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Title
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Guerre d'Espagne (1936-1939)
Texte
Ressource textuelle
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Chez Dullin, le Jules César de Shakespeare nous donne jusqu’à l’hallucination l’évidence de l’immobilité, de l’invariabilité de l’homme. Cette histoire de l’an 44 avant Jésus-Christ, dont un grand poète, seize cents ans plus tard, tire un drame sublime, représentée en 1937 sur un pauvre et charmant théâtre de Paris, est plus remplie d’allusions à l’actualité qu’une revue montmartroise.
Mussolini, Franco, le peuple de Rome et celui de Barcelone sont joués ici au naturel. O mythe du progrès! Voilà l’homme tel qu’il est, la foule telle qu’elle est. Le poète nous tend ce miroir du fond des siècles et nous y reconnaissons notre propre figure. Il nous asperge de sang, et c’est toujours le même sang qui continue d’être versé au nom des mêmes dieux: Patrie, Peuple, Ordre, Liberté, Démocratie…
Si nous reconnaissons ces assassins fraternels, c’est que Shakespeare ne divise pas l’homme: il peut avancer dans l’horreur aussi loin qu’il lui plaît, accumuler meurtres et suicides, il le peut sans nous désespérer parce qu’il sauvegarde toujours, au centre même de la tuerie, une source vivante de tendresse. Il n’existe peut-être pas, dans la littérature universelle, une découverte plus surprenante que la triste douceur de ce jeune Brutus, assassin de son père, de son maître, de son ami… car César était tout cela pour lui.
Sur ces représentations de l’Atelier, j’ai entendu beaucoup de critiques et de louanges. J’avoue n’être pas grand clerc en ces matières. Le théâtre ne me donne presque jamais une joie pure: il y a toujours un détail souvent infime, un arbre en carton, une fleur en papier, un bas de coton mal tiré sur la jambe étique d’un acteur, qui s’interpose entre mon cœur et l’œuvre, et gâte mon plaisir. Mais rien de tel n’a troublé la joie que me donne, chez Dullin, le tableau qui se déroule sous la tente du jeune Brutus, la veille de la bataille de Philippes. Dans ce décor clos, n’éclate pas une dissonance. Au delà de la toile, règne la nuit pleine d’embûches et les constellations toujours présentes dans le ciel de l’œuvre shakespearienne. C’est après la dispute sublime des deux amis, Brutus et Cassius, interrompue par le mot: “Portia est morte” et où Shakespeare exprime, comme nul autre poète ne l’a fait, dans ce qu’il a de plus secret et de plus pur, ce sentiment de l’amitié auquel certains refusent l’existence ou qu’ils confondent avec l’amour. De ses mains criminelles, Brutus étend sur un lit de camp son petit serviteur ensommeillé. Pour se défendre contre l’angoisse, il invite deux de ses officiers non à veiller auprès de lui, mais à dormir.
Tous ces jeunes et mâles sommeils, dont la tente est remplie, n’en défendent pas l’accès à César assassiné. On voudrait savoir si Hitler, Mussolini, Staline lisent Shakespeare, s’ils se réveillent parfois la nuit et demeurent les yeux ouverts dans le noir, s’ils ont besoin qu’un ami respire auprès d’eux jusqu’à l’aube.
Telle est la leçon du poète éternel au tyran éternel: vous ne créerez pas un homme nouveau, vous ne changerez pas l’homme. Vous n’éliminerez ni cette barbarie, ni cette tendresse.
De même que vous avez reçu des dictateurs de l’histoire la plus reculée, vos ruses et vos attitudes, et que vous avancez, sur les médailles et dans les magazines, le même horrible menton, c’est la même pâte humaine que de siècle en siècle vous pétrissez. Le “requete” de Franco, le soldat de la Brigade Internationale, cette “chemise noire”, ce “faucon rouge”, posaient déjà pour Shakespeare, et ces ennemis mortels se ressemblaient déjà comme des frères: ils portaient en eux, comme ils font aujourd’hui, comme ils feront dans mille ans, cette bête féroce et ce pauvre cœur.
Et peut-être l’art de gouverner les hommes se ramène-t-il à équilibrer leurs puissances de douceur et leur instinct de destruction. Aussi ardemment que nous chérissions nos chimères politiques ou autres, et les chéririons-nous jusqu’au crime, il reste que les plus durs d’entre nous, les plus sanguinaires, seraient capables de prendre, comme le jeune Brutus, un enfant endormi dans leurs bras, de l’étendre avec précaution et de veiller sur son sommeil.
P.S. — Je renouvelle aujourd’hui, avec plus d’insistance encore, l’appel que j’avais lancé l’an dernier en faveur de nos étudiants. C’est samedi 6 février, à 21 heures, au Centre Marcelin-Berthelot, 28 bis, rue Saint-Dominique, que se déroulera La Nuit des Lettres au profit des bourses de secours aux étudiants, organisée par l’Association d’Entr’aide des étudiants de Paris. De nombreuses vedettes ont promis leur concours à ce bal. Des cartes (20 francs pour les étudiants, 35 francs pour les autres personnes) sont à votre disposition à la Sorbonne, chez Durand, 4, place de la Madeleine, et à l’entrée de la salle. J’insiste auprès de mes jeunes lectrices qu’elles viennent nombreuses, qu’elles amènent leurs amis.
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Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1937-02-02
Title
A name given to the resource
La Leçon de Shakespeare
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Le Figaro
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
MEL_0238
Source
A related resource from which the described resource is derived
112e année, n°33, p.1
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
François MAURIAC
Relation
A related resource
<a href="http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34355551z/PUBLIC" target="_blank">Notice bibliographique BnF</a>
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
Pdf
Language
A language of the resource
Français
Subject
The topic of the resource
guerre d'Espagne, tyran, cruauté, amitié, Histoire
Description
An account of the resource
Rendant compte d'une représentation de <em>Jules César</em> chez Dullin, François Mauriac écrit un article typique de sa conception de la littérature et de l'Homme. Il confronte le personnage de Brutus avec ceux des dictateurs contemporains et constate la permanence de l'Homme, impossible à changer et mélange de barbarie et de tendresse.
Type
The nature or genre of the resource
Chronique
amitiés
cruauté
guerre d'Espagne
Histoire
tyran
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https://mauriac-en-ligne.huma-num.fr/files/original/b089b0dec7b6739bb22ba198681e7546.pdf
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Title
A name given to the resource
Guerre d'Espagne (1936-1939)
Texte
Ressource textuelle
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Comme une grande grâce venait de nous être accordée: un orage sans grêle et chargé de pluie, les arbres cessèrent de souffrir; les jeunes peupliers qu’avait menacés la mort par la soif, frémirent de joie dans le vent humide; et l’argile même, là où la sécheresse l’avait rendue béante, se referma.
Et nous aussi, nous étions délivrés. Il nous était permis de quitter à toute heure du jour la maison. Rien ne nous défendait plus, lorsque ce fut dimanche, de courir les routes. Je n’aime pas le dimanche à la campagne: il ajoute sa solitude à notre solitude. Le peu d’humanité dont on devine la présence durant la semaine, se retire ce jour-là des vignes, s’accumule au fond des auberges assombries, et notre cœur se fatigue à battre seul pour animer un monde mort qui ne souffre pas.
Si nous choisîmes, ce dimanche-là, comme but de notre promenade, à plus de cent kilomètres le bourg landais de Saint-Vincent-de-Tyrosse, ce fut bien moins pour la corrida qui s’y donnait, que pour le prétexte de suivre une route aimée entre toutes: celle qui, de Langon à Bayonne, par Bazas, Captieux, Roquefort, Tartas, Mont-de-Marsan, traverse la forêt de pins et de chênes. Elle est bordée de grands platanes demi-nus dont la chair végétale luit et palpite à travers des haillons d’écorce.
La lande était fumante après les pluies d’orage, et tous les bourgs en fête. Oui, cette corrida n’était qu’un prétexte. Les ayant beaucoup aimées dans ma jeunesse, depuis la guerre je n’y suis presque plus revenu (une fois à Madrid, deux ou trois fois à Bordeaux). Mais durant les vacances, les chroniques d’une si curieuse verve de Don Severo, dans la Petite Gironde ne me laissent rien ignorer de ce petit monde fanatique. Don Severo est le janséniste de l’“aficion”; il en est le Saint-Cyran: d’une rigueur terrible, impitoyable aux matadors qui ne travaillent pas presque immobiles et dans les cornes du fauve.
Je fus donc à cette corrida de Saint-Vincent-de-Tyrosse. Il m’a fallu, ce jour-là, crever un de mes derniers ballons, renoncer à l’un de mes derniers plaisirs. Non! Plus jamais je n’assisterai à une course de taureaux. Sans doute serait-il injuste de les juger toutes sur celle-là qui fut au-dessous du pire, moins par la faute des matadors que par celle d’un bétail exécrable, fuyant et, comme on dit, “manso”. Mais nous eût-il été donné de voir une belle corrida et d’applaudir un Martial Lalanda, nous aurions dû tout de même subir ce qui, tout à coup, me paraissait horrible à crier: l’attachement de cette foule assise, inactive, abritée, embusquée, “planquée” , à un spectacle dangereux pour l’homme, mortel pour la bête. Quant à cet art que j’ai tant admiré, toute sa science repose sur le leurre: une bête seule contre dix, trompée, dupée jusqu’à la mort… L’étrange est qu’elle s’en aperçoive, parfois, qu’elle le devine. Les taureaux “manso” ne sont si méprisés du public que parce qu’ils savent tout d’avance. L’un d’eux, à Saint-Vincent-de-Tyrosse, ne voulait pas sortir du toril. Et quand on l’eut traîné de force dans le cirque, il semblait faire non, encore, de sa grosse tête d’innocent…
Pourtant, ce qui m’arracha soudain ce vœu: “Je n’y reviendrai jamais plus…”, ce ne fut pas tant cette horreur toute physique, ce dégoût, cette pitié, ni même la honte que me donnait la présence des Anglais venus de Biarritz –de ce garçon surtout dont le beau visage était comme durci par le mépris. Non, la raison de mon désenchantement, elle m’apparut tout à coup: impossible d’ignorer, aujourd’hui, de quoi notre goût pour les corridas est le signe. Nous savons, nous ne pouvons plus ne pas savoir ce que dissimule dans son cœur cette foule qui hurle autour d’une bête couverte de sang.
Nous avons appris, et dès notre jeunesse, que l’homme est né féroce. Un jeune Français qui va à l’école et qui aime les livres connaît tout de l’homme dès qu’il a ouvert Montaigne, Pascal et Racine. Nos moralistes ont frappé en maximes, ils ont comme monnayé cette connaissance, et nous en avons toujours eu plein les poches. Mais cette science-là ne sert de rien: il faut avoir reçu la leçon des événements, avoir vécu à une époque sanguinaire et privilégiée: nous sommes servis.
Il est vrai que tous les hommes, à toutes les époques, ont été servis; les institutions changent, mais la férocité demeure: c’est le fond permanent, au point que nous ne pouvons appartenir à une Eglise, à une Patrie, à une classe, à un parti, sans être solidaires dans le passé, dans le présent et jusqu’à la consommation des siècles, de bourreaux innombrables et de martyrs sans nombre.
Nous n’avons pas vu mourir le dernier taureau. Dès que nous fûmes sortis de Saint-Vincent-de-Tyrosse, les platanes, au-dessus de nos fronts humiliés, firent, avec leurs branches jointes, le geste de nous absoudre. “Seul le monde végétal est innocent…”, disais-je… Est-il innocent? Il a lui aussi ses parasites, ses empoisonneurs, ses assassins; et certains champignons sont plus corrompus que certains êtres. Si, par la volonté d’un dieu, les hommes prenaient tout à coup racine, si leurs bras se chargeaient de feuillage, s’ils n’exhalaient pas d’autre plainte que celle du vent, nous savons bien que ces créatures immobiles trouveraient une issue pour s’atteindre et pour se blesser, et que la terre indifférente boirait leur sève comme elle boit notre sang.
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Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1938-08-12
Title
A name given to the resource
Le Dernier taureau
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Le Figaro
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
MEL_0213
Source
A related resource from which the described resource is derived
113e année, n°224, p.1 et 3
Type
The nature or genre of the resource
Chronique
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
François MAURIAC
Relation
A related resource
<a href="http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34355551z/PUBLIC" target="_blank">Notice bibliographique BnF</a>
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
Pdf
Language
A language of the resource
Français
Subject
The topic of the resource
guerre d'Espagne, tauromachie, cruauté, solitude, nature
Description
An account of the resource
François Mauriac raconte comment le spectacle du corrida "au-dessous du pire" et de son public "planqué" lui semble signifier un goût du sang intolérable à cette époque de guerre. Ancien aficionado, il décide de renoncer définitivement à la corrida.
cruauté
guerre d'Espagne
nature
Solitude
tauromachie