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Title
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Christianisme
Texte
Ressource textuelle
Text
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Complices et victimes
Un Weidmann qui met l’absolu dans le mal et n’assigne plus de limite au crime bénéficie d’un pouvoir presque surnaturel sur les gredins médiocres dont la piste coupe la sienne. Il les attire, les absorbe, les engloutit. Il impose, par sa seule approche, à des petits voleurs, à des modestes maîtres-chanteurs, un rôle dont l’horreur les dépasse.
A peine ont-ils touché la main de Weidmann… Les voici enchaînés au crime. Plus aucune aide à attendre de la société; nul secours humain. Un maître les tient qui n’a plus rien à perdre. Et leur obéissance même à ses pires desseins ne les met pas à l’abri de ses coups. Leur soumission ne les absout pas du crime de savoir, du délit d’avoir vu... Le maître a intérêt à les abattre et ils le savent.
Il leur reste de le fuir. Mais leur destin est à jamais rivé au sien. Dès qu’on a tenu Weidmann, on les a tenus aussi. La police n’a pas eu à se déranger: il lui a suffi de tirer sur la chaîne.
Inutile exemple: les grandes villes, ce soir encore, seront peuplées de complices et de victimes. Comme si l’histoire de Weidmann ne remplissait pas les colonnes de tous les journaux du monde, de mauvais garçons recevront d’affreux mots d’ordre; les femmes jeunes et belles suivront un inconnu, monteront avec lui dans une auto, le cœur aussi léger que pouvait l’être celui de Joan de Koven, la petite danseuse… Non, aucun exemple ne sert, aucun secours ne vient du dehors. La grâce perdue, c’est le bouclier rejeté, c’est l’armure qui ne nous défend plus. Le péché, un certain péché surtout, annihile l’instinct de conservation, précipite la pauvre chair dans le piège tendu. Que le crime puisse avoir un visage jeune et beau, un tendre regard, des mains caressantes, les victimes de Weidmann l’avaient vu peut-être; elles l’avaient oublié: ce n’est pas l’amour qui est aveugle, mais le désir. Le péché nous crève les yeux.
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Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1937-12-17
Title
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Complices et victimes
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Temps présent
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
MEL_0816
Source
A related resource from which the described resource is derived
1e année, n°7, p.1
Type
The nature or genre of the resource
Billet
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
François MAURIAC
Relation
A related resource
<a href="http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb344256497/PUBLIC" target="_blank">Notice bibliographique BnF</a><br />Repris p.28-29, in <em>Journal III</em>, Paris : Grasset, 1937.<br />Repris p.218-219, in <em>Œuvres complètes, XI</em>, Paris : Fayard, 1950-1956.
Format
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Pdf
Microfilm
Language
A language of the resource
Français
Subject
The topic of the resource
Grâce, péché, Weidmann, amour, désir, crime
Description
An account of the resource
L’affaire du tueur en série Eugène Weidmann, meurtrier entre autres de la danseuse américaine Jean [sic] de Koven, conduit François Mauriac à souligner que seule l’acceptation de la Grâce permet de se protéger de l’aveuglement du péché.
amour
crime
désir
Grâce
péché
Weidmann
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2312a0496c0eb2878e3f10e4482daa92
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Title
A name given to the resource
Représentations théâtrales
Texte
Ressource textuelle
Text
Any textual data included in the document
Il n'est pas en Alsace que des mines de potasse et, bien avant la guerre, M. Jean Variot en sut extraire les plus touchantes légendes. La Rose de Rôseim nous a charmés et nous jugeons superflu de nous demander, comme l'ont fait quelques critiques, si cette oeuvre ressemble à un vitrail ou à une image d'Épinal. Le soldat Mathias, après avoir servi pendant trente ans sa bonne ville de Roseim, après avoir été blessé vingt fois pour elle, est renvoyé dans ses foyers, avec tous les honneurs dus aux braves, c'est-à-dire que le conseil des bourgeois lui octroie cinq maravédis, cinq livres de pain et une poignée de main. Que va faire Mathias, à cinquante ans, et si léger d'argent? Courir les routes, coucher sur la dure, souffrir de la faim, de la soif, enfin continuer de vivre comme il a toujours vécu. Car si les bourgeois de Roseim sont maîtres de désarmer le vieux soldat, ils ne peuvent rien contre sa vocation qui est de se donner et de souffrir. Jusqu'alors, Mathias avait sacrifié sa jeunesse à la seule Roseim; il sacrifiera ce qui lui reste de vie à toutes les misères rencontrées au hasard de sa route. Les maravédis, il les donne à un aveugle et à une femme délaissée; il nourrit de son pain trois orphelins et étend sur leurs jeunes corps son manteau. Certes, pas plus que Roseim, les enfants ni la femme ne lui montrent de gratitude, le vieux soldat ne l'espérait pas: il sait le cœur des hommes. Au soir de sa vieillesse, épuisé, ayant tout donné, il tombe sur la route au pied d'une croix. Saint Martin recouvre de son manteau le corps sacré du soldat et l'emporte au paradis dans les cantiques des anges cuirassés de lumière.
Telle est la vieille légende alsacienne que Jean Variot a arrangée pour le théâtre. C'est moins une pièce qu'un poème. Dès le premier tableau nous savons où Jean Variot va mener son soldat et l'âme enfantine et nue de Mathias lui interdit tout ce qui s'appelle complication psychologique. Tant de simplicité, un pareil dénuement d'artifices nous ravissent. Laissons se rallumer en nos cœurs cette curiosité émerveillée qui, pendant les soirées de notre enfance, nous maintenait graves et les yeux grands sur les genoux de celui qui racontait une histoire. Certainement Jean Variot n'a pas voulu nous donner d'autre plaisir; il l'accroît encore par les fortes qualités d'un style dont tous les lettrés depuis longtemps connaissent le prix.
La Rose de Roseim a bénéficié en M. Jean Périer d'une admirable interprétation. Moustachu sous la “salade” qui ombrage son front ridé, il a gémi de fatigue et il a souri comme un vieux soldat, compagnon de Gautier sans-avoir. Quant à la mise en scène, si le premier acte nous donna en effet une belle espérance, si le décor du second acte est sobre et brûlé à souhait de soleil, nous n'avons guère aimé le paradis, ni les séraphins qui en ouvrent à Mathias les portes. Le vieux soldat serait-il, une suprême fois, déçu par le metteur en scène?
A toute pièce russe, un spectateur français d'abord résiste. Une longue accoutumance nous incline à rechercher au théâtre de quoi nous divertir, un embellissement niais de la vie, enfin, pour parler comme les réclames, une heure d'oubli. Les Russes, et surtout Tchekhow, nous obligent de voir notre misère, notre médiocre misère que n'embellit pas même quelque beau drame. C'est un art non pas réaliste, comme nous l'entendons en France; mais un art humain et cela dit tout. Une famille, enlisée en province, vit repliée sur soi et se dévore. Un vieux professeur, illustre et retraité, exploite le dévouement de son beau-frère Vania et de sa fille Sonia. Il a une seconde femme jolie et apathique et que l'oncle Vania adore; mais elle lui préfère le médecin de la commune qu'aime en secret et vainement la jeune fille Sonia, âme douce mais ingrat visage. Et tous échouent; même l'oncle Vania lorsqu'il décharge son revolver sur le vieux professeur et le rate. Ils aiment et ne sont pas aimés. Il y a en eux, et surtout chez le jeune médecin, des possibilités de grandeur qui avortent. Tous échouent et se soumettent et font leur besogne sans gloire, sans récompense, et la jeune fille sans amour compte les années qui la séparent de la mort. Pas un mot à effet, pas un couplet, pas une tirade; mais aucun de ces êtres qui ne nous obsède longtemps après que nous avons quitté le théâtre; entre tous ces vivants, Sonia est la plus vivante; nulle autre jeune fille dans aucune littérature ne saurait lui être comparée, sauf peut-être la Natacha Rostow de Guerre et Paix. M. et Mme Pitoeff, qui ont interprété cette pièce, se classent parmi les plus grands artistes de ce temps.
La fameuse pièce de M. de Porto-Riche, le Passé, est une pièce-gigogne qui porte dans ses flancs presque tout ce qui a été écrit au théâtre depuis un quart de siècle. La postérité peut allègrement oublier une bonne part de notre littérature dramatique, pour retenir ces quatre actes qui la résument toute. Cette suprême fleur du théâtre contemporain offre certes des agréments; mais ne pourrait-on supposer qu'ayant d'abord écrit avec beaucoup de soin des “caractères”, l'auteur se divertît à les arranger en dialogue? En dépit de l'opinion établie, nous ne pensons pas que ce psychologue soit un grand dramaturge. Son François Prieur, séducteur, homme léger, mensonge incarné, insaisissable Don Juan, celui qu'inlassablement crée et recrée la vanité des auteurs, nous offre ce qu'au temps des premiers romans de Bourget on appelait une jolie planche d'anatomie morale. C'est de l'excellente psychologie en surface. Admirons aussi cette Dominique, abandonnée naguère par François Prieur et qui le retrouve. Le réveil de sa chair nous est rendu sensible: “Oublions le passé !” Elle va céder, elle s'abandonne, mais déjà l'homme lui a menti; dès le premier pas, elle se heurte au mensonge cette atmosphère reconnue de fausseté, de tromperie, lui restitue la force de se dérober une dernière fois. Voici donc deux caractères analysés du dehors, mais avec une exacte science. Pourquoi M. de Porto-Riche, au lieu de s'adresser directement à nous dans un roman ou dans un livre d'essais, a-t-il voulu que les sujets de ses expériences se décrivissent eux-mêmes dans le plus alambiqué dialogue? De trop ingénieuses formules se pressent sur les lèvres de ces protagonistes inhumains. Êtres abstraits, ils ne se rattachent ni à une famille, ni à un milieu, ni à un métier. Nul paysage derrière eux: ont-ils été élevés dans une maison de province? Y a-t-il un jardin dans leur passé? Des vacances, des vêpres chaudes, des chansons en patois? Ils sont sans souvenirs, sans devoirs, sans remords. Ce sont des dépouillés. L'expérimentateur, M. de Porto-Riche, a enlevé à ses cobayes toute fonction autre que celle qu'il lui plaît d'analyser: François Prieur est l'homme léger en soi; au cours de l'action, il se prétend bien diplomate à Londres, mais c'est un faux semblant puisqu'il a la prétention de passer plusieurs fois par semaine le détroit pour vaquer aux affaires de son cœur. Ces entités sont également subtiles et précieuses dans leur langage, parce que l'auteur qui les anime de ses deux mains oublie de changer le registre de sa voix quand François répond à Dominique. Et non pas seulement Dominique et François, mais tous les comparses bénéficient indistinctement du fameux esprit de M. de Porto-Riche: des pétards éclatent sous toutes les répliques. Mais cet esprit ne jaillit pas, pour ainsi dire, de l'intérieur, il ne correspond à aucune nécessité interne, il est surajouté, il est généreusement prêté par l'auteur à ses héros. Le hasard a voulu que nous assistions à cette reprise de le Passé après avoir vu représenter la pièce de Tchekow qui nous avait introduits au sein d'une famille provinciale, dans une atmosphère complexe et définie. Ce qu'il y a de profondément humain dans le drame russe nous a rendu plus sensible l’artifice, la virtuosité, la fausse profondeur de la pièce française. Encore une fois, il y a là un curieux travail de dissection dont les résultats s'expriment en des formules contractées et qui frappent. Mais c'est toujours M. de Porto Riche qui dialogue avec M. de Porto-Riche. Ses héros parfois animés d'une vie fugitive, à chaque instant se dégonflent. Cela est vrai surtout de François Prieur et des comparses. Quant à Dominique, Mme Simone lui insuffle sa propre vie, la recrée. Aucune artiste aujourd'hui ne sait unir tant d'intelligence à tant de passion. Nous comprenons par elle ce qu'une grande artiste ajoute à un texte. Tels que les voilà, ces quatre actes ont nourri, nourrissent et nourriront nos auteurs à succès. Ils se passent de l'un à l'autre cet homme et cette femme: Dominique Brienne et François Prieur, le couple éternel en proie à Vénus, —mais non certes à la manière de Phèdre qui lutte, qui crie, qui cherche la nuit;— ce sont des proies inertes; nullement chrétiens, cela va de soi, mais n'ayant plus rien en eux de l'héritage chrétien. Ce couple n'a pas d'ascendants, il n'a pas d'hérédités; la passion chez eux ne se heurte-à rien. L'absence de conflit moral est la marque de ce théâtre et de toutes les misérables pièces qu'il a enfantées. Si à la fin du drame, Dominique renonce à François Prieur, c'est uniquement par lâcheté, parce qu'elle a peur de souffrir; le devoir, à ses yeux, eût été de contenter malgré tout sa passion, comme le devoir de Prieur est de séduire et d'abandonner. Ces héros croient de toute la force de leur barbarie à la fatalité de la passion. Ils n'imaginent pas que le vouloir d'un homme peut créer une fatalité nouvelle et un nouveau destin.
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Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1921-04-30
Title
A name given to the resource
La Rose de Roseim, évocation dramatique de Jean Variot, au théâtre des Champs-Élysées - Oncle Vania, pièce en quatre actes de A.-P. Tchekhow, au Vieux-Colombier - Le Passé, pièce en quatre actes de M. de Porto-Riche, à la Comédie- Française (reprise)
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Revue hebdomadaire
Source
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30e année, n°18, p.596-600
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
François MAURIAC
Relation
A related resource
<a href="http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34350607j/PUBLIC" target="_blank">Notice bibliographique BnF<br /></a>Extraits sur Tchékhov et Porto-Riche repris p.11 et p.92-94, in <em>Dramaturges</em>, Paris : Librairie de France, 1928.
Format
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Pdf
Language
A language of the resource
Français
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
MEL_0681
Subject
The topic of the resource
enfance, amour, Russie
Description
An account of the resource
Malgré une mise en scène décevante, François Mauriac est charmé par la simplicité et l’esprit d’enfance dans la pièce de Variot. Il salue ensuite le talent des Pitoëff dans Oncle Vania puis il consacre une longue analyse à la pièce de Porto-Riche, dont l’artifice contraste avec l’humanité de Tchekov mais à qui le jeu de Madame Simone réussit à donner vie.
amour
enfance et adolescence
Russie
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https://mauriac-en-ligne.huma-num.fr/files/original/ee58daea9dee4e2eb540c2b7a894a9c4.pdf
8392b4098afd1accded04916c2386b31
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Title
A name given to the resource
Représentations théâtrales
Texte
Ressource textuelle
Text
Any textual data included in the document
Depuis qu'il nous a donné le Cocu magnifique, nous savions que M. Crommelinck a bien du talent. Sa nouvelle pièce, les Amants puérils, en même temps qu'elle nous fournit de raisons nouvelles pour admirer son auteur, nous montre aussi ses dangereuses faiblesses. Ce qu'il faut d'abord louer chez lui, c'est son effort pour rompre avec tout ce qui éloigne du théâtre tant de gens délicats. Si le vrai seul est aimable, on peut dire qu'aujourd'hui le théâtre est le contraire du vrai; la plus ridicule convention y règne dans les caractères comme dans les situations; il est le royaume de l'arbitraire, du truc et de la ficelle. Les grands classiques rejoignent le vrai par la peinture exacte des caractères et des passions; dans la pire convention, ils demeurent humains et leur, génie mue l'artifice en poésie. M. Crommelinck, lui, renonce d'abord à son droit de prendre au magasin des accessoires les bonshommes dont usent ses confrères. Il invente deux couples d'amants; le premier est “ puéril”: Walter, jeune garçon, aime une petite fille de qui la mère tient l'unique hôtel d'une ville d'eaux. Leur dialogue délicieux exprime tout ce qu'il y a de trouble déjà et de pur encore dans ces amours enfantines, mais l'atmosphère de l'hôtel presque désert pèse sur ces jeunes destins. Peut-être aurait-il fallu que l'auteur s'en tînt à nous rendre la mélancolie des plages pendant la morte saison, telle que la sentait Jules Laforgue:
Les casinos
Qu'on abandonne
Remisent leurs pianos.
Mais M. Crommelinck a le goût de l'horrible: l'unique habitant de l'hôtel est un vieux baron Cazou, baveux, gâteux, immonde, risée et proie des femmes de chambre; et comme si ce n'était assez, une vieille idiote, à peu près inutile à l'action, traverse la scène, marmottant d'incompréhensibles propos. Dans le Cocu magnifique, une sorte de verve forcenée atteignait à un effrayant comique, —mais enfin à du comique. Ici, c'est, pour ainsi dire, une verve morne, une accumulation lente de scènes atroces et funèbres: la folie, le gâtisme, la plus hideuse vieillesse y dégradent les êtres qui se sont aimés,— et l'amour précipite à la mort deux enfants qui avaient à peine joint leurs lèvres encore innocentes. Une étrangère, que poursuit un jeune homme, se réfugie à l'hôtel. Elle est voilée et jamais n'enlève ses gants: c'est une vieille femme qui, à force d'artifices, a comme momifié sa jeunesse. Cependant qu'il nous est révélé que le pitoyable baron Cazou fut autrefois l'amant adoré de l'étrangère, nous voyons tout se liguer pour acculer à la mort l'enfant Walter et sa petite amoureuse. Ainsi l'unité d'action apparaît-elle à M. Crommelinck tout à fait négligeable. Il n'y a chez lui qu'unité d'inspiration: il illustre, avec deux drames superposés, une théorie atroce de l'amour. Schopenhauer parlé “du nombre de ceux que cette passion conduit à l'hôpital des fous”. Et il ajoute: “L'on constate, chaque année, divers cas de double suicide, lorsque deux amants désespérés tombent victimes des circonstances extérieures qui les séparent.” Walter, que l'on veut séparer de sa puérile amie, lui a donné rendez-vous au bord de l'eau, pour mourir. Mais, tout à l'heure, en un pathétique dialogue, l'étrangère révéla à la petite fille quelle chose c'est que d'avoir quatorze ans; l'adolescente a entendu le cri d'admiration désolée qu'a poussé cette vieille idole: “Quatorze ans! Quatorze ans!” Et maintenant, consciente de son printemps, la pauvre enfant ne veut pas rejoindre Walter. Et nous la voyons, débout près de la porte, résistant de tout son jeune amour pour la vie à la fatale complicité de sa mère, des domestiques, de l'étrangère dont chaque mot, sans qu'ils le veuillent, pousse la petite fille vers l'abîme. Au dernier acte, l'étranger apprend que Cazou fut l'amant de l'étrangère. Il arrache la malheureuse femme à sa chambre, dans le simple appareil d'une Jézabel occupée à rechampir son antique visage. A l'aspect de ce cadavre qu'il souhaitait d'étreindre, il éclate de rire et s'enfuit, cependant qu'on vient annoncer à l'hôtesse que sa petite fille s'est noyée dans les bras de Walter.
Si le public a montré de la résistance à cette pièce, c'est qu'elle est en maint endroit physiquement insoutenable. M. Crommelinck agit directement sur les nerfs et c'est là sa faiblesse. Sans doute la tragédie grecque est horrible, Shakespeare est horrible, et Racine lui-même ne recule pas devant ces grandes tueries dans la raison de quoi Mme de Sévigné se refusait à entrer. Mais l'horreur de leur drame demeure spirituelle. Ces grands hommes ne vont jamais au delà de ce que nous pouvons souffrir. Il faut se méfier d'un art qui ne nous donne qu'un malaise physique. “La principale règle est de plaire et de toucher”, écrivait Racine" à propos de sa Bérénice. Rien ne sert de nier cette loi. Puisqu'il fait représenter sa pièce, M. Crommelinck doit compter avec le public; une représentation est une collaboration. Ceci dit, nous ne sommes pas de ceux qui, devant ces épouvantements, crient à l'invraisemblance. Le drame de cette ancienne beauté luttant avec désespoir pour défendre son visage contre le temps et pour retenir le dernier fantôme de l'amour, nous est un spectacle aussi quotidien que celui de la répugnante déchéance de Cazou. Même ces enfants mourant d'être séparés relèvent du fait divers et de la plus banale chronique. En somme, ce qui éclaire à nos yeux ces trois actes, c'est le sous-titre emprunté à Pascal qu'il nous plaît d'y ajouter: les Amants puérils ou la Misère de l'homme sans Dieu. Et l'on pourrait y inscrire comme épigraphe l'autre mot de Pascal: “Voilà la fin qui attend la plus belle vie du monde.” Ou encore celui de Sainte- Beuve: “La vie est une partie qu'il faut toujours perdre.”
Mme Berthe Bady assume avec le plus beau courage le rôle de l'étrangère. M. Crommelinck n'a voulu laisser à personne le soin de bavocher et, sous les traits du baron Cazou, il est un effrayant cauchemar: “Qu'il s'en aille! qu'il s'en aille!” gémissait devant moi un jeune monsieur à bout de force. M. Sylvio de Pedrelli est un bien beau ténébreux.
Au Nouveau-Théâtre, dans une salle exiguë et qu'on ne peut atteindre qu'en bravant les impressionnantes cires du musée Grévin, M. Gabriel Marcel donne trois actes d'une très fine comédie de caractère et qui eût mérité un meilleur sort. C'est l'histoire d'un féroce auteur dramatique qui fabrique ses personnages sur le modèle de sa femme et de son fils. Non content de mettre sa famille en coupe réglée, il l'invite, au nom de l'art, à lui dire merci. Ainsi, dans sa pièce l'Enfant taciturne, il imagine que sa femme est aimée du fils qu'il eut d'une ancienne maîtresse et qu'il a adopté. Sans insister, il semble que M. Gabriel Marcel veuille nous laisser entendre que cette horrible invention trouble un peu le sentiment très maternel qu'inspire à la jeune femme ce grand enfant blessé par son père; car, lorsque après quatre mois d'internat, le garçon se montre à elle, indifférent, grossier, déjà gâté par les camarades, ce n'est peut-être pas que la mère adoptive qui souffre en elle. Après une brève révolte, elle se soumet à son sort, qui est de ne pas dire un mot, de ne pas pousser un soupir qu'elle ne doive retrouver un jour au tournant d'une scène. Un bon ami de son mari lui pourrait souffler la plus sûre vengeance: ce serait d'apprendre à ce faiseur de pièces que les vrais génies n'empruntent pas à la vie réelle leurs personnages; ils inventent, ils créent, ils font concurrence à l'état civil. La morale de cette triste histoire intéresse toutes les jeunes filles: elles sont expressément invitées à ne pas épouser un homme de lettres.
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Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1921-04-02
Title
A name given to the resource
Les Amants puérils, pièce en trois actes, de M. Crommelinck, à la Comédie-Montaigne — Le Cœur des autres, pièce en trois actes, de M. Gabriel Marcel, au Nouveau-Théâtre
Publisher
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Revue hebdomadaire
Source
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30e année, n°24, p.96-99
Creator
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François MAURIAC
Relation
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<a href="http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34350607j/PUBLIC" target="_blank">Notice bibliographique BnF<br /></a>Repris p.79-81 et p.86, in <em>Dramaturges</em>, Paris : Librairie de France, 1928.
Format
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Pdf
Language
A language of the resource
Français
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
MEL_0679
Subject
The topic of the resource
amour, suicide, enfance
Description
An account of the resource
L’horreur des situations évoque les plus terribles tragédies antiques mais le dramaturge, malgré son talent, dépasse les bornes du supportable au point de provoquer chez le critique un "malaise physique". La pièce de Gabriel Marcel est simplement saluée en quelques lignes sans commentaires.
amour
enfance et adolescence
suicide
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https://mauriac-en-ligne.huma-num.fr/files/original/f2271d422f1f5c6a14168edd532628e4.pdf
b3021018c68f5e920c997e040fb70fd4
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Title
A name given to the resource
Représentations théâtrales
Texte
Ressource textuelle
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Puisqu'il faut, cet hiver, que je fréquente les théâtres et que je dois compte de mes impressions aux lecteurs de la Revue hebdomadaire, j'ai d'abord voulu m'astreindre à une révision de mes idées sur la comédie en général, et j'ai découvert qu'elles étaient toutes de seconde main. Dans la conversation, j'avais coutume de déclarer, par exemple, que l'état démocratique n'est pas favorable à l'art du théâtre; que pour un Molière, un Racine, il s'agissait de satisfaire la Cour et la Ville, c'est-à-dire une élite, mais que pour un Bataille, un Bernstein, l'essentiel est de se faire applaudir par les foules cosmopolites qui garnissent indéfiniment les salles du Boulevard. J'ajoutais que les directeurs de ces lieux de plaisir n'étant pas des artistes mais des hommes d'affaires, il leur importe seulement de cuisiner des plats selon des recettes connues. Enfin je déplorais l'importance excessive des grandes vedettes et des grands couturiers, et dénonçais l'actrice pour qui l'auteur dramatique s'abaisse à écrire des rôles sur mesure. Voilà de quels prétextes je me payais afin de ne pas fréquenter les théâtres, et je comptais pour rien le fait de loger dans ce XVIe arrondissement qui, passé minuit, inspire aux chauffeurs de taxis une répulsion incroyable.
Mais enfin, et encore qu'il y ait sans doute du vrai dans tout ceci, j'ai cru que mieux valait en faire provisoirement table rase et juger la pièce de M. Henry Bernstein et celle de M. Sacha Guitry, comme si je tombais de la lune et que j'entendisse pour la première fois le nom de ces auteurs. D'autant que je pressens l'arbitraire de mes idées toutes faites: à première vue, les efforts d'un Antoine, d'un Lugné-Poé, d'un Gémier, d'un Jacques Copeau témoignent qu'en dépit de l'état démocratique une large élite existe que passionne l'art du théâtre. Dans la préface de Britannicus, Racine parle du petit nombre de gens sages auxquels il s'efforce de plaire. Ne pourrait-on soutenir que ce petit nombre est devenu un grand nombre? Voici que M. Paul Claudel sort des ténèbres du cénacle et consent à devenir un auteur de la Comédie-Française et même du Boulevard, où vous verrez qu'il aura du succès autant que M. Bataille. Quant à l'inconvénient des grandes vedettes, Mme de Sévigné n'avait peut-être pas tort d'écrire: “Racine fait des comédies pour la Champmeslé...”, mais elle se donne le ridicule d'ajouter: “Ce n'est pas pour les siècles à venir.” Qu'un auteur, en écrivant une pièce, songe à telle actrice, cela ne suffit donc pas à l'empêcher d'avoir du talent. C'est vrai que, pendant un demi-siècle, Mme Sarah Bernhardt a inspiré aux écrivains de son temps de bien fâcheuses Théodoras; mais croit-on qu'ils eussent montré sans elle plus de génie? Ne pourrait-on dire au contraire que souvent d'admirables acteurs n'ont pas donné leur mesure faute d'auteurs qui fussent dignes d'eux? Voilà divers points que nous aurons l'occasion d'examiner plus à fond. Je ne les note que pour m'excuser, quand j'assiste au drame de M. Henry Bernstein, d'oublier ce que je connais de cet auteur et les reproches qu'on lui adresse communément.
J'avoue que lorsque je pris place au Gymnase, je sentais bien qu'en dépit de mes prétentions à l'impartialité, mon siège était fait. J'avais lu les critiques de l'admirable et sévère Pierre Gilbert; je savais ce qu'un défenseur de l'Intelligence peut écrire de ce théâtre. Enfin je ne doutais pas que j'eusse à entendre des êtres obscènes et rudimentaires échanger de gros mots et se livrer à d'indécentes mimiques. Surtout je tenais pour établi que ce que j'allais voir était hors la littérature. C'est pourquoi d'abord je ne me pus défendre d'un sentiment de honte, tandis que se déroulait le drame, à sentir croître mon plaisir que partageait toute l'assistance. Je me rappelais le précepte de Racine: “La principale règle est de plaire et de toucher,” et celui de Molière: “Le public est le juge absolu en ces sortes d'ouvrages.” Mais, me disais-je, il ne s'agit plus ici d'une élite comme au grand siècle; et si moi-même qui me pique d'être difficile, je me laisse séduire par Bernstein, c'est à la manière de Mme de Sévigné quand elle avoue adorer les romans de La Calprenède. Un homme de goût trouve en lui de quoi prendre son plaisir à des spectacles bas. L'essentiel est de n'en être pas dupe. Nous entendons tous les jours des artistes d'avant-garde inventer mille excuses à l'agrément que leur donnent le cinéma et le music-hall. Tous ces raisonnements n'empêchèrent pas que le Voleur me parut un ouvrage du plus grand mérite. Des amis avec qui j'étais, et qui nourrissaient contre l'auteur les mêmes préventions, en tombèrent d'accord et nous décidâmes d'employer une partie de la nuit à réviser le procès de M. Henry Bernstein.
Mais voyons d'abord le sujet du Voleur. Une jeune femme, Marise, aime son mari d'un si charnel amour qu'il faut un effort pour se souvenir que nous n'avons pas en face de nous un couple d'amants. Marise, uniquement soucieuse de plaire à son mari, découvre qu'une jolie robe, de luxueuses lingeries accroissent la passion qu'elle inspire. Dès lors, en dépit de modestes ressources, la toilette devient sa hantise. Que dans une villégiature chez de riches amis, elle en arrive à voler six mille francs, voilà ce que l'art de M. Henry Bernstein atteint à ne pas nous rendre invraisemblable, contre l'opinion des personnes auxquelles nous devons faire observer que certaines femmes aiment, si j'ose dire, la toilette en soi et satisfont ce goût, non pour séduire leurs maris mais pour leur satisfaction égoïste —et jusqu'à se donner sans vergogne en échange d'une robe. Mais voici une invention de M. Bernstein qui eût enchanté les ruelles: le fils des amis de Marise, un adolescent de dix-neuf ans, éprouve pour la jeune femme un tel amour, qu'il accepte qu'un policier l'accuse du vol et le déshonore. J'avais lu que M. Henry Bernstein choisissait toujours ses héros dans un monde louche de coulissiers et de parvenus. Les personnages du Voleur sont peut-être bien des gens d'affaires. Ils ne font pas figure de nouveaux riches. Le père souffre du déshonneur de son fils en brave homme, en honnête homme aux principes inflexibles et il n'hésite pas à exiler ce fils unique et chéri.
Ah! je sais qu'il y a la scène du fameux second acte, où figurent seuls Marise et son mari et dont l'unique dialogue, par un prodigieux savoir-faire, tient notre émotion haletante pendant trois quarts d'heure. M. Bernstein s'est offert là le luxe d'un réalisme de mots et de gestes bien inutile à sa gloire. Encore dirai-je qu'en face de cette amoureuse déchaînée, pitoyable et presque animale, le mari, qui, dans une scène pathétique, découvre le crime de sa femme, n'appartient pas à cette humanité instinctive qu'on m'assurait que M. Bernstein peint uniquement: c'est un civilisé de qui la psychologie n'est pas rudimentaire. Après l'horreur de la découverte, il se ressaisit, se frappe la poitrine. Il reconnaît que, bien loin de faire de sa femme une compagne, il ne lui demanda rien que de plaire, d'être une docile amoureuse. Il a créé de ses propres mains ce petit être de ruse et de mensonge.
Ici M. Henry Bernstein n'aurait eu qu'à ne pas craindre de développer pour qu'un moraliste éprouvât à l'endroit de sa pièce un peu de cette indulgence que Port-Royal montrait à la Phèdre de Jean Racine. Le grand tragique s'excusait de cette Phèdre malgré soi perfide et incestueuse sur ce que “les faiblesses de l'amour y paraissent de vraies faiblesses”. Malheureusement, M. Bernstein n'insiste guère: l'époux de Marise, déjà près de pardonner, s'avise que si le fils de leur hôte accepta, pour sauver la jeune femme, de s'accuser à sa place, ce ne peut être que parce qu'elle lui avait donné des raisons d'être reconnaissant. La scène rebondit de la manière qu'aimait Sarcey. L'être que nous admirions devient un forcené— et je sais bien qu'au dernier acte il se ressaisit, que Marise s'accuse pour sauver un innocent, que le drame se dénoue dans une atmosphère de pitié, de repentir et de pardon. N'empêche que s'il est faux que M. Bernstein ne sait rien peindre hors des prostituées et des gens tarés, s'il est faux que ses personnages soient dénués de toute noblesse, c'est vrai que la secrète faiblesse de sa comédie vient de ce que les faiblesses de l'amour n'y apparaissent pas de vraies faiblesses.
A mesure que s'efface la notion de la-faute, comme le drame s'appauvrit! Un personnage m'ennuie, s'il ignore le scrupule, le dialogue intérieur. Tout Français est un casuiste. Comment s'intéresser au criminel qui n'a pas conscience de son erreur? Cette petite Marise “possédée par son homme”, il faut tout l'art de M. Bernstein pour que nous nous y arrêtions. J'admirais tout à l'heure cet adolescent que son amour pousse à s'assumer la faute de celle qu'il aime; au vrai, il obéit à son seul instinct et si Marise lui eût ordonné de commettre un crime, il eût accepté de devenir criminel aussi spontanément qu'il consent à un sacrifice admirable. Il ne s'agit pas d'une lutte contre soi-même, d'une défaite ou d'une victoire de l'homme en proie à ce que les anciens dénommaient le destin, à ce que les chrétiens ont appelé la prédestination; c'est un cyclone, une “rafale”, pour reprendre le titre d'un autre drame de M. Bernstein, une rafale de luxure à quoi rien ne s'oppose, que rien n'arrête.
Je ne voudrais pas faire une injuste querelle à M. Henry Bernstein: que peindrait-il, sinon les mœurs de son époque? Le moins que l'on puisse dire, c'est que nous sommes bien loin de ce dix-septième siècle où, s'il y avait de grands débordements, on admirait aussi de grandes pénitences, des retraites à Port-Royal, toutes ces expiations. Je tiens pour assuré que l'art dramatique en France ne pouvait atteindre son apogée que dans le temps que Pascal écrivait des lettres de direction à Mlle de Roannez, que M. de Rancé réformait la Trappe, que Mme de Longueville faisait sa pénitence, que Mlle de Lavallière devenait sœur Louise de la Miséricorde. Ce n'est pas qu'il ne reste rien de ce temps-là, mais si peu! L'humanité de gens d'affaires qu'on reproche à M. Bernstein de peindre, avouons qu'elle ressemble fort à celle qu'on coudoie dans de plus huppés milieux. Quels que soient son nom et ses relations, toute femme adultère aujourd'hui dans ce monde-là, se glorifie d'être adultère; elle s'honore ainsi que d'un droit de ce que Mme de Montespan, en ses plus grands désordres, considérait toujours comme un crime. Phèdre, désormais, se donne des louanges quand elle s'asservit sans vergogne à ses sens; Titus renonce à l'empire pour suivre Bérénice; Andromaque ne cherche plus de midi à quatorze heures s'il lui plaît d'épouser Pyrrhus. Chacun de nous connaît la tirade sur le droit au bonheur et sur le devoir de vivre sa vie, et celles qui le débitent ne sont pas seulement des femmes de coulissiers, bien loin delà! Lorsqu'un drame tel que le Voleur nous découvre un monde retourné à l'instinct, l'animal humain qui se déchaîne, —toute cette humanité appauvrie infiniment — bien loin que je m'indigne contre le peintre, je le loue de nous révéler puissamment ce que Pascal dénomme “la misère de l'homme sans Dieu”.
J'entends ce que me pourrait opposer M. Bernstein qu'embarrasse un peu mon éloge. Il y a bien de l'arbitraire dans ce contraste que complaisamment je souligne entre le dix-septième siècle et le nôtre. Il ne fut pas que gallican, ce siècle, ni que janséniste! Le “libertin”, l' “honnête homme”, voilà des types de ce temps-là de qui la morale différait fort de celle d'un Pascal ou d'un Nicole. Gassendi, Saint-Évremond avaient mis à la mode Épicure et Lucrèce. Lorsque Molière allait lire son Tartufe à Ninon de Lenclos, ces deux esprits forts se devaient gausser des dévots même sincères. Quelles grandes dames aujourd'hui oseraient, comme celles de la cour de Versailles, fréquenter cette Ninon qui se glorifiait de ses vertus d'honnête homme et de ses mœurs effrénées? J'achève de relire ses lettres au jeune marquis de Sévigné: les païens de 1919 montrent en général plus d'inquiétude et de trouble; ils n'ont plus ce bel équilibre des libertins d'autrefois que Lucrèce avait délivrés de toute terreur théologique. M. Bernstein ajouterait peut-être qu'il est payé pour savoir que les jeunes gens d'aujourd'hui sont parfois sévères.
Ce temps-ci n'est-il pas autant qu'un autre, après tout, pénétré des plus hautes inquiétudes? Acceptons-en l'augure et persuadons-nous que la renaissance de notre théâtre en dépend. Le Voleur fut écrit il y a quelque douze ans; M. Bernstein a, depuis, fait glorieusement la guerre et bien qu'il soit malséant de trop parler des “bienfaits de la guerre”, nous sommes endroit de penser qu'elle dut être, pour ce merveilleux homme de théâtre, une école féconde en leçons; elle a pu modifier sa conception du monde, lui révéler des profondeurs inconnues dans des cœurs de qui le commerce, naguère, ne lui était pas familier. Nous devons attendre beaucoup de son œuvre future.
J'ai confessé que j'avais des préventions contre la pièce de M. Bernstein; j'allai au contraire à celle de M. Sacha Guitry sans douter une seconde qu'elle fût extrêmement divertissante; et de même que certaines gens de province retiennent leur place à la Comédie-Française sans même consulter l'affiche, “parce qu'aux Français on est toujours sûr de passer une bonne soirée”, un Parisien n'appréhende jamais de s'ennuyer à une comédie de M. Sacha Guitry — et d'abord parce qu'il ne se sent pas de joie de contempler M. Sacha Guitry en chair et en os, entouré des siens, et de qui le génie dramatique est d'abattre un mur de sa maison et d'inviter ce vieil ami de public à partager pour un soir sa vie de famille. Montaigne nous avertit aux premières pages de ses Essais “qu'il est lui-même la matière de son livre”; M. Sacha Guitry est la matière de son théâtre. On ne peut même lui opposer ce reproche de Pascal à Montaigne: “Le sot projet qu'il a de se peindre!” Car il ne se peint pas, il ne saurait y avoir de peinture sans interprétation, — M. Sacha Guitry ne se peint pas, il se montre. Il dit: regardez-moi! et le constant succès de son théâtre prouve suffisamment qu'il est irrésistible. Il l'était déjà quand, sur la scène il n'échangeait de propos qu'avec Mlle Yvonne Printemps; mais depuis que son illustre père y figure à leurs côtés et qu'enfin la famille est complète, il faut devant ce Greuze retenir des larmes d'attendrissement. Je ne trouve pas de mot pour dire l'agrément qu'on éprouve et la force du charme qu'on subit. Une dame, devant moi, disait à un monsieur: “Ne trouves-tu pas que, depuis la première de Debureau, notre Sacha a beaucoup maigri?”
Mon père avait raison est porté aux nues par des gens difficiles. D'autres critiques s'émerveillent de ce qu'on y voit l'auteur tourner au moraliste. Mon émerveillement ne fut pas moindre que le leur, encore qu'il n'eût pas tout à fait le même objet. C'est vrai qu'à écouter ce délicieux dialogue, j'avais envie de crier comme le vieillard du parterre, le jour que Molière donna les Précieuses ridicules: “Bravo, Sacha Guitry, voilà de la bonne comédie!” Mais lorsque, le rideau baissé, on s'interroge et qu'on cherche les raisons du plaisir que l'on eut, il faut dire qu'on éprouve un embarras incroyable. Je suis de ces gens malheureux qui ne se contentent pas de savoir qu'ils furent contents et prétendent ne pas ignorer pourquoi ils le furent. Une comédie de M. Sacha Guitry résiste à l'analyse. Je paierais cher pour avoir entre mes mains le texte de Mon père avait raison; mais le fils aura raison de ne le pas imprimer; je le crois trop malin pour le publier jamais (1). Molière en usa de même avec ses premiers ouvrages: à l'en croire, une copie des Précieuses ridicules lui fut dérobée par surprise, et il affecta de le regretter, “car, écrit-il, comme une grande partie des grâces qu'on y a trouvées dépendent de l'action et du ton de voix, il m'importait qu'on ne les dépouillât pas de ces ornements, et je trouvais que le succès qu'elles avaient eu dans la représentation était assez beau pour en demeurer là.” Plût au ciel qu'un admirateur de Mon père avait raison en dérobât le manuscrit et que nous pussions voir ce chef-d'œuvre ailleurs qu'à la chandelle! Je voudrais tellement me persuader que tout le talent de M. Sacha Guitry ne tient pas dans ce titre d'une de ses comédies: l’Illusionniste. L'illusionniste! Des mots nous font tant rire qu'ils semblent profonds; d'énormes paradoxes nous choquent si peu qu'ils paraissent empreints d'une mystérieuse sagesse; des ficelles se révèlent tellement exprès qu'elles nous satisfont mieux qu'aucune habileté et que nous sommes plus reconnaissants à M. Sacha Guitry du toupet qu'il a de nous les laisser voir, qu'à un autre auteur des efforts qu'il eût faits pour nous en défendre la vue. Et par exemple, quand M. Sacha Guitry invente qu'une dame téléphone d'une gare à son mari qu'elle l'abandonne, — vingt ans après, ce sera d'une gare encore qu'elle avisera son mari que la revoilà. Qu'il faut bien connaître son public pour prévoir qu'il s'enchantera de cette symétrie et qu'il porte jusque-là le goût des fausses fenêtres! Notre auteur a bien d'autres tours dans son sac, comme de confier à son père au second acte le rôle que lui-même tenait au premier. Jamais personne trouva-t-il plus divertissante manière de montrer que vingt ans se sont écoulés entre deux actes, et le public raffole de ces artifices.
Au retour du théâtre, et comme je disais à un camarade l'excès de mon contentement: “Oui, me dit-il, mais pourquoi ce titre: Mon père avait raison?”. Je lui avouai que je n'en savais rien. Il m'invita à y réfléchir. Je fermai les yeux et revis, à la première scène, l'admirable Lucien Guitry, si à l'étroit dans ce rôle taillé par son fils. Il est le vieux monsieur désabusé qui a raison: “Sois égoïste, mon enfant, dit-il en gros, il faut être égoïste... Ah! les femmes, c'est rudement gentil, mais c'est rosse: seuls les Turcs les savent comprendre. Ne t'occupe pas des autres. Ne leur demande rien que de te laisser en paix. Ah! la vie, ce serait rudement bien si cela ne se terminait par la mort. Que c'est amusant de mentir! N'attache aucune importance au mensonge...” Si M. Sacha Guitry m'accuse de trop résumer son éthique, je réponds qu'elle pourrait tenir dans beaucoup moins de mots et par exemple dans le “t'en fais pas” cher aux poilus. La pauvreté même de ces maximes nous donne d'ailleurs la mesure du talent de M. Sacha Guitry puisqu'il la déguise sous tant de gentillesses qu'on le juge ainsi qu'un moraliste et des plus fins. On est ému, on sourit, on rit, on meurt de plaisir. J'avoue que c'est un miracle, mais qu'il est irritant! Lirai-je jamais sa comédie au coin de mon feu? Me sera-t-il donné enfin de dénombrer les jeux de cartes truqués, les dés pipés, les boîtes à double fond, les gobelets de ce prodigieux illusionniste?
Sa pièce, du moins, n'est-elle pas ce qu'on appelle une étude de mœurs? Jugez-en: voici une jeune personne que son ami néglige parce qu'il doit passer les soirées avec son père. Elle imagine donc d'aller voir le vieux monsieur et lui propose la compagnie d'une petite amie qu'elle a et qui justement cherche un gentleman un peu mûr: il ne sera plus seul le soir et son fils n'aura plus aucune raison de la négliger. Le père trouve l'invention charmante; il paie aux amoureux un voyage en Italie; et il devient le plus heureux vieux monsieur du monde avec la petite amie que lui fit connaître la maîtresse de son fils. Le public, la critique ont bien goûté la bonhomie de ces mœurs, cet aimable laisser-aller. Le plus revêche bourgeois ne peut se défendre de sourire. M. Sacha Guitry n'atteindra jamais à nous choquer: tout cela a une si bonne odeur d'âge d'or! Au fait, son éthique va peut-être plus loin qu'on ne pourrait croire. Elle nous persuade que nous nous faisons une idée exagérée de ce qui toucheaux choses de l'amour, qu'une femme qui sort de notre vie n'y doit pas mettre plus de trouble qu'une autre qui y entre sans crier gare. Le mari trompé de Mon père avait raison ne se console pas d'avoir été inconsolable; il emploiera sa vieillesse à mettre, si j'ose dire, les bouchées doubles et M. Sacha Guitry nous assure qu'il ne s'en portera que mieux. Il se peut que nous fassions beaucoup de bruit autour de ce qui apparaît à M. Guitry la chose la plus simple du monde. Je connais certaines gens, et non des moindres, qui professent que “la bagatelle” peut avoir un retentissement infini... Mais qu'allais-je dire? Ce serait trop beau que la comédie de M. Sacha Guitry nous incitât à des propos de métaphysique: ce serait le plus fameux triomphe de l'illusionniste et ses tours n'auraient pas obtenu d'effets plus surprenants depuis la dernière fois qu'on l'a comparé à Molière.
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Date
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1919-12-06
Title
A name given to the resource
Au Gymnase : le Voleur (reprise), par M. Henry Bernstein - A la Porte-Saint-Martin : Mon père avait raison, par M. Sacha Guitry
Publisher
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Revue hebdomadaire
Source
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28e année, n°50, p.119-126
Type
The nature or genre of the resource
Chronique dramatique
Creator
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François MAURIAC
Format
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Language
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Français
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<a href="http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34350607j/PUBLIC" target="_blank">Notice bibliographique BnF<br /></a>Repris p.29-34 et p.38-41, <span>in<span class="apple-converted-space"> </span><em>Dramaturges</em>, Paris : Librairie de France, 1928.</span>
Identifier
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MEL_0656
Subject
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théâtre de boulevard, acteurs, amour, culpabilité.
Description
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Ce texte rendant compte de deux pièces du répertoire de boulevard part de considérations esthétiques pour aborder des questions qui deviendront essentielles dans la thématique mauriacienne : le plaisir, l’amour vu comme un sentiment et dans sa réalité physique, la vérité des êtres.
acteurs et actrices
amour
culpabilité
théâtre de Boulevard
-
https://mauriac-en-ligne.huma-num.fr/files/original/779a00e684761de3d446ba413ca95a72.pdf
e8a67850fe83eaa19aed7cc09b79639f
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Title
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Roman
Texte
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Le cahier vert de M. Julien Benda est remarquable à plus d'un titre. D'abord, vit-on jamais si longue préface à de si courtes histoires ? On songe à ces repas russes où le hors-d'œuvre est l'essentiel. Dans sa préface, M. Julien Benda interroge son cœur, qu'ont ému les critiques des Amorandes : parce qu'il est philosophe, on ne veut pas qu'il soit romancier. M. Julien Benda, qui a des idées, a bien raison de croire qu'il a aussi le droit de les incarner. Mais ses incarnations sont-elles des romans ? On n'ose rappeler à un philosophe qu'il faut d'abord définir les termes de la discussion, si l'on veut éviter une querelle de mots. Peut-on définir le roman, l'incarnation des idées ? Nous ne le pensons pas. Le roman crée d'abord des êtres qui vivent, et, si du conflit de leurs passions, se dégagent des idées générales touchant les caractères et les mœurs, il faut que ce soit à l'insu du romancier – ou que, du moins, les lecteurs puissent croire que c'est à son insu. Les êtres que nous ayons créés il importe qu'ils nous dominent et s'imposent à nous ; sinon nous substituerons à la vraie destinée de nos héros notre caprice et notre passion. Le romancier doit être pareil au Dieu de Malebranche, qui n'intervient pas par des volontés particulières. Ainsi, Dostoïevski est à chaque instant débordé par ses personnages, qui l'entraînent où il ne voudrait pas aller.
Cela ne veut pas dire que nous condamnions l'art de M. Julien Benda. Mais faut-il appeler roman ces récits ? Pour la Croix de Roses, conte philosophique nous paraîtrait mieux convenir — ou, si M. Benda y tient, roman philosophique. « La nature n'a pas besoin que votre partenaire vous plaise. Notre excitation seule est nécessaire pour l'amour. La vôtre n'est qu'un luxe. » Cela est dit dans le silence de la nuit, sous les baisers de sa maîtresse, par le héros de M. Julien Benda. Quelle alcôve entendit jamais de tels accents ? Conte philosophique, vous dis-je. Mais comme les idées de M. Benda sont fort ingénieuses et excitantes, nous ne nous plaignons pas. Voyons-les d'un peu près. La Croix de Roses est celle où se crucifie le malheureux homme dont la destinée est d'être amant. M. Benda nous fait de son martyre une peinture qui nous tire les larmes. Les femmes l'aiment, mais elles le méprisent ; il est un objet à leur usage et détourné par elles de toute grande œuvre. Cependant, il n'a jamais la femme tout entière, celle que le- mari, même trompé, possède. Il ne connaît d'elle que le petit animal luxueux et qui aime qu'on le caresse. Il l'ignore humiliée, souffrante, et quand il fout la secourir, et quand elle donne la vie. Tout cela est vrai, d'une vérité relative. Ce cahier vert est un livre consolant à l'usage des personnes pas aimées. Mais les idées perdent bien de leur vérité en s'incarnant, C'est l'inconvénient des contes philosophiques en général que si les idées y sont quelquefois vraies les personnages y sont presque toujours faux.
Et d'abord M. Benda nous montre une jeune femme qui se partage entre l'homme qui lui plaît, mais qu'elle dédaigne, et un grand physiologiste qu'elle admire. Et, selon l'auteur, c'est le grand physiologiste qui a la meilleure part. Il ne s'agit pas ici de la « femme parfaite », telle que l'a conçoit Barrés, quand il écrit à un endroit du Jardin de Bérénice :
« Une femme parfaite se choisirait un amant plein d'ardeur dans l'élite de la cavalerie française et, pour l'aimer d'amour, un prêtre austère comme notre divin Lacordaire... » Certes, nous imaginons une dame cérébrale, de celles qu'enchantent les Dialogues d'Eleutère, s'essayant à cette perfection. Mais, dans aucun cas, si elle adore son amant, elle n'ira par amour de la science caresser chaque samedi le grand physiologiste. Lui faire la lecture, tout au plus.
Nous ne croyons pas non plus beaucoup à cet amant crucifié sur des roses, à ce condamné aux travaux forcés de l'amour. Il nous semble que M. Benda a été trop impressionné par le théâtre de Porto-Riche. Il répète que ce sont toujours les mêmes qui sont amants, et jusqu'à l'âge le plus avancé. Nous ne pensons pas que ce soit aussi simple. Certes, rien n'est si commun que l'homme qui n'est pas né amant. Mais l'amant jusqu'à l'âge le plus avancé est un type fort rare ailleurs que sur les planches. Porto-Riche et, à sa suite, tous les fournisseurs habituels du Boulevard, aiment faire triompher le quinquagénaire, pour des raisons plus humbles qu'ils ne le croient eux-mêmes : peut-être parce qu'ils ont passé cet âge, on parce qu'il faut que, le rôle aille à Guitry, ou encore parce qu'une salle est toujours pleine de vieux messieurs qui ont besoin qu'on les rassure. Le vrai est qu'il y a un âge pour être amant et un autre pour être cocu, et que la justice immanente distribue équitablement aux deux extrémités de notre vie les grâces requises pour ces deux états.
Enfin, au risque de rendre vaincs les consolations que prodigue M. Benda à ceux qui ne sont pas nés amants, reconnaissons qu'il n'est aucune de leurs joies matrimoniales que ne puisse goûter l'homme-à-femmes lorsqu'il se résout à se fixer. La moindre liaison suffit pour qu'il connaisse le corps de son amie « dans toute sa condition humaine, non pas seulement dans ses triomphes, mais dans ses tristesses, dans ses défaites... » Bref, s'il y a des hommes qui ne connaîtront jamais la joie des amants, il n'est pas d'amant qui, une fois au moins dans sa carrière, ne connaisse la grandeur et la servitude conjugale ; un collage y suffit. L'homme qui a eu la plus brillante destinée amoureuse est sûr, tôt ou tard, au moins une fois, d'aimer et de n'être pas aimé.
N'empêche qu'il y a beaucoup de sagesse et de lucidité dans les aphorismes de M. Benda touchant le servage des amants. L'homme sage, après avoir lu son livre, reconnaîtra qu'il faut se déprendre Croix de Roses. Mais c'est un effort que tout le monde n'a pas l'occasion de tenter. Car on ne peut renoncer qu'à ce qu'on a, se dit l'homme qui n'est pas né amant. Du moins, ce petit livre acide et contracté le fournira de raisons pour se glorifier de l'indifférence des femmes à son égard et pour être bien content de sa part ici-bas qui, d'un point de vue bas, n'est peut-être pas la meilleure, mais dont il est bien sûr qu'elle ne lui sera pas ôtée.
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Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1923-04-07
Title
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La Croix de roses par Julien Benda
Publisher
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Les Nouvelles littéraires
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
François MAURIAC
Source
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2e année, n°25, Une
Format
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Language
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Français
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MEL_0514
Subject
The topic of the resource
roman, théâtre de Boulevard, amour, vie conjugale
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Dans ce compte rendu du roman de Julien Benda, François Mauriac exprime son idée que le roman ne peut pas être de la philosophie incarnée mais de la création de personnages autonomes. En même temps, rapprochant l’œuvre de Benda du "trio" habituel du théâtre de Boulevard, il saisit l’occasion pour exposer sa perception de la vie conjugale.
Type
The nature or genre of the resource
Critique littéraire
amour
roman
théâtre de Boulevard
vie conjugale
-
https://mauriac-en-ligne.huma-num.fr/files/original/09fcc3561159970aa40924d1545f4192.pdf
48cb3cc1a8ac6548be82891f27cd7a4a
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Title
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Roman de François Mauriac
Texte
Ressource textuelle
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Un auteur attache du prix aux critiques qui éveillent en lui un doute, une inquiétude, parce qu’il les sent désintéressées; mais tout ce que dicte avec évidence l'esprit de parti lui est indifférent. Depuis des années, dans les feuilles d'extrême-gauche, c'est le lieu commun le plus rebattu que d'en appeler au témoignage des romanciers bourgeois, pour prouver que la bourgeoisie française est pourrie. En ce qui me concerne, il ne me souvient pas d'avoir écrit un seul livre qui n'ait inspiré à un rédacteur de Monde ou d'Europe, ou de quelque autre revue rouge, un facile développement sur ce thème: en décrivant les tares de notre “caste”, nous fournissons à ces adversaires leurs meilleures armes.
Il est pourtant une très simple question que ces messieurs n'ont jamais l'idée de se poser: “Est-il, dans nos ouvrages, un seul drame bourgeois qu'un romancier “populiste” ne pourrait transposer dans le peuple?” Par exemple, le sujet de mon dernier roman: le Nœud de vipères, qui met aux prises un père de famille et ses enfants, est-il particulier à une classe? Il faudrait, pour le prétendre, une incroyable ignorance des mœurs paysannes, ou une forte dose d'hypocrisie. Qu'on m'entende bien: Dieu me garde de soutenir que les “nœuds de vipères” sont communément répandus dans toutes les classes de la société française; mais il me semble évident que ces sortes de haines sévissent dans les milieux les plus divers. Les passions qui séparent les époux, qui bouleversent les familles, tiennent à notre humanité, à notre chair même, et non à la place que nous occupons dans la hiérarchie sociale.
Ce n'est point par le fond, que le drame diffère de classe à classe, mais par ses modalités. Dans la bourgeoisie, il arrive que certains freins jouent encore, qui retardent les péripéties, font rebondir l'action, la compliquent à plaisir, pour le romancier. A d'autres étages de la société, où presque aucune tradition ne subsiste, la passion, au contraire, n'est plus contenue, ne se heurte à rien et va droit son chemin pour s'assouvir. De ce point de vue, peut-être pourrait-on soutenir que la société bourgeoise et provinciale offre plus de ressources aux romanciers que la classe ouvrière ou que la clientèle des palaces. Mais cela serait vrai pour certains écrivains et faux pour d’autres: la plupart des romanciers ne choisissent pas leur terrain, ils sont nés sur le champ qu'ils doivent prospecter et ils y oui poussé de profondes racines.
La vérité humaine que c'est notre fonction de rechercher et, s'il plait à Dieu, de découvrir, se trouve indifféremment contenue dans tous les hommes. Il faut la comparer à ces filons qui circulent dans les entrailles du sol, eu dépit des frontières politiques; de même, il existe dans le monde une réserve immense de passions, un océan souterrain que les barrières superficielles des classes sociales ne délimitent pas.
“Pourriture bourgeoise”, s'obstinent- ils à répéter. Mais s'il y a quelque chose de pourri dans la bourgeoisie, vous pouvez être assuré qu'il y a également quelque chose de pourri dans l'aristocratie et dans le peuple. Nous, chrétiens, qui savons que la nature est corrompue, –disons plutôt: blessée, pour n'être pas suspects de jansénisme,– nous ne sommes point si naïfs que de croire que la pourriture est le privilège des bourgeois. Mais même parmi les romanciers qui ne savent plus leur catéchisme, en existe-t-il un seul pour soutenir que l'étude du cœur humain lui fournirait des sujets plus édifiants, s'il choisissait ses héros dans la corporation des terrassiers ou dans celle des électriciens, plutôt que dans le faubourg Saint-Germain, ou chez les jeunes bourgeois échauffés d’Europe et de Monde?
Je me sentirais beaucoup moins sûr de mon fait si, au lieu de parler des passions (qui est l'étude habituelle des romanciers), il s'agissait ici de vertus: la pratique du bien en général, se ressemble d’un milieu à un autre; il existe, tout de même, certaines qualités qui sont plus proprement populaires: par exemple, le sens de l'entraide, cette charité quotidienne de porte à porte, tellement répandue parmi les plus pauvres, que ceux chez qui nous l’admirons ne songeraient même pas à s’en glorifier, –comme elle semble inconnue des bourgeois, repliés sur eux-mêmes, hérissés de défenses, capables de vivre vingt-ans dans une maison, sans connaître aucun des locataires qui l’habitent!
Il y a aussi cette vertu du travail… Sans doute, personne aujourd’hui n’en est plus à opposer le travail des mains à celui de l’esprit; et l'on sait que les Soviets, eux-mêmes, placent très haut les techniciens et utilisent jusqu'à l'espèce de gens la plus inutile: les romanciers! Il n'empêche que nous ne saurions trop méditer ce qu'écrivait d'une trappe le Père de Foucauld, occupé à la moisson: “Ce travail, plus pénible qu'on ne pense quand on ne l'a jamais fait, donne une telle compassion pour les pauvres, une telle charité pour les ouvriers, les laboureurs! On sent si bien le prix d'un morceau de pain, quand on voit par soi-même combien il coûte de peine pour le produire! On a tant de pitié pour tout ce qui travaille, quand on partage ces travaux!”
Oui, il y a une sainteté dans ce travail du corps assigné à toute la race humaine, depuis la chute. Et une égale bénédiction n'est peut-être pas attachée au pain, même quand nous l'avons gagné, si ce n'est pas à la sueur de notre front.
Mais ceci dit, nous soutenons que, comme il existe des vertus populaires, il existe aussi des vertus proprement bourgeoises, des vertus familiales... Ici, les adversaires ont beau jeu pour nous interrompre et pour nous demander compte de tous les drames de famille, souvent horribles, dans lesquels il semble que nous nous complaisions. Il est trop vrai que le romancier vit de conflits, qu'il les cherche partout. Or, la famille représente la première barrière à laquelle se heurte l’instinct individuel. La passion de l’homme et celle de la femme se cabrent sous ce joug. Nous n'avons pour ainsi dire pas le choix; c'est le sujet qui d'abord s'impose à nous. Mais reconnaissons qu'ainsi faisant, nous allons au plus facile, nous cédons à une facilité. S'il n'est pas vrai de dire que l'on compose toujours de mauvaise littérature avec les bons sentiments, il est certain qu'en général, les excès de la passion nous paraissent plus aisés à rendre que les victoires de la sainteté. Seul ou presque, René Bazin aura tenu cette gageure de demeurer jusqu'à sa mort le romancier des âmes, au sens le plus purement chrétien, et pourtant de laisser une œuvre d'une grande valeur humaine.
A qui se penche sur la famille, ce qui d’abord saute aux yeux, ce sont des rivalités, des haines parfois, –tous les menus drames de la jalousie, et surtout l'amour de l'argent, cette avarice qui, sous ses formes bénignes, arrive à se déguiser en vertu: l'économie, l'épargne... Mais, profondément, il existe, dans ces familles, surtout chez les femmes, un trésor de vertus cachées, souvent héroïques, –et plus profondément encore, un mystère d'amour très secret, qui me parait presque inexprimable. Au vrai, seuls les très grands l'ont exprimé (je pense à la famille Rostow dans Guerre et Paix). Qui de nous a écrit le roman normal de la mère et du fils (ma Genitrix est un monstre; que c'est simple de peindre les monstres!). Qui, surtout, a écrit le roman de la sœur et du frère? –du frère et du frère?
Amour maternel, amour fraternel... La famille s'oppose d'abord à nous comme un roc aux dures arêtes. Mais qui saurait creuser assez loin atteindrait peut-être ces nappes profondes qu'elle recouvre. Nous croyons que les romanciers bourgeois souvent témoignent en sa faveur, même dans leurs études les plus implacables. Les reptiles que j'ai décrits dans le Nœud de vipères grouillent à la surface de certains cœurs, mais ils ne sont pas ces cœurs eux-mêmes; et tout le livre, que quelques critiques d'extrême-gauche ont feint de ne pas comprendre, tend à rendre visible, au delà de ce grouillement, une âme créée à l'image de Dieu.
Dans cet automne adorable, à la même table où l'an dernier j'achevais ce cruel ouvrage, j'écris le dernier chapitre d'un nouveau récit que, par opposition au Nœud de Vipères, j'eusse voulu appeler le Nid de Colombes, si Catherine Mansfield n'avait déjà pris ce titre. Mais en voulant peindre le mystère d'amour d'une bonne famille de chez nous, j'ai senti, à chaque instant, l'objet que je poursuivais se dérober sous ma main, et fuir entré mes doigts cette eau toute pure que je voulais capter.
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Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1932-10-08
Title
A name given to the resource
Le Roman bourgeois
Publisher
An entity responsible for making the resource available
L'Echo de Paris
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
MEL_0448
Source
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48e année, n° 19349, p. 1
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
François MAURIAC
Relation
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<a href="http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34429768r/PUBLIC" target="_blank">Notice bibliographique BnF</a>
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
Pdf
Microfilm
Language
A language of the resource
Français
Subject
The topic of the resource
amour, art du roman, bourgeoisie, écriture, nature humaine, roman
Description
An account of the resource
Contre les critiques "d'extrême-gauche" qui voient dans le roman bourgeois la preuve de la corruption de la bourgeoisie française, François Mauriac affirme que les drames dépeints sont, la plupart du temps, universels. Les modalités changent, mais pas le fond. Certes, il existe des vertus populaires, mais il existe aussi des vertus bourgeoises et familiales, notamment des formes d’amour filial ou fraternel qui sont plus difficiles à représenter que le déchaînement des passions – un problème auquel l’écrivain se trouve confronté dans son dernier roman, en cours de rédaction [Le Mystère Frontenac].
Type
The nature or genre of the resource
Chronique
amour
écriture
Nature humaine
roman
-
https://mauriac-en-ligne.huma-num.fr/files/original/a1b901919ad047023c1d0abb137a4782.pdf
daf07845324779b2f32c08cdd1e004ca
Texte
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En octobre, dans mon pays landais, le chasseur de palombes prépare le “sol” –l’étroit espace où il accumule tout ce qui peut séduire l’oiseau voyageur, souvent à bout de forces: des herbes fraîches, du grain en abondance et surtout l’eau que, du haut du ciel, les palombes altérées voient luire. Ainsi des hommes naïfs, pour capter le bonheur, groupent-ils, au bord de la mer, ce qui, dans leur idée, appelle sa présence: cyprès, nappes de fleurs, balustres, miroirs d’eau. Les maîtres de ces beaux jardins, tapis dans leur villa comme le chasseur landais dans sa cabane, attendent le passage de l’Oiseau bleu.
Mais les palombes s’abattent avec fracas dans les chênes, puis, une à une, se posent sur le sol: le bonheur, lui, a-t-il jamais subi l’attrait de ces jardins trop beaux? Au vrai, ceux qui les ont dessinés et construits ont atteint l’inexistant: ils ont créé une absence. Ici, l’absence du bonheur devient tangible: c’est à cette terrasse qu’il devrait s’accouder, sur ce banc qu’il ne s’est jamais assis; le bassin ne reflète que le ciel vide.
Si ce ciel n’était le plus pur de tous les ciels, ce climat le plus immuable et cette mer la plus calme de toutes les mers, on pourrait oublier l’absence du bonheur: un nuage distrairait nos yeux. Si le maitre du jardin avait commis une seule faute de goût, elle nous amuserait un instant, et nous nous arrêterions de guetter l’Oiseau bleu. Mais non: pas une dissonance! Ce que tu prenais pour une erreur était voulu: cette boule de verre au milieu de la pelouse? On la jugeait ridicule, naguère, chez les bourgeois de Viroflay ou de Bougival; mais aujourd’hui, c’est bien; c’est bien, parce que c’est laid; et déjà elle va redevenir comique et “impossible” parce qu’il commence à y avoir longtemps qu’on la trouve bien!
Si ce domaine vivait, si les vaches remontaient, le soir, si les relents de l’étable couvraient, un instant, l’odeur des héliotropes et des géraniums chauffés, si un paysan passait, avec sa veste sur l’épaule, et te souhaitait le bonsoir, les espérances, les déboires, les pauvres soucis de la terre te détourneraient de la chimère absente. Aucun espoir: tout, ici, n’est qu’ordre et beauté, luxe, calme… –et volupté? Qui le dira?
Sans doute, le Plaisir n’est-il pas le Bonheur: “Non! pas le bonheur… Le plaisir!”, s’écriait Oscar Wilde, à la vieille d’être abattu. Telle est la grande tentation de l’homme déçu dans la chasse au bonheur: lui substituer de Plaisir, qu’il ne faut pas confondre avec les plaisirs; car ceux-ci: jeux, sports, courses, voyages, aident heureusement les deux tiers de l’humanité à se passer de bonheur. Le Plaisir, lui, ne nous divertit pas de notre idée fixe: être heureux; il tire à soi cette aspiration; il met l’infini dans la sensation; il nous fait croire qu’elle contentera notre exigence démesurée. Au vrai, il irrite, il exaspère la soif de ses victimes; il les entraine, par des chemins affreux, jusqu’au point où plus rien ne les attire que le sommeil et l’anéantissement.
Beaucoup de ceux qui cherchent à tromper avec le plaisir leur faim de bonheur gardent le sentiment que la vraie formule de la vie est détenue par l’humanité la plus simple; car ils sont nés dans une bonne famille de France, où il n’était jamais question de bonheur, mais de devoir, de raison, de courage. Parfois, ils descendent de leur beau jardin où l’Oiseau bleu ne s’est pas posé, et dans la ville proche, s’assoient à la terrasse d’un café, regardent passer ceux qui peinent, se divertissent et meurent avec simplicité. Ainsi les raffinés subissent-ils l’attrait du peuple. Il y a bien des façons d’aimer le peuple; et ce n’est pas la pire que de goûter en lui cette vertu d’acceptation et de patience dont nous sommes incapables, au milieu de toutes les délices.
Mais, hélas! parmi les plus humbles gens, le Plaisir, “ce bourreau sans merci”, continue de harceler ses victimes, et jusque dans les petits ports de pêcheurs de médiocres sabbats s’organisent.
Je me souviens d’un soir: le soleil déclinant dorait les pierres du vieux fort qui a guetté, pendant des siècles, les pirates. Le cimetière dormait au bord de la mer, et les tombes de ces pêcheurs ressemblaient à leurs barques tirées à terre. Des rues d’ombre et de silence aboutissaient à des places mystérieuses; l’église, gonflée comme une poule, pressait contre elle les maisons vivantes. Mais sur le port même, dans le tissu rose et vert de la façade, il y avait comme une plaie ouverte par le Plaisir. Face à la mer et devant les beaux voiliers au repos, le Plaisir, sous son aspect le plus bas –celui qu’il revêt à Montmartre– avait poussé son troupeau d’esclaves. Ils dansaient, vivaient, crevaient des ballons avec des gestes d’idiots.
Souvent, le cancer du plaisir ronge les lieux et les êtres auxquels il s’attache; mais l’étrange, ici, c’était qu’autour du point contaminé, le petit port endormi avait gardé don aspect de pureté, d’humilité: il ressemblait à un enfant sérieux et triste que l’on force à répéter des mots obscènes. Devant le cabaret, où le Plaisir hurlait, un groupe sombre se dressait de vieux marins, de jeunes filles, d’adolescents. Leurs propos (qu’il est impossible de rapporter) exprimaient deux sentiments: le mépris et l’envie. Hélas! Ils enviaient ce qu’ils méprisaient. Et, un peu en recul, dans l’ombre, attachés à leurs autos magnifiques, aussi brillants qu’elles et vêtus de luxe, les chauffeurs attendaient que le sabbat fût fini. Peuple étranger, inactif, surnourri, mais condamné à ne jamais dormir. A quoi songent-ils, au bord des trottoirs de Montparnasse ou de Montmartre, ou devant la mer, lorsque, après une longue attente nocturne, ils voient l’aube grelottante éclairer le bord du ciel?
Sans doute, refuseraient-ils de croire que leurs maîtres, qui n’en finissent pas de tourner et de boire, et qui crient aux nègres du jazz, avec des gestes de suppliants: “Encore! encore!” sont des désespérés et n’en peuvent plus de vivre. “Le jazz est bon ici, disent-ils, le vacarme ne l’interrompt pas; c’est un endroit où il est impossible de penser.” Tout est bon qui suspend la réflexion, la pensée, qui les détourne de se voir eux-mêmes et de voir les autres. Oui, sans doute, l’amour existe, dont ils parlent sans cesse, –l’amour qui alimente toutes leurs histoires, tous leurs potins. Mais l’amour est un beau fruit que le Plaisir fait danser devant leurs yeux, et qu’ils n’ont pas la force de happer. Dans l’ordre de l’amour, si nous pouvions imaginer à quel point il ne se passe rien chez ceux qui en paraissent les plus occupés! Si nous pouvions savoir… mais les femmes le savent.
L’une d’elles avait donné un bal dans le plus beau des jardins. Un plancher avait été disposé pour la danse, sous une lumière éblouissante. Mais, à l’entour, les allées s’enfonçaient sous les arbres vaporeux –faites pour attirer les couples de Watteau. La romanesque dame croyait que les branches basses écouteraient les aveux et les soupirs. Or, toute la nuit, les papillons du monde volèrent et titubèrent autour des lanternes et des phares; le jardin profond n’attira personne dans ses ténèbres et aucun soupir humain n’émut les feuilles endormies.
Même chez ceux qui ont sauvegardé leur équilibre, chez les plus normaux de ses esclaves, le Plaisir émousse et peu à peu détruit ce que l’amour exige de générosité, de renoncement à soi-même. Ils sont devenus impropres à ces grandes passions qui, aux siècles chrétiens, permettaient d’extraordinaires et sublimes retours, ces pénitences à la mesure des crimes accomplis. L’amour désordonné de la créature n’avait qu’à changer de direction pour, d’un seul élan, atteindre Dieu.
Aujourd’hui, les cœurs n’ont plus besoin d’orages pour périr. On se perd, à la lettre, pour moins que rien. Parfois, des hommes au tournant de l’âge, s’effrayent de finir sans avoir goûté, une fois encore, à l’amour; ils le cherchent, le provoquent, tournent autour des jeunes femmes, s’efforcent de se faire prendre; ils voudraient et ne peuvent plus souffrir; car la passion n’est plus ce lion rugissant qui cherche à nous dévorer, dont parlait l’apôtre; elle ressemble plutôt à l’un de ces taureaux fuyards que les banderilles même n’atteignent pas à rendre furieux. Ainsi, quand, par hasard, l’un de ces hommes est blessé enfin et souffre, c’est qu’il l’a cherché et voulu: jamais passion ne fut moins fatale. A la vue de ce peu de fumée qui annonce qu’un semblant de feu a pris, les tenants du Plaisir s’émerveillent, crient au miracle s’efforce d’attiser la pauvre flamme… mais elle ne dure guère: l’amour exige des loisirs, et le Plaisir n’en laisse pas à ses victimes; il les ligote d’habitudes, d’exigences; il les asservit à des poisons; il les accoutume à de longs sommeils, à des songes; il les attire dans un monde clos où, comme dans la mort qu’il préfigure, l’homme ne peut pénétrer que seul.
“De quelle espèce de gens parlez-vous? demandera-t-on peut-être. Nous ne les connaissons pas; nous ne les avons jamais rencontrés…” Ils existent pourtant et Dieu nous garde de les juger avec le cœur enflé d’un pharisien, ceux-là qui ont à choisir entre le surnaturel et le suicide.
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Date
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1932-07-30
Title
A name given to the resource
Le Bonheur et le plaisir
Identifier
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MEL_0443
Source
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48 année, n° 19279, p. 1
Creator
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François MAURIAC
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<a href="http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34429768r/PUBLIC" target="_blank">Notice bibliographique BnF</a>
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
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Microfilm
Language
A language of the resource
Français
Publisher
An entity responsible for making the resource available
L'Echo de Paris
Subject
The topic of the resource
Vie intérieure, Âme, Frustration, Amour, Solitude
Description
An account of the resource
Mise en opposition des notions de Bonheur et de Plaisir. Approfondissement de la notion de Plaisir à partir de la description de plusieurs situations (chasse aux palombes en Aquitaine, réceptions bourgeoises, fréquentations de locaux nocturnes, …). Le plaisir est configuré : comme le substitut du Bonheur, comme l’illusion qui ne divertit pas de l’idée fixe d’être heureux, comme une masque qui cache l’asservissement aux sentiments d’envie et de mépris, comme le recours pour suspendre toute réflexion, comme un faux semblant de l’amour, comme un bourreau qui interdit à l’être humain tout loisirs, en l’asservissant dans un monde clos d’habitudes, de répétitions et de songes qui insidieusement contraignent ce même humain à la solitude.
Type
The nature or genre of the resource
Tribune libre
âme
amour
frustration
Solitude
Vie intérieure
-
https://mauriac-en-ligne.huma-num.fr/files/original/a2aa16327519459b1c742a424cc004f2.pdf
57642ddc728598dafd4348fee9b56ad7
Texte
Ressource textuelle
Text
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Dans son journal que publie la Nouvelle Revue française, André Gide cite ces paroles d'un jeune mourant: “Il n'y a pas de plaisir à jouer dans un monde où tout le monde triche.” Paroles qui n’émeuvent pas seulement la pitié par la déception affreuse qu'elles trahissent; elles nous touchent au point sensible et chacun regarde ses mains, examine les dés qu’il agite: sont-ils pipés? Sommes-nous des tricheurs? Faisons-nous semblant de croire ce que nous croyons? Du monde et de nous-même, ne retenons-nous que ce qui sert notre cause et renforce nos partis pris?
C’est ce dont Gide n'a jamais douté; d'où son irritation contre Barrès. Selon lui, Barrés est un homme que l'Asie attire, mais qui renie ses plus profonds désirs et se fabrique des idoles: la terre, les morts. Pourtant, ce qui nous importe aujourd'hui, ce n'est pas la doctrine barrésienne dont les insuffisances sautent aux yeux, mais le constant effort de Barrés pour se dépasser. Ce besoin est en lui chaque jour plus exigeant; il ne se suffit pas à lui-même; et il eût été un tricheur, justement, s’il avait agi sans en tenir compte. Jamais, d’ailleurs, Barrés n’a nié son penchant pour le rêve, ni pour la dissolution de l'être. Ce goût, il n’a pas même prétendu le détruire en lui: simplement, en demeurer le maître. Il fait à l'évasion une place dans sa vie; il s'accorde des répits: “...Il s'agit qu'un jour, après tant de contraintes, je me fasse plaisir à moi-même…”, écrit-il au printemps de 1914, à la veille de son départ pour l’Orient. Mais à peine a-t-il lâché la bride, qu’il se reprend, ou plutôt qu’une autre part de lui-même élève son exigence: “Je n’y vais pas chercher des couleurs et des images, mais un enrichissement de l’âme…”
Barrès, qui n'était qu'un chrétien de désir, bien loin d'irriter Gide, devrait le séduire, puisqu'il ne sacrifie aucune de ses tendances opposées, qu’il orchestre leurs voix adverses. En somme, là où Gide a échoué, Barrés réussit en donnant toujours le total de lui-même. Barrés a passé sa vie, pour ainsi dire, à “s'accorder”. Gide, au contraire, s'établit dans le désaccord; il est déchiré et, jusqu'à ces derniers temps, il en a été réduit au dialogue entre le chrétien et le Grec; chacun des ennemis, dans son cœur, parlait à son tour; ou bien ils se disputaient confusément. Il n'a cessé d'être divisé contre lui-même. Sans doute, de très bonne heure, a-t-il pris parti pour l'épanouissement libre et spontané de l’instinct; mais jusqu'à ces dernières années, il n'avait pu se résoudre à jeter par-dessus bord ce qui, en lui, protestait. Parfois même, comme dans les pages de Num quid et tu, le gémissement inénarrable couvrait la voix de l’homme charnel. Aujourd'hui, toute protestation est étouffée; le Gide de 1932, semble débarrassé de quelque chose ou de quelqu'un; ce qu'il écrit pèse moins lourd; il s'est terriblement allégé... En trichant? Oui le dira? Tricher, ce peut être d'escamoter une carie; désormais, il manque une carte au jeu de Gide: ou plutôt, à celle qui portait inscrit, le Nom qui est au-dessus de tout nom, il en a substitué une autre (qu'elle est sale! que de traces de doigts!) où est écrit ce mot: Progrès. “J'aimerais vivre assez, écrit-il, pour voir le plan de la Russie réussir... Tout mon cœur applaudit à celle gigantesque et tout humaine entreprise.” Ainsi André Gide, qui enseignait à notre jeunesse que chacun de nous est le plus irremplaçable de tous les êtres, désire, maintenant, le triomphe de la termitière bolcheviste où toute créature sera interchangeable.
Et pourtant, dût l'adversaire en triompher, il faut reconnaître que si la mort n’avait pas interrompu la marche en avant de Barrès vers le catholicisme, il aurait dû renoncer à cette orchestration si humaine et si belle des voix opposées de son âme. Oui, Barrès aurait dû choisir, il aurait dû retrancher; il aurait dû jeter par-dessus bord, lui aussi, une part de son butin. Choisir, est-ce tricher? Si choisir est tricher, tout le monde triche, et même celui qui choisit de ne pas choisir... Et le jeune mourant dont Gide nous rapporte terribles paroles a bien fait de mourir.
Gide protestera que lui, du moins, ne triche pas, parce que ce qu’il sacrifie c’est ce qu’il a reçu en dehors et par force, ce que l’éducation lui imposa; et ce qu'il garde, c’est ce qui lui appartient en propre et touche à sa nature la plus profonde. Mais le chrétien reprend cette affirmation à son compte; ce qui en lui résiste à tout, c’est le désir de pureté et de perfection… Débat sans fin, et qui nous départagera? Eh bien! ce sera Gide lui-même, qui écrit dans son plus récent journal: “J'ai souvent éprouvé combien une obligation facilite en moi le bonheur; une tâche à accomplir. Je ne parviendrai pas à me ressaisir sans discipline. C'est ici que triomphent les pratiques religieuses. L'être pensant qui n'a que soi pour but souffre d'une vacance abominable. Le voyage n'est qu'un étourdissement. Je suis à l'âge où je voudrais de moi le meilleur. Je n'obtiens rien, et j'ai désappris d'exiger.”
Ne triomphons pas trop vite: si la pratique religieuse n'était qu'une discipline dont, à certaines heures, un Gide même éprouve le manque, qui donc y resterait fidèle? Non, ce n'est pas une discipline toute nue, dont nous ayons besoin, c'est d'un amour. Si ce joug n'était celui de l'amour, qui le supporterait? Et voilà, sans doute, ce que Barrés, fils de Renan, comprenait mal; mais Gide, lui, sait bien ce que nous voulons dire. Il ne s'agit pas, pour le chrétien, de dresser des barrières el des garde-fous, ni de se fournir de béquilles. Un homme qui s'efforce de vivre, tant bien que mal, selon la loi chrétienne, c'est simplement le signe qu'il préfère quelqu'un. Il peut aimer beaucoup d'autres choses, être sensible au charme d'une vie toute différente, comprendre Montaigne et Nietzsche, –mais quelqu'un est dans sa vie, qu'il préfère, même en le trahissant. C'est une affaire personnelle entre un autre et nous-même; un débat sans fin où parfois nous nous armons contre le Christ des arguments de l'humanisme; –mais il faut toujours en revenir à la comparaison de Claudel; “Comme un ami qui préfère son ami... ”
Il ne s’agit ni d'une construction de l'esprit, ni d'un monde imaginaire: quelqu'un est vraiment venu, certaines paroles ont été dites, certaines promesses affirmées. “…Et si la perle de grand prix, insinue Gide dans son Journal, pour la possession de laquelle un homme laisse tous ses biens, se découvre une perle fausse?” Ici, Barrès eût peut-être répondu: “Que m'importe? Le catholicisme est une valeur terrestre el cela suffit; il nourrit l'âme et crée de la beauté…”
Sur ce point, je me sens plus près de Gide; car si je croyais que la perle est fausse, quel que fût le bénéfice que j'en pusse attendre, avec quelle fureur je la rejetterais! Mais ici intervient cette grâce de Dieu et cette vertu de l'homme: la Foi, suivie de la petite fille Espérance. Ce matin, j'assistais à la cérémonie où un jeune bénédictin prononçait ses vœux. A un moment, il étendit les deux bras et chanta par trois fois, en latin, sur un ton de plus en plus élevé de supplication ardente: “Que je ne sois pas trompé dans mon espérance!” Non, aucune angoisse dans cette prière; ou, s'il en subsistait un atome, quelle vague d'amour et de joie le recouvrait, jaillie du plus profond de ce cœur pur! L'amour apports avec lui sa certitude.
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Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1932-07-16
Title
A name given to the resource
Qui triche?
Identifier
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MEL_0442
Source
A related resource from which the described resource is derived
48e année, n°19265, p. 1
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
François MAURIAC
Relation
A related resource
<a href="http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34429768r/PUBLIC" target="_blank">Notice bibliographique BnF</a>
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
Pdf
Microfilm
Language
A language of the resource
Français
Publisher
An entity responsible for making the resource available
L'Echo de Paris
Subject
The topic of the resource
Barrès, Gide, Vie intérieure, Examen de conscience, Amour, Nature humaine
Description
An account of the resource
Dialogue imaginaire entre deux intellectuels chrétiens Gide et Barrés. Mauriac met en exergue l’opposition des positions des deux intellectuels, vis-à-vis du « choix ». Notamment le choix entre des désirs, des goûts, des penchants qui mettent un individu en conflit avec lui même. Choisir entre éléments contraires, ou choisir de ne pas choisir c’est « tricher » : le choix implique le fait de délaisser et donc de trahir ce que l’on a pas choisi. Selon Mauriac au contraire, choisir, par exemple, de vivre selon la loi chrétienne c’est préférer quelqu’un, en continuant de façon quotidienne et de façon imparfaite, à témoigner de sa foi et de son espérance par l’amour que l’on porte à ce quelqu’un. C’est l’amour qui apporte de la certitude aux choix importants que l’on fait.
Type
The nature or genre of the resource
Editorial
amour
examen de conscience
Gide
Maurice Barrès
Nature humaine
Vie intérieure