans les Annales de philosophie chrétienne.
Il est curieux de constater que des journaux tels que le Temps, le Matin, la Dépêche de Toulouse, l'Humanité, considèrent avec la plus vive inquiétude cette manifestation de la vitalité catholique, nous montrant ainsi l'importance que nous y devons nous-même attacher. De plus, les récentes accusations dont les semaines sociales ont été l'objet de la part de certains ecclésiastiques nous font un devoir de nous éclairer sur une aussi grave question. Je veux parler du Modernisme sociologique par l'abbé Fontaine, et de l'article publié par M. l'abbé Gandeau dans La foi catholique, numéro d'août 1909. Il ne semble pas d'ailleurs qu'on veuille attaquer les catholiques sociaux sur le terrain économique où ils se sont placés. On s'inquiète plutôt de rattacher leur mouvement à des thèses suspectes ou condamnées. Or il paraît évident qu'ils ne peuvent en effet, s’en tenir à l'expérience et que leur attitude postule sans doute une philosophie.
La question est donc de savoir si ces principes premiers méritent les attaques de leurs adversaires ecclésiastiques et il me semble que M. E. Lamy leur répondait magnifiquement lors qu'il écrivait: “Plus l'état sera conscient de son magistère, plus apparaîtra cette vérité que l'état ne peut accomplir sa tâche sans avoir une philosophie; que de toutes les philosophies, la plus conforme à la noblesse de la nature humaine et aux besoins permanents des sociétés est le christianisme. Les catholiques seuls ont une doctrine. Cette doctrine n'a pas attendu pour se former que les pauvres eussent pris le pouvoir, elle a songé à leurs souffrances avant que s'élevât leur plainte, elle a eu pitié des prolétaires quand le prolétariat n'avait pas encore de nom...”
C'est donc sur la vérité chrétienne que se base leur action –sur la vérité révélée. –Mais ne peuvent-ils ensuite par l'observation des faits remonter jusqu'à cette vérité?
Les catholiques sociaux veulent, par une étude minutieuse des conditions du travail humain, prendre conscience de ce que postule le christianisme au point de vue social. Et puisque ce christianisme se dissimule plus ou moins au fond de toutes les théories en cours, puisque dans sa vie de citoyen l'homme manifeste les effets de sa nature déchue et cependant rachetée, il s'agit pour les catholiques sociaux, d'y reconnaître Jésus-Christ et de le révéler au monde.
Enfin les “semaines " me semblent avoir un résultat plus immédiat encore. Elles permettent à beaucoup de catholiques qui ne se connaissaient pas, de se rencontrer, de s'apprécier et de s'aimer. Il m'est apparu que les groupements démocrates représentés à Bordeaux applaudissaient avec la même ardeur les maîtres éloquents qui se dépensaient pour eux, et qu'un même idéal illuminant toutes ces vies, c'est bien la même cité fraternelle que ces bons ouvriers se proposent d'édifier.
Ce sera donc le rôle béni des semaines sociales de faire se rencontrer dans le même champ, des hommes qui se croyaient très éloignés les uns des autres, et autour de ces chaires s'organisera la grande armée des catholiques sociaux où l'individualité de chaque groupe sera respectée, mais où nous connaîtrons enfin l'harmonie dans le travail et l'entente dans l'effort. A ce point de vue, la Semaine Sociale de Bordeaux a déjà porté ses fruits. EL il fut très intéressant de constater aux journées sociales de Limoges, en octobre dernier, ducs à une initiative absolument différente et organisées par ces démocrates du centre dont l'apostolat est si merveilleusement fécond, la présence de François Laurentie, de Marius Gonin de la fédération du Sud-Est, d'Étienne Estrangin de la fédération des Alpes et de Provence, de Robert Corniileau du groupe parisien de l'Espérance. Au discours de clôture, ils entouraient notre ami l'abbé Desgranges avec plus de deux cents personnalités des groupements catholiques sociaux du Limousin, du Périgord, de la Marche, de l'Angoumois et du Poitou.
C'est évidemment autour des chaires de Bordeaux que quelques-unes de ces personnalités ont appris à se connaître et à s'apprécier.
Enfin de quelques côtés que viennent les attaques dont les Semaines Sociales sont l'objet, rappelons-nous que bénies et présidées par nos évêques, elles groupent autour de maîtres éloquents l'élite des catholiques français. Et surtout, comme je le disais en commençant, elles attirent de plus en plus le jeune clergé: Que ne sommes-nous en droit d'attendre de ceux qui réunissent actuellement près de cent mille enfants du peuple dans les patronages, de ceux qui encouragés par leurs chefs fondent des paroisses dans les quartiers perdus de nos grandes villes, de ceux qui, après des mois d'un ministère accablant, sacrifient leurs mois de liberté à des colonies de vacances? Grâce à eux l'enseignement des Semaines sociales atteindra le peuple, lorsque par un héroïsme obscur et continu ils auront conquis son amour.
Dublin Core
The Dublin Core metadata element set is common to all Omeka records, including items, files, and collections. For more information see, http://dublincore.org/documents/dces/.
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1909-11-25
Title
A name given to the resource
La Semaine sociale de Bordeaux
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Revue Montalembert
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
MEL_0742
Relation
A related resource
<a href="http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32860833f.public" target="_blank">Notice bibliographique BnF</a>
Source
A related resource from which the described resource is derived
2e année, n°15, p.521-523
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
François MAURIAC
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
Pdf
Language
A language of the resource
Français
-
https://mauriac-en-ligne.huma-num.fr/files/original/79eab2d074d24b960a5c943d6f41fb29.pdf
a0af1b71bc14ee78a27f39cf39d46a93
Texte
Ressource textuelle
Text
Any textual data included in the document
Vous trouverez dans Les horizons du rêve des vers d’une forme très pure et selon la meilleure forme parnassienne, de graves poèmes qui sont vraiment l'écho d'une vie intérieure. On sent que l'auteur a du beaucoup aimer Sully-Prudhomme et qu'il veut lui aussi fixer dans des vers aux contours très fermes et très précis les plus délicates nuances de la pensée. Mais le poète des Horizons du Rêve a cette foi qu'avait perdue celui des Vaines tendresses. L'amour passionné de la Religion et de la patrie s'exprime en vers toujours très nobles et souvent magnifiques. Cela entraîne quelquefois notre auteur à exprimer son opinion sur des sujets trop actuels et l'expose à tomber dans le genre facilement odieux de la poésie “de circonstance”. Et encore je ne pense pas qu'il ait mérité celle critique, sauf peut être dans tel poème sur Krüger et le Transvaal. Mais l'Alsace lui en a inspiré d'admirables: il faut lire ces notes de voyage, très familières, très simples, et cependant si émouvantes. Le voyageur s'arrête dans une auberge alsacienne; quelques Allemands qui buvaient là s'en vont, –et la petite servante dit au poète.
Cette collection de chants alsaciens
Feuilletez-là, jouez nos danses
Sur ce vieux piano dont les doigts prussiens
N'osent pas troubler les silences.
Jouez ce qui vous plaît: nous vous écouterons
Sans rien dire de notre peine
Si vous faites chanter un instant les clairons
De l'alerte Marche Lorraine.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Nous n'aurons même ras l'air de nous souvenir
Pour vous mettre encore plus à l'aise
Si les grenadiers de Schumann font retentir
Les accents de la Marseillaise.
Après ce que m'a dit le sourire ingénu
De la petite Alsacienne,
Puis-je oublier que les enfants qui n'ont pas vu
Eux-mêmes se souviennent?
Tel est ce livre d'une inspiration très généreuse et très haute: livre d’“ honnête homme” dans le sens profond du mot.
Dublin Core
The Dublin Core metadata element set is common to all Omeka records, including items, files, and collections. For more information see, http://dublincore.org/documents/dces/.
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1909-12-25
Title
A name given to the resource
Les Horizons du Rêve par Charles H. Boudhors
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Revue Montalembert
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
MEL_0743
Relation
A related resource
<a href="http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32860833f.public" target="_blank">Notice bibliographique BnF</a>
Source
A related resource from which the described resource is derived
2e année, n°16, p.624-625
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
François MAURIAC
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
Pdf
Language
A language of the resource
Français