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L'eau du puits, par Robert Vallery-Radot (1) . Le sens mystique de ce titre L'eau du puits convient excellemment à l'œuvre de M. Robert Vallery-Radot. Sa poésie est bien l'eau pure que l'on recueille dans une âme profonde –l'eau qu'une femme Samaritaine trouva un soir au puits de Jacob.
Mais comment analyser des poèmes écrits par un enfant, cependant que sa mère agonise? On n'use que redire la parole des Juifs quand Jésus pleura sur Lazare: “Voyez comme il l'aimait...” Il apparaît que chez le poète “la chair et le sang” ne furent pas seulement atteints par cette mort: sa mère l'avait enfanté une seconde fois à la vie de l'esprit, des liens spirituels les unissaient –impérissables ceux-là, et plus forts que la mort même– et cette douleur que l'on sent infinie n'est pas désespérée:
O chair dont je suis né, chair maternelle et sainte,
Va retrouver nos morts. Je te livre sans crainte
Au tombeau, car au jour dernier tu surgiras!
Avant de la retrouver “en la splendeur sans ombre de la Trinité”, le poète vit encore avec celle qui n'est plus. Il la possède à la manière de Dieu, en esprit et en vérité –et ce qui domine cette œuvre si haute et si pure, c'est la vision d'une mère éternellement vivante, penchée sur la destinée de son fils, dont elle protège et bénit le premier amour.
Mais il est des heures où l'âme, vaincue par la douleur, essaye vainement de se perdre en une vision d'immortalité. Les moindres objets, témoins de l'ancienne joie, deviennent les complices de son désespoir: c'est le silence à jamais introublé de la chambre où la bien-aimée ne viendra plus, c'est le banc sur la terrasse où une nuit elle s’est assise et lui a dit des paroles éternelles:
Cette nuit j'ai revu, terrasse horrible et douce,
Ton banc désert, tes grands tilleuls velus de mousse,
Ton mur rongé de pluie et brûlé de soleil;
Rien n'est changé, rien n'est détruit, tout est pareil;
C'est le même horizon familier que j'embrasse;
Pourquoi tant m'évoquer sa présence, ô terrasse,
Quand je foule tes feuilles sèches sous mes pas?
Ne sais-tu pas qu'elle n'est plus? Ne sais-tu pas
Que je ne viendrai plus comme aux nuits ordinaires
Boire la vaste paix des silences lunaires ?
Que me fait ton immense rêve aérien?
La somptuosité de ton décor n'est rien,
Si tu ne veux me redonner l'extase unique
Que goûtait Augustin près de sainte Monique...
Garde ton odorant mystère, ta clarté,
Tes rameaux noirs et ton paysage enchanté,
L'impalpable mirage et les lignes fondues
Et l'immobilité des pâles étendues
Avec de place en place un vieux noyer debout...
Garde en tes bois le chant émouvant du hibou,
Garde l'auberge où veille une lumière, garde
La rivière étoilée où la lune s'attarde,
Puisque jamais, jamais, tu ne me la rendras
Cette nuit où ma mère a pleuré dans mes bras!
Dans d'autres poèmes de L'eau du puits il arrive qu'on souffre parfois d'un léger désaccord entre la pensée, toujours si vivante et si haute, et l'expression, trop négligée, un peu facile, et dénuée d'images... Mais ici et en maint endroit, M. Robert Vallery-Radot trouve des vers larges et mystérieux comme ceux de Charles Guérin et dont l'écho se prolonge indéfiniment à travers le cœur.
Il y a dans L'eau du puits l'éternelle et pure histoire d'un premier amour. Mais j'en veux surtout retenir les poèmes où revit une immense douleur spiritualisée par la foi. C'est vraiment l'âme de ce livre et sa sublime originalité.
Le Réseau fragile, par Hélène Seguin . –Je songeais, en lisant le Réseau fragile, à ce que dit quelque part Anatole France: “Cette jeune fille, mystérieuse comme toutes les jeunes filles...” –C'est bien par l'attrait de ce mystère que nous séduisent les vers de Mlle Hélène Seguin. Elle nous explique dès la première page, il est vrai, le sens de ses poèmes, et qu'elle voulut revêtir la vie brutale du “réseau fragile” des illusions. –Mais l'intérêt précisément est de connaître ces illusions –et de savoir, mieux que par les vers de Musset, “à quio rêvent les jeunes filles... ”
Il m'apparaît que l'âme d'un tout jeune homme romantique et “fatal ” ressemble beaucoup à l'âme d'une jeune fille: les aspirations de l'adolescence froissées par les réalités de la vie, telle est bien la cause première de la mélancolie d'un René ou d'un Werther –or nous voyons que Mlle H. Seguin donner le même sens au titre de son volume le Réseau fragile.
Dans son immense ennui, le héros de Chateaubriand, René, s'attache à sa mélancolie comme à l'amie la plus chère. “Je m'aperçus avec un secret mouvement de joie, dit-il, que la douleur n'est pas une affection qu'on épuise comme le plaisir...” Ainsi, l'auteur du Réseau fragile se complaît dans sa tristesse:
Mon rêve épanouit ses fragiles pétales
Dans la mélancolie ombreuse où je me plais.
Le bonheur a pour moi des clartés trop brutales...
Sa lueur me suffit au travers des volets.
Laissez-moi ma tristesse enveloppante et douce,
Désirs aux yeux trop beaux que la honte a rougis;
Je ne veux pas savoir..... mon geste vous repousse.
Laissez-moi, la tristesse habite mon logis.
Ne sont-ils pas, ces vers, d'un archaïsme charmant, l'œuvre d'une jeune fille des temps romantiques, de cette Clara d'Elébeuse dont Francis Jammes nous conta l'histoire?
L'écolière des anciens pensionnats
Qui allait, les soirs chauds, sous les tilleuls,
Lire les magazines d'autrefois...
Comme René, cette jeune fille aime la solitude, et comme lui elle y cherche “l'idéal objet d'une flamme future” et sait la peupler de fantômes:
Solitude, tandis que ta forme incertaine
S'évapore là-bas aux brumes du lointain,
L'inconnu –grave et doux– vers l'aurore m'entraîne,
Ses grands yeux lumineux font naître le matin.
D'un rêve heureux, palpite en moi l'inquiétude
Près de la vision qui ressemble à l’amour.
Toi qui fus mon amie, ô chère solitude,
Je redoute à présent ton possible retour.
J'imagine assez bien ces quatre derniers vers sous une gravure du XVIIIe siècle, qui représenterait “la jeune fille, ou l'attente de l’amour”. Mais elle n'attend pas seulement “un fantôme blond”. Il est un autre amour qui déjà émeut la jeune fille évoquant ses joies de jeune mère:
Il sera doux pourtant, lorsque vous grandirez,
De refaire avec vous, mon fils, ce beau voyage,
Où vous entraîneront les vers que vous lirez,
Les mêmes que j’aimais lorsque j'avais votre âge.
De sentir votre esprit s'ouvrir à la beauté,
Tandis que la bonté germera dans votre âme,
O mon fils, vous serez mon unique fierté,
Vous par qui je saurai la gloire d'être femme.
Soyons reconnaissants à Mlle Hélène Seguin de faire mentir Abel Hermant –ce Saint-Simon bourgeois– lorsqu'il dit: “Les femmes qui écrivent n'ont aucune pudeur.” Hélas! Il y a tant de jeunes filles aujourd'hui dont la prose non plus que les vers ne peuvent être mis entre toutes les mains –surtout entre les mains des jeunes filles!
La dame en noir, par Pierre Rodet . –La dame en noir est un titre évocateur de romans policiers et de cambrioleurs sympathiques. Il ne choque pas au début de ce mince recueil où l'intérêt va grandissant de page en page ainsi que dans un ingénieux feuilleton. Qu'est-ce que la dame en noir? –Au lecteur qui se pose la troublante question, M. P. Rodet se garde bien de répondre avant l'ultime vers –et pour avoir le mot de l'énigme on lit le volume d'un trait. –Cela dure d'ailleurs un petit quart d'heure, M. P. Rodet poussant très loin l'art d'éparpiller peu de vers sur beaucoup de papier:
La dame dont je rêve est belle étrangement
Ce vers mystérieux incite aux troubles imaginations, et selon la formule des théologiens, aux délectations moroses. Mais il paraît fade si on le compare à ceux qui suivent, car la dame en noir, qui est un symbole, est un symbole –comment dirai-je?– palpable, ainsi que le témoigne ce poème: “et nous nous sommes aimés”. Je conjure les jeunes filles de ne pas s’y arrêter.
Enfin, à la page 54, la dame en noir dévoile son identité. Elle le fait en vers que je signale aux auteurs de grammaires françaises: ils y trouveront de remarquables exemples d'adjectifs pris substantivement:
Je suis Celle qui verse en le cœur le Désir
Et s'en va... Je deviens alors l'Inapprochable,
Celle qu'on ne doit plus désormais ressaisir,
La farouche Insoumise et la froide Indomptable...
.....Pour l'orgueilleux alors je deviens le Pouvoir,
La popularité, l'argent, la gloire austère,
Pour le Savant, je suis l’universel Savoir,
Je suis les Temps meilleurs pour le cœur libertaire.....
Telle est la dame en noir.
A l'ombre des Marbres, par Jacques Nayral . –Dans mon dernier article, je donnai étourdiment au livre de M. Jacques Nayral un titre qui n'était pas le sien. Mes regrets furent d'autant plus vifs que ce volume contient, comme on disait autrefois, de grandes beautés.
J'ai déjà dit que ces poèmes expriment avec une étonnante puissance verbale ce qu'il faut bien appeler “l'angoisse du doute”. Je crois même ravoir marqué avec une légère ironie qui me paraît aujourd'hui singulièrement déplacée. Sans doute me rappelais-je un mot de Jules Lemaître dans les Contemporains: “Un des lieux communs de notre littérature lyrique et romanesque, c'est “le supplice du doute”. “A mon sens c'est assez souvent une plaisanterie. Je ne crois que difficilement à la douleur métaphysique. Du moins, j'ai connu des esprits, même éminents, qui ne souffraient pas du tout de ne pas croire.....”
Les hommes se font rares de plus en plus, qui savent comme Jules Lemaître garder le sourire jusqu'à un âge très avancé. Le dilettantisme n'est guère plus pratiqué aujourd'hui. On le traverse mais on ne s'y attarde pas. Jules Lemaître lui-même a dû prendre parti. Il l'a fait avec espièglerie, avec de jolis mots sur le retour à l'ordre par le désordre. Ainsi l'œuvre inquiète et grave de M. Jacques Nayral me paraît significative de l'état d'esprit actuel de la jeunesse française: “Nous ne goûtons plus l'ironie, écrivait naguère M. Ernest Charles à propos de l'Histoire Comique d'Anatole France. Nous ne considérons plus la vie plaisamment. Cet état d'esprit, cet état d'âme railleuse, amorale, antisociale, que le génie charmant d'A. France avait propagé ne sont plus les nôtres.” La Nouvelle Revue française, qui représente, je crois, une élite dans le monde artistique et littéraire, commentait dernièrement –et avec quel dédain!– “les sept femmes de Barbe-Bleue”et les contes puérils où s'attarde l'ironie du vieux maître. Elle appelait cela “les derniers exercices de M. Anatole France”. Les jeunes gens d'aujourd'hui trouvent que ces vieillards manquent de sérieux.
Cela me ramène à mon sujet, dont je ne me suis d'ailleurs écarté qu'apparemment. M. Jacques Nayral en effet me semble être de ceux qu'aimaient Pascal, de ceux “qui cherchent en gémissant”.
…O Seigneur, j'ai vécu sans amour et sans foi,
Promenant le rire dédaigneux de ma bouche,
Plus seul qu'en sa caverne une bête farouche.
Et j'ai souffert d'avoir méconnu votre loi.....
Crispé dans mon orgueil et mon aveuglement,
O mon Dieu, j'ai nié votre Toute-Puissance,
J'ai perdu les beaux jours de joie et d’innocence,
Sans lire le poème écrit au firmament.
Et ma vie, ô Seigneur, fut douloureuse et rude,
Car je n'ai point connu la douceur d'être aimé,
Et je me suis comme en un sépulcre fermé,
Tout vivant, emmuré dans une solitude.
…Ce qui m'effraie, ô Dieu, c'est le néant, la nuit
Informe où périrait mon âme tout entière.
C'est l'ombre pour jamais écrasant ma paupière
Dans le gouffre insondable où nul rayon ne luit.
Mon âme veut s'ouvrir aux beautés infinies
Vivre dans votre amour et votre vérité
Voir la lumière que répand votre bonté.
Et vibrer à vos éternelles harmonies
…Ouvrez mon cœur si triste et presque inanimé,
Laissez-moi vous aimer, moi qui n'ai point aimé...
Cet immense et sublime appel n'a pas d'écho. Comme Alfred de Vigny, le poète défaille devant “le silence éternel de la divinité”. –Silence qui peut-être n'est qu'une illusion: bien avant que Pascal ait entendu le mot sublime: “Tu ne me chercherais pas si tu m'avais déjà trouvé”, le vieux moine qui écrivit l'Imitation avait mis dans la bouche de son Maître cette parole d'ineffable consolation: “Quand vous croyez être loin de moi, c'est alors souvent que je suis le plus près de vous.”
Les Triomphes, par Nicolas Beauduin . –Le héros subtil de Maurice Barrès, Philippe, dit quelque part: “J’aimerais mieux avoir la mentalité de Victor Hugo!” sut le même ton qu'il dirait: “J'aimerais mieux mourir!”
Les jeunes gens d'aujourd'hui évitent d'afficher pour le grand poète un aussi comique dédain –mais ils ne subissent guère plus son influence qu'au temps où Maurice Barrès était un jeune homme. Aussi est-ce bien ce qui étonne d'abord dans les poèmes de M. Nicolas Beauduin, d'y retrouver la manière de Victor Hugo –curieuse originalité!–: “Son âme écoute en lui chanter la voix, murmurer la plainte ou pleurer les larmes des choses. Il les “orchestre” alors, et on veut dire par là qu'il en soutient; qu'il en développe et qu'il en amplifie le chant par les ressources d'une harmonie où concourent à la fois la nature, l’histoire et la passion.” Cette admirable formule que Brunetière applique au poète des Voix intérieures convient –toute proportion gardée– à l’auteur des Triomphes.
La grande voix qui dans la nature domine pour lui toutes les autres voix est celle de la mer. Il s'identifie avec elle. Il y voit le symbole vivant de son exaltation et de son génie:
Je veux ton amplitude, ô mer, je veux saisir
L'absolu de ton gouffre et ta profondeur sainte.
Tempête aux mille bras, prends-moi dans ton étreinte!
Viens, viens m'écheveler, tourbillon de la nuit,
Que je sois ce qui brûle au sein de ce qui fuit...
Quelquefois M. Nicolas Beauduin se complaît dans les contrastes énormes, les énumérations, ces accumulations d'épithètes où excellait Victor Hugo –alors cela rappelle le petit jeu de nos pères dans les brasseries du quartier latin, il y a trente ans : on y faisait “du Victor Hugo” et quelques-uns atteignaient à la perfection du maître.
Les Triomphes n'en laissent pas moins une impression de force, de puissance même, qui ne va d'ailleurs pas sans quelque monotonie...
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1910-01-02
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L’eau du Puits, par Robert Vallery-Radot
—Le Réseau fragile, par Hélène Seguin
—La dame en noir, par Pierre Rodet
—A l’ombre des marbres, par Jacques Nayral
—Les Triomphes, par Nicolas Beauduin
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Revue du temps présent
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4e année, t.1, n°1, p.58-65
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Les Sagesses, par Ch. Francis Caillard, 1 vol. in-12, Paris, 1910, Librairie H. Falque.
Dans la vie fiévreuse de Paris, Fr. Ch. Caillard a gardé le souvenir du coin de province où il est né. Il sait le charme que l'on peut trouver à l'uniformité même des journées, au silence des rues où l'herbe pousse –à tout ce dont s'affligent les jeunes gens romantiques ambitieux de voir la capitale et d'y “faire de la littérature” –les malheureux! –Francis Caillard est de ceux qui attendent comme la meilleure joie les grandes vacances dans une vieille maison familiale. Il y retrouve la vision d'une grand' tante qui l'habita jadis; une vieille calèche hors d'usage qui dort encore dans la remise lui rappelle que la dame allait autrefois dans cet équipage à la ville pour entendre la grand'messe. Que ne puis-je citer d'un bout à l'autre la calèche de tante Inès, ce petit chef-d'œuvre, que déjà le Mercure de France a reproduit:
La calèche est dans la remise
Où le père Louis l’avait mise,
Car nul n'y toucha plus depuis...
Elle y rêve à son cher jadis
Où, pour le moins chaque dimanche,
On allait sur la route blanche.
Sous son cahin-caha très doux,
Se rythmant sur les derniers coups
Que le vieux chantre carillonne
Portait dame Inès et sa bonne
Depuis leur maison jusqu’au bourg
D'un train lent comme le Saint Jour.
...Et la messe durait longtemps
Toujours faite des mêmes chants...
Avec les tilleuls de la place
Et le cercle des maisons basses,
La calèche écoutait les sons
De longs versets aux lents répons...
J'estime après cela que Fr. Ch. Caillard est digne de comprendre et d'aimer Francis Jammes –Mais cette grâce lui fut refusée jusqu'à ce jour...
Ce n'est pas seulement l'oubli de Paris, de ses théâtres, de sa cohue et de sa houe que le poète cherche en province; la société ne lui déplaît pas des vieilles familles qui habitent toujours la campagne –où le jeune homme de Paris “qui est intelligent et qui, paraît-il, réussit” est accueilli comme un enfant bien-aimé. Le poète va aussi quelquefois à la ville où ses parents habitent pendant l'hiver. Il y a encore une sous-préfecture avec un sous-préfet dedans –mais la musique ne s'épand pins des cloches conventuelles. Et le poète songe à l'époque où il allait dans un triste et humide couvent chercher sa petite sœur.
J'allais chercher le soir souvent
Ma petite sœur au couvent.
J'entrais par la porte entr'ouverte
Dans la maison comme déserte...
J'étais très inquiet du bruit
De mes petits pas dans la nuit.
J'attendais longtemps sans colère
Le retour de la sœur tourière.
Soudain s'ouvrait un rideau blanc:
“Que demandez-vous mon enfant?”
Que dire de celle forme qui s'atténue se simplifie pour exprimer des émotions simples et ténues? Le petit livre de Fr. Ch. Caillard nous est un gage nouveau des tendances spiritualistes de la poésie française –à ce début de siècle la poésie demeure le lieu sacré où se réfugient tous les recueillements toutes les prières: on ne l'a pas encore laïcisée. Certes il y a toujours, parmi l'immense troupeau des femmes qui riment, beaucoup de “bouhantes ivres" –et parmi les jeunes gens, les nietzchéens abondent encore. Mais le temps est proche et il est déjà venu où leur voix sera couverte par celle plus douce et plus pénétrante des enfants de Dieu.
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1910-01-25
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Les Sagesses, par Ch. Francis Gaillard
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Pluie et Soleil par Jean Vaunon. 1 vol. in-12, édition de la Revue des poètes, Paris, Plon 1910.
Monsieur Jean Vaudon a voulu goûter le plaisir mélancolique de réimprimer ses vers. Il parait qu'ils eurent quelque succès en 1883 –et si aviez la fantaisie d'acheter cette première édition, n'essayez pas: l'auteur nous avertit qu'elle est introuvable. Il nous dit aussi que d'immenses poètes comme Stéphen Liégeard, André Lemoyne, André Theuriet jugèrent ses vers plaisants, et que l'Académie “leur avait souri.” L'auteur enfin avoue qu'il ne les trouve pas mauvais. “Mon recueil sent bon la Vierge Marie et l'Enfant Jésus...”. On ne saurait mieux dire.
Salut, ô lys de la vallée,
Rose blanche au parfum vainqueur!
C'est vous, c'est vous l'Immaculée,
Notre-Dame du Sacré-Cœur!
Cela doit se chanter sur un air de cantique –Et encore que je ne trouve aucune critique à formuler, le désir me vient de relire les vers admirables de Verlaine:
Je ne veux plus aimer que ma Mère Marie,
Tous les autres amours sont de commandement...
Vous trouverez dans Pluie et Soleil d'aimables légendes bretonnes, des contes de Noël, des “morceaux à dire” aux séances de patronages et de collèges.
Dans certains poèmes, Monsieur Jean Vaudon se confie à nous très simplement. Je retiens celui où il nous dit les peintres qu'il aime:
En avril, aux vergers du pays bas-normand,
Daubigny fait fleurir les pommiers; c'est charmant.
c'est charmant! –Enfin Monsieur Jean Vaudou évoque les grandes scènes évangéliques:
Aimez-vous bien, dit-il à ses apôtres,
Aimez-vous bien, enfants, les uns les autres,
Comme moi qui vous ai formés,
Toujours je vous ai tant aimés!
Pour vous donner enfin la loi sacrée
Du saint amour qu'au fond des cœurs je crée,
Depuis longtemps j'étais jaloux
De manger la Pâque avec vous.
Mettre en vers les paroles du Sauveur –et sur ce rythme sautillant cela est évidemment ingénieux...
Et voici que des vers chantent en moi, ceux de la “Poursuite divine” de l'abbé Le Cardonnel. –Jean Vaudon me pardonnera de vous les citer.
O mon Dieu vous avez des ruses adorables
Pour triompher des cœurs et vous les attacher,
Car vous êtes épris de ces cœurs misérables:
Jusqu'au bord de l'enfer vous courez les chercher,
Et vous penchant sur eux doucement vous leur dites
De céder à l'amour et de ne plus pécher.
Puis si l'enchantement des vanités maudites
Ne les a pas lassés, vous ne vous lassez pas
Vous, de renouveler vos ardentes poursuites,
Vous allez devant vous et vous tendez les bras;
Il faudra que demain la brebis égarée
Y repose arrachée aux ronces d'ici-bas.
Ah! comme en Emmaüs, dans la calme soirée,
Qu'au moins sur votre sein, vers le tomber du jour,
Nous appuyions, Seigneur, notre tête éplorée...!
Et il vous apparaîtra que le sentiment religieux peut inspirer des vers d'une beauté émouvante et simple –qui n'ont rien de commun avec ceux de M. Jean Vaudou.
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Pluie et Soleil par Jean Vaunon
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C'est avec la plus grande joie et la plus légitime fierté, qu'au nom de tous mes camarades, j'ai l'honneur de souhaiter la bienvenue à votre Grandeur dans cette maison. En daignant venir parmi nous, elle nous donne la meilleure preuve de l'intérêt tout. paternel qu'elle nous porte, et que l’importance de notre œuvre ne lui a pas échappé.
Dans cette ville de Paris que Dieu confia à votre Grandeur, il est un quartier auquel elle doit songer plus souvent avec une sollicitude inquiète. C’est le quartier latin où de toutes les villes et de toutes les campagnes de France affluent tant de jeunes hommes. Ils y arrivent avec de grands espoirs et grands rêves. Ils partent comme les héros de Balzac à la conquête de Paris. Mais dès le premier soir, dans leur triste chambre d’étudiant, ils se heurtent à la pire ennemie de leur jeunesse et de leur âme: la solitude. Hélas! on a toujours raison de dire que c’est une mauvaise conseillère, et Dieu sait tous les jeunes cœurs qu'elle a tués!
Monseigneur, Votre Grandeur peut s'en rendre compte: Aujourd'hui, ceux à qui Dieu par une grâce singulière ouvrit cette maison, ne connaissent pas la solitude. Ils se retrouvent ici, représentant à peu près toutes les sciences humaines: avocats, médecins, architectes, poètes, électriciens, et il y a une telle abondance d'étudiants en pharmacie, qu'ils forment un petit état dans l'état, sous le nom de Conférence Pasteur! Mais il ne suffit pas à ces jeunes gens de se défendre contre le mal –ils s'arment pour la défense de la vérité. Ils apprennent dans cette maison, à l'école d'un illustre écrivain catholique M. Georges Goyau, à souffrir véritablement des iniquités sociales. Et ce n'est pas d'ailleurs en écoutant de belles conférences, que le désir leur est venu de les soulager: disciples du Saint-Vincent de Paul, ils connaissent la mélancolie des quartiers ouvriers, ils montent souvent des escaliers sordides, ils passent obscurément leurs après-midi de Dimanche dans les Patronages de banlieue, ils ont d'humbles amis parmi les plus pauvres, –et c'est ainsi qu'ils ont voulu eux aussi, dans la mesure de leur force, chercher un remède à tant de misères imméritées.
Et s'il apparait à Votre Grandeur que tout cela nécessite une vie religieuse intense, je lui rappellerai que beaucoup de ces jeunes gens vont tous les ans passer quelques jours, très loin de Paris, dans le recueillement d'une maison de campagne. Ils y trouvent le silence, troublé seulement par la voix du prêtre, qui en de brèves méditations, les met en face des vérités éternelles. Et comme il arrive dans ces retraites où nous faisons taire la voix du monde, c'est celle de Dieu qui s'élève dans le silence de notre cœur. Tels sont, Monseigneur, ces jeunes gens qui vous reçoivent aujourd'hui avec tant de joie. A l'heure où beaucoup de Français ne peuvent plus estimer des maîtres indignes, ils se rattachent passionnément à la seule autorité qui leur reste: celle du Souverain Pontife à Rome et celle de celui qui, dans ce diocèse, représente pour eux plus particulièrement Jésus-Christ. Et voici que dans la foule qui le suit, ce chef a bien voulu remarquer notre petit troupeau. Il a daigné lui apporter le réconfort de sa présence, l'encouragement de sa parole... Et c'est pourquoi il y a dans nos cœurs, pour Votre Grandeur, une reconnaissance infinie –et j'ose le dire, tout le respect et toute l'affection que des enfants peuvent éprouver pour le père le plus vénéré el le plus aimé.
Monseigneur remercie notre président et nous redit sa vive satisfaction de se trouver au milieu de nous. Puis, dans un entretien familier, Sa Grandeur nous parle de nos devoirs, de nos responsabilités, des espérances que l’on met en nous. C’est le Père qui encourage et exhorte à se donner, à se dévouer, à se créer des amis parmi les pauvres. Il y eut, en cet instant, des résolutions renouvelées, des hésitations vaincues…
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1910-02-25
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Allocution de M. Fr. Mauriac
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François MAURIAC
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M. Mauriac, après avoir à nouveau remercié Sa Grandeur, salua les hommes éminents qui nous honorent de leur bienveillante amitié et termina par ces mots:
Je voudrais, mes chers camarades, qu'en face de ces destinées, aiguillées tout entières vers le bien, chacun de nous dise aujourd'hui: Je ferai comme eux! -Ah! Ne m'objectez pas que vous n'avez pas de talent à dépenser pour la cause de Jésus-Christ. Vous savez que le plus humble étudiant peut avoir une influence profonde et qu'il y a des conquérants d'âmes que le monde ignore –mais que Dieu connaît. Et pour devenir ces conquérants, nous n'avons qu'à vouloir: les maîtres éminents, que je salue aujourd'hui nous ont montré la voie. Seuls, nous ne pouvons rien. Mais si Dieu a mis sur notre route des intelligences plus larges que les nôtres et de plus grands cœurs, c'est pour que, de toutes ces forces, nous aidions notre faiblesse, et que lisant leurs œuvres et surtout méditant leurs vies, nous sentions notre âme ardente on nous, comme ceux qui cheminaient un soir vers Emmaüs... C'est ainsi quo nous deviendrons, dans le sens profond du terme, des fils de l'Esprit...
Et tel est bien le vœu que je forme, en levant mon verre; que ces jeunes gens deviennent, comme les maîtres qui les entourent aujourd'hui, les pacifiques vainqueurs des âmes, et qu'ils soient au premier rang des bataillons sacrés qui sans haine, sans violence rendront le pays de France à Jésus-Christ.
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Toast de M. Mauriac
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1910-02-25
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3e année, n°18, p.135
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Je discerne en M. Henri de Régnier un “honnête homme”, selon l’ancienne formule, et que dégoûte le monde brutal et sans grâce où il vint trop tard; mais il est de force à s'en pouvoir évader quand il lui plaît. Son imagination enfante une société aimable et polie qui vit tantôt sous le règne du grand roi et tantôt sous celui du Bien-Aimé –mais où l'on parle et l’on aime toujours de la manière qui convient à l'époque choisie.
Aimables héros! Et comme ils sont vivants et divertissants! Ne semble-t-il pas que M. Henri de Régnier porte toujours perruque et qu’il ne voyage qu’en carrosse? Peut-il à ce point oublier “la laideur immense et régulière” des villes modernes, et évoquer si exactement, selon notre vœu et le sien, la noble perspective des jardins français dessinés à souhait pour le plaisir des yeux...?
Si les personnages dont il joue habilement ont une si grande réalité, c'est d'abord qu'il se sert avec un art inimitable de la meilleure langue classique. Et prenez garde que ce n'est pas un mince talent: le français de Fénelon par exemple est aussi différents de celui de Marcel Prévost (cet autre éducateur de filles!) que des divers idiomes enseignés chez Berlitz; encore ceux-ci ont-ils l'avantage de pouvoir être appris en tant de jours, d'après une méthode infaillible; on n'en saurait dire autant de cette pure langue où excelle M. Henri de Régnier. D'autres ont essayé de la parler qui ne nous en ont donné que le pastiche: voyez M. Abel Hermant. Il n'est pas douteux qu'il a écrit son Courpières après avoir lu soigneusement Labruyère et Saint-Simon. “La Discorde” est un autre livre de cet auteur, où l'effort se trahit de parler la langue du grand siècle. Evidemment on ne saurait dire qu'il échoue dans son entreprise, et c'est un bon travail d'ancien normalien qui a fait de solides humanités. Chez M. Henri de Régnier, au contraire, nulle trace d'effort ou d'application: tous ses personnages parlent naturellement le langage de leur époque et n'en connaissent point d'autre.
La supercherie se devine cependant, juste assez pour qu'on la puisse mieux goûter: M. Henri de Régnier sait rendre la joie que lui causent les formes et les couleurs, comme on ne sut le faire jamais à l'époque où toutes les femmes avaient les yeux “les plus beaux du monde” et la gorge “comme on peut la souhaiter”.
Je m'amusai fort ces jours-ci, en relisant les mémoires de Grammont, de la façon dont Mlle de Saint-Germain y est peinte. “Mademoiselle de Saint-Germain dans le premier printemps de son âge, avait les yeux petits mais fort brillants et fort éveillés: ils étoient noirs comme ses cheveux. Elle avoit le teint vif et frais, quoiqu'il ne fut pas éclatant de blancheur, elle avoit la bouche agréable, les dents belles, la gorge comme on la demande, et la plus aimable taille du monde. Elle avoit le bras bien formé, une beauté singulière dans le coude, qui ne lui servoit pas de grand chose; ses mains étoient passablement grandes... ses pieds n'étoient pas des plus petits, mais ils étoient bien tournés, etc.”
M. Henri de Hégnier ne consent pas à décrire ainsi. Il ne se résigne pas à être un gentilhomme du XVIIe siècle au point de ne savoir user que des termes les plus généraux. Sa phrase au contraire évoque tout ce qu'il voit avec une émouvante précision, elle dessine les contours des corps et les colore merveilleusement. Il voit les scènes d'un autre âge avec les yeux d'un homme “pour qui le monde extérieur existe”. Il note avec minutie des sensations ténues et d'un réalisme plus exquis, semble-t-il, sous cette forme pompeuse et quelquefois maniérée. –Il nous donne tout vifs, tels détails d’une scène que Labruyère et Saint-Simon eussent évidemment dédaignés.
Ainsi dans les Amants singuliers, lorsqu'on rapporte le cadavre de ce pauvre M. de la Thomassière, si misérablement assassiné au cours d'une entrevue galante, l'auteur nous fait voir, au milieu du va-et-vient affolé des servantes et des curieux, l'en-cas qui dans la salle à manger attendait M. de la Thomassière, cependant qu'il se faisait tuer: “Entre deux candélabres, on voyait des viandes et des pâtisseries. L'argenterie brillait sur du beau linge. Une corbeille de fruits s'arrondissait au milieu. C'était plaisir naguère de regarder M. de la Thomassière mordre une pêche mûre ou une poire juteuse, ou égrener un raisin –quoiqu'à la grappe il préférât la bouteille– et de l'en voir presser la panse poudreuse de cette même main grasse dont les doigts frôlaient au passage le pan de la nappe.”
Ai-je besoin d'ajouter que M. Henri de Régnier est encore bien de son siècle par la façon dont il comprend la nature? –“Au XVIle siècle la passion de la nature sommeille encore, dit Jules Lemaître. Toujours on nous cite les trois phrases de Madame de Sévigné sur le rossignol, la fenaison, et les feuillages d'automne, quelques vers de Lafontaine et l'allée de tilleuls de Madame de Lafayette, c'est peu.”
Sans doute serait-il plus exact de dire que ceux qui aimaient la nature, ne savaient pas exprimer ce goût. Ils ne pouvaient user que d'un langage abstrait, fait pour traduire des sentiments. Les mots qui désignent les objets étaient considérés souvent comme des termes bas. Il apparaît donc que c'était beaucoup moins le sentiment de la nature qui manquait aux gens du XVIle siècle que les moyens de l'exprimer.
Or M. Henri de Régnier nous dit l'âme d'un paysage, avec cet art infini que le grand siècle ignore. Mais dans ces descriptions même, il demeure classique en quelque façon –car il ne se plaît guère qu'à peindre la nature disciplinée.
Il ne songe pas à nous dire le charme de la simple campagne et j'incline à croire qu'il n'y voit que “d'effroyables solitudes”, comme on disait jadis. Dois-je citer les étonnantes évocations de jardins que l'on trouve à chaque page de la Canne de jaspe, ce chef-d'œuvre? M. Henri de Régnier se crée d'incomparables décors. Il dispose les parterres et les jets d'eau, les vasques et les [buits] taillés –les solennelles façades. Son imagination lui permet de vivre dans une merveilleuse cité des eaux, au milieu de solitudes ordonnées et pompeuses jusqu'où n'arrivent pas les bruits vulgaires de la vie– ni les plaintes humaines.
Mais il est des gens qui lisant un conte de M. Henri de Régnier ne peuvent s'abandonner à ce plaisir délicat. Ils sont troublés de ce qu'ils y devinent un sens mystérieux qui leur échappe: ils avancent à travers le récit comme à travers un champ semé de pièges. Cela les humilie d'être semblables à de petits enfants –et de s'arrêter aux apparences. Il faut avouer que le symbolisme n'a guère séduit le “grand public”; il en parle toujours ainsi que d'une audacieuse et mystérieuse doctrine.
On voit même que les écrivains de cette école en ont gardé une éternelle jeunesse –et tel poète âgé de cinquante ans doit à son titre de symboliste, d'être considéré comme un jeune auteur, de qui les gens graves s'entretiennent avec une indulgente ironie.
Il me semble pourtant que les gens du monde peuvent trouver quelque plaisir à la lecture de la Canne de jaspe, si du moins ils veulent bien méditer le conseil que leur donne M. Henry de Régnier dans une préface admirable:
“Un roman ou un conte peut n’être qu'une fiction agréable. S'il présente un sens inattendu au delà de ce qu'il semble signifier, il faut jouir de ce surcroît à demi intentionnel sans y exiger trop de suite et en le considérant comme né fortuitement des concordances mystérieuses qu'il y a, malgré tout, entre toutes choses.”
Il ne s'agit pas, en effet, de rapports singuliers qui n'existent que pour le poète, et que seuls peuvent comprendre les lecteurs dont la sensibilité est en harmonie avec la sienne. Henri de Régnier s'applique, au contraire, à suggérer le sens caché de ces petits récits. –Quand il évoque les palais mystérieux où il y a “d'étranges fleurs sur des étagères”, où dort l'eau des gemmes et des miroirs, c'est pour qu'une idée jaillisse, mal dégagée encore de ces somptueuses images –et plus vivante à cause de cela.
Il faut, par certaines journées d'hiver, où un immense réseau de pluie nous isole du monde extérieur, demeurer seuls dans une chambre, et lire la Canne de jaspe. L'âme est transportée dans un monde inouï –le plus merveilleux sans doute qu'ait jamais conçu l'imagination humaine. Elle peut se pencher sur les âmes qui y sont évoquées, et reconnaître son propre visage. –Ne fut-elle jamais cette dame aux sept miroirs qui s'isole avec ses rêves dans une solitude pompeuse –et qu'un jour ses rêves tuent? Elle avait vu les nymphes jouer autour des bassins et dans le silence du soir, entendu le galop des centaures. Les faunes et les sylvains s'étaient enfuis à son approche; elle avait observé sur le sable mouillé la fine empreinte de leurs sabots. Mais un soir de tempête, comme elle était seule et nue dans le salon aux sept miroirs, “la strideur d'une griffe raya le verre d'une des hautes fenêtres..... aux vitres, attirés par la lumière ou chassés par la tempête, je vis collés des visages et des mufles. Les nymphes appliquaient au cristal leurs lèvres humides, leurs mains mouillées et leurs chevelures ruisselantes..... les satyres y écrasaient avec frénésie leurs faces camuses..... Tout à coup, les fenêtres craquèrent sous la monstrueuse poussée; cornes et sabots firent voler les vitres en éclats, une fauve odeur envahit violemment la salle et entra avec le vent et la pluie, et je vis, au crépitement du lustre à demi-éteint, la tourbe apparue, faunes, satyres et centaures se ruer sur les miroirs pour y éteindre, chacun, l'illusion de ma beauté, et dans un fracas de glaces effondrées et sanglantes, les mains étendues pour exorciser l'horreur de ce songe terrifiant, je tombai à la renverse sur le parquet.”
Est-ce, comme je le disais, l'image d'une âme, victime des visions qu'elle se crée? Est-ce l'éternelle histoire de la femme qu'amuse le désir éveillé des hommes, qui se complaît à troubler leurs songes jusqu'à l'heure où elle est dupe de son propre jeu? –Je ne sais: s'il nous plaît, ce peut être autre chose; mais c'est tout cela, si nous le voulons. Et nous sommes assurés de ne nous pas tromper, si sans chercher plus loin, nous nous abandonnons à la splendeur incomparable de ces évocations, comme l’auteur lui-même, nous en donne le conseil hautain: “Il y a là des épées et des miroirs, des bijoux, des robes, des coupes en cristal et des lampes, avec, parfois, au dehors, le murmure de la mer ou le souffle des forêts. Écoute aussi chanter les fontaines. Elles sont intermittentes ou continues; les jardins qu'elles animent sont symétriques. La statue y est de marbre ou du bronze, l'if taillé. L'amère odeur du buis y parfume le silence, la rose y fleurit au cyprès. L'amour et la mort s'y baisent à la bouche. Les eaux y reflètent les ombrages. Fais le tour des bassins. Parcours les labyrinthes, fréquente le bosquet et lis mon livre, page à page, comme si, du bout de ta haute canne de jaspe, promeneur solitaire, tu retournais, sur le sable sec de l'allée, un scarabée, un caillou ou des feuilles mortes.[ ”]
Mais nous devons quitter ces mystérieux jardins, les bassins de porphyre, les allées régulières ou des hommes et des femmes, en qui nos cœurs se reconnaissent, promènent leurs éternelle rêverie.
M. Henri de Régnier a daigné écrire des romans contemporains et faire évoluer dans ce Paris moderne, les hommes en redingote et les femmes si étrangement habillées, d'aujourd'hui. Il s'occupe de ces petites âmes, en grand seigneur; il les retourne, si j'ose dire, du bout des doigts, et ne se met pas en frais de psychologie; il nous les fait voir, telles qu'elles sont en réalité: simples –et mêmes frustes. Une des prétentions les plus comiques des gens du monde est de se croire compliqués. J'ai toujours trouvé extrêmement amusant, dans une comédie de Maurice Donnay, le mot de la dame au Monsieur: “…….C'est égal, vous me faites l'effet d'un monsieur terriblement compliqué.” –Et le monsieur de répondre, mélancolique et satisfait: “On fait ce qu'on peut; mais nous sommes tous très compliqués; vous aussi, vous l'êtes, et la vie donc, encore plus...”
Comme vous vous trompez, mon pauvre Monsieur! Le génie charmant de Maurice Donnay vous pare d'une sorte d'esprit, que dans la réalité on ne vous voit guère; et ce qui me plaît dans les romans où Henri de Régnier veut bien s'occuper de vous, c'est que vous y apparaissez tel qu'un être d'instinct –heureusement bien élevé, et à qui la bonne éducation tient lieu, à peu près, de tout. Aussi bien n'est-ce pas là où ceux qui voudront écrire votre histoire iront plus tard chercher des documents, mais par exemple, dans ce Mariage de minuit d'Henri de Régnier, dans les livres de Paul Hervieu –et même dans les caricatures où Abel Hermant a pour longtemps fixé votre grimace.
Tout le mérite des romans où Henri de Régnier étudie la société actuelle me semble admirablement exprimé dans ces lignes que Jules Lemaître consacrait à l'œuvre de Paul Rervieu: “Il nous a montré, comme elle est dans son fond, l'existence monstrueuse des hommes et des femmes du monde, qui ne sont que cela, des riches qui ne vivent que pour paraître, pour observer des rites de vanité qu'ils ne comprennent même pas –et pour jouir. Il nous a fait concevoir de secrètes analogies entre cette vie-là et celle que mènent, à l'autre bout de la société, les “joyeux” et les “joyeuses” qui sont des oisifs, eux aussi, mais moins polis, et pressés de nécessités, qui ne leur permettent pas d'être inoffensifs.”
Et puis dans ces romans d'Henri de Régnier –tels que La peur de l'amour, nous nous consolons de la médiocrité des âmes qu'il évoque par la splendeur du cadre où il les fait évoluer. Dans La peur de l'amour, la basse mélancolie de Marcel Renaudier s'élargit à l’infini de toute la mélancolie de Venise.
Relisant ces notes, il m'apparaît que j'ai laissé dans l'ombre des côtés essentiels du talent de M. Henri de Régnier prosateur. Mais son œuvre est un monde, et c'est là mon excuse. Ses contes, ses romans suffiraient à le mettre à sa place: la première. Et quand on songe à l'œuvre que, comme poète, il nous a donnée, il faut bien reconnaître en lui une de nos meilleures gloires. Sans doute en ne mène pas grand tapage autour de son nom..... mais je sais beaucoup de gens qui reprochent toujours à l'Académie de ne l'avoir point élu. Dans les magnifiques jardins où Henri de Régnier s'isole, il a dû oublier ces petites et vaines agitations. Plus tard, bien plus tard, –quand les hommes d'aujourd'hui seront dans l'ombre de la mort– alors que nul écho ne redira plus le cocorico de Chantecler –alors que les noms d'Edmond Rostand et de Jean Aicard n'évoqueront plus rien dans aucune pensée humaine– il y aura toujours des jeunes hommes qui reliront avec ferveur la Canne de jaspe et la Cité des eaux.
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1910-03-02
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Notes sur Henri de Régnier, prosateur
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Revue du temps présent
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4e année, t.1, n°3, p.176-182
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En April 1861, au sujet de son Dominique, publié alors dans la “Revue des Deux-Mondes”, Fromentin écrivait à George Sand: “Je ne sais pas trop moi-même, ce qu'il y a dans Dominique... ce qu'il y a de plus clair pour moi, c'est que j'ai voulu me plaire, m'émouvoir encore avec des souvenirs, retrouver ma jeunesse à mesure que je m'en éloigne, et exprimer, sous forme de livre, une bonne partie de moi, la meilleure qui ne trouvera jamais place dans mes tableaux.” En effet, Dominique n'est pas l'œuvre d'un écrivain de métier qui en composant songe d'abord à son public. Fromentin l'a écrit pour lui, pour évoquer son enfance pensive et triste, son adolescence passionnée.
En 1835, aux plus beaux jours du Romantisme, il avait quinze ans. Pendant les vacances il quittait le lycée de la Rochelle et jouait dans le jardin de Saint-Maurice avec une jeune fille plus âgée que lui et qu'il aima. Elle se maria, puis en 1844 subit à Paris une opération; elle y mourut, et, par une porte entrebaillée, Eugène put contempler son agonie. Il fut alors le jeune homme romantique, atteint de “la maladie du siècle”, et Dominique demeura la figure idéale de l'adolescent qu'il fut –si ardemment mélancolique et passionné, mais luttant to11jours contre lui-même– et malgré tout plus fort que sa douleur.
I
D'une enfance passée à la campagne, Dominique a gardé une aptitude singulière à se pénétrer de ses impressions, à vivre “dans un monde subtil de visions, d'odeurs, de bruits d'images.” Il s'est initié très vite au charme spécial de chaque saison, des nuits de Mai surtout: ces nuits où je donnais peu, où la lune éclairait, où la pluie quelquefois tombait, paisible, chaude, et sans bruit, comme des pleurs de joie. Pour mes délires et pour mon tourment, toute la nuit les rossignols chantaient. Puis c'était la vie ardente aux champs sous le ciel d'été, puis l'automne et l'hiver, les saisons qu'il chérissait entre toutes; il aimait les allées muettes et vides, sans obstacle au son, imbibées d'air humide et pénétrées de silence... Ainsi toujours les grandes plaines de l'Aunis feront se traîner sur cette âme leurs brumes de tristesse, et “à contempler la mer qui les prolonge à l'infini,” il prendra le goût du rêve, les désirs illimités que la vie ne pourra satisfaire. Le pays natal a développé sa sensibilité au point qu'il pleure lorsque le jardin où il a vécu est touché par l'automne et que les feuilles mortes papillonnent dans l'air mouillé. Le besoin de s'attacher le tourmente. C'est un déchirement lorsqu'il faut quitter pour la ville et le collège ses horizons familiers. Mais l'attendrissement qui le fait sangloter au dernier jour n'est pas sans joie, car un monde nouveau s'offre à lui de sentiments inconnus, d’émotions inéprouvées, un attendrissement subit, impossible à motiver, plus impossible encore à contenir, montait en moi comme un un flot prêt à jaillir, mêlé d'amertume et de ravissement... Dominique arrive au collège de la petite ville d'Ormesson. Ses aspirations ne se précisent pas encore, mais, comme le René de Chateaubriand, il pressent qu'elles sont infinies et que son mal sera de ne les pouvoir satisfaire. Le travail, ses succès, tiennent dans sa vie une place infime. J'étais désœuvré... parce que le travail occupait un surplus de moi-même qui déjà ne comptait pour rien dans ma vie. C'est là une très exacte observation: on est, à seize ans, merveilleusement désintéressé; on n'attache plus d'importance aux lauriers ni aux prix, on ignore les ambitions précises dont plus tard on sera tourmenté. L'âme oublieuse des petits soucis, des désirs mesquins, est toute à ses chimères. Ainsi Dominique s'exaltait dans le silence d'un vieil hôtel, au fond de l'humble ville d'Ormesson, propice au rêve.
Mais il n'était pas inconscient, curieusement il s'observait. Parfois las et découragé, transporté parfois d'un délicieux tourment, il attendait.
Un jour de printemps il se sent comme enivré. Un besoin d'être seul le saisit, et en même temps, le désir de marcher, de briser son corps par une course folle. Le soir, il se trouve en face de Madeleine, la cousine de son ami Olivier; Dominique journellement la voit sans aucun trouble; mais à cette heure, il est bouleversé. Il s'enfuit éperdûment, s'enferme dans sa chambre, écrit des folies jusqu'au matin: Dominique est amoureux. Mais il aime comme on aime à dix-sept ans: avec une charmante humilité: l'idée ne lui vient même pas que Madeleine pourrait écouter avec plaisir l'aveu de sa passion. Il l'aime de très loin: “avec ce sentiment qu'elle est à l'infini.”
Les adolescents ne sont pas vaniteux; ils ne se font pas d'eux-mêmes une idée exagérée. Lorsque Madeleine voyage, cette absence délivre Dominique. Jamais il ne se sent plus près de la bien-aimée que lorsqu'elle est très loin de lui. Il passe maintenant ses journées dans la maison où elle habitait, y cherchant le parfum qu'elle aimait, évoquant, à la fenêtre, son profil. Il vit près d'elle maintenant qu'elle n'est plus là: tel est bien l'idéal amour de la dix-septième année.
Le soir où Madeleine revient, Dominique veille tard, et accoudé à la fenêtre abandonne son âme au charme des belles illusions. Hélas! elle n'est pas revenue seule et la nouvelle de son mariage désespère Dominique. Il se jette tout entier dans cette grande douleur. Car les adolescents n'essayent guère de résister aux souffrances du cœur dont ils savent la profonde volupté. Elles les grandissent à leurs propres yeux et les marquent d'un signe d'élection. Et puis, quand ils sont, comme Dominique, très intelligents, ils goûtent la joie d'analyser leur douleur et de se regarder souffrir. Comme j'aime l'excessive humilité de cet enfant qui n'éprouve aucune jalousie!
Mais après la cérémonie nuptiale, ce fut toute la nuit, dans sa chambre, une crise de larmes, de folie amoureuse. Il ouvrit sa fenêtre. Un courlis jetait sa note plaintive et sauvage. Alors dans la calme du soir, Dominique évoqua le jardin où rêva son enfance solitaire. Un grand désir lui vint de se réfugier dans le passé, de s'ensevelir avec ses regrets et son amour toujours vivant. Il était à l'âge des résolutions héroïques et désespérées où les milliers de liens qui rattacheront plus tard l'homme à la terre et à la vie ne sont pas encore noués.
II
Dominique nous apparaît jusqu'à présent tel que le jeune homme romantique et fatal, selon l'ancienne formule. Il n'est encore que le disciple attardé du petit François René de Chateaubriand. Dominique et René souffrent du même mal: c’est le même désir d'une imprécise chimère qui d'abord fait pleurer le petit sauvage des forêts de Combourg et l'enfant isolé dans le jardin des Trembles. L'un et l'autre subissent l'influence d’un paysage triste. Ils ont le délicieux tourment d'attendre un amour infini. –Et je songe ici au René du premier livre des Mémoires d'outre-tombe –celui qu'une sylphide visitait dans la “tour de l'Ouest”. Et de même que toutes les tristesses de Dominique vont cristalliser autour d'une passion désespérée, René lui aussi trouvera une raison de souffrir. “O mes amis, dit-il, je sus ce que c'était de verser des larmes pour un mal qui n'était pas imaginaire.” Mais cette histoire bizarre de René et de sa sœur ne nous touche pas comme l'amour malheureux de Dominique. Et surtout Dominique me semble plus humain parce qu'il agit et lutte contre lui-même. Ce qui le fait différent des autres romantiques, René, Werther, Chatterton, c'est qu'en lui “le mal du siècle” s'est apaisé.
Madeleine avait reconnu que son amitié pour Dominique, côtoyait l'amour depuis longtemps –jusqu'à devenir une amitié trop ardente et trop troublante aussi. Après une lutte désespérée contre l'amour de Dominique, contre son propre amour, la jeune femme n'avait pas hésité à quitter son ami pour toujours. Dominique alors se ressaisit et s'arrache à la chère tristesse des souvenirs. Ses yeux se tournent vers les horizons voilés du pays natal. Et le vieux jardin lui est un refuge, où à chaque tournant d'allée il rencontre l'enfant rêveur qu'il fut jadis. Courageusement il va fonder un foyer, recommencer sa vie.
Ainsi Fromentin a compris que chez beaucoup de jeunes hommes, les mélancolies de l'adolescence constituent une crise, elles ne durent qu'un temps et une heure vient où cette brume d'élégie s'évanouit, qui flottait sur nos âmes. Le temps s'en charge trop bien, hélas! Mais Dominique était de ceux qui ne vieillissent pas. Il possédait “l'éternelle jeunesse de poètes”, et son mérite est plus grand, d'avoir vaincu le mal. Werther causa en Europe une épidémie de suicides. Toute la génération de Chateaubriand cultiva les subtiles et dangereuses mélancolies de René. Dominique nous donne au contraire une magnifique leçon d'énergie.
Nous ne sommes plus guère habitués à ce style d'une hautaine et pure discrétion, à cette forme simple et nue, où l'inquiétude n'est visible nulle part de l'effet à produire, et qui traduit ainsi directement les nuances les plus ténues du sentiment. Les romantiques avaient perdu le secret de ce goût suprême dans l'analyse de l'amour humain. Et depuis Dominique, on ne le retrouve peut-être au même degré que dans ce pur chef-d'œuvre d'André Gide: La porte étroite. Chez Fromentin, le peintre n'a pas porté tort à l'écrivain. L'homme qui sait voir les moindres détails du paysage, les teintes du ciel à certaines saisons et à certaines heures, se révèle dans les descriptions exquises de l'Aunis, à la fois très précises et très nuancées.
Tel est le charme de Dominique, peu connu du grand nombre: La librairie Hachette en écoula péniblement une édition à vingt-cinq sous . Et pourtant il sera toujours le livre dont, à certaines heures, les âmes profondes ont besoin, un de ceux qui les révèlent à elles-mêmes, le pur miroir qui garde fidèlement l'image de leur amère et pensive adolescence. George Sand disait déjà de lui, qu'il est “une de ces choses qu'on savoure et qu'on relit en soi-même après, et qu'on relira plusieurs fois, avec des découvertes toujours...”
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Notes sur le Dominique de Fromentin
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MEL_0749
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3e année, n°19, p.204-208
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Les Fleurs Sanglantes . —Mme J.-R. Lesclide n'a guère subi l'influence des poètes que notre génération a le plus aimés. Nous savons par une préface de J. Claretie qu'elle vécut dans l'entourage de V. Hugo.
Ses vers sont de circonstance; elle ne néglige aucune source d'inspiration et célèbre avec un enthousiasme continu: les victimes du dirigeable République, les religieuses de Pacy, le prince exilé Abou-Lahi, Félix Faure et Catulle Mendès. Ces sujets imprévus et divers lui inspirent des poèmes d'une valeur égale.
Mais on trouve dans Les fleurs sanglantes –(oh! ce titre!)– l'écho de deuils plus intimes et plus profonds. L'auteur y dédie ses poèmes les meilleurs à de chères mémoires. Un de ces chants funèbres est daté: Mai 1887... Comme c'est loin! et dans combien de cœurs cette jeune fille a dû mourir, depuis! –N'est-il pas touchant qu'après tant d'années, revive, même pour des inconnus, cette pure mémoire?
Telle est l'unique petite émotion, qu'avec un peu de bonne volonté, je recueille dans Les fleurs sanglantes. Il ne faut rien négliger.
Des ombres tremblantes . –Voici les vers d'un tout jeune homme sensible à la poésie de certaines destinées, celle des servantes qui vivent et meurent dans la même maison –celle des vieilles filles, dont on sait vaguement qu'elles eurent des chagrins d'amour –celle des paysannes ridées qui, après des années tissées de petites misères et de grandes douleurs, attendent la mort sur un banc, devant une porte. Tout cela nous est confié comme à voix basse, en vers aux contours indécis, au rythme à peine indiqué.
..... Quand les sœurs menaient le couvent en promenade,
Avec un collégien à l'uniforme bleu
Galonné d'or, aux bruns et longs cheveux,
Elle échangeait de doux regards, sur l'esplanade,
Et le soir, dans son lit candide, à la lueur
Rougeâtre d'une très vacillante veilleuse,
Quand elle devinait le dortoir assoupi,
Elle lisait son cher Musset avec ferveur...
.....Et sans trop savoir qui (un prince? un maréchal?
Un artiste? Un savant?) elle aimait, elle aimait...
Elle admirait ses petits bras blancs et banals
Qu'elle couvrait de baisers furtifs et fiévreux,
Et s'allongeait le bistre de ses petits yeux...
Dès le premier mot nous savons de quel charme le poète s'enchante,
De quels vieux parfums son âme est composée,
et que Francis Jammes a sur lui une influence peut-être excessive. –Mais un écolier déjà sensible à cette simple et pure poésie de l'Angelus de l'aube... est marqué d'un signe d'élection. Déjà ses aînés lui prouvent qu'ils attendent beaucoup de lui –et André Lafon a écrit pour les ombres tremblantes une émouvante préface.
Les heures qui chantent –Quand j'étais en classe de philosophie, on me donna un livre intitulé: Notions de paléontologie. Je ne lus pas le texte. Mais les images qui représentaient des animaux antédiluviens me séduisirent. Je ne me doutais pas alors que ces monstres inspireraient à M. L.-G. Mayniel des vers étonnants:
Dans les flots limoneux, éventré, pestilent,
Roule un ignanodon de taille gigantesque...
...Soudain un monstre étrange émerge de la mer,
C'est un plésiosaure...
Cela est au moins nouveau et divertissant. M. Mayniel passe ensuite au déluge et chante les grandes époques de l'humanité. On trouve l'éternel sonnet sur Néron (qualis artifex!) et celui qui célèbre Cleopâtre..... tout ce que peut écrire un admirateur des Trophées et aussi des Poèmes antiques et barbares; dans une seconde partie, le poète change d'instruments: il laisse le buccin et pince agréablement de la guitare. Il y a là de vieillottes romances qui ont bien leur charme et qui se devraient chanter sur l'air de Plaisir d'amour et de L'amour est un dieu trompeur, me dit un jour ma mère... –Mais toutes ces beautés ne sauraient me faire oublier les poèmes paléontologiques du début.
Les glumes éparses . –Les deux premiers vers de ce petit volume expriment une étonnante vérité:
Tu trouveras ici, lecteur, quelques poèmes
Qui te plairont peut-être ou ne te plairont point...
Je n'oserais dire qu'ils m'ont déplu... Mais j'ai goûté surtout le dernier vers, isolé sur une seule page, en guise d’épode (il est vrai qu'il est de Victor Hugo):
Et puis brûlez les vers dont ma table est semée.....
Ah! oui! Le rosaire des soirs . –Quelques-uns de ces poèmes ont été écrits sans doute au crépuscule, quand le poète hésite à demander la lampe –et que sa douleur éveillée dans l'ombre lui dicte des vers sans que presque il y pense:
La fin de la journée est grise. On se recueille,
On écoute mourir des rumeurs au lointain,
Un grand charme descend avec l'ombre qui vient,
Et le vent apaisé soupire dans les feuilles...
Voici donc un livre qu'en plusieurs endroits on peut aimer –encore que la personnalité du poète ne s'en dégage pas assez. On pourrait noter tous les auteurs qu'il aime et relever chaque influence. Il y a trop de vers fades et d'une écœurante douceur à la manière d'Albert Samain –qui fut un grand poète– mais dont certaines élégies rappellent douloureusement les mièvreries de Paul Delmet.
Sonnets païens . –Païens, certes oui, et de la pire manière. Mais des visions aiguës, une préciosité trouble, un vocabulaire bizarre et cependant une forme harmonieuse et pure, tels sont les caractère essentiels de ces sonnets dont je ne peux rien citer: ce qui est tout dire... Le Sonnet initial est du malheureux Paul Roba:
Voyageur excédé d'un inlassable ennui
Funeste à ton repos et pour nous deux néfaste,
Dis-moi, cher exilé, sur la mer vide et vaste,
Trouvas-tu quelque part ton rêve épanoui?
Les cieux du Portugal dont l'azur éblouit
Comme des yeux d'amants que le désir dévaste
Ont-ils sollicité ton cœur fervent et chaste
Et parfumé pour toi leur amoureuse nuit...?
Je sais que nul baiser n'a satisfait ta bouche,
Epouse insatiable au vertige où tu touches
Par les poisons ardents qui t'ont fait surhumain...
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1910-04-02
Title
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Les Fleurs sanglantes, par Mme J.-R. Lesclide
—Des ombres tremblantes, par Olivier Bag
—Les heures qui chantent, par L.-E. Mayniel
—Les glumes éparses, par Marcel Prouille
—Le rosaire des soirs, par Charles Batillot
—Sonnets païens, par Francis Latouche
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Revue du temps présent
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MEL_0646
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4e année, t.1, n°4, p.307-309
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François MAURIAC
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Nous recueillons au long de ces pages tant d'émotion et de rêve, que nous oublions les studieuses recherches qu'elles durent coûter. Un conteur érudit, qui est le plus délicat poète, y évoque pour nous le visage terrible et charmant des fées mortes. Avant de commencer la merveilleuse histoire, il se recueille, un instant, et songe qu'à l'heure de réveiller l'âme légendaire de la vieille France, il faut d'abord trouver pour elle une précieuse invocation. Et comme cette âme revit dans les yeux clairs de la mère l'Oye, c'est elle qu'il invoque en un langage fluide, évocateur de forêts chantantes et de lagunes endormies, d'anciens villages français et de pauvres jardins paysans tout fleuris de légendes.
“Mère l'Oye, muse de village surannée et charmante, soit que votre visage ridé et doré par d'anciens soleils s'auréole des mîtres de dentelles chères à nos normandes ou des bonnets arrondis de nos tourangelles, Mère l'Oye qui ne savez pas lire, mais qui demeurez la dépositaire de la culture profonde où s'alimente une race, c'est par vous que les beaux contes vinrent à nous de la nuit des âges, et votre mémoire nous apparaît précieuse comme ces coffres trapus où dormaient les robes couleur du temps et couleur de soleil...
Vous filiez activement de vos mains rèches et fanées comme les feuilles des bois à l'automne. Mais dans la pénombre des mousselines qui vous auréolaient de blanches coiffes, vos yeux étaient plus transparents que de claires fontaines. Vous parliez aux longues veillées d'hiver, assise à côté de l'âtre qui vous éclairait de ses tisons, ou par les crépuscules prolongés de la saison douce, appuyée à la margelle du puits, quand les femmes viennent y chercher de l'eau pour les usages du soir...”
Nous pouvons désormais pénétrer dans le pays du songe et de l'enchantement, dans la vieille Bretagne, d'abord, mystérieuse patrie de l'enchanteur Merlin. Doux enchanteur. que de raisons nous avons de vous aimer! –Vous haïssiez les hommes– ne voulant être consolé que par les étoiles; vous vous laissiez toucher plus facilement que convaincre et ne saviez pas commander à votre cœur...
Voici les romans de la Table Ronde. –Viviane, Lancelot, Morgane, Genèvre– imaginations héroïques et passionnées– troublaient les fileuses inoccupées dans la mélancolie des donjons. Je songe qu'ils émurent aussi un adolescent qui s'exaltait vers l'an 1200 dans la petite ville d'Assise et voulait devenir un chevalier du Graal: “Je sais que je vais devenir un grand prince!” disait à ses compagnons de plaisir, François, cette âme excessive que Dieu avait choisie, pour enseigner au monde les pures joies du renoncement et de la douce pauvreté.
A travers l'épopée carolingienne, les fées sont d'éblouissantes épées: Hauteclair, Joyeuse, Durandal... –beaux noms qui n'émeuvent plus à cause que Bornier les a célébrés dans cette Fille de Roland, dont, au collège, on nous excéda. Cependant que le petit nain vert Obéron danse encore dans les clairières, et qu'au long des poèmes de Marie de France, les fées deviennent des femmes, puisqu'elles savent aimer et souffrir, passons les Alpes avec les chevaliers français. Arrêtons-nous au seuil des jardins enchantés où les fontaines pleurent, où les terrasses élèvent leur blancheur vers un ciel qui ne change pas. L'Arioste et le Tasse les ont peuplés d'âmes violentes, qui boivent passionnément des philtres d'amour et de mort.
Mais d'abord, le conteur songe à nous faire un instant prier et rêver dans l'humble jardin d'un cloître, où les docteurs séraphiques s'émeuvent d'incomparables méditations... Écoutez ce poème en prose:
Certains jardins possèdent une grâce mystique, comme les jardins recueillis des cloîtres qui fleurissent autour d'un vieux puits dans un cadre ogival ou roman dont les fresques prient; jardins étroits et silencieux que des clôtures défendent contre les bruits du monde; où le sourire même du printemps est contenu; jardins qui semblent s'approfondir dans leur écrin d'arceaux et de colonnettes comme pour mieux prendre leur élan vers le ciel. L'odeur de l'encens y flotte sur l'arome des plates-bandes auxquelles on refuse trop d'éclat. Mais nulle part le ciel n'apparaît plus haut et plus magnifique que lorsqu'il plane, enchâssé dans ces pierres que le printemps spirituel des oraisons invite à fleurir. Point de fontaines murmurantes, mais le puits silencieux dont l'eau secrète se garde à l'ombre, éternellement fraîche et pure...
Après cette halte, nous goûterons mieux, par contraste, les fééries compliquées du Roland furieux dont s'enchantèrent les savantes princesses, les cardinaux lettrés, toute cette aristocratie voluptueuse, raffinée et brutale, chez qui l'amour fut toujours le compagnon de la mort. Bradamante, Ablante, Alcine, syllabes qui chantaient dans la mémoire des chevaliers de France revenant d'Italie!
Enfin le Tasse nous va guider dans le palais rond et les jardins de la magicienne Armide, la brûlante amoureuse qui, au bout de ses emportements et de ses délires, trouva Dieu.
Déjà l'ombre des cyprès s'allonge sur les pelouses du merveilleux jardin. Ce siècle d'ardente et cruelle volupté se meurt dans le plus magnifique décor. Et Madame Lucie-Félix-Faure Goyau nous redit cette agonie dans une page émouvante:
... L'heure s'avance, les sérénades meurent au pied des terrasses de myrtes et d'orangers, il ne reste plus que des choses éternelles: la solitude, le silence rythmé par le battement de la rague sur une grève, le pur sourire des innombrables étoiles sur la cime du mont des Oliviers, le tintement d'une cloche lointaine au campanile de quelque monastère, le premier [rougeoiment] de l'aurore au bord d'un ciel où les arbres nocturnes commencent à s'effacer... ceux qui ont lutté, souffert, aimé, pleuré, s'apaisent, guérissent, expient et se consolent...
Repassons les Alpes... car les fées vivent encore dans les provinces françaises. Les paysans les rencontrent le soir, et l'on a peur au long des veillées devant l'âtre. Une chambrière les appelle au Louvre pour endormir le petit Louis XIV, et Monsieur de Cambrai en peuple ses histoires et leur dicte les plus nobles préceptes qu'on puisse offrir aux méditations d'un jeune prince. Mais Charles Perrault va rendre les fées accessibles à tout le monde et désormais nous ne pourrons plus voir une route solitaire dans les bois, sans y voir cheminer le petit Chaperon rouge...
Oh! les tournants des grandes routes,
Et sans petit Chaperon Rouge qui chemine!...
dit quelque part Jules Laforgue. Aujourd'hui encore nous gardons l'obsession de ces vieux contes –terreur délicieuse de notre enfance– et des soirs où cela nous amusait tant d'avoir peur! –Les fées désormais seront familières, on s'intéresse à elles dans les salons et de belles dames leur prêtent les plus amusantes aventures...
Mais une gloire suprême les attendait. Un homme est venu qui a donné à leur plus humble geste une valeur infinie. Wagner a connu la splendeur de ces vieux mythes qui auraient dû inspirer une littérature chrétienne dont la Renaissance nous a frustrés.
Le prélude céleste de Lohengrin évoque de nouveau les solitudes où les chevaliers du cygne veillent sur le Graal –et dans “l'enchantement du Vendredi Saint” celle que Mme L. F. Faure-Goyau appelle “la dernière fée”: Kundry va courber enfin son front pénitent.
En l'âme tourmentée de Kundry, cette tentatrice, cette séductrice, altérée pourtant de rédemption, combien d'âmes, aujourd'hui, se sont reconnues! Qui ne connaît déjà les mots passionnés qu'elle adresse à Parsifal “Laisse-moi pleurer sur ta poitrine! que pour une heure, je m'unisse à toi; et, même si Dieu me repousse, en toi, je serai rachetée et sauvée!” Mais Parsifal crie vers le Rédempteur –et l'eau baptismale va laver l'âme pécheresse de la dernière fée.
Sans en vouloir dégager le sens chrétien, comme l'a fait si magnifiquement Madame L.-F. Faure-Goyau, Gabriel d'Annunzio commenta jadis dans le feu ce poème de Parsifal et nous révéla cette âme si compliquée, si humaine, de Kundry, pacifiée, humiliée, qui désormais ne voudra plus que servir: “la mélodie de la solitude, la mélodie de la soumission, la mélodie de la purification préparaient autour de son humilité l'enchantement du Vendredi-Saint... La femme fidèle apportait l'eau, s'agenouillait humble et ardente, lavait les pieds de l'aimé: “Servir!” la femme fidèle tirait de son sein un vase de baume, oignait les pieds de l'aimé, les essuyait avec sa chevelure défaite. “Servir!” Parsifal s'inclinait vers la pécheresse, répandait sur la tête sauvage le pur élément. Kundry éclatait en sanglots, affranchie du désir, affranchie de la malédiction...”
Mais la vérité qui jaillit de cette œuvre surhumaine, d'Annunzio n'a pas su l'exprimer, et je la trouve au contraire parfaitement définie aux dernières pages de la vie et la mort des fées: “Le baptême de Kundry et tout ce qui suit ce baptême rayonne, au-dessus des sphères d'erreur et de souffrance, au-dessus même de celles de la fiction, dans les hautes régions de l'amour et du pardon... Les Alcine et les Armide ont moins passionné la curiosité du XVe et du XVIe siècle que Kundry celle de notre XIXe siècle! Elles ne nous donnaient qu'un aspect de la corruption séductrice et somptueuse d'une époque. Mais le XIXe siècle, avec les lueurs de mysticisme qui baignèrent son couchant, se reconnaissait tout entier idéalement en Kundry, comme le XIIIe aurait pu se reconnaître en Béatrice. N'avait-elle pas de l'esprit et du cœur de son siècle, cette pélerine vagabonde qui avait ri de la croix comme une fille de Voltaire –et n'aspirait désormais qu'à pleurer auprès de la croix, comme une pénitente douloureuse, comme l'âme repentante d'un Verlaine.
Tel est ce livre étonnant, où il faut admirer des qualités que l'on a bien rarement l'occasion de voir ensemble. L'érudition y est extraordinaire, et cet article n'en peut donner qu'une faible idée puisque je n'ai pu faire même allusion aux passionnants chapitres consacrés à la féérie des cygnes blancs, à Mélusine, à la féérie polémiste, à la féérie dans l'œuvre de Shakespeare, à la féérie napolitaine, etc. Mais il semble que ces matériaux se soient réunis sans effort, comme au chant magique d'Orphée.
Un poète seul pouvait recueillir et classer dans son herbier des légendes si belles et si douces et ne leur rien enlever de leur douceur ni de leur beauté. Elles ressemblent à des étangs mystérieux sur qui le visage évanoui des vieilles races s'est penché, afin qu'ils en gardent le reflet dans leurs eaux immobiles. Mais il fallait un philosophe pour l'y découvrir et cet érudit qui par miracle est un poète est aussi, comme tous les vrais poètes, un grand philosophe...
Comment ne pas aimer cet essai d'histoire littéraire riche de faits précis, d'idées ingénieuses –et dont nos âmes peuvent s'enchanter, ainsi que du plus émouvant poème?
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Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1910-05-25
Title
A name given to the resource
La Vie et la Mort des fées
Publisher
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Revue Montalembert
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An unambiguous reference to the resource within a given context
MEL_0750
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<a href="http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32860833f.public" target="_blank">Notice bibliographique BnF</a>
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3e année, n°21, p.359-364
Creator
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François MAURIAC
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
Pdf
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Français
-
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eee5dc434058761d3d003b2e599348d8
Texte
Ressource textuelle
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V. B. Chardonnal: Pitiés et révoltes, Poèmes.
A. De Riberolles: La Ronde des idées, (édition de la Revue des Poètes).
J. R. de Brousse: La Maison sur la colline (Id.).
W. Chapman: Les Rayons du nord (Id.).
Fernand Richard: Le Christ (Plon).
André Lamandé: La vie ardente (Jouve).
Le livre de M. Chardonnal est dédié à Christ le grand rêveur de la fraternité humaine, aux aspirations prolétariennes vers un meilleur devenir, –aux ouvriers de l'idée émancipatrice– à tous les efforts socialistes de bonne volonté. La traite des blanches, le désastre de Courrières, le petit Maurice qui eut les jambes broyées par un tramway, inspirent à M. V. B. Chardonnal des vers que F. Coppée aurait peut-être aimés. On ne saurait nier qu'une belle âme généreuse et canclide s'exprime dans ces cris de révolte et de pitié.
La Ronde des idées de M. de Riberolles contient d'aimables poésies dont quelques-unes ont tout le mérite des pièces de circonstance (sur un bal de l'Opéra, pour le mariage de ma sœur, pour la fiancée de mon frère, etc.). Parmi quelques vers d'amour d'une précieuse tristesse, je recueille cette définition mélancolique:
... tous les vieux mots d'amour usés comme ces dalles
Que trop de pélerins baisèrent, en passant ...
La Maison sur la colline de M. J. R. de Brousse abrite une simple vie de poète classique, peuplée d'amitiés fidèles et d'un pur amour.
Je ne veux retenir des Rayons du nord de M. W. Chapman que la noble et sincère fidélité à la France qui s'y exprime –quelquefois avec assez de bonheur.
M. Fernand Richard a cru devoir mettre en vers –toujours solides– les récits évangéliques. Je n'oserais affirmer qu'ils y ont beaucoup gagné. Mais comme il faut le louer de n'avoir pas étranglé la parole divine dans le carcan du vers classique, et de ne l'avoir que pieusement et simplement rythmée! Les dernières pages consacrées au Christ éternel sont d'une étonnante puissance verbale et d'une noble inspiration...
Depuis dix-neuf cents ans, depuis le jour unique
Où, sur terre, des jours nouveaux furent comptés
Après quatre mille ans d'attente prophétique;
O Christ, depuis cette heure où la pensée antique
Vit l'erreur affolée et prise de panique
En face de la Croix, et de la Vérité;
Les sceptiques ont dit: “Va, ta chute est prochaine,
Beau rêveur doux et blond qu'on a pris pour un Dieu”....
Je parlerai plus longuement ailleurs du nouveau poème d'André Lamandé, La vie ardente. Ce livre respire, si j'ose dire, la santé. A. Lamandé ne s'attarde pas à nous confier les vaines mélancolies, les tristesses sans cause, les émotions ténues de chaque jour. Son poème ne séduira guère les âmes déçues, les cœurs désenchantés, ni tous ceux qui exigent de la poésie qu'elle exprime, mieux qu'ils ne le pourraient faire, leur pauvre existence tourmentée. Il plaira aux esprits sains qui travaillent dans la joie, la certitude et la paix.
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The Dublin Core metadata element set is common to all Omeka records, including items, files, and collections. For more information see, http://dublincore.org/documents/dces/.
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1910-05-25
Title
A name given to the resource
Notes sur quelques livres de poésie
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Revue Montalembert
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
MEL_0751
Relation
A related resource
<a href="http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32860833f.public" target="_blank">Notice bibliographique BnF</a>
Source
A related resource from which the described resource is derived
3e année, n°21, p.365-366
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
François MAURIAC
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
Pdf
Language
A language of the resource
Français