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Guerre d'Espagne (1936-1939)
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Sur un fond rougeâtre, le pâle Malraux s’offre, hiératique, aux ovations. L’avant-bras qu’il replie, le poing serré, va-t-il se multiplier et faire la roue autour de sa tête d’idole? Les Indes et la Chine ont curieusement marqué ce Saint-Just. Pour moi seul, sans doute, dans cette foule, il rappelle Chan-Ock, le jeune pirate d’un récit de mon enfance, dans un Saint Nicolas des années 90.
Dès que Malraux ouvre la bouche, son magnétisme faiblit. Non qu’il n’y ait en lui de quoi faire un tribun, et même un grand tribun; mais le littérateur lui coupe le sifflet. Les images qu’il invente, au lieu de réchauffer son discours, le glacent: elles sont trop compliquées, on y sent la mise au point laborieuse de l’homme de lettres. Ainsi l’aube pressentie de la victoire de Madrid devient pour Malraux ce reflet de chevaux de bois qui, dans la glace d’un café, révéla sa guérison à un milicien aveugle: ce n’était pas facile à expliquer, cela semblait interminable; et nous n’en sortions plus.
Le problème de Malraux, futur commissaire du peuple, sera de passer du style écrit au style parlé. Dans les rares instants où il y réussit, son éloquence dégagée du larmoiement, du trémolo des vieux ténors politiciens, m’a paru sèche et coupante à souhait. Je doute qu’il en ait conscience, car il cherche à émouvoir comme les camarades; mais la sensiblerie n’est pas son fort: dès qu’il veut attendrir, il ennuie.
Son exorde fut excellent. M’avait- il aperçu au fond de la salle? A travers cette forêt de poings tendus, il reprenait un dialogue interrompu depuis des années, du temps que ce petit rapace hérissé, à l’œil magnifique, venait se poser au bord de ma table, sous ma lampe. Alors il m’adressait la même question qu’il me jette ce soir, du haut de cette estrade où l’aviateur, le risque-tout éclipse de sa trouble gloire le troupeau des écrivains fonctionnaires —où les Chamson, les Cassou et les Jean-Richard Bloch sont les escabeaux de ses pieds.
“L’Église a eu ce peuple sous sa coupe... qu’en a-t-elle fait?” Pas plus en public, aujourd’hui, qu’autrefois dans nos conversations privées, Malraux ne traite la religion avec dédain. Il hait peut-être, mais il ne méprise pas. Déjà, à dix- huit ans, quand il parlait du Christ, ce réfractaire savait de qui il parlait. Rien ne rappelle en lui cette horrible espèce de vieux radicaux maçons qui s’attendrissent sur le doux vagabond de Judée; Malraux connaît le Christ: ce doux vagabond est toujours son dur adversaire.
S’il m’avait directement interpellé, je lui eusse répondu: “Je sais ce que les prêtres ont fait de ce peuple, parce que je sais ce que ce peuple a fait de ses prêtres: seize mille ecclésiastiques massacrés, onze évêques assassinés...” Le Frente popular brûle de zèle pour son Église: grâce à lui, elle ne manquera jamais de martyrs.
Le point faible de Malraux, c’est son mépris de l’homme —cette idée qu’on peut entonner n’importe quoi aux bipèdes qui l’écoutent bouche bée. Quoi qu’il ait raconté de lui, nous ne l’avons jamais cru tout à fait. Dieu sait pourtant que ce joueur, qui depuis l’adolescence s’engage à fond, perd sa vie, aurait le droit de ne rien ajouter à son histoire; mais il faut qu’il nous trompe: son démon l’exige.
Il y a de l’esbroufeur dans cet audacieux, mais un esbroufeur myope, qui n’a pas d’antennes, qui se fie trop à notre bêtise. Par exemple, lorsque l’autre soir, à la Mutualité, il affirmait que le général Queipo de Llano avait ordonné par Radio de bombarder les hôpitaux et les ambulances “pour atteindre le moral de la canaille”, il n’arracha pas à cette salle pourtant passionnée le rugissement d’horreur attendu: on ne le croyait pas. De même, après une description trop soignée de paysans espagnols faisant cortège à des aviateurs gouvernementaux blessés, il ajouta: “Chez l’ennemi, quand leurs aviateurs tombent, si l’on n’envoyait les carabiniers à leur secours, personne n’irait les relever...” A ce moment, il dut sentir quelque résistance dans la salle, car il ajouta mezzo voce: “sauf en Navarre...”
Il ne sait pas mentir, voilà le vrai: il ment mal. Il ne sait pas plaire non plus, ce Malraux, en dépit des folles acclamations qui l’accueillent. Il ne mâche pas les mots à cette foule venue pour entendre des paroles consolantes. “Toute la question est de savoir si nous arriverons à transformer la ferveur révolutionnaire en discipline révolutionnaire...” Cette dure vérité, assenée d’une voix mauvaise, répandit la consternation. Des fascistes tapis dans les coins se pourléchèrent les babouines. J’entendis mon voisin dire à mi-voix: “S’ils n’ont pas encore résolu le problème, ils sont cuits.”
Lorsque le héros quitta l’estrade, la température de la salle avait baissé. Les acclamations tournèrent court. Malraux rentra dans sa solitude.
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Date
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1937-02-11
Title
A name given to the resource
Le Retour du milicien
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Le Figaro
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
MEL_0192
Source
A related resource from which the described resource is derived
112e année, n°42, p.1
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
François MAURIAC
Relation
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<a href="http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34355551z/PUBLIC" target="_blank">Notice bibliographique BnF</a>
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
Pdf
Language
A language of the resource
Français
Subject
The topic of the resource
Front populaire, guerre d'Espagne, Brigades internationales, christianisme, portrait
Description
An account of the resource
Assistant à un meeting de Malraux à la Mutualité, François Mauriac donne de l’écrivain engagé dans la guerre d’Espagne un portrait doucement ironique et laisse percer ses doutes sur l’avenir des républicains espagnols.
Type
The nature or genre of the resource
Chronique
Brigades internationales
christianisme
Front populaire
guerre d'Espagne
portrait
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https://mauriac-en-ligne.huma-num.fr/files/original/3d5ebd89d0a512e5f58d507104d1cec2.pdf
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Texte
Ressource textuelle
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Est-ce parce que je n'ai pu l’apercevoir de profil? Je ne retrouve pas, dans M. Léon Blum, l’insecte féroce, la mante religieuse des dessins de Sennep. La bouche est invisible; le binocle remplace les yeux; le front ne manque pas de lumière.
Tant de belles dames l'impressionnent, peut-être; car il adoucit sa voix et sa doctrine. A travers les murs, contemple-t-il en esprit la file des autos luxueuses, les grands chauffeurs et les pékinois minuscules qui attendent qu'il ait fini? J'aurais voulu lui souffler:
“Ces dames sont venues pour avoir peur, ne les privez pas de leur frisson.” Mais M. Léon Blum, qui est bien élevé, choisit de rassurer tout ce beau monde: à l’entendre, le socialisme ne coûtera pas une goutte de sang; nous nous réveillerons, un beau matin, en pleine idylle. Le socialisme est pacifiste, comme l'est aussi l'Eglise catholique, et pour les mêmes raisons. Dans Jaurès, “esprit synthétique, esprit symphonique”, l’habile homme met l'accent sur le lettré délicat, sur l'admirateur du moyen âge et des cathédrales, presque aussi éloquent... que Bossuet.
S'il craint d'effaroucher son auditoire, M. Léon Blum trahit, en revanche, un désir assez touchant de l'instruire. Il ne lui aurait rien coûté d'être brillant; mais il songe peut-être aux deux ou trois esprits qu'il pourrait atteindre. Aussi commence-t-il par le b-a ba de sa doctrine, et quelques petites mains étouffent des bâillements.
De Jaurès, de son désintéressement et, comme il ose dire, de sa sainteté, M. Léon Blum parla avec une passion telle que j'aurais rougi de ma froideur, si je ne m’étais rappelé un Jaurès bien différent de celui que son disciple, aujourd'hui, voudrait nous faire aimer.
Non que je l'aie jamais approché; mais on juge mieux de loin les montagnes et les hommes de cette importance. Elève d’un collège libre, sous le règne de Combes, la politique m’était plus familière qu’elle ne l’est d’habitude à cet âge: la partie qui se jouait affectait ma vie la vie profonde. La guerre sauvage faite aux ordres religieux, les coups affreux portés à l'Eglise de France, nous les ressentions presque dans notre chair. Or, à chaque instant, au bord de la chute, Combes était toujours sauvé par Jaurès. Pendant ces interminables années, le grand orateur socialiste assuma le rôle de terre-neuve, et rien ne s’accomplit que par lui.
Sans doute, aux yeux de M. Léon Blum et de Jaurès lui-même, c'était là prêter les mains à une besogne nécessaire et préparer, par les moyens les plus bas, le lit du socialisme. J'ai bien remarqué la petite phrase du conférencier sur le courage qu'il faut, pour avoir l'air, quelquefois, d'agir en désaccord avec ses idées. C'est qu'ici M. Léon Blum a pris la suite de son maître: lui aussi joue les terre-neuve de ministères, et a hérité de ce rôle ingrat qui, dans son parti même, fait horreur aux purs.
Pourtant, s'il avait développé ce point délicat, je doute qu'avec tout son esprit, M. Léon Blum eût atteint à nous faire prendre pour du courage le long abaissement de Jaurès sous Combes. Où j'ai failli crier, parce que malgré tout, le trait m'a paru trop fort, ce fut lorsque le conférencier cita les deux vers des Contemplations que Jaurès avait le front de s'appliquer à lui-même:
“Je me suis étonné d'être un objet de haine,
Ayant beaucoup souffert et beaucoup travaillé.
Beaucoup souffert? Mais, plus encore, fait souffrir. C'est par lui que des retraites conventuelles furent profanées, de saintes filles jetées sur les routes. Il s'est fait le complice de ces honteuses violences; de ce “régime abject” dont les jeunes Français d'aujourd'hui, même à gauche, ne parlent qu'avec dégoût. Au début de sa conférence, M. Léon Blum put bien évoquer, d'une voix frémissante, Jaurès assassiné, à l'heure même où il se précipitait avec toute la puissance de son génie en travers des événements: au vrai, ce cime affreux l'a transfiguré; cette fin grande et tragique coupe court à toute controverse, et assure à jamais au tribun l'alibi du martyre.
Pourtant, l'histoire est l’histoire. Dans ce personnage que je dessine, artisan et soutien de la politique combiste, il ne faut pas voir une imagination de petit garçon catholique et fanatisé: ainsi apparut-il au plus pur de ses disciples, à Péguy, dont M. Léon Blum s'est bien gardé de prononcer le nom. Péguy a rompu avec Jaurès, parce que Jaurès s'enlisait dans le marécage parlementaire. M. Léon Blum se souvient-il du dernier entretien de Péguy et de Jaurès au moment où fut fondée l'Humanité? Comme le naïf disciple s'offrait à faire le journal avec ses amis, Jaurès leva les bras au ciel: “Des collaborateurs, s'écria-t-il, mon journal en est plein! Ce qui est difficile à trouver, ce sont les commanditaires!” Ce cri du cœur, M. Léon Blum a omis de nous le rappeler. En revanche, il nous a cité d'autres mots fameux.
Loin de moi la pensée de sous-estimer un orateur prodigieux. Il n'empêche qu'en rapportant les phrases les plus célèbres de son maître, M. Léon Blum avait l'air d'aligner, sur la table, des petites fusées noircies. L'image la plus connue me parut aussi être la plus mauvaise, bien qu'elle enchantât visiblement M. Léon Blum: le christianisme assimilé à “la vieille chanson qui berce la douleur humaine”. La splendeur d'une image réside dans une fulgurante conformité entre deux termes, tellement éloignés l'un de l'autre que le génie seul les puisse rapprocher. Or, qu'on aime ou qu'on haïsse le christianisme, amis et adversaires tomberont d'accord pour juger qu'il n'a bercé aucun sommeil, mais, au contraire, qu'il a introduit dans le monde un énorme bouleversement. Jaurès ne l'aurait pas nié; il le savait bien, cet homme qui, par la puissance de son verbe, put détourner de la vie spirituelle les foules douloureuses, mais qui n'empêcha pas l'aigle divin de fondre sur son propre foyer et de lui ravir sa fille unique.
Noua écrivons ceci sans la moindre haine sachant que dans le divorce, survenu entre Dieu et une grande partie de la classe ouvrière française, la responsabilité d'un Jaurès risque d'apparaître, au jour du jugement, moins écrasante que la nôtre, chrétiens de toutes confessions. Il est difficile de ne point souscrire, sur ce point, à l'implacable réquisitoire contre certains catholiques, paru dans le dernier numéro de la Vie Intellectuelle, publiée par les Pères Dominicains. L'auteur anonyme aurait dû, pourtant, rappeler, à leur décharge, que les catholiques, fussent-ils les plus dévoués aux intérêts matériels du peuple, apportent avec eux (même quand ils la dissimulent) une exigence qui ne vient pas d'eux, mais du Christ. A leurs yeux, il s'agit, sans doute, pour les ouvriers, d'obtenir, dans l'ordre économique, toutes les réformes essentielles; mais il s'agit aussi de se réformer eux-mêmes et de devenir des saints. Ceux-là seront toujours battus qui ne flattent pas les passions, qui ne caressent pas la nature. Voilà pourquoi l'étonnant n'est pas que, dans tel centre industriel, des centaines d'ouvriers professent le socialisme révolutionnaire; mais qu'au milieu d'eux, trente ou quarante garçons de la jeunesse ouvrière catholique (ceux qu'on appelle Jocistes) s'agenouillent chaque dimanche à la Sainte Table, vendent ouvertement leur journal qui tire presque à 100,000 et, en dépit des moqueries de l'atelier, demeurent purs.
Jaurès comparait les objections de Maurice Barrès au socialisme et aux morales laïques, à celles que les derniers païens formulaient contre le christianisme naissant. Maintenant, disait Jaurès, c'est au tour du christianisme de n'être plus qu'un squelette et le socialisme est devenu le germe. Mais il oubliait que l'Evangile détruisit les fondements mêmes du monde païen, et renouvela la face de la terre. Le socialisme, lui, dans ses parties les plus hautes, démarque le Sermon sur la Montagne, qu’il ampute seulement d’une espérance infinie. Dans la mesure où Jaurès avait faim et soif de justice, qu'était-il, sinon un chrétien? Et M. Léon Blum lui-même...
Pour le reste, comment une doctrine économique remplacerait-elle une religion? Elle peut, tout au plus, confisquer à son profit ce besoin que les peuples ont de Dieu (ce qui apparaît clairement Russie). Mais vous aurez beau dire: le germe, c'est toujours, et ce sera jusqu'à la fin des temps, le grain de sénevé qui a été jeté, une fois pour toutes, dans le limon humain par Celui que vous ne connaissez pas.
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Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1933-02-25
Title
A name given to the resource
Léon Blum parle de Jaurès
Publisher
An entity responsible for making the resource available
L'Echo de Paris
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
MEL_0457
Source
A related resource from which the described resource is derived
49e année, n° 19489, p. 1
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
François MAURIAC
Relation
A related resource
<a href="http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34429768r/PUBLIC">Notice bibliographique BnF</a>
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
Pdf
Microfilm
Language
A language of the resource
Français
Subject
The topic of the resource
socialisme, christianisme, classe ouvrière, parlement, Front populaire
Description
An account of the resource
Derrière la figure de Léon Blum, François Mauriac reconsidère le personnage de Jaurès, rappelant son soutien à Émile Combes dans sa lutte "sauvage" contre l’Église. On voit l’antiparlementarisme de François Mauriac et son regret que l’Église laisse échapper la classe ouvrière.
Type
The nature or genre of the resource
Chronique
christianisme
classe ouvrière
Front populaire
laïcité
Parlement
Polémique
portrait
Socialisme
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Title
A name given to the resource
Roman
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Nous ne sommes point si riches que nous puissions parler sans déférence d'un des plus intelligents parmi nos romanciers, et qui est aussi, le plus fécond. A vrai dire, sa fécondité n'est pas ce dont il convient de le louer d'abord, et pour son intelligence, nous verrons qu'elle est peu propre à concevoir divers ordres de beauté. Mais, outre qu'il suffirait à la gloire d'un écrivain de laisser des romans comme La confession d'un enfant d'hier et D'un homme d'aujourd'hui, et surtout comme la série des Courpières, les plus faibles ouvrages de M. Abel Hermant, jamais insignifiants, nous intéressent par leurs défauts mêmes. Plus que les réussites d'un sot, les erreurs d'un esprit de cette qualité sont propres à nous instruire dans notre métier. Enfin l'auteur de L'Aube ardente nous aide à nous mieux-connaître par opposition ; il est différent de nous et le sent si vivement que c'est tout le sujet de sa fameuse trilogie, différence qui, de notre part, ne saurait signifier hostilité ; et n'est-ce point déjà le signe d'une vive sympathie intellectuelle que son œuvre entière nous soit connue ?
Dès la couverture, un titre nous arrête : Mémoires pour servir à l'histoire de la Société. Il a si bien réussi à Balzac d'imposer à son œuvre immense, en l'appelant Comédie humaine, une apparente unité, que la plupart des romanciers venus après lui ont voulu aussi qu'un même fil unît leurs perles. Mais, les historiens futurs de la société auraient tort de se fier aux mémoires de M. Abel-Hermant. Ce n'est point ici une critique, même en ce qui concerne les mœurs, on ne saurait exiger de l'œuvre romanesque une valeur historique ; elle peut la posséder par surcroît, elle peut aussi n'y pas prétendre. Si un roman, selon le mot tant rabâché de Saint-Réal, est un miroir promené sur une grande route, celui de l'auteur de Çourpières est un miroir déformant. C’est que cet écrivain ne porte pas dans l'observation du monde le goût joyeux, l'appétit, la fringale de Marcel Proust, qui, lui, nous laisse de la société une peinture terrible mais exacte parce qu'il l’a aimée jusque dans ses verrues, dans ses ulcères et dans ses sanies, et qu'il fut dépourvu autant qu'il se peut du sens de l'indignation. Au contraire, M. Abel Hermant, si nous en jugeons par ses ouvrages, garde dans le monde l'âme irritée d'un normalien. Lui, qui signa tant de romans légers pour La Vie parisienne, est, au vrai, un moraliste comme le devait être le jeune Arouet lorsque le bâtonnaient les laquais du Chevalier de Rohan. Ce ne sont point les épaules mais les nerfs de M. Abel Hermant, qui reçoivent du monde plus de coups qu'ils n'en peuvent souffrir. Il est tout à fait ce qui, du temps de Dreyfus, s'appelait un intellectuel. A chaque page de son œuvre, il affirme implicitement la suprématie de l'esprit sur la naissance. Et tandis qu'au seul nom de Guermantes, Proust s'enchantait de tout ce que ces syllabes contenaient pour lui d'histoire, d'amours illustres et des paysages familiers de la vieille France, au seul nom de Çourpières M. Abel Hermant a la vision de cette haute société hypocrite dont les usages ne sont point fort différents de ceux des boulevards extérieurs. Dans les volumes de Courpières, où le ton d'ironie est soutenu jusqu'au bout, et où le conteur ne cesse de feindre d'aimer son héros, on sent rôder, comme ces orages qui grondent tout le jour et qui n'éclatent pas, l’indignation, la haine et le mépris. Et si; cette sorte de rage froide, de fureur bridée assure à ses récits leur ton inimitable, elle l’oblige aussi d'appuyer sur le trait : l’œuvre d'Abel Hermant mériterait que Sem et Forain l'illustrassent. Au contraire, à la curiosité passionnée et sans fiel de Proust, nous devons des portraits qui, pour n'être pas des réquisitoires, n'en accablent que plus les originaux. Il serait curieux de comparer le personnel des Ambassades, qui est le jeu de massacre de M. Abel Hermant dans La Carrière, à ce Norpois, à la fois si fin et si obtus, si disert et si raseur, sans vraie culture mais possédant un usage immense du monde et dont Marcel Proust a enregistré, avec une curiosité insatiable et patiente, les discours pompeux, pleins de fausse finesse, et dont il a su fixer le style inimitable de vieille Chancellerie. Ici là différence entre les deux arts est, surtout sensible et c'est d’abord une différence d'attitudes : la vie de Çourpières n'est pas écrite par un témoin mais par un juge hostile. L'œuvre de Proust au contraire est tout entière un témoignage d'autant plus terrible qu'il n’a point souhaité de l'être.
Qu'il est périlleux pour un romancier vouloir être un mémorialiste ! D'abord, il risque d'observer son temps de trop près – et comme à la loupe – de grossir l'anecdote. Aussi M. Abel Hermant a-t-il quelquefois bâclé son ouvrage et dicté trois cents pages hâtives autour du scandale de l'avant-veille. "Si pour peindre le monde, disait, Goethe, j'avais attendu que je connusse, ma peinture serait devenu un persiflage." Quand parut Les Grands Bourgeois, il y a quelque quinze ans, ce livre était à mourir de rire. Aujourd'hui certaines pages d'une verve et d'une malice aiguë y séduisent encore, mais des plans entiers de l'œuvre s'effondrent : nous n'en comprenons pas plus les allusions que si on reprenait devant nous la revue de Rip de cette année-là. L'autre danger qui guette le romancier-moraliste ce sont les clés. Non que le roman à clé soit, par définition, condamnable ; si les personnages vivent de leur vie propre, il est indifférent que le lecteur y puisse inscrire des noms connus. Et par exemple il nous suffit que Courpières existe en soi. Quel est le personnage du monde romanesque dont on ne retrouverait dans la réalité les éléments épars ? L'essentiel est que ce héros vive de sa propre vie, qu'il soit un, détaché du reste, irremplaçable. M. Abel Hermant y a réussi plusieurs fois et quelquefois il y a échoué parce qu'il aime trop jouer à "croquer" les gens qu'il connaît. Mais alors il faudrait franchement donner ces croquis pour ce qu'ils sont et sans vouloir qu'ils fussent à la fois ressemblants au modèle et différents de lui, qu'ils soient lui et qu'ils soient un autre. Sur ce point, Courpières est une de ses réussites, comme La Discorde est un de ses échecs. Dans ce dernier livre, il n'est pas un personnage dont, le modèle ne demeure présent à l'esprit du lecteur et ne l'embarrasse. C'est un album de photographies retouchées. Le jeu consiste à peindre des gens en vedette et à brouiller leurs états-civils, à donner par exemple à Marcelin Berthelot une fille qui est Mme de Noailles, jeu amusant, irritant, qui n'atteint qu'à l'artifice ; et nous comprenons pourquoi Gœthe ne croit pas nécessaire de connaître le monde pour le peindre. Le mieux sans doute serait de le connaître d'abord, puis de l'oublier, afin de le réinventer. Proust a été aidé en cela par le bon usage des maladies. Plus "mondain" que M. Abel Hermant, il eût été plus que lui exposé à l'inconvénient de vivre trop près de ses modèles. Mais 1a maladie, en le retirant du monde, le plaça à la distance qu'il fallait, et qu'il en ait eu conscience dès sa jeunesse, ceci en témoigne que je lis dans la préface de Les Plaisirs et les Jours : "Quand j'étais tout enfant, le sort d'aucun personnage de l'Histoire Sainte ne me semblait aussi misérable que celui de Noé, à cause du Déluge qui le tint enfermé dans l'arche pendant quarante jours. Plus tard; Je fus souvent malade, et pendant de longs jours je dus rester aussi dans « l'arche ». Je compris alors que jamais Noé ne put si bien voir le monde que de l'arche, malgré qu'elle fût close et qu'il fît nuit sur la terre."
Trop mêlé au monde, M. Abel Hermant, dans la moins bonne partie de son œuvre, semble gêné par les couples des danseurs de fox-trot qui lui cachent le réel. Ce contact excite sa moquerie féroce, un ricanement perpétuel, et c'est pourquoi des lecteurs superficiels ont pu le croire insensible. Il ne nous donne de larmes qu'à force de nous secouer d'un rire nerveux et méchant. Il règne sur son œuvre une accablante atmosphère où l'orage n'éclate pas, où la lourde pluie que nous souhaiterions jamais ne tombe. Ses meilleurs livres ressemblent à ces salons où l'on étouffe parce que dans un trop petit espace trop, de douteuses figures sont réunies. Chacune des personnes présentes est du monde ; on les a vues dans d'autres maisons ; mais elles y étaient noyées au milieu des gens avouables, leur concentration fait peur : on attend le commissaire de police. Longtemps j'ai imaginé Abel Hermant tel qu'un physiologiste un peu sorcier qui, dans son laboratoire, pratiquerait, sur les grenouilles et les cobayes, l'ablation du cœur sans détruire leur vie. Ainsi trop de ses personnages marchent, agissent, parlent, mais dans leur poitrine rien ne bat. Et certes il faut bien du talent pour nous induire à aimer ces fantoches des trains de luxe et des Palaces qui datent déjà depuis que Morand en invente d'autres. "Il ne faut pas moins de capacité pour aller jusqu'au néant que jusqu'au tout" a dit Pascal. M. Abel Hermant est parfois un admirable peintre de néant.
Mais ne nous fions pas à ces apparences. Il a fallu l'approche de la guerre, ce tremblement de terre qui fendit les tombes scellées, pour que M. Abel Hermant nous livrât le fond de son être. Rien mieux que dans ses premières confessions, c'est dans L'Aube ardente, dans La Journée brève, dans Le Crépuscule tragique, que nous apprenons à connaître la passion de ce persifleur. Nous découvrons enfin l'Athénien, et qui ne croit qu'à sa raison. Le culte des idées, la camaraderie, les échanges intellectuels, l'amitié virile, voilà ce qu'il découvrit à l'aube de sa vie dans Oxford, vivante Athènes. Et au crépuscule tragique, c'est Athènes encore et sa brise modérée dans les grands platanes, les adolescents de Platon de qui lllisus baigne les pieds nus, c'est cette beauté qu'il oppose à ceux d'entre nous dont l'intelligence et le cœur cherchent, l'Etre au-delà des apparences. Nous ne saurions ici entrer dans ce grand débat. Comme Pallas qu'adora Renan, M. Abel Hermant est peu propre à concevoir divers ordres de beauté, d'autant que l'hellénisme en lui n'est point tout pur : Nietzsche lui a donné de sa fièvre et Walt Whitman de son obsession charnelle. Et c'est pourquoi lorsqu'il veut peindre en toute bonne foi un jeune homme de la race spirituelle d'Ernest Psichari, il témoigne d'une merveilleuse incompréhension. Obstiné à ne plus voir dans notre génération que le gladiateur mourant, il se persuade que c'est aux pères païens à recueillir le flambeau des mains de leurs fils blessés, affaiblis et mystiques. Bien que cette vue nous apparaisse fort arbitraire, nous nous retenons de sourire : M. Abel Hermant nous plaît mieux ainsi : grave enfin, tout brûlant de passion, de ferveur intellectuelle. Du style de cet humaniste nous croyons superflu de rien dire ici. L'Académie ne saurait longtemps bouder un écrivain qui, au même titre qu'Anatole France, mérite d'être aimé comme le dernier classique.
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Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1923-05-05
Title
A name given to the resource
Un romancier : Abel Hermant
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Les Nouvelles littéraires
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
François MAURIAC
Source
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2e année, n°29, Une
Format
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Pdf
Language
A language of the resource
Français
Relation
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Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
MEL_0515
Subject
The topic of the resource
roman, création, Proust, portrait, Ernest Psichari
Description
An account of the resource
L’examen de l’œuvre d’Abel Hermant est l’occasion pour François Mauriac de revenir sur sa conception du travail du romancier, qui ne doit pas se soucier de faire œuvre d’historien.
création
Ernest Psichari
portrait
Proust
roman