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L’isolement de Barrès
A mesure que nous nous éloignons de l'époque où il était vivant, la grandeur de Barrés nous apparaît mieux, mais aussi sa solitude. Aucun de nos maîtres ne prit parti avec autant d'éclat ni de ténacité ; aucun non plus qui, en dépit d'une attitude si nette, nous demeure, à ce point, mystérieux.
Sans doute, pour connaître Barrés, est-il essentiel d'étudier le Lorrain, le boulangiste, l'adversaire de Dreyfus, le député du premier arrondissement, le président de la ligue des patriotes, le collaborateur de l'Écho de Paris ; attitudes immuables, inspirées par une conviction immuable, elles ne comportent ni reprises, ni repentirs, ni fléchissements ; elles collaborent à « l'individu » en lui, beaucoup plus qu'à la « personne » ; elles n'ont point de part aux orages de l'âme ; attitudes toujours sincères, quelquefois passionnées, mais prises en dehors d'une région essentielle de son cœur — peut-être même en réaction contre ce cœur — qui a chéri par-dessus tout les forces non organisées.
Sans doute la patrie usurpe-t-elle, aux heures périlleuses, l'aspiration infinie que Barrés détourne du divin, mais, durant les périodes calmes, il suffit qu'elle oriente sa vie publique et que, dans le privé, elle lui propose, des buts qui règlent son activité. « Aimons ces-buts choisis avec raison », dit-il dans le Génie du Rhin, et il ajoute : « Qu'est-ce que les jeunes Français peuvent trouver de plus intéressant que les problèmes du Rhin ? ». Occupation raisonnable, effort intéressant... Certes ! Nul doute pourtant que Barrés connaisse de plus, profonds plaisirs ni qu'il revienne toujours à la vie intérieure, à ce monde confus où il relève des traces divines.
Il nous le répète dans le dernier livre qu'il ait écrit et sur lequel il mit notre nom, le jour même de sa mort : « L'éducation de l'âme, c'est la grande affaire qui m'a préoccupé et attiré toute ma vie. J'en parle déjà en balbutiant dans un Homme Libre, et depuis je n'ai pas cessé ». Oui, son âme, celles des autres. Barrés ne serait pas si grand s'il n'avait chéri cette réalité unique hors laquelle il n'est rien d'éternel, pas même la France, pas même le monde. Jeune homme, il étouffait dans ses propres limites, bridait de s'en évader : « Le vœu que je découvre en moi est d'un ami... » ; plus tard, il continue d'aimer les âmes, non point en amateur ; il a besoin d'elles et jusques à s'enchanter des premières confidences qu'imprime un enfant provincial. Mais il retombe toujours sur lui-même ; on dirait qu'il ne peut saisir les hommes que dans des états extrêmes, lorsqu'ils sont hors d'eux et que la passion les livre à tout venant : passions basses, à la Chambre, où les barbares gesticulent, où il les fait grimacer et les oblige d'aller jusqu'au bout de leur grimace ; passions sublimes à la guerre, et avec quelle patiente dévotion Barrés recueille alors tous les traits de la plus sainte jeunesse qui ait jamais été au monde !
« Qu'y a-t-il dans ces âmes ? » Cette question que Barrés se posait devant les écoliers syriens, c'est essentiellement la question barrésienne à laquelle aucune réponse ne fut jamais donnée dont notre maître ait pu se satisfaire ; nous ne croyons pas à ce qu'on a appelé la cruauté de Barrés, mais plutôt à l'amertume d'un être à qui tout fut accordé sauf de se délivrer dans les autres. « Nos seigneurs les morts... » C'étaient les vivants qui eussent été ses vrais seigneurs, cette postérité née de lui, si différente de lui pourtant, dont l'un des chefs, non sans superbe, dénonçait, dans celui qui allait mourir le mépris de l'intelligence, l'abdication de la pensée, le dégoût du vrai, l'appétence du néant. Tous les dieux indigènes, toutes les vérités relatives dont Barrés s'était aidé pour vivre, cette jeunesse en prétendait faire bon marché, possédant, disait-elle, la vérité de Dieu. Cependant Barrés s'attristait et pardonnait. Sa pensée profonde fut sans doute que nous nous servions de la Foi pour vivre, comme lui avait eu recours à des vérités relatives, et que l'ordre métaphysique nous soutiendrait comme l'avait soutenu sa conception historique. Ce ne sont point toujours, devait-il songer, les mêmes anesthésiques ni les mêmes excitants qui servent à toutes les générations : il leur faut des dogmes, à ces petits !
Avec quelle attention pourtant, Barrés recueillait tout ce qui montait de nos âmes injurieuses et dont il se savait adoré ! Quelles batailles il sut mener contre nos ennemis ! Car Barrés à la Chambre, (et bien qu'il fût, comme tout homme prisonnier de soi-même, mal défendu contre l'ennui, et toujours inquiet de le tenir à distance), ce n'est pas un Romain, au cirque, bâillant et se divertissant à voir s'entredéchirer les bêtes ; sans doute professait-il qu'on ne saurait passer sa vie à écrire, et il eût approuvé ce jugement de Goethe :
« Si Byron avait eu l'occasion de se décharger au Parlement, par des paroles fréquentes et amères, de toute l'opposition qui était en lui, il aurait été, comme poète, bien plus pur. » Mais, en vérité, mieux que l'ennui, ou que le souci de fuir son écritoire, la défense de l'âme fit de Barrés un homme politique : il n'a tant haï les anticléricaux d'avant la guerre, que parce qu'à ses yeux la religion catholique demeurait la grande éducatrice des esprits ; fermer une église, un cloître, c'était combler les puits les plus pro fonds de notre désert et aussi enlaidir l'univers particulier de Barrés, lui faire perdre des occasions de s'émouvoir.
Mais de même qu'il n'avançait souvent dans la connaissance des autres hommes qu'à tâtons, et en proie à la terreur d'être dupe, au parti pris de ne pas comprendre (et lorsque nous l'interrogions, avec la maladroite niaiserie de notre âge, sur Rimbaud, sur Claudel, il aimait mieux feindre l'ignorance et secouait, non sans ostentation, ses œillères), il semblait aussi que cette intelligente et agissante tendresse pour le catholicisme ne pût le mener que jusqu'à un certain point et que, là encore, il fût condamné au piétinement, à l'immobilité devant une porte inexorable.
Ceux-là mêmes qui avaient franchi ce seuil ne renonçaient d'ailleurs pas à Barrés : on ne se passe pas de musique ; mais peut-être exigeaient-ils de lui, désormais, moins une direction qu'un enchantement. Ce moqueur terrible, ce maître gentil et distrait qui souvent se confiait comme un affectueux camarade, mais parfois aussi vous offrait une surface lisse où la gratitude ni la tendresse ne savaient où se prendre, nous l'admirions d'organiser sa vie sans désespoir, (bien qu'il fût peut-être sans espoir), d'en fixer d'avance les étapes, d'en préparer la dernière avec la plus lucide sagesse ; ses méditations sur Lamartine vieillissant nous apparaissaient comme des exercices préliminaires. C'était peut-être qu'il n'espérait plus rien de l'imprévu et qu'il savait d'avance que rien n'abattrait les murs de son sépulcre, sinon la mort. En l'attendant, il avait rejoint Léopold Baillard « à son poste éternel de guetteur du ciel ». Et nous, comme son cher Julien Sorel debout sur un rocher regardait un épervier décrire en silence ses cercles immenses, nous contemplions Barrés qui planait ; nous étions envieux de cette force, de cet isolement.
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Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1925-12-26
Title
A name given to the resource
L'Isolement de Barrès
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Les Nouvelles littéraires
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
François MAURIAC
Source
A related resource from which the described resource is derived
4e année, n°167, Une
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
Pdf
Language
A language of the resource
Français
Relation
A related resource
<a href="http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb328268096/PUBLIC" target="_blank">Notice bibliographique BnF<br /></a>Repris p. 33-41 avec le texte "La Rencontre avec Pascal", suivi de "L'Isolement de Barrès", Paris : éd. des Cahiers Libres, 1926.
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
MEL_0520
Subject
The topic of the resource
âme, Barrès, nationalisme
Description
An account of the resource
Toujours mystérieux et impénétrable, malgré ses écrits personnels et ses engagements publics, Maurice Barrès reste avant tout un incomparable "amateur d’âmes".
Type
The nature or genre of the resource
Portrait
âme
Maurice Barrès
nationalisme
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https://mauriac-en-ligne.huma-num.fr/files/original/a2aa16327519459b1c742a424cc004f2.pdf
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Texte
Ressource textuelle
Text
Any textual data included in the document
Dans son journal que publie la Nouvelle Revue française, André Gide cite ces paroles d'un jeune mourant: “Il n'y a pas de plaisir à jouer dans un monde où tout le monde triche.” Paroles qui n’émeuvent pas seulement la pitié par la déception affreuse qu'elles trahissent; elles nous touchent au point sensible et chacun regarde ses mains, examine les dés qu’il agite: sont-ils pipés? Sommes-nous des tricheurs? Faisons-nous semblant de croire ce que nous croyons? Du monde et de nous-même, ne retenons-nous que ce qui sert notre cause et renforce nos partis pris?
C’est ce dont Gide n'a jamais douté; d'où son irritation contre Barrès. Selon lui, Barrés est un homme que l'Asie attire, mais qui renie ses plus profonds désirs et se fabrique des idoles: la terre, les morts. Pourtant, ce qui nous importe aujourd'hui, ce n'est pas la doctrine barrésienne dont les insuffisances sautent aux yeux, mais le constant effort de Barrés pour se dépasser. Ce besoin est en lui chaque jour plus exigeant; il ne se suffit pas à lui-même; et il eût été un tricheur, justement, s’il avait agi sans en tenir compte. Jamais, d’ailleurs, Barrés n’a nié son penchant pour le rêve, ni pour la dissolution de l'être. Ce goût, il n’a pas même prétendu le détruire en lui: simplement, en demeurer le maître. Il fait à l'évasion une place dans sa vie; il s'accorde des répits: “...Il s'agit qu'un jour, après tant de contraintes, je me fasse plaisir à moi-même…”, écrit-il au printemps de 1914, à la veille de son départ pour l’Orient. Mais à peine a-t-il lâché la bride, qu’il se reprend, ou plutôt qu’une autre part de lui-même élève son exigence: “Je n’y vais pas chercher des couleurs et des images, mais un enrichissement de l’âme…”
Barrès, qui n'était qu'un chrétien de désir, bien loin d'irriter Gide, devrait le séduire, puisqu'il ne sacrifie aucune de ses tendances opposées, qu’il orchestre leurs voix adverses. En somme, là où Gide a échoué, Barrés réussit en donnant toujours le total de lui-même. Barrés a passé sa vie, pour ainsi dire, à “s'accorder”. Gide, au contraire, s'établit dans le désaccord; il est déchiré et, jusqu'à ces derniers temps, il en a été réduit au dialogue entre le chrétien et le Grec; chacun des ennemis, dans son cœur, parlait à son tour; ou bien ils se disputaient confusément. Il n'a cessé d'être divisé contre lui-même. Sans doute, de très bonne heure, a-t-il pris parti pour l'épanouissement libre et spontané de l’instinct; mais jusqu'à ces dernières années, il n'avait pu se résoudre à jeter par-dessus bord ce qui, en lui, protestait. Parfois même, comme dans les pages de Num quid et tu, le gémissement inénarrable couvrait la voix de l’homme charnel. Aujourd'hui, toute protestation est étouffée; le Gide de 1932, semble débarrassé de quelque chose ou de quelqu'un; ce qu'il écrit pèse moins lourd; il s'est terriblement allégé... En trichant? Oui le dira? Tricher, ce peut être d'escamoter une carie; désormais, il manque une carte au jeu de Gide: ou plutôt, à celle qui portait inscrit, le Nom qui est au-dessus de tout nom, il en a substitué une autre (qu'elle est sale! que de traces de doigts!) où est écrit ce mot: Progrès. “J'aimerais vivre assez, écrit-il, pour voir le plan de la Russie réussir... Tout mon cœur applaudit à celle gigantesque et tout humaine entreprise.” Ainsi André Gide, qui enseignait à notre jeunesse que chacun de nous est le plus irremplaçable de tous les êtres, désire, maintenant, le triomphe de la termitière bolcheviste où toute créature sera interchangeable.
Et pourtant, dût l'adversaire en triompher, il faut reconnaître que si la mort n’avait pas interrompu la marche en avant de Barrès vers le catholicisme, il aurait dû renoncer à cette orchestration si humaine et si belle des voix opposées de son âme. Oui, Barrès aurait dû choisir, il aurait dû retrancher; il aurait dû jeter par-dessus bord, lui aussi, une part de son butin. Choisir, est-ce tricher? Si choisir est tricher, tout le monde triche, et même celui qui choisit de ne pas choisir... Et le jeune mourant dont Gide nous rapporte terribles paroles a bien fait de mourir.
Gide protestera que lui, du moins, ne triche pas, parce que ce qu’il sacrifie c’est ce qu’il a reçu en dehors et par force, ce que l’éducation lui imposa; et ce qu'il garde, c’est ce qui lui appartient en propre et touche à sa nature la plus profonde. Mais le chrétien reprend cette affirmation à son compte; ce qui en lui résiste à tout, c’est le désir de pureté et de perfection… Débat sans fin, et qui nous départagera? Eh bien! ce sera Gide lui-même, qui écrit dans son plus récent journal: “J'ai souvent éprouvé combien une obligation facilite en moi le bonheur; une tâche à accomplir. Je ne parviendrai pas à me ressaisir sans discipline. C'est ici que triomphent les pratiques religieuses. L'être pensant qui n'a que soi pour but souffre d'une vacance abominable. Le voyage n'est qu'un étourdissement. Je suis à l'âge où je voudrais de moi le meilleur. Je n'obtiens rien, et j'ai désappris d'exiger.”
Ne triomphons pas trop vite: si la pratique religieuse n'était qu'une discipline dont, à certaines heures, un Gide même éprouve le manque, qui donc y resterait fidèle? Non, ce n'est pas une discipline toute nue, dont nous ayons besoin, c'est d'un amour. Si ce joug n'était celui de l'amour, qui le supporterait? Et voilà, sans doute, ce que Barrés, fils de Renan, comprenait mal; mais Gide, lui, sait bien ce que nous voulons dire. Il ne s'agit pas, pour le chrétien, de dresser des barrières el des garde-fous, ni de se fournir de béquilles. Un homme qui s'efforce de vivre, tant bien que mal, selon la loi chrétienne, c'est simplement le signe qu'il préfère quelqu'un. Il peut aimer beaucoup d'autres choses, être sensible au charme d'une vie toute différente, comprendre Montaigne et Nietzsche, –mais quelqu'un est dans sa vie, qu'il préfère, même en le trahissant. C'est une affaire personnelle entre un autre et nous-même; un débat sans fin où parfois nous nous armons contre le Christ des arguments de l'humanisme; –mais il faut toujours en revenir à la comparaison de Claudel; “Comme un ami qui préfère son ami... ”
Il ne s’agit ni d'une construction de l'esprit, ni d'un monde imaginaire: quelqu'un est vraiment venu, certaines paroles ont été dites, certaines promesses affirmées. “…Et si la perle de grand prix, insinue Gide dans son Journal, pour la possession de laquelle un homme laisse tous ses biens, se découvre une perle fausse?” Ici, Barrès eût peut-être répondu: “Que m'importe? Le catholicisme est une valeur terrestre el cela suffit; il nourrit l'âme et crée de la beauté…”
Sur ce point, je me sens plus près de Gide; car si je croyais que la perle est fausse, quel que fût le bénéfice que j'en pusse attendre, avec quelle fureur je la rejetterais! Mais ici intervient cette grâce de Dieu et cette vertu de l'homme: la Foi, suivie de la petite fille Espérance. Ce matin, j'assistais à la cérémonie où un jeune bénédictin prononçait ses vœux. A un moment, il étendit les deux bras et chanta par trois fois, en latin, sur un ton de plus en plus élevé de supplication ardente: “Que je ne sois pas trompé dans mon espérance!” Non, aucune angoisse dans cette prière; ou, s'il en subsistait un atome, quelle vague d'amour et de joie le recouvrait, jaillie du plus profond de ce cœur pur! L'amour apports avec lui sa certitude.
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Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1932-07-16
Title
A name given to the resource
Qui triche?
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
MEL_0442
Source
A related resource from which the described resource is derived
48e année, n°19265, p. 1
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
François MAURIAC
Relation
A related resource
<a href="http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34429768r/PUBLIC" target="_blank">Notice bibliographique BnF</a>
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
Pdf
Microfilm
Language
A language of the resource
Français
Publisher
An entity responsible for making the resource available
L'Echo de Paris
Subject
The topic of the resource
Barrès, Gide, Vie intérieure, Examen de conscience, Amour, Nature humaine
Description
An account of the resource
Dialogue imaginaire entre deux intellectuels chrétiens Gide et Barrés. Mauriac met en exergue l’opposition des positions des deux intellectuels, vis-à-vis du « choix ». Notamment le choix entre des désirs, des goûts, des penchants qui mettent un individu en conflit avec lui même. Choisir entre éléments contraires, ou choisir de ne pas choisir c’est « tricher » : le choix implique le fait de délaisser et donc de trahir ce que l’on a pas choisi. Selon Mauriac au contraire, choisir, par exemple, de vivre selon la loi chrétienne c’est préférer quelqu’un, en continuant de façon quotidienne et de façon imparfaite, à témoigner de sa foi et de son espérance par l’amour que l’on porte à ce quelqu’un. C’est l’amour qui apporte de la certitude aux choix importants que l’on fait.
Type
The nature or genre of the resource
Editorial
amour
examen de conscience
Gide
Maurice Barrès
Nature humaine
Vie intérieure
-
https://mauriac-en-ligne.huma-num.fr/files/original/bb9b7935c3e38037ad65a99877ec3275.pdf
bb9fc472b272340c039322e97c8456ad
Texte
Ressource textuelle
Text
Any textual data included in the document
C’est un spectacle étonnant, et nous venons d’y assister, que cette soudaine mise en place d’un œuvre, à peine son auteur a-t-il expiré. Jusqu'à la dernière minute, nous ne pouvions douter, sinon de l’importance, au moins du rang qu’occuperait Anna de Noailles dans la poésie française: le poète éphémère se dissipe comme une buée, et les sommets surgissent de l’œuvre éternelle. Aussi mince que fût ce corps vivant, il nous cachait un monde.
Ce brusque miracle s'accomplit surtout lorsque l'artiste, mêlé à la société et soumis à ses rites, fut un ami qu'on appelait familièrement “Marcel” et qu'on trouvait gentil, compliqué et potinier; ou une femme qui était “Anna”, toujours en retard, et qui, dans les maisons où elle dînait, nous empêchait de nous mettre à table avant neuf heures et demie... Ils meurent; et instantanément, A la recherche du temps perdu, de Marcel Proust, les poèmes de la poétesse de Noailles s'inscrivent à la place qu'ils ne perdront plus dans la littérature universelle.
“Les vivants ne sont pas vénérables”, a écrit (je crois) Mme de Noailles. D'autant moins vénérables qu'ils appartiennent à une coterie, qu’ils en acceptent, plus ou moins, les lois et que, dans la mesure où ils s’en évadent, ils irritent ou divertissent les gens de leur monde et qui se croient leurs pairs. Et à vrai dire, sur le plan social, ils paraissent l'être, en effet jusqu'à ce que, de cette couche funèbre où est immobile la créature dont, la veille encore, les mots nous faisaient rire, une constellation s'élève, se fixe à jamais, entre toutes celles qui portent les noms de nos poètes bien-aimés.
De là notre malaise, lorsque, après cette transfiguration, les lettres du poète mort sont publiées. Il nous parait incroyable que la correspondance de Proust et Du côté de chez Swann aient été écrits de la même plume. Eh quoi! ce maître de l'analyse, et d'une rigueur terrible, fut aussi cet ami trop gentil, amateur de complications et de brouilleries, flatteur jusqu'à l'absurde, d'une fausse humilité insupportable, et qui ajoutait encore aux hyperboles du vocabulaire mondain?
D'ailleurs, il semble qu'à la fin de sa vie, Proust ait eu le sentiment de cette grandeur toute proche que la mort allait lui assurer. C’était par dérision qu'un César mourant disait: “Je me sens devenir dieu!” Mais le silence et la solitude que Marcel Proust crée autour de son lit, durant ses deux dernières années, cet éloignement exigé de ses amis les plus chers, ce détachement presque féroce, témoignent qu'il se sentait, à la lettre, devenir immortel. Et de même, Mme de Noailles n’a jamais permis que son œuvre gardât la moindre trace du prodigieux comique de ses propos dans le monde. Elle ne voulait point qu’à ce qui devait durer aussi longtemps que la mémoire humaine, la partie inférieure de son esprit ait, aussi peu que ce fût, collaboré.
Cette brusque coupure entre l’œuvre et la vie, chez les grands écrivains du “monde” apparaît beaucoup moins nette chez les “poètes maudits”, chez ceux dont l’existence affranchie de toute règle fut, en même temps, asservie à toutes les douleurs que subissent les hors-la-loi, dans une société où il n’y a pas de place pour eux.
La réprobation temporelle de Baudelaire et de Verlaine, les blasphèmes et les prières des Fleurs du mal, de Sagesse, la manifestent. Impossible de séparer leur atroce destin des cris immortels qu’il leur a fait pousser. Ce n’est point que la souffrance d’une Anna de Noailles ou d’un Marcel Proust n’aient été aussi authentiques. Mais en dépit de la maladie et de leurs angoisses, cette vie luxueuse, préservée et (surtout pour Mme de Noailles) cette atmosphère d’adulation apparaissent sans lien direct avec une poésie désespérée: désespoir d’ordre métaphysique; monotone et sublime clameur jaillie d’une créature comblée, qui a tenu l'univers dans ses bras, et à qui il n’a servi à rien d’avoir gagné l’univers.
Le génie de Baudelaire, de Verlaine, de Rimbaud se nourrit de leur histoire quotidienne; leur œuvre, si j’ose dire, pousse en pleine terre, en pleine boue. M. François Porché, qui vient d’écrire un Verlaine tel qu’il fut, certes passionnant, ne nous révèle rien, à la lettre absolument rien, qui ne soit inscrit dans chaque strophe de la Bonne chanson, de Sagesse, de Parallèlement et d’Amours. La poésie de Verlaine épouse étroitement le rythme de son abominable existence. En revanche, Mme de Noailles a pu écrire l’Histoire de ma vie: ce n’est pas l’histoire de son œuvre. (Nous ne parlons pas ici, bien entendu, des drames secrets de l’esprit et du cœur.)
La “fangeuse grandeur”, la “sublime ignominie” de Verlaine a fécondé sa poésie: les poèmes adorables de Sagesse n’ont pu s’élever vers le Christ et vers sa Mère, “comme la guèpe vole au lis épanoui”, que du fond de la cellule où le condamné de droit commun, Paul Verlaine, touche le fond de l’humiliation et de la honte. Il n’est aucune de ses grandes œuvres qu’il n’ait payée de son sang, de ses larmes, de son honneur humain. Sa triste histoire n’a pas fini de scandaliser ses biographes; ils n’ont pas fini de remercier Dieu de ce qu’il ne les a pas rendus semblables à ce pourceau; car il faudra la raconter aussi longtemps que sa chère voix ne se sera pas tue. Hélas! son œuvre immortelle immortalise son ivrognerie, ses mœurs atroces.
La poésie de Baudelaire et de Verlaine, écho de leur existence douloureuse, nous la rend inoubliable. Il est d'autres écrivains, et parmi les plus grands, dont on pourrait dire, au contraire, que c'est leur propre survie, la survie du personnage qu'ils ont été, qui assure à leur œuvre la durée. Chateaubriand nous intéresse davantage que l'œuvre de Chateaubriand. Entre tant de grands livres, nous ne relisons guère, avec ferveur, que les Mémoires d'outre-tombe, parce qu'ils nous le montrent tout entier (et souvent à son insu). Les autres ouvrages nous intéressent surtout dans la mesure où ils nous aident à le mieux connaître. De même, Rousseau: presque tout ce qu’il a écrit nous paraît difficile à relire aujourd'hui, hors les Confessions et les Rêveries, parce que l'homme s'y trouve tout entier. Nous sommes trop près de Barrès, ses livres sont encore trop brûlants, pour que nous songions à le ranger parmi ces écrivains. Rien d’ailleurs n’est plus arbitraire que ces classifications; et, en tout cas, il demeure acquis que son œuvre marque un moment essentiel dans l'histoire de la prose française. Il semble pourtant que nos cadets comprennent mal ses plus beaux écrits ou qu'ils s'en désintéressent; en revanche, ils interrogent avec curiosité, l'homme qu'il fut. Et nous-mêmes, qui l'avons tant aimé, autant que nous chérissions ses livres, de Sous l'œil des barbares au Jardin sur l’Oronte, c'était lui que nous cherchions: le secret d'une certaine attitude en face du monde, une certaine manière de se prêter aux perfectionnements de la vie. De livre en livre, c’était Barrès que nous poursuivions, c'était lui qui, d'abord, nous intéressait.
Et maintenant qu’il n’est plus là, ce n’est pas assez de dire que ce qu'il a écrit ne s'est en rien taché de lui: nous continuons d'y rechercher, avant tout, le commentaire d'une destinée pleine de grandeur. Aussi, avec quelle attente passionnée, ouvrons-nous chacun de ses Cahiers posthumes, mémoires d'outre-tombe qu'il n'a pas eu le temps de retoucher et où, dans un jaillissement, ce qui se dissimulait, au fond de cette âme ombrageuse, ce qui se dérobait, remonte à la surface et se livre à nous! Un fragment inédit, dans le dernier fascicule de la Revue universelle, outre une admirable rêverie sur la religion, recèle des aveux, bien étonnants de la part d'un homme dont la puissance de mépris accablait: une douceur secrète, une note attendrie et brisée, que nous n'avions pas réentendue, depuis les trois dernières pages de Sous l'œil des barbares, s’élève soudain, nous atteint en plein cœur:
“Ce sont des jours où l’on est tout amour, incapable de dormir, ému par le ciel étoilé, le silence, le souvenir résigné des morts, la fuite des années, le trop plein du cœur, l'isolement...”
Lorsqu'il écrivait cela, Barrès avait l'âge que j'ai atteint aujourd'hui… Cher Barrès! Que j’aimerais, ce soir, aller sonner à votre porte, marcher auprès de vous sur le trottoir de cette avenue, qui ne porterait pas encore votre nom.
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Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1933-05-20
Title
A name given to the resource
L'Œuvre et la Vie
Publisher
An entity responsible for making the resource available
L'Echo de Paris
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
MEL_0461
Source
A related resource from which the described resource is derived
49e année, n°1973
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
François MAURIAC
Relation
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<a href="http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34429768r/PUBLIC" target="_blank">Notice bibliographique BnF</a>
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
Pdf
Microfilm
Language
A language of the resource
Français
Subject
The topic of the resource
poésie, Proust, Anna de Noailles, Baudelaire, Verlaine, Rimbaud, Barrès
Description
An account of the resource
Moins d’un mois après le décès d’Anna de Noailles (30 avril 1933), François Mauriac constate qu’il existe bien souvent une disjonction entre la vie et l’œuvre des grands auteurs, à l’exception des poètes maudits ou de Barrès.
Anna de Noailles
Charles Baudelaire
Maurice Barrès
poésie
Proust
Rimbaud
Verlaine