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Religion
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L'hiver est la saison qu'enfant j'ai le moins connue : Pâques nous dévoilait le printemps, dans ces landes où les chênes noirs sont encore en avril vêtus de feuilles mortes, et où le renouveau ne se décèle qu'à l'odeur du vent, à cette fumée à peine verte des premiers bourgeons, au bord des ruisseaux. Pour l'été, il nous était familier, à mes frères et à moi, comme aux jeunes Hébreux la fournaise du roi Nabuchodonosor. Nous ne pouvions nous promener pieds nus dans le sable surchauffé. Les pins nous retenaient prisonniers avec le feu, et il suffisait au soleil d'un éclat de verre pour allumer des milliers de torches jusqu'à l'océan.
L'automne nous délivrait : il était le miracle du Dieu qui obligea Nabuchodonosor debout sur le seuil de la fournai ardente, à crier aux trois enfants : « Chadrac, Meschac, Abed-Nego, serviteurs du Dieu suprême, sortez et venez ! » Ainsi nous parlait l'automne, et nous sortions, et nous venions. Des brumes s'élevaient dès quatre heures du ruisseau et de la prairie qu'il inonde. L'année future était devant nous pleine de bonheur : la nouvelle classe, le professeur inconnu, et dans la cour de récréation, tous ces amis encore sans visage.
L'hiver seul me fut toujours étranger. Durant les mois où il règne sur nos contrées, j'étais séparé de la nature, prisonnier d'une ville pluvieuse. L'ai-je jamais contemplé face à face dans sa nudité? J'ignorais cette odeur de l'argile, quand la vie végétale est suspendue et qu'il nous est donné de respirer la terre toute pure.
Du moins ne l'ai-je connu qu'en de rares circonstances, lorsque j'étais un peu souffrant et que ma mère, obligée d'aller « régler ses gemmes » ou compter des pins, m'amenait avec elle. Le pays des grandes vacances, qui était pour moi celui de la torpeur et de la soif, m'apparaissait soudain comme dans un autre monde, frappé de froid et d'éternité. Une vapeur me cachait les cimes. Les prés inondés luisaient au bord du ruisseau inaccessible. Nos chapeaux de soleil dans le vestibule glacé attendaient les vacances futures. Je troublais le mystère d'une métamorphose, j'avais franchi hors du temps un seuil interdit. Le soir, les draps glacés de cette maison morte me donnaient des idées de suaire et d'ensevelissement. Le silence de l'hiver faisait peur au sommeil et, les yeux ouverts dans le noir, je me souvenais de cet immense chant d'amour des nuits d'été.
Le train du retour partait à l'aube. Le vieil Ardouin entrait avec une bougie. De métairie en métairie, les coqs saluaient une sombre aurore. Dans quelques heures, ce serait de nouveau la ville, le collège, les garçons indifférents ou durs, les professeurs implacables. Le songe de l'hiver se refermait sur le pays des vacances ; les chapeaux de soleil restaient accrochés dans le vestibule.
La neige à Bordeaux me laisse le souvenir d'un miracle manqué, car elle tombait à demi-fondue. La haine que j'en garde encore après tant d'années, vient peut-être de ce qu'au commencement de ma vie elle ne fut pour moi qu'une boue glacée. Rimbaud redoutait l'hiver « parce que c'est la saison du confort ». Et moi, enfant choyé, adolescent bourgeois, je comprends cette rancune de vagabond comme si au bord d'une route, j'avais rompu avec lui son pain trempé de pluie.
L'hiver était mon ennemi : il gonflait mes mains et mes pieds d'engelures. Il me semble que les enfants d'aujourd'hui n'ont plus de ces pauvres doigts crevassés. Au petit jour, mes pieds enflés n'entraient qu'au prix d'une torture dans les souliers encore humides. Tandis que les « forts » se réchauffaient autour du ballon, je grelottais sous ma pèlerine, dans un coin de la cour : « Je me rappelle qu'à dix ans, quand je pleurais contre le poteau de gauche, sous le hangar, au fond de la cour des petits... » J'ai d'abord aimé Barrés pour cette phrase de Sous l’œil des barbares et elle résume la connaissance, qu'enfant, j'ai eue de l'hiver : des pleurs sur ma figure gercée, une misère physique de petit pauvre.
Toute joie, en cette saison, naissait de ce qui me défendait contre son atteinte : les flambées, dans la chambre de maman, ces lampes si douces d'autrefois dont la flamme s'étirait dans le verre, ce livre de Jules Verne ou un Saint-Nicolas relié des années 1890 sur mes genoux, et durant les vacances du Jour de l'An, ce sac de chocolats à portée de ma main. Alors les sirènes des bateaux dans la brume devenaient le cri impuissant de la saison qu'on appelait mauvaise, dont j'étais délivré pour un peu de temps, et qui fouettait d'une furieuse pluie les vitres de ma chambre. Mais elle savait bien que, le congé fini, elle m'aurait au petit jour.
Je la haïssais surtout pour ses matins sombres. « Mais vrai, j'ai trop pleuré : les aubes sont navrantes... » Je n'ai pas fini encore d'épuiser, à l'âge où je suis parvenu, la joie de cette revanche : me lever tard. L'hiver m'arrachait de mon lit avant six heures, en plein sommeil, dans un sépulcre qu'éclairait la petite flamme d'une lampe Pigeon. J'écartais les rideaux et n'imaginais pas que cette naissance d'un jour aussi morne pût procéder de la nature bien-aimée. L'aube d'hiver ne naissait pas au bas du ciel. Je la voyais sourdre des tuiles luisantes, monter d'entre les pavés mouillés. La respiration de milliers d'hommes mal éveillés se condensait, formait ce halo au-dessus de la ville, cette brume de fatigue et de tristesse.
Et pourtant il m'arriva, au collège, de surprendre la merveille de l'hiver en de brèves minutes, et de contempler son vrai visage. Mais ce ne fut jamais, comme avec les autres saisons, une possession longue et paisible. L'hiver ne se révéla à moi qu'en des rencontres furtives. Je le voyais tout à coup : il m'apparaissait aux vitres embuées de la longue étude du soir, et me faisait signe.
Dans l'odeur de métal chauffé, de pensionnaires jamais lavés, de buvard et d'encre, ma figure se tournait vers la fenêtre où je voyais les branches noires du platane et une étoile qui palpitait. Je levais le doigt ; le surveillant inclinait la tête. Le froid me guettait dès le seuil. Ce souffle glacé sur ma figure était une purification avant le mystère. Je traversais àpetits pas la cour vide. Au delà de la barrière, les arbres dénudés ne cachaient pas le ciel. Rien que ce sol piétiné, ce préau sombre où restait suspendue une pèlerine oubliée. Je surprenais une odeur de pierre, d'asphalte, d'argile, l'odeur secrète de la saison sans feuilles, le parfum hivernal. Absence de tout ce qui nous cache Dieu ! L'enfant, en pleine étude du soir, demande de sortir pour un humble besoin ; et durant cette traversée furtive de la cour, il retrouve l'éternité. Plus tard, j'ai compris pourquoi un Psichari, un père de Foucauld ont retrouvé Dieu dans le désert, en me rappelant ces minutes de mon adolescence où la nature dépouillée me livrait l'Être Infini.
Toutes les autres saisons sont complices de la chair. Le printemps est au dedans de nous. Il confond dans un même règne les arbres et les hommes, et les soumet aux mêmes lois. Cette marée de sang et de sève qu'il a reçu pouvoir d'arracher au monde, il l'exige aveuglément des plantes, des bêtes et de l'animal humain, sans se souvenir des cœurs souffrants, des esprits et des âmes qui s'y débattent. L'été est mortel aux bonnes pensées. Seules les passions veillent dans cette canicule. Elles grondent au fond des corps. L'absence de Dieu pèse sur la campagne morte. La sieste ne frappe de sa stupeur que les hommes qui travaillent à la sueur de leur front, mais non les enfants oisifs : « Où vas-tu par cette chaleur ? demandait ma mère. On ne sort même pas les bœufs ; et toi, tu cours les routes... » Je courais les routes, tous les faux dieux devenaient vrais : ils riaient derrière les feuilles, ils mordaient à pleines lèvres dans les grappes.
Pour l'automne, il nourrissait les regrets de nos cœurs, nous endormait dans des odeurs de pourriture et de néant. L'hiver seul, le temps de traverser la vieille cour, m'aura montré la face du Père. Je me demande s'il existe beaucoup d'hommes qui ont reçu le bienfait de ces illuminations : ceux-là seulement peuvent me comprendre. En apparence, il ne se passe rien. Ce sont les platanes du collège, c'est le ciel familier et la palpitation diffuse des mondes sans pensée. Le petit garçon, au milieu de la cour, ramasse un papier d'argent qui luit. Le relent des latrines s'unit à celui du gravier froid et du bitume. Et pourtant les apparences s'amincissent jusqu'à n'être plus qu'une plaque de verre, une feuille d'étain ; derrière la mince paroi du monde visible, déferle un amour sans rivage. Évidence tout à coup, certitude que cet amour existe vers lequel nous tendons de toutes les forces de notre cœur et de notre esprit. C'est l'hiver : Dieu a arraché les feuilles épaisses de devant sa Face dont la lumière fuse à travers l'ossature des arbres. Cette vérité que Rimbaud sentait autour de lui avec tous ses anges pleurant, elle est là, elle respire, à portée de nos mains, de notre bouche ; l'enfant étend un peu les bras... Mais un tramway sonne au loin ; de toutes ses fenêtres le grand collège flambe. C'est fini : il faut rentrer dans la vie qui n'est pas la vie...
Que c'est loin derrière moi ! Et maintenant je marche vers un autre hiver : cet hiver dont la mort sera le printemps. La vieillesse devrait être cette révélation de Dieu que je viens de décrire. Comme je m'étonnais, enfant, durant une nuit de décembre passée à la campagne, de ne pas entendre les prairies murmurantes, je m'étonne aujourd'hui de ce silence grandissant sur ma vie : passions engourdies, insectes morts... Voici la saison sans amour où d'un pas hésitant je pénètre. Beaucoup d'hommes vont à la vieillesse par un glissement insensible. Je voudrais ne rien perdre de cet hiver qui ne finira pas et que rien de ce qu'il doit me révéler ne soit perdu. Si vous faites le silence en nous et autour de nous, mon Dieu, n'est-ce pas pour que nous vous entendions? Qu'importent les haillons de nos péchés, si nous les avons arrachés de notre corps, et si nous demeurons nus et grelottants en votre présence? « Le sacrifice selon Dieu, c'est un esprit brisé. Le cœur contrit et brisé, vous ne le méprisez jamais. » Seule, l'arrière-saison de la vie nous brise sans espoir de retour. Il faudra bien que la vieille passion crève d'un tel froid, que son cadavre glacé n'ait même plus d'odeur.
Nous plaignons les enfants morts avant l'âge de l'amour. Qui sait s'il ne faudrait pas les plaindre plutôt de n'avoir pas connu l'approche de la grande paix, ce silence du déclin, cet élargissement d'une destinée à son embouchure, lorsqu'elle se jette dans l'océan et dans la nuit de Dieu ?
De même que dans la cour de récréation, sous les platanes sans feuilles, aucun parfum végétal ne nous empêchait plus de sentir l'odeur de l'argile, la mort des passions et la paix qui succède à leur tumulte rendent attentif l'homme vieillissant à un charme venu d'ailleurs.
Mais n'est-ce une illusion ? Durant les nuits muettes de l'hiver, à la campagne, la profondeur même du silence enfantait des voix ; je ne savais si cette lamentation c'était l'océan dans la nuit, ou les cimes des pins livrés au vent d'ouest, ou simplement, contre mon oreille, le bourdonnement de mon sang. Est-ce vous qui criez en moi ou est-ce le besoin que j'ai de vous ? Ce vieux cœur insatiable des hommes et que la vie presque toujours a laissé sur sa faim, reconnaissez-le : avide de tout, et même quelquefois de cette vieillesse où il aborde et dont il attend il ne sait quelle révélation infinie. Trompé presque toujours, dupé à un degré que vous êtes seul à connaître, il ne se console pas de son avril trouble, de cette jeunesse étriquée et sournoise. Pour l'été, il en découvre derrière lui le désert de cendres. Quand l'homme se tourne vers cette canicule de sa vie, il voit sur l'azur terne monter la colonne sombre de ce feu qui n'était pas celui que vous êtes venu allumer sur la terre : mornes incendies qu'on ne finit jamais d'éteindre tout à fait et qui couvent, et reprennent jusqu'à ce que vienne l'automne.
L'automne est venu enfin et voici que j'ai récolté quelques fruits amers. Et maintenant la saison approche qui ne nous trompera plus. Plus rien à attendre en ce monde que la révélation de l'hiver.
Mais, poète, méfie-toi des mots qui sont tes jouets. Souviens-toi que les chênes antiques n'éprouvent pas moins que les arbrisseaux le printemps redoutable, et que leurs cimes aussi souffrent de tous ces bourgeons lentement dépliés. L'hiver de tout repos n'existe pas. La vieillesse est travaillée par la vie infatigable de ce cœur créé à la mesure d'un printemps éternel. Méfie-toi de son dernier battement. Aussi vieux que tu vives, tu auras jusqu'à la fin besoin d'être sauvé à chaque seconde. Ne te rassure ni sur ton visage éphémère ni sur ce corps détruit, déjà à demi englouti. Mais accueille cette consolation : peut-être l'hiver est-il la saison du plus grand amour : « Au soir de ta vie, tu seras jugé sur l’amour... » Cet avertissement de saint Jean-de-la-Croix nous est adressé au seuil du dernier hiver. Voici le temps, non de la sécheresse ni des sources gelées, mais de la tendresse purifiée, et du don de nous-même à toute créature qui nous approche. Voici le temps où Dieu ne connaîtra plus de rival dans ce vieillard dont l'aspect rebute les jeunes créatures. Mais vous, aucune corruption ne vous a jamais fait reculer, petite hostie que je regarde parfois s'engouffrer dans de vieilles bouches effroyables. C'est à vous que j'aime adresser une sublime prière de sainte Gertrude, telle que me l'a enseignée l'image mortuaire de Francis Jammes : « O Jésus mon amour, amour du soir de ma vie, réjouissez-moi de votre vue à l'heure de mon départ. O mon Jésus du soir, faites-moi m'endormir en vous d'un sommeil tranquille... »
C'est à ce Dieu du soir que nous disons : « Reste avec nous car le jour baisse... » C'est le Dieu d'Emmaüs qui sort blessé d'entre les mains des hommes, comme nous en sortons nous aussi pour pénétrer dans le dépouillement de l'hiver et de la nuit.
Ainsi nous prenions les palombes après le coucher du soleil lorsque arrivées au bout de leur effort, elles s'abattent dans les vieux chênes ; ainsi le chasseur des âmes les attend au déclin quand on commence à dire de nous ce que nous disions du vol hésitant et lourd des palombes : « Il baisse... » Oui, il baisse, il va se poser, vous n'avez qu'à étendre la main.
Faites que dans le calme de mon hiver, dans le silence pro¬ fond des nuits qui précèdent votre nuit, toutes les passions ayant fini de donner de la voix, j'entende enfin l'immense gémissement des hommes crucifiés par d'autres hommes. Laissez-nous un peu de temps pour vous servir en eux. Qu'elles se fraient enfin une route à travers tant de pierres accumulées, cette faim et cette soif de justice que nous refoulons depuis que nous sommes au monde, afin d'être tout entiers au service de nos convoitises. Faites qu'en cette dernière saison de notre
vie avant le grand repos, nous ne goûtions plus de repos, et que les crimes du monde nous interdisent de ressentir ses délices.
Peut-être cette douzaine d'années qui me séparent encore de la vraie vieillesse m'empêchent-elles de la considérer sous l'aspect du supplice dont Michelet s'effrayait. Que l'hiver nous apparaissait beau, à la fin des grandes vacances, quand mes frères et moi nous faisions au crépuscule un dernier tour de parc, le cœur plein de la plus folle attente ! Et au lieu de la merveille attendue, ce que les sombres mois recélaient dans leurs flancs, ce fut ces levers dans les ténèbres, un ruissellement sans fin contre les vitres où le petit jour terne appuyait son front souillé.
Mais non ! Je crois à la promesse de l'hiver où vous nous attendez. Déjà son approche se manifeste par des signes - par ce signe surtout que nous n'espérons plus des créatures, ce que seul vous pouvez nous donner. L'homme, pénétré de cette certitude que nul ne tient plus à lui, si ce n'est pour les raisons qui ne sont pas celles du cœur, est enfin préparé à ne rien perdre de ce que lui révéleront les derniers jours de son voyage sur la terre.
C'était un enfant qui était parti à l'aube, dans le chant des merles, l'enfant dont parle Baudelaire en des vers qui me sont chers entre tous :
II joue avec le vent, cause avec le nuage,
Et s'enivre en chantant du chemin de la Croix;
Et l'Esprit qui le suit dans son pèlerinage
Pleure de le voir gai comme un oiseau des bois.
Les oiseaux ont fui, ou ils se sont tus, ou ils sont morts de froid... Mais aux yeux du Père, ce vieil homme chauve et à la figure consumée, c'est encore l'enfant du départ, un enfant qui ne joue plus et qui ne sait plus rire. Car nous n'avons pas le temps de sortir de l'enfance et la mère qui nous a précédé nous reconnaîtra au premier regard.
L'aile immense de la neige couve les germes, les sources cachées, le sommeil des bêtes enfouies. L'apparente mort couve la vie. La saison sans amour nous arme pour une révélation ineffable.
Quand sera venue la dernière heure du dernier hiver, donnez nous la force de ne pas nous retourner vers le tumulte des survivants. Donnez-nous la confiance tremblante du fils qui n'a pas peur de son père, autant qu'il l'ait offensé. Faites que la dernière parole humaine retenue par cette âme avant que votre silence l'ait recouverte, soit l'adjuration de la prière des agonisants : « Ne vous souvenez point de ses iniquités d'autrefois, ni des égarements où l’ont entraîné la violence et l’ardeur de ses passions, car si elle a péché, elle n a cependant jamais renié ni le Père, ni le Fils, ni l’Esprit ; mais elle a cru, elle a aimé son Dieu. »
Il sera l'écolier toujours en retard, assis sur la pierre du seuil, jusqu'à ce que le Maître lui ouvre. Il ne possède rien, hors cette besace pleine de livres et de cahiers raturés. Il ne rapporte rien, hors ce visage et ce cœur marqués et brûlés par toute une vie de désirs. Mais il a cru en votre cœur et en votre visage tout près de lui maintenant, et dont il attend la manifestation de seconde en seconde, avec un tremblant amour.
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Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1939-08-01
Title
A name given to the resource
Saisons
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Revue de Paris
Source
A related resource from which the described resource is derived
46e année, n°15, p.481-489
Type
The nature or genre of the resource
Chronique
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
François MAURIAC
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
Pdf
Language
A language of the resource
Français
Relation
A related resource
<a href="http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34404247s/PUBLIC" target="_blank">Notice bibliographique BnF<br /></a>Repris avec le titre "Hiver" :<br />in, p.69-88, <em>La Guirlande des années : Images d'hier et pages d'aujourd'hui</em>, Paris : Flammarion, 1941.<br />in, p.341-350, <em>Oeuvres complètes, IV,</em> Paris : Fayard, 1950-1956.<br />in, p.911-921, in <em>Oeuvres romanesques et théâtrales complètes,3</em>, Paris : Gallimard, 1978-1985.<br /><br />
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
MEL_0617
Subject
The topic of the resource
enfance, Bordeaux, campagne, collège, vieillesse, Dieu
Description
An account of the resource
Au milieu de sa vie, François Mauriac organise ses souvenirs de l’enfance et du collège à partir du rythme des saisons et de ses sensations. Cela le conduit à élargir sa réflexion aux saisons de sa vie, et sa vieillesse approchant, il s’aperçoit que l’hiver est la saison la plus favorable pour rencontrer l’amour divin.
Bordeaux
campagne
collège
Dieu
enfance et adolescence
vieillesse
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https://mauriac-en-ligne.huma-num.fr/files/original/9c216ef2e14e48a86febe5db5ac7d9b9.pdf
a9e10f6d6b6ef3f216fb735c68428f12
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Title
A name given to the resource
Aquitaine
Texte
Ressource textuelle
Text
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D'âme si pudique et, par bien des côtés, si secrète, Jacques Rivière pourtant nous avait tous entraînés à la recherche, à la découverte de son secret. D'autres ont pu souhaiter de se connaître avec la même passion; nul ne l'a fait à ciel ouvert, comme Rivière: il ne fut un critique si persévérant, si pénétrant, que parce qu'il avait besoin de tous ses maîtres, de tous ses camarades pour descendre plus avant dans son cœur; mais il n'a jamais rien aliéné de lui-même. Son privilège de voir directement dans l'esprit des créateurs, ce don admirable, fit illusion à quelques-uns. Ils crurent qu'une telle intelligence d'autrui, une si lucide adhésion à certains hommes, à certaines œuvres devait être le signe d'un abandonnement sans reprise. Au vrai, sa grandeur —peut-être sa misère— fut de ne pouvoir être le disciple de personne: il n'a rien atteint jamais —fût-ce l'Immuable— qu'il n'ait résolu de dépasser. Il s'abîmait dans une œuvre, mais comme le plongeur coule droit sur ce qu'il cherche puis, d'un seul coup, remonte, s'efforce vers la rive, s'éloigne sans tourner la tête. Grâce au levain de Claudel, à celui de Gide, fermentent en lui des sentiments extrêmes, incompatibles, désormais soumis à son contrôle. Gide l'aide à se délivrer de Claudel et de Péguy; Claudel et Péguy à se délivrer de Gide; Proust et Freud l'entraînent loin des trois autres; et déjà, à certains signes, je discernais qu'il commençait à se déprendre de Proust. Ces maîtres qu'il ne s'interrompait pas d'aimer ni d'admirer, il n'en avait plus besoin, il avait tiré d'eux tout l'assimilable. Dans ce perpétuel effort pour “créer son âme telle qu'elle est” il brûle tout ce qui fut objet de sa connaissance et de sa dilection. En amitié même, s'il ne cesse pas de chérir ses amis, il s'éloigne pourtant dès que semble être en jeu son intégrité: “ Dure tâche que de s'accomplir! Que de liens il faut briser! Que de contacts il faut rompre! Comme il est seul, l'homme en qui bouge le pauvre et impérieux devoir de créer!”
“Je suis effroyablement autonome”, m'écrivait-il un jour. Voilà le vrai: il ne subissait aucune autre loi que la sienne, mais qu'il se l'imposait durement! Une dure loi, —rien qui ressemble moins à ce jeu vertigineux de Gide entre l'abîme et le ciel. Tout l'effort de Rivière, en ces dernières années, parut contrarier sa tendance profonde. Ce chrétien s'efforçait de redevenir un Grec (au sens nietszchéen): il avait relevé ses barrières critiques, naguère abattues dans un temps de pénitence, d'agenouillement et de larmes. Il s'acharnait à détruire cette surnature jusqu'où le Christianisme nous oblige d'atteindre; non plus la sainteté, mais la simple sagesse et l'adaptation à la vie; non plus cette aspiration infinie, mais le contentement dans les limites des sens et de l'intelligence. Il avait pris en horreur le drame —celui qu'on surajoute à ses difficultés intérieures pour les magnifier, pour en faire quelque chose d'intéressant. Il se persuadait que ce que les hommes appellent plaisir, bonheur, si l'on peut s'arranger pour les atteindre, sont ce qui existe de plus intéressant au monde. Ainsi Rivière prenait parti contre son âme. En vain m'écrivait-il qu'il éprouvait de la honte pour tout le temps perdu à croire le bonheur impossible: rien ne pouvait empêcher que de toute éternité, il appartînt à la race de ceux aux yeux desquels ce que les hommes appellent bonheur, n'est pas le bonheur, mais “cette chose à la place du bonheur”, comme il est écrit dans Partage de Midi. Toute la question est de savoir si cette exigence démesurée que Rivière cherche à détruire, une hérédité chrétienne l'a mise en nous, l'a surajoutée à notre nature, si l'éducation religieuse l'exaspère, si l'Église entretient savamment un appétit qu'elle seule se sait capable d'assouvir (et alors Rivière aurait pu arracher de soi, éliminer ce poison) —ou si, au contraire, cette exigence nous est consubstantielle au point que la soif qu'apaise le Christ, les grands Anciens, avant qu'il vienne, en subissaient déjà le tourment.
Existe-t-il entre la Révélation et la nature de l'homme, une essentielle conformité? Si elle existe, cette conformité, qui, mieux que notre Rivière, l'aurait dû reconnaître, lui “qu'aucune ruine n'arrivait à distraire de sa manie d'attention et qui se jetait sur ses pires mésaventures comme sur une proie”? Et en effet, il l'a reconnue —surtout dans ses années de guerre et de captivité où tant de misère lui rendit l'intelligence de la Croix. Mais rappelons-nous ce cri de Pascal: “Que de natures en celle de l'homme! que de vocations!” Voilà le piège où semblait pris Rivière: ce goût de dénombrer en lui des vocations antagonistes; le pire est qu'une telle méthode l'obligeait à perdre sur les deux tableaux; car en même temps qu'il s'interdisait l'approche de Dieu, le bonheur humain se refusait à sa poursuite: cette passion de l'amour, qu'une telle furie d'analyse ne détruit pas sans doute, qu'elle excite même, mais surtout qu'elle paralyse, qu'elle frustre de la conquête et de l'assouvissement.
“Mourir, gémissait-il, céder la place à cette monstrueuse combinaison de sentiments qui occupe mon cœur et que je ne saurai jamais dénouer...” Si nous connaissions parfaitement un être, sans doute serions-nous avertis lorsque sa mort est proche. Je songe à tous mes amis que cela seul a pu guérir: passer à la vie éternelle. Jacques Rivière m'écrivait un jour: “Je me suis senti trop délaissé...” Celui dont il se croyait délaissé s'approchait terriblement de son corps et de son âme et, à leur insu, les préparait. Parmi tant de raisons qui eussent dû lui inspirer de la joie, de l'orgueil, notre ami éprouvait un étrange détachement sans tristesse; il répétait que sa femme, que ses enfants le retenaient seuls. Aussi détaché qu'il fût, nous savons ce que lui a coûté son arrachement au monde. Peut-être fallait-il que Jacques Rivière connût un tel martyre pour pouvoir jeter ce grand cri de délivrance, comme s'éloignait le prêtre qui l'avait absous : “Et maintenant, je sais que je suis miraculeusement sauvé.”
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Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1925-04-01
Title
A name given to the resource
Anima naturaliter christiana
Publisher
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NRF
Identifier
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MEL_0576
Source
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12e année, n°139, p.465-468
Type
The nature or genre of the resource
Portrait
Creator
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François MAURIAC
Relation
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<a href="http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32826254c/PUBLIC" target="_blank">Notice bibliographique BnF</a><br /><span>Repris p.9-17 in,<span class="apple-converted-space"> </span></span><em><span>Le Tourment de Jacques Rivière,</span></em><span class="apple-converted-space"><span> </span></span><span>Strasbourg : La Nuée bleue, 1926.</span><span><br /><span>Repris p.91-100, in<span class="apple-converted-space"> </span></span><em>Du côté de chez Proust,</em><span class="apple-converted-space"><span> </span></span><span>Paris : La Table ronde, 1947.</span><br /><span>Repris p.298-301, in<span class="apple-converted-space"> </span></span><em>Oeuvres complètes, IV,</em><span> </span>Paris : Fayard, 1950-1956.<br /> Repris p.225-228, in<span class="apple-converted-space"> </span><em>Ecrits intimes,</em><span class="apple-converted-space"> </span>Paris-Genève : La Palatine, 1953.<br /> Repris p.296-299, in <em>Oeuvres romanesques et théâtrales complètes, 5</em><span>, Paris : Gallimard, 1978-1985.</span></span>
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
Pdf
Language
A language of the resource
Français
Subject
The topic of the resource
Jacques Rivière, mort, Dieu
Description
An account of the resource
Dans ce texte paru dans le numéro d’hommage à Jacques Rivière que la NRF consacra à son directeur qui venait de mourir, François Mauriac essaie de comprendre celui qui, bordelais comme lui, fut un ami qui resta toujours un peu lointain. Il pense que c’est l’exigence même de sa conception critique qui fit de Rivière un être toujours à la recherche de lui-même, et il essaie d’imaginer un Rivière trouvant sur son lit de mort l’apaisement divin.
Dieu
Jacques Rivière
mort
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b39864919ca9a91e18c43dcc29e0bebe
Dublin Core
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A name given to the resource
Christianisme
Texte
Ressource textuelle
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Après la mort de Blaise Pascal, et même après que fut publié le manuscrit des Pensées, si son génie était hors de discussion, il demeurait tout de même, aux yeux de beaucoup, l'homme d'un parti. I1 fallut le coup d'œil de Voltaire pour discerner dans le grand homme de Port-Royal, dans l'ennemi des Molinistes, le chef qui, bientôt, rallierait toutes les forces, vives du catholicisme français. Voulant abattre « l'infâme », Voltaire vit bien quelle tête sublime devait recevoir le premier coup. Ce n'est pas que d'abord il n'ai haï en Pascal le janséniste, l'insulteur des Pères à qui il était redevable d'avoir fait de si solides humanités. Il se souvenait avec gratitude du collège de Clermont et connaissait sa dette envers les P. P. Porée, Tournemine et Toulié. Il aimait justement dans les jésuites ce qui les rendait haïssables à Pascal et les approuvait de ce que la religion devenait, grâce à eux, plus souple, moins sûre de soi. Dans Le Siècle de Louis XIV, il prétend les absoudre de tout ce dont les accuse Pascal ; « Il est vrai que tout le livre, portait sur un fondement faux : on attribuait adroitement à toute la Société les opinions extravagantes de plusieurs jésuites espagnols et flamands. On les aurait déterrées aussi bien chez les casuistes dominicains et franciscains... Mais il ne s'agissait pas d'avoir raison, il s'agissait de divertir le public. » Rien ne fut jamais si odieux à Voltaire que les terribles robins jansénistes du Parlement. Là, d'ailleurs, peut-être manqua-t-il de flair. Car ce qu'il appelait « l'infâme », cette religion tant haïe, portait en elle (du moins en France) un germe mortel qui était justement le jansénisme, et du point de vue de Voltaire, une habile politique du pire eût peut-être été de ne pas le combattre. Outre qu'il y a sans doute une hérédité janséniste dans quelques-unes des formes du modernisme, on ne saurait trop répéter que, triomphante, la doctrine de Port-Royal eût fait le désert dans l'Eglise : car comment vivre sous la loi de la terreur et du désespoir ? Si notre Pascal, qui a osé écrire : « On n'entend rien aux ouvrages de Dieu, si on ne prend pas pour principe qu'il a voulu aveugler les uns et éclairer les autres », et encore : « il y a assez de clarté pour éclairer les élus et assez d'obscurité pour les humilier. Il y a assez d'obscurité pour aveugler les réprouvés et assez de clarté pour les condamner et les rendre inexcusables... » Si Pascal, tout de même, a pleuré joie, c'était qu'il avait eu, par le miracle de la sainte Epine et par sa nuit du lundi 23 novembre 1654, l'assurance d'être éternellement choisi, d'être gracié (ce terme judiciaire pourrait venir du mot « grâce » au sens de Jansénius). Oui, Voltaire, pour détruire plus sûrement le Christianisme, aurait dû soutenir cette doctrine effroyable qui incitait M. de Saint-Cyran à se féliciter ainsi de la mort en bas-âge de sa propre nièce : « Il arrive rarement qu'un « seul se sauve dans une grande et nombreuse famille, et la succession des damnés de l’autre monde est quelquefois, de père en fils, aussi longue que la durée de la famille : ce qui arrive presque toujours dans les maisons des riches, et peut-être nuls ne se sauveront, s'ils demeurent dans le train du monde, que ceux qui meurent en bas-âge. » (Recueil de plusieurs pièces pour servir à l'histoire de Port-Royal, Utrecht, 1740.)
Mais le faible de Voltaire pour ses anciens maîtres et son horreur des Jansénistes n'eussent pas suffi à le déchaîner contre Pascal, s'il n'avait su prévoir les milliers d'âmes orientées, violentées dans les siècles futurs, par cette logique passionnée ; s'il n'avait compris que ce chasseur au service de « l'infâme » chasserait sur les propres terres de l'Encyclopédie, et qu'il ferait s'écrouler au pied de la croix du Christ des savants, des artistes, des philosophes.
Rendons-lui cette justice que, à part quelques propos aventurés touchant l'abîme et la folie de Pascal, Voltaire n'a jamais tenté de rabaisser un si superbe ennemi. « Il y a déjà longtemps que j'ai envie de combattre ce géant — écrit-il à Formont (juin 1733) — il n'y a guerrier si bien armé qu'on ne puisse percer au défaut de la cuirasse... » Ainsi s'avance vers le Goliath chrétien ce David gringalet armé de la fronde du bon sens. Il le toise et il l'admire. Admiration littéraire d'abord ; et s'il est vrai qu'un auteur n'admire que soi même dans les autres, n'y a-t-il pas déjà du Voltaire dans la verve des Provinciales ? Ces deux esprits irréductibles, la même terre latine les a nourris. A propos des premières « petites lettres », Arouet prononce le nom de Molière, ce qui est se reconnaître avec Pascal un père commun. Il accorde ailleurs à son ennemi « toutes les éloquences », et les manuels de littérature ont reproduit cent fois le jugement de Voltaire qui fait dater des Provinciales la fixation du langage.
Il ne méconnaissait donc .pas le génie auquel il consacra ses fameuses Remarques que l'on trouve jointes à ses Lettres Philosophiques, et dont Sainte-Beuve a dit, avec quelque exagération, mais en une image saisissante : « qu'elles prennent Pascal au vif sous le « cilice. » Pour mesurer la passion de Voltaire à cette époque, il faut se reporter à sa correspondance : « Va, va Pascal ! Laisse-moi faire ! — s'écrie-t-il dans une lettre à d'Argental (mai 1734) — Tu as un chapitre sur les prophètes où il n'y a pas l'ombre de bon sens. Attends ! Attends ! » (il faut avouer que ce Voltaire furibond est assez charmant.) En avril, il écrivait à Maupertuis « Savez-vous que j'ai fait prodigieusement grâce à ce Pascal ? De toutes les prophéties qu'il rapporte, il n'y en a pas une qui puisse s'appliquer honnêtement à Jésus-Christ. Son chapitre sur les miracles est un persiflage. Cependant, je n'ai rien dit, et l'on crie. » Voltaire, en effet, ne cache pas à Formont qu'il aura la prudence de ne pas toucher dans les Pensées aux sujets dangereux. « Je m'y prendrai avec précaution. Je ne critiquerai que des endroits qui ne seront pas tellement liés avec notre sainte religion qu'on ne puisse déchirer la peau de Pascal sans faire saigner le christianisme. » (Juin 1733.)
Mais ici, la prudence l'a servi, puisqu'elle lui a fait justement négliger les parties caduques de l'apologétique pascalienne (prophéties), pour s'attacher à l'essentiel, et que lui-même fait tenir à peu près dans ces deux propositions ; 1° Il ne suffit pas, comme le veut Pascal qu'une religion, tienne compte de la nature humaine pour être vraie ; 2° Cette double nature humaine qu’imagine Pascal et qui, selon lui, rend nécessaire le christianisme, n'existe pas. Sur la première au moins de ces propositions, un théologien serait d'accord avec Voltaire qui, d'ailleurs, s'en explique justement dans une lettre à son ancien maître, le Père Tournemine. Le vrai est que Pascal ne l'a pas non plus soutenue sous cette forme absolue.
La conformité entre la nature .humaine et catholicisme ne prouve pas la vérité de cette religion, ni qu'elle soit révélée, mais retient l'esprit et l'excite à chercher plus avant de ce côté, plutôt que d'un autre. Autant nous intéresse peu l'argument qui fut tiré plus des avantages moraux et sociaux du christianisme (car une erreur, fût-elle bienfaisante ne vaut pas qu’on lui sacrifie une minute de plaisir) autant nous frappe la correspondance de clef à serrure que Pascal, le premier, a montré entre notre nature et la doctrine de l'Eglise. Et l’on sait tout le parti qu'en ont tiré, de nos jours des apologistes, comme cet étonnant Chesterton, dont il faut toujours citer ce passage fameux : « Lorsque nous trouvons quelque chose de singulier dans le christianisme, c’est finalement qu'il y a quelque chose de singulier dans la réalité... »
Mais le plus piquant est de voir le futur auteur de Candide, et qui devait administrer aux optimistes de si belles étrivières, se choquer du tableau trop noir que Pascal nous trace de l'homme et dénoncer ce « misanthrope sublime ». Contre Pascal, Voltaire serait tenté de soutenir que ce monde est le meilleur possible ! C'est vrai qu'il est jeune alors, et que c'est le temps de la douceur de vivre ! Nul, en ces frivoles années, ne songe à rien prendre au tragique. Pourquoi se désespérer de ce que nous ignorons la nature de notre pensée ? Quant au silence éternel des espaces infinis, Voltaire ne doute pas que le progrès des lumières le rendra bientôt moins redoutable. Il ne voit aucune contradiction dans l'homme, traite de « galimatias » (c'est encore aujourd'hui le mot des critiques qui ne comprennent pas un texte) la pensée de Pascal touchant l’ordre charnel opposé à l’ordre des esprits, que dépasse infiniment celui de la charité. Ce fut un protestant français établi à Utrecht, M. Boullier, qui réfuta, avec beaucoup de force et de bon sens les objections de Voltaire. Au fond, elles n'avait pas même, ébranlé le colosse. Après Voltaire, Condorcet n'ajoutera que des ragots sur l'amulette de Pascal, ou cet « abîme à droite » n'est question que dans une lettre de l'abbé Boileau imprimée en 1737 ! Il restera plus tard à l'adversaire de se persuader que, au siècle de la science (comme si le siècle de Pascal n’avait pas été celui de la science !) Pascal se fût inscrit à la Libre Pensée — lui pour qui justement, 1a foi échappait à la raison, et qui avait, de son Dieu une connaissance toute intérieure : « Dieu sensible au cœur, non à la raison... ».
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Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1923-06-23
Title
A name given to the resource
Voltaire contre Pascal
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Les Nouvelles littéraires
Type
The nature or genre of the resource
Méditation philosophique
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
François MAURIAC
Source
A related resource from which the described resource is derived
2e année, n°36, p.2
Format
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Pdf
Language
A language of the resource
Français
Relation
A related resource
<a href="http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb328268096/PUBLIC" target="_blank">Notice bibliographique BnF<br /></a>Repris p.45-54, <span>in<span class="apple-converted-space"> </span><em>Mes grands hommes</em>, Monaco : éd. du Rocher, 1949.<br />Repris p.349-352, in <em>Oeuvres complètes, VIII</em>, Paris : Fayard, 1950-1956.</span>
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
MEL_0516
Subject
The topic of the resource
Voltaire, Pascal, catholicisme, Dieu, Grâce, théologie, raison, philosophie
Description
An account of the resource
François Mauriac approuve Voltaire d’avoir reconnu dans Pascal la figure qu’il devait attaquer pour s’en prendre à la religion. Mais il se détourne bien vite de lui et de ceux qui ont prolongé sa critique au nom de la Raison : pour François Mauriac, Pascal n’est pas l’homme du terrifiant jansénisme, mais le croyant qui a perçu que la connaissance de Dieu ne pouvait s’atteindre que dans l’intimité du cœur.
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Dieu
Grâce
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Voltaire