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Représentations théâtrales
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Puisqu'il faut, cet hiver, que je fréquente les théâtres et que je dois compte de mes impressions aux lecteurs de la Revue hebdomadaire, j'ai d'abord voulu m'astreindre à une révision de mes idées sur la comédie en général, et j'ai découvert qu'elles étaient toutes de seconde main. Dans la conversation, j'avais coutume de déclarer, par exemple, que l'état démocratique n'est pas favorable à l'art du théâtre; que pour un Molière, un Racine, il s'agissait de satisfaire la Cour et la Ville, c'est-à-dire une élite, mais que pour un Bataille, un Bernstein, l'essentiel est de se faire applaudir par les foules cosmopolites qui garnissent indéfiniment les salles du Boulevard. J'ajoutais que les directeurs de ces lieux de plaisir n'étant pas des artistes mais des hommes d'affaires, il leur importe seulement de cuisiner des plats selon des recettes connues. Enfin je déplorais l'importance excessive des grandes vedettes et des grands couturiers, et dénonçais l'actrice pour qui l'auteur dramatique s'abaisse à écrire des rôles sur mesure. Voilà de quels prétextes je me payais afin de ne pas fréquenter les théâtres, et je comptais pour rien le fait de loger dans ce XVIe arrondissement qui, passé minuit, inspire aux chauffeurs de taxis une répulsion incroyable.
Mais enfin, et encore qu'il y ait sans doute du vrai dans tout ceci, j'ai cru que mieux valait en faire provisoirement table rase et juger la pièce de M. Henry Bernstein et celle de M. Sacha Guitry, comme si je tombais de la lune et que j'entendisse pour la première fois le nom de ces auteurs. D'autant que je pressens l'arbitraire de mes idées toutes faites: à première vue, les efforts d'un Antoine, d'un Lugné-Poé, d'un Gémier, d'un Jacques Copeau témoignent qu'en dépit de l'état démocratique une large élite existe que passionne l'art du théâtre. Dans la préface de Britannicus, Racine parle du petit nombre de gens sages auxquels il s'efforce de plaire. Ne pourrait-on soutenir que ce petit nombre est devenu un grand nombre? Voici que M. Paul Claudel sort des ténèbres du cénacle et consent à devenir un auteur de la Comédie-Française et même du Boulevard, où vous verrez qu'il aura du succès autant que M. Bataille. Quant à l'inconvénient des grandes vedettes, Mme de Sévigné n'avait peut-être pas tort d'écrire: “Racine fait des comédies pour la Champmeslé...”, mais elle se donne le ridicule d'ajouter: “Ce n'est pas pour les siècles à venir.” Qu'un auteur, en écrivant une pièce, songe à telle actrice, cela ne suffit donc pas à l'empêcher d'avoir du talent. C'est vrai que, pendant un demi-siècle, Mme Sarah Bernhardt a inspiré aux écrivains de son temps de bien fâcheuses Théodoras; mais croit-on qu'ils eussent montré sans elle plus de génie? Ne pourrait-on dire au contraire que souvent d'admirables acteurs n'ont pas donné leur mesure faute d'auteurs qui fussent dignes d'eux? Voilà divers points que nous aurons l'occasion d'examiner plus à fond. Je ne les note que pour m'excuser, quand j'assiste au drame de M. Henry Bernstein, d'oublier ce que je connais de cet auteur et les reproches qu'on lui adresse communément.
J'avoue que lorsque je pris place au Gymnase, je sentais bien qu'en dépit de mes prétentions à l'impartialité, mon siège était fait. J'avais lu les critiques de l'admirable et sévère Pierre Gilbert; je savais ce qu'un défenseur de l'Intelligence peut écrire de ce théâtre. Enfin je ne doutais pas que j'eusse à entendre des êtres obscènes et rudimentaires échanger de gros mots et se livrer à d'indécentes mimiques. Surtout je tenais pour établi que ce que j'allais voir était hors la littérature. C'est pourquoi d'abord je ne me pus défendre d'un sentiment de honte, tandis que se déroulait le drame, à sentir croître mon plaisir que partageait toute l'assistance. Je me rappelais le précepte de Racine: “La principale règle est de plaire et de toucher,” et celui de Molière: “Le public est le juge absolu en ces sortes d'ouvrages.” Mais, me disais-je, il ne s'agit plus ici d'une élite comme au grand siècle; et si moi-même qui me pique d'être difficile, je me laisse séduire par Bernstein, c'est à la manière de Mme de Sévigné quand elle avoue adorer les romans de La Calprenède. Un homme de goût trouve en lui de quoi prendre son plaisir à des spectacles bas. L'essentiel est de n'en être pas dupe. Nous entendons tous les jours des artistes d'avant-garde inventer mille excuses à l'agrément que leur donnent le cinéma et le music-hall. Tous ces raisonnements n'empêchèrent pas que le Voleur me parut un ouvrage du plus grand mérite. Des amis avec qui j'étais, et qui nourrissaient contre l'auteur les mêmes préventions, en tombèrent d'accord et nous décidâmes d'employer une partie de la nuit à réviser le procès de M. Henry Bernstein.
Mais voyons d'abord le sujet du Voleur. Une jeune femme, Marise, aime son mari d'un si charnel amour qu'il faut un effort pour se souvenir que nous n'avons pas en face de nous un couple d'amants. Marise, uniquement soucieuse de plaire à son mari, découvre qu'une jolie robe, de luxueuses lingeries accroissent la passion qu'elle inspire. Dès lors, en dépit de modestes ressources, la toilette devient sa hantise. Que dans une villégiature chez de riches amis, elle en arrive à voler six mille francs, voilà ce que l'art de M. Henry Bernstein atteint à ne pas nous rendre invraisemblable, contre l'opinion des personnes auxquelles nous devons faire observer que certaines femmes aiment, si j'ose dire, la toilette en soi et satisfont ce goût, non pour séduire leurs maris mais pour leur satisfaction égoïste —et jusqu'à se donner sans vergogne en échange d'une robe. Mais voici une invention de M. Bernstein qui eût enchanté les ruelles: le fils des amis de Marise, un adolescent de dix-neuf ans, éprouve pour la jeune femme un tel amour, qu'il accepte qu'un policier l'accuse du vol et le déshonore. J'avais lu que M. Henry Bernstein choisissait toujours ses héros dans un monde louche de coulissiers et de parvenus. Les personnages du Voleur sont peut-être bien des gens d'affaires. Ils ne font pas figure de nouveaux riches. Le père souffre du déshonneur de son fils en brave homme, en honnête homme aux principes inflexibles et il n'hésite pas à exiler ce fils unique et chéri.
Ah! je sais qu'il y a la scène du fameux second acte, où figurent seuls Marise et son mari et dont l'unique dialogue, par un prodigieux savoir-faire, tient notre émotion haletante pendant trois quarts d'heure. M. Bernstein s'est offert là le luxe d'un réalisme de mots et de gestes bien inutile à sa gloire. Encore dirai-je qu'en face de cette amoureuse déchaînée, pitoyable et presque animale, le mari, qui, dans une scène pathétique, découvre le crime de sa femme, n'appartient pas à cette humanité instinctive qu'on m'assurait que M. Bernstein peint uniquement: c'est un civilisé de qui la psychologie n'est pas rudimentaire. Après l'horreur de la découverte, il se ressaisit, se frappe la poitrine. Il reconnaît que, bien loin de faire de sa femme une compagne, il ne lui demanda rien que de plaire, d'être une docile amoureuse. Il a créé de ses propres mains ce petit être de ruse et de mensonge.
Ici M. Henry Bernstein n'aurait eu qu'à ne pas craindre de développer pour qu'un moraliste éprouvât à l'endroit de sa pièce un peu de cette indulgence que Port-Royal montrait à la Phèdre de Jean Racine. Le grand tragique s'excusait de cette Phèdre malgré soi perfide et incestueuse sur ce que “les faiblesses de l'amour y paraissent de vraies faiblesses”. Malheureusement, M. Bernstein n'insiste guère: l'époux de Marise, déjà près de pardonner, s'avise que si le fils de leur hôte accepta, pour sauver la jeune femme, de s'accuser à sa place, ce ne peut être que parce qu'elle lui avait donné des raisons d'être reconnaissant. La scène rebondit de la manière qu'aimait Sarcey. L'être que nous admirions devient un forcené— et je sais bien qu'au dernier acte il se ressaisit, que Marise s'accuse pour sauver un innocent, que le drame se dénoue dans une atmosphère de pitié, de repentir et de pardon. N'empêche que s'il est faux que M. Bernstein ne sait rien peindre hors des prostituées et des gens tarés, s'il est faux que ses personnages soient dénués de toute noblesse, c'est vrai que la secrète faiblesse de sa comédie vient de ce que les faiblesses de l'amour n'y apparaissent pas de vraies faiblesses.
A mesure que s'efface la notion de la-faute, comme le drame s'appauvrit! Un personnage m'ennuie, s'il ignore le scrupule, le dialogue intérieur. Tout Français est un casuiste. Comment s'intéresser au criminel qui n'a pas conscience de son erreur? Cette petite Marise “possédée par son homme”, il faut tout l'art de M. Bernstein pour que nous nous y arrêtions. J'admirais tout à l'heure cet adolescent que son amour pousse à s'assumer la faute de celle qu'il aime; au vrai, il obéit à son seul instinct et si Marise lui eût ordonné de commettre un crime, il eût accepté de devenir criminel aussi spontanément qu'il consent à un sacrifice admirable. Il ne s'agit pas d'une lutte contre soi-même, d'une défaite ou d'une victoire de l'homme en proie à ce que les anciens dénommaient le destin, à ce que les chrétiens ont appelé la prédestination; c'est un cyclone, une “rafale”, pour reprendre le titre d'un autre drame de M. Bernstein, une rafale de luxure à quoi rien ne s'oppose, que rien n'arrête.
Je ne voudrais pas faire une injuste querelle à M. Henry Bernstein: que peindrait-il, sinon les mœurs de son époque? Le moins que l'on puisse dire, c'est que nous sommes bien loin de ce dix-septième siècle où, s'il y avait de grands débordements, on admirait aussi de grandes pénitences, des retraites à Port-Royal, toutes ces expiations. Je tiens pour assuré que l'art dramatique en France ne pouvait atteindre son apogée que dans le temps que Pascal écrivait des lettres de direction à Mlle de Roannez, que M. de Rancé réformait la Trappe, que Mme de Longueville faisait sa pénitence, que Mlle de Lavallière devenait sœur Louise de la Miséricorde. Ce n'est pas qu'il ne reste rien de ce temps-là, mais si peu! L'humanité de gens d'affaires qu'on reproche à M. Bernstein de peindre, avouons qu'elle ressemble fort à celle qu'on coudoie dans de plus huppés milieux. Quels que soient son nom et ses relations, toute femme adultère aujourd'hui dans ce monde-là, se glorifie d'être adultère; elle s'honore ainsi que d'un droit de ce que Mme de Montespan, en ses plus grands désordres, considérait toujours comme un crime. Phèdre, désormais, se donne des louanges quand elle s'asservit sans vergogne à ses sens; Titus renonce à l'empire pour suivre Bérénice; Andromaque ne cherche plus de midi à quatorze heures s'il lui plaît d'épouser Pyrrhus. Chacun de nous connaît la tirade sur le droit au bonheur et sur le devoir de vivre sa vie, et celles qui le débitent ne sont pas seulement des femmes de coulissiers, bien loin delà! Lorsqu'un drame tel que le Voleur nous découvre un monde retourné à l'instinct, l'animal humain qui se déchaîne, —toute cette humanité appauvrie infiniment — bien loin que je m'indigne contre le peintre, je le loue de nous révéler puissamment ce que Pascal dénomme “la misère de l'homme sans Dieu”.
J'entends ce que me pourrait opposer M. Bernstein qu'embarrasse un peu mon éloge. Il y a bien de l'arbitraire dans ce contraste que complaisamment je souligne entre le dix-septième siècle et le nôtre. Il ne fut pas que gallican, ce siècle, ni que janséniste! Le “libertin”, l' “honnête homme”, voilà des types de ce temps-là de qui la morale différait fort de celle d'un Pascal ou d'un Nicole. Gassendi, Saint-Évremond avaient mis à la mode Épicure et Lucrèce. Lorsque Molière allait lire son Tartufe à Ninon de Lenclos, ces deux esprits forts se devaient gausser des dévots même sincères. Quelles grandes dames aujourd'hui oseraient, comme celles de la cour de Versailles, fréquenter cette Ninon qui se glorifiait de ses vertus d'honnête homme et de ses mœurs effrénées? J'achève de relire ses lettres au jeune marquis de Sévigné: les païens de 1919 montrent en général plus d'inquiétude et de trouble; ils n'ont plus ce bel équilibre des libertins d'autrefois que Lucrèce avait délivrés de toute terreur théologique. M. Bernstein ajouterait peut-être qu'il est payé pour savoir que les jeunes gens d'aujourd'hui sont parfois sévères.
Ce temps-ci n'est-il pas autant qu'un autre, après tout, pénétré des plus hautes inquiétudes? Acceptons-en l'augure et persuadons-nous que la renaissance de notre théâtre en dépend. Le Voleur fut écrit il y a quelque douze ans; M. Bernstein a, depuis, fait glorieusement la guerre et bien qu'il soit malséant de trop parler des “bienfaits de la guerre”, nous sommes endroit de penser qu'elle dut être, pour ce merveilleux homme de théâtre, une école féconde en leçons; elle a pu modifier sa conception du monde, lui révéler des profondeurs inconnues dans des cœurs de qui le commerce, naguère, ne lui était pas familier. Nous devons attendre beaucoup de son œuvre future.
J'ai confessé que j'avais des préventions contre la pièce de M. Bernstein; j'allai au contraire à celle de M. Sacha Guitry sans douter une seconde qu'elle fût extrêmement divertissante; et de même que certaines gens de province retiennent leur place à la Comédie-Française sans même consulter l'affiche, “parce qu'aux Français on est toujours sûr de passer une bonne soirée”, un Parisien n'appréhende jamais de s'ennuyer à une comédie de M. Sacha Guitry — et d'abord parce qu'il ne se sent pas de joie de contempler M. Sacha Guitry en chair et en os, entouré des siens, et de qui le génie dramatique est d'abattre un mur de sa maison et d'inviter ce vieil ami de public à partager pour un soir sa vie de famille. Montaigne nous avertit aux premières pages de ses Essais “qu'il est lui-même la matière de son livre”; M. Sacha Guitry est la matière de son théâtre. On ne peut même lui opposer ce reproche de Pascal à Montaigne: “Le sot projet qu'il a de se peindre!” Car il ne se peint pas, il ne saurait y avoir de peinture sans interprétation, — M. Sacha Guitry ne se peint pas, il se montre. Il dit: regardez-moi! et le constant succès de son théâtre prouve suffisamment qu'il est irrésistible. Il l'était déjà quand, sur la scène il n'échangeait de propos qu'avec Mlle Yvonne Printemps; mais depuis que son illustre père y figure à leurs côtés et qu'enfin la famille est complète, il faut devant ce Greuze retenir des larmes d'attendrissement. Je ne trouve pas de mot pour dire l'agrément qu'on éprouve et la force du charme qu'on subit. Une dame, devant moi, disait à un monsieur: “Ne trouves-tu pas que, depuis la première de Debureau, notre Sacha a beaucoup maigri?”
Mon père avait raison est porté aux nues par des gens difficiles. D'autres critiques s'émerveillent de ce qu'on y voit l'auteur tourner au moraliste. Mon émerveillement ne fut pas moindre que le leur, encore qu'il n'eût pas tout à fait le même objet. C'est vrai qu'à écouter ce délicieux dialogue, j'avais envie de crier comme le vieillard du parterre, le jour que Molière donna les Précieuses ridicules: “Bravo, Sacha Guitry, voilà de la bonne comédie!” Mais lorsque, le rideau baissé, on s'interroge et qu'on cherche les raisons du plaisir que l'on eut, il faut dire qu'on éprouve un embarras incroyable. Je suis de ces gens malheureux qui ne se contentent pas de savoir qu'ils furent contents et prétendent ne pas ignorer pourquoi ils le furent. Une comédie de M. Sacha Guitry résiste à l'analyse. Je paierais cher pour avoir entre mes mains le texte de Mon père avait raison; mais le fils aura raison de ne le pas imprimer; je le crois trop malin pour le publier jamais (1). Molière en usa de même avec ses premiers ouvrages: à l'en croire, une copie des Précieuses ridicules lui fut dérobée par surprise, et il affecta de le regretter, “car, écrit-il, comme une grande partie des grâces qu'on y a trouvées dépendent de l'action et du ton de voix, il m'importait qu'on ne les dépouillât pas de ces ornements, et je trouvais que le succès qu'elles avaient eu dans la représentation était assez beau pour en demeurer là.” Plût au ciel qu'un admirateur de Mon père avait raison en dérobât le manuscrit et que nous pussions voir ce chef-d'œuvre ailleurs qu'à la chandelle! Je voudrais tellement me persuader que tout le talent de M. Sacha Guitry ne tient pas dans ce titre d'une de ses comédies: l’Illusionniste. L'illusionniste! Des mots nous font tant rire qu'ils semblent profonds; d'énormes paradoxes nous choquent si peu qu'ils paraissent empreints d'une mystérieuse sagesse; des ficelles se révèlent tellement exprès qu'elles nous satisfont mieux qu'aucune habileté et que nous sommes plus reconnaissants à M. Sacha Guitry du toupet qu'il a de nous les laisser voir, qu'à un autre auteur des efforts qu'il eût faits pour nous en défendre la vue. Et par exemple, quand M. Sacha Guitry invente qu'une dame téléphone d'une gare à son mari qu'elle l'abandonne, — vingt ans après, ce sera d'une gare encore qu'elle avisera son mari que la revoilà. Qu'il faut bien connaître son public pour prévoir qu'il s'enchantera de cette symétrie et qu'il porte jusque-là le goût des fausses fenêtres! Notre auteur a bien d'autres tours dans son sac, comme de confier à son père au second acte le rôle que lui-même tenait au premier. Jamais personne trouva-t-il plus divertissante manière de montrer que vingt ans se sont écoulés entre deux actes, et le public raffole de ces artifices.
Au retour du théâtre, et comme je disais à un camarade l'excès de mon contentement: “Oui, me dit-il, mais pourquoi ce titre: Mon père avait raison?”. Je lui avouai que je n'en savais rien. Il m'invita à y réfléchir. Je fermai les yeux et revis, à la première scène, l'admirable Lucien Guitry, si à l'étroit dans ce rôle taillé par son fils. Il est le vieux monsieur désabusé qui a raison: “Sois égoïste, mon enfant, dit-il en gros, il faut être égoïste... Ah! les femmes, c'est rudement gentil, mais c'est rosse: seuls les Turcs les savent comprendre. Ne t'occupe pas des autres. Ne leur demande rien que de te laisser en paix. Ah! la vie, ce serait rudement bien si cela ne se terminait par la mort. Que c'est amusant de mentir! N'attache aucune importance au mensonge...” Si M. Sacha Guitry m'accuse de trop résumer son éthique, je réponds qu'elle pourrait tenir dans beaucoup moins de mots et par exemple dans le “t'en fais pas” cher aux poilus. La pauvreté même de ces maximes nous donne d'ailleurs la mesure du talent de M. Sacha Guitry puisqu'il la déguise sous tant de gentillesses qu'on le juge ainsi qu'un moraliste et des plus fins. On est ému, on sourit, on rit, on meurt de plaisir. J'avoue que c'est un miracle, mais qu'il est irritant! Lirai-je jamais sa comédie au coin de mon feu? Me sera-t-il donné enfin de dénombrer les jeux de cartes truqués, les dés pipés, les boîtes à double fond, les gobelets de ce prodigieux illusionniste?
Sa pièce, du moins, n'est-elle pas ce qu'on appelle une étude de mœurs? Jugez-en: voici une jeune personne que son ami néglige parce qu'il doit passer les soirées avec son père. Elle imagine donc d'aller voir le vieux monsieur et lui propose la compagnie d'une petite amie qu'elle a et qui justement cherche un gentleman un peu mûr: il ne sera plus seul le soir et son fils n'aura plus aucune raison de la négliger. Le père trouve l'invention charmante; il paie aux amoureux un voyage en Italie; et il devient le plus heureux vieux monsieur du monde avec la petite amie que lui fit connaître la maîtresse de son fils. Le public, la critique ont bien goûté la bonhomie de ces mœurs, cet aimable laisser-aller. Le plus revêche bourgeois ne peut se défendre de sourire. M. Sacha Guitry n'atteindra jamais à nous choquer: tout cela a une si bonne odeur d'âge d'or! Au fait, son éthique va peut-être plus loin qu'on ne pourrait croire. Elle nous persuade que nous nous faisons une idée exagérée de ce qui toucheaux choses de l'amour, qu'une femme qui sort de notre vie n'y doit pas mettre plus de trouble qu'une autre qui y entre sans crier gare. Le mari trompé de Mon père avait raison ne se console pas d'avoir été inconsolable; il emploiera sa vieillesse à mettre, si j'ose dire, les bouchées doubles et M. Sacha Guitry nous assure qu'il ne s'en portera que mieux. Il se peut que nous fassions beaucoup de bruit autour de ce qui apparaît à M. Guitry la chose la plus simple du monde. Je connais certaines gens, et non des moindres, qui professent que “la bagatelle” peut avoir un retentissement infini... Mais qu'allais-je dire? Ce serait trop beau que la comédie de M. Sacha Guitry nous incitât à des propos de métaphysique: ce serait le plus fameux triomphe de l'illusionniste et ses tours n'auraient pas obtenu d'effets plus surprenants depuis la dernière fois qu'on l'a comparé à Molière.
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1919-12-06
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Au Gymnase : le Voleur (reprise), par M. Henry Bernstein - A la Porte-Saint-Martin : Mon père avait raison, par M. Sacha Guitry
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Revue hebdomadaire
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28e année, n°50, p.119-126
Type
The nature or genre of the resource
Chronique dramatique
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François MAURIAC
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Français
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<a href="http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34350607j/PUBLIC" target="_blank">Notice bibliographique BnF<br /></a>Repris p.29-34 et p.38-41, <span>in<span class="apple-converted-space"> </span><em>Dramaturges</em>, Paris : Librairie de France, 1928.</span>
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
MEL_0656
Subject
The topic of the resource
théâtre de boulevard, acteurs, amour, culpabilité.
Description
An account of the resource
Ce texte rendant compte de deux pièces du répertoire de boulevard part de considérations esthétiques pour aborder des questions qui deviendront essentielles dans la thématique mauriacienne : le plaisir, l’amour vu comme un sentiment et dans sa réalité physique, la vérité des êtres.
acteurs et actrices
amour
culpabilité
théâtre de Boulevard