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Représentations théâtrales
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Puisqu'il faut, cet hiver, que je fréquente les théâtres et que je dois compte de mes impressions aux lecteurs de la Revue hebdomadaire, j'ai d'abord voulu m'astreindre à une révision de mes idées sur la comédie en général, et j'ai découvert qu'elles étaient toutes de seconde main. Dans la conversation, j'avais coutume de déclarer, par exemple, que l'état démocratique n'est pas favorable à l'art du théâtre; que pour un Molière, un Racine, il s'agissait de satisfaire la Cour et la Ville, c'est-à-dire une élite, mais que pour un Bataille, un Bernstein, l'essentiel est de se faire applaudir par les foules cosmopolites qui garnissent indéfiniment les salles du Boulevard. J'ajoutais que les directeurs de ces lieux de plaisir n'étant pas des artistes mais des hommes d'affaires, il leur importe seulement de cuisiner des plats selon des recettes connues. Enfin je déplorais l'importance excessive des grandes vedettes et des grands couturiers, et dénonçais l'actrice pour qui l'auteur dramatique s'abaisse à écrire des rôles sur mesure. Voilà de quels prétextes je me payais afin de ne pas fréquenter les théâtres, et je comptais pour rien le fait de loger dans ce XVIe arrondissement qui, passé minuit, inspire aux chauffeurs de taxis une répulsion incroyable.
Mais enfin, et encore qu'il y ait sans doute du vrai dans tout ceci, j'ai cru que mieux valait en faire provisoirement table rase et juger la pièce de M. Henry Bernstein et celle de M. Sacha Guitry, comme si je tombais de la lune et que j'entendisse pour la première fois le nom de ces auteurs. D'autant que je pressens l'arbitraire de mes idées toutes faites: à première vue, les efforts d'un Antoine, d'un Lugné-Poé, d'un Gémier, d'un Jacques Copeau témoignent qu'en dépit de l'état démocratique une large élite existe que passionne l'art du théâtre. Dans la préface de Britannicus, Racine parle du petit nombre de gens sages auxquels il s'efforce de plaire. Ne pourrait-on soutenir que ce petit nombre est devenu un grand nombre? Voici que M. Paul Claudel sort des ténèbres du cénacle et consent à devenir un auteur de la Comédie-Française et même du Boulevard, où vous verrez qu'il aura du succès autant que M. Bataille. Quant à l'inconvénient des grandes vedettes, Mme de Sévigné n'avait peut-être pas tort d'écrire: “Racine fait des comédies pour la Champmeslé...”, mais elle se donne le ridicule d'ajouter: “Ce n'est pas pour les siècles à venir.” Qu'un auteur, en écrivant une pièce, songe à telle actrice, cela ne suffit donc pas à l'empêcher d'avoir du talent. C'est vrai que, pendant un demi-siècle, Mme Sarah Bernhardt a inspiré aux écrivains de son temps de bien fâcheuses Théodoras; mais croit-on qu'ils eussent montré sans elle plus de génie? Ne pourrait-on dire au contraire que souvent d'admirables acteurs n'ont pas donné leur mesure faute d'auteurs qui fussent dignes d'eux? Voilà divers points que nous aurons l'occasion d'examiner plus à fond. Je ne les note que pour m'excuser, quand j'assiste au drame de M. Henry Bernstein, d'oublier ce que je connais de cet auteur et les reproches qu'on lui adresse communément.
J'avoue que lorsque je pris place au Gymnase, je sentais bien qu'en dépit de mes prétentions à l'impartialité, mon siège était fait. J'avais lu les critiques de l'admirable et sévère Pierre Gilbert; je savais ce qu'un défenseur de l'Intelligence peut écrire de ce théâtre. Enfin je ne doutais pas que j'eusse à entendre des êtres obscènes et rudimentaires échanger de gros mots et se livrer à d'indécentes mimiques. Surtout je tenais pour établi que ce que j'allais voir était hors la littérature. C'est pourquoi d'abord je ne me pus défendre d'un sentiment de honte, tandis que se déroulait le drame, à sentir croître mon plaisir que partageait toute l'assistance. Je me rappelais le précepte de Racine: “La principale règle est de plaire et de toucher,” et celui de Molière: “Le public est le juge absolu en ces sortes d'ouvrages.” Mais, me disais-je, il ne s'agit plus ici d'une élite comme au grand siècle; et si moi-même qui me pique d'être difficile, je me laisse séduire par Bernstein, c'est à la manière de Mme de Sévigné quand elle avoue adorer les romans de La Calprenède. Un homme de goût trouve en lui de quoi prendre son plaisir à des spectacles bas. L'essentiel est de n'en être pas dupe. Nous entendons tous les jours des artistes d'avant-garde inventer mille excuses à l'agrément que leur donnent le cinéma et le music-hall. Tous ces raisonnements n'empêchèrent pas que le Voleur me parut un ouvrage du plus grand mérite. Des amis avec qui j'étais, et qui nourrissaient contre l'auteur les mêmes préventions, en tombèrent d'accord et nous décidâmes d'employer une partie de la nuit à réviser le procès de M. Henry Bernstein.
Mais voyons d'abord le sujet du Voleur. Une jeune femme, Marise, aime son mari d'un si charnel amour qu'il faut un effort pour se souvenir que nous n'avons pas en face de nous un couple d'amants. Marise, uniquement soucieuse de plaire à son mari, découvre qu'une jolie robe, de luxueuses lingeries accroissent la passion qu'elle inspire. Dès lors, en dépit de modestes ressources, la toilette devient sa hantise. Que dans une villégiature chez de riches amis, elle en arrive à voler six mille francs, voilà ce que l'art de M. Henry Bernstein atteint à ne pas nous rendre invraisemblable, contre l'opinion des personnes auxquelles nous devons faire observer que certaines femmes aiment, si j'ose dire, la toilette en soi et satisfont ce goût, non pour séduire leurs maris mais pour leur satisfaction égoïste —et jusqu'à se donner sans vergogne en échange d'une robe. Mais voici une invention de M. Bernstein qui eût enchanté les ruelles: le fils des amis de Marise, un adolescent de dix-neuf ans, éprouve pour la jeune femme un tel amour, qu'il accepte qu'un policier l'accuse du vol et le déshonore. J'avais lu que M. Henry Bernstein choisissait toujours ses héros dans un monde louche de coulissiers et de parvenus. Les personnages du Voleur sont peut-être bien des gens d'affaires. Ils ne font pas figure de nouveaux riches. Le père souffre du déshonneur de son fils en brave homme, en honnête homme aux principes inflexibles et il n'hésite pas à exiler ce fils unique et chéri.
Ah! je sais qu'il y a la scène du fameux second acte, où figurent seuls Marise et son mari et dont l'unique dialogue, par un prodigieux savoir-faire, tient notre émotion haletante pendant trois quarts d'heure. M. Bernstein s'est offert là le luxe d'un réalisme de mots et de gestes bien inutile à sa gloire. Encore dirai-je qu'en face de cette amoureuse déchaînée, pitoyable et presque animale, le mari, qui, dans une scène pathétique, découvre le crime de sa femme, n'appartient pas à cette humanité instinctive qu'on m'assurait que M. Bernstein peint uniquement: c'est un civilisé de qui la psychologie n'est pas rudimentaire. Après l'horreur de la découverte, il se ressaisit, se frappe la poitrine. Il reconnaît que, bien loin de faire de sa femme une compagne, il ne lui demanda rien que de plaire, d'être une docile amoureuse. Il a créé de ses propres mains ce petit être de ruse et de mensonge.
Ici M. Henry Bernstein n'aurait eu qu'à ne pas craindre de développer pour qu'un moraliste éprouvât à l'endroit de sa pièce un peu de cette indulgence que Port-Royal montrait à la Phèdre de Jean Racine. Le grand tragique s'excusait de cette Phèdre malgré soi perfide et incestueuse sur ce que “les faiblesses de l'amour y paraissent de vraies faiblesses”. Malheureusement, M. Bernstein n'insiste guère: l'époux de Marise, déjà près de pardonner, s'avise que si le fils de leur hôte accepta, pour sauver la jeune femme, de s'accuser à sa place, ce ne peut être que parce qu'elle lui avait donné des raisons d'être reconnaissant. La scène rebondit de la manière qu'aimait Sarcey. L'être que nous admirions devient un forcené— et je sais bien qu'au dernier acte il se ressaisit, que Marise s'accuse pour sauver un innocent, que le drame se dénoue dans une atmosphère de pitié, de repentir et de pardon. N'empêche que s'il est faux que M. Bernstein ne sait rien peindre hors des prostituées et des gens tarés, s'il est faux que ses personnages soient dénués de toute noblesse, c'est vrai que la secrète faiblesse de sa comédie vient de ce que les faiblesses de l'amour n'y apparaissent pas de vraies faiblesses.
A mesure que s'efface la notion de la-faute, comme le drame s'appauvrit! Un personnage m'ennuie, s'il ignore le scrupule, le dialogue intérieur. Tout Français est un casuiste. Comment s'intéresser au criminel qui n'a pas conscience de son erreur? Cette petite Marise “possédée par son homme”, il faut tout l'art de M. Bernstein pour que nous nous y arrêtions. J'admirais tout à l'heure cet adolescent que son amour pousse à s'assumer la faute de celle qu'il aime; au vrai, il obéit à son seul instinct et si Marise lui eût ordonné de commettre un crime, il eût accepté de devenir criminel aussi spontanément qu'il consent à un sacrifice admirable. Il ne s'agit pas d'une lutte contre soi-même, d'une défaite ou d'une victoire de l'homme en proie à ce que les anciens dénommaient le destin, à ce que les chrétiens ont appelé la prédestination; c'est un cyclone, une “rafale”, pour reprendre le titre d'un autre drame de M. Bernstein, une rafale de luxure à quoi rien ne s'oppose, que rien n'arrête.
Je ne voudrais pas faire une injuste querelle à M. Henry Bernstein: que peindrait-il, sinon les mœurs de son époque? Le moins que l'on puisse dire, c'est que nous sommes bien loin de ce dix-septième siècle où, s'il y avait de grands débordements, on admirait aussi de grandes pénitences, des retraites à Port-Royal, toutes ces expiations. Je tiens pour assuré que l'art dramatique en France ne pouvait atteindre son apogée que dans le temps que Pascal écrivait des lettres de direction à Mlle de Roannez, que M. de Rancé réformait la Trappe, que Mme de Longueville faisait sa pénitence, que Mlle de Lavallière devenait sœur Louise de la Miséricorde. Ce n'est pas qu'il ne reste rien de ce temps-là, mais si peu! L'humanité de gens d'affaires qu'on reproche à M. Bernstein de peindre, avouons qu'elle ressemble fort à celle qu'on coudoie dans de plus huppés milieux. Quels que soient son nom et ses relations, toute femme adultère aujourd'hui dans ce monde-là, se glorifie d'être adultère; elle s'honore ainsi que d'un droit de ce que Mme de Montespan, en ses plus grands désordres, considérait toujours comme un crime. Phèdre, désormais, se donne des louanges quand elle s'asservit sans vergogne à ses sens; Titus renonce à l'empire pour suivre Bérénice; Andromaque ne cherche plus de midi à quatorze heures s'il lui plaît d'épouser Pyrrhus. Chacun de nous connaît la tirade sur le droit au bonheur et sur le devoir de vivre sa vie, et celles qui le débitent ne sont pas seulement des femmes de coulissiers, bien loin delà! Lorsqu'un drame tel que le Voleur nous découvre un monde retourné à l'instinct, l'animal humain qui se déchaîne, —toute cette humanité appauvrie infiniment — bien loin que je m'indigne contre le peintre, je le loue de nous révéler puissamment ce que Pascal dénomme “la misère de l'homme sans Dieu”.
J'entends ce que me pourrait opposer M. Bernstein qu'embarrasse un peu mon éloge. Il y a bien de l'arbitraire dans ce contraste que complaisamment je souligne entre le dix-septième siècle et le nôtre. Il ne fut pas que gallican, ce siècle, ni que janséniste! Le “libertin”, l' “honnête homme”, voilà des types de ce temps-là de qui la morale différait fort de celle d'un Pascal ou d'un Nicole. Gassendi, Saint-Évremond avaient mis à la mode Épicure et Lucrèce. Lorsque Molière allait lire son Tartufe à Ninon de Lenclos, ces deux esprits forts se devaient gausser des dévots même sincères. Quelles grandes dames aujourd'hui oseraient, comme celles de la cour de Versailles, fréquenter cette Ninon qui se glorifiait de ses vertus d'honnête homme et de ses mœurs effrénées? J'achève de relire ses lettres au jeune marquis de Sévigné: les païens de 1919 montrent en général plus d'inquiétude et de trouble; ils n'ont plus ce bel équilibre des libertins d'autrefois que Lucrèce avait délivrés de toute terreur théologique. M. Bernstein ajouterait peut-être qu'il est payé pour savoir que les jeunes gens d'aujourd'hui sont parfois sévères.
Ce temps-ci n'est-il pas autant qu'un autre, après tout, pénétré des plus hautes inquiétudes? Acceptons-en l'augure et persuadons-nous que la renaissance de notre théâtre en dépend. Le Voleur fut écrit il y a quelque douze ans; M. Bernstein a, depuis, fait glorieusement la guerre et bien qu'il soit malséant de trop parler des “bienfaits de la guerre”, nous sommes endroit de penser qu'elle dut être, pour ce merveilleux homme de théâtre, une école féconde en leçons; elle a pu modifier sa conception du monde, lui révéler des profondeurs inconnues dans des cœurs de qui le commerce, naguère, ne lui était pas familier. Nous devons attendre beaucoup de son œuvre future.
J'ai confessé que j'avais des préventions contre la pièce de M. Bernstein; j'allai au contraire à celle de M. Sacha Guitry sans douter une seconde qu'elle fût extrêmement divertissante; et de même que certaines gens de province retiennent leur place à la Comédie-Française sans même consulter l'affiche, “parce qu'aux Français on est toujours sûr de passer une bonne soirée”, un Parisien n'appréhende jamais de s'ennuyer à une comédie de M. Sacha Guitry — et d'abord parce qu'il ne se sent pas de joie de contempler M. Sacha Guitry en chair et en os, entouré des siens, et de qui le génie dramatique est d'abattre un mur de sa maison et d'inviter ce vieil ami de public à partager pour un soir sa vie de famille. Montaigne nous avertit aux premières pages de ses Essais “qu'il est lui-même la matière de son livre”; M. Sacha Guitry est la matière de son théâtre. On ne peut même lui opposer ce reproche de Pascal à Montaigne: “Le sot projet qu'il a de se peindre!” Car il ne se peint pas, il ne saurait y avoir de peinture sans interprétation, — M. Sacha Guitry ne se peint pas, il se montre. Il dit: regardez-moi! et le constant succès de son théâtre prouve suffisamment qu'il est irrésistible. Il l'était déjà quand, sur la scène il n'échangeait de propos qu'avec Mlle Yvonne Printemps; mais depuis que son illustre père y figure à leurs côtés et qu'enfin la famille est complète, il faut devant ce Greuze retenir des larmes d'attendrissement. Je ne trouve pas de mot pour dire l'agrément qu'on éprouve et la force du charme qu'on subit. Une dame, devant moi, disait à un monsieur: “Ne trouves-tu pas que, depuis la première de Debureau, notre Sacha a beaucoup maigri?”
Mon père avait raison est porté aux nues par des gens difficiles. D'autres critiques s'émerveillent de ce qu'on y voit l'auteur tourner au moraliste. Mon émerveillement ne fut pas moindre que le leur, encore qu'il n'eût pas tout à fait le même objet. C'est vrai qu'à écouter ce délicieux dialogue, j'avais envie de crier comme le vieillard du parterre, le jour que Molière donna les Précieuses ridicules: “Bravo, Sacha Guitry, voilà de la bonne comédie!” Mais lorsque, le rideau baissé, on s'interroge et qu'on cherche les raisons du plaisir que l'on eut, il faut dire qu'on éprouve un embarras incroyable. Je suis de ces gens malheureux qui ne se contentent pas de savoir qu'ils furent contents et prétendent ne pas ignorer pourquoi ils le furent. Une comédie de M. Sacha Guitry résiste à l'analyse. Je paierais cher pour avoir entre mes mains le texte de Mon père avait raison; mais le fils aura raison de ne le pas imprimer; je le crois trop malin pour le publier jamais (1). Molière en usa de même avec ses premiers ouvrages: à l'en croire, une copie des Précieuses ridicules lui fut dérobée par surprise, et il affecta de le regretter, “car, écrit-il, comme une grande partie des grâces qu'on y a trouvées dépendent de l'action et du ton de voix, il m'importait qu'on ne les dépouillât pas de ces ornements, et je trouvais que le succès qu'elles avaient eu dans la représentation était assez beau pour en demeurer là.” Plût au ciel qu'un admirateur de Mon père avait raison en dérobât le manuscrit et que nous pussions voir ce chef-d'œuvre ailleurs qu'à la chandelle! Je voudrais tellement me persuader que tout le talent de M. Sacha Guitry ne tient pas dans ce titre d'une de ses comédies: l’Illusionniste. L'illusionniste! Des mots nous font tant rire qu'ils semblent profonds; d'énormes paradoxes nous choquent si peu qu'ils paraissent empreints d'une mystérieuse sagesse; des ficelles se révèlent tellement exprès qu'elles nous satisfont mieux qu'aucune habileté et que nous sommes plus reconnaissants à M. Sacha Guitry du toupet qu'il a de nous les laisser voir, qu'à un autre auteur des efforts qu'il eût faits pour nous en défendre la vue. Et par exemple, quand M. Sacha Guitry invente qu'une dame téléphone d'une gare à son mari qu'elle l'abandonne, — vingt ans après, ce sera d'une gare encore qu'elle avisera son mari que la revoilà. Qu'il faut bien connaître son public pour prévoir qu'il s'enchantera de cette symétrie et qu'il porte jusque-là le goût des fausses fenêtres! Notre auteur a bien d'autres tours dans son sac, comme de confier à son père au second acte le rôle que lui-même tenait au premier. Jamais personne trouva-t-il plus divertissante manière de montrer que vingt ans se sont écoulés entre deux actes, et le public raffole de ces artifices.
Au retour du théâtre, et comme je disais à un camarade l'excès de mon contentement: “Oui, me dit-il, mais pourquoi ce titre: Mon père avait raison?”. Je lui avouai que je n'en savais rien. Il m'invita à y réfléchir. Je fermai les yeux et revis, à la première scène, l'admirable Lucien Guitry, si à l'étroit dans ce rôle taillé par son fils. Il est le vieux monsieur désabusé qui a raison: “Sois égoïste, mon enfant, dit-il en gros, il faut être égoïste... Ah! les femmes, c'est rudement gentil, mais c'est rosse: seuls les Turcs les savent comprendre. Ne t'occupe pas des autres. Ne leur demande rien que de te laisser en paix. Ah! la vie, ce serait rudement bien si cela ne se terminait par la mort. Que c'est amusant de mentir! N'attache aucune importance au mensonge...” Si M. Sacha Guitry m'accuse de trop résumer son éthique, je réponds qu'elle pourrait tenir dans beaucoup moins de mots et par exemple dans le “t'en fais pas” cher aux poilus. La pauvreté même de ces maximes nous donne d'ailleurs la mesure du talent de M. Sacha Guitry puisqu'il la déguise sous tant de gentillesses qu'on le juge ainsi qu'un moraliste et des plus fins. On est ému, on sourit, on rit, on meurt de plaisir. J'avoue que c'est un miracle, mais qu'il est irritant! Lirai-je jamais sa comédie au coin de mon feu? Me sera-t-il donné enfin de dénombrer les jeux de cartes truqués, les dés pipés, les boîtes à double fond, les gobelets de ce prodigieux illusionniste?
Sa pièce, du moins, n'est-elle pas ce qu'on appelle une étude de mœurs? Jugez-en: voici une jeune personne que son ami néglige parce qu'il doit passer les soirées avec son père. Elle imagine donc d'aller voir le vieux monsieur et lui propose la compagnie d'une petite amie qu'elle a et qui justement cherche un gentleman un peu mûr: il ne sera plus seul le soir et son fils n'aura plus aucune raison de la négliger. Le père trouve l'invention charmante; il paie aux amoureux un voyage en Italie; et il devient le plus heureux vieux monsieur du monde avec la petite amie que lui fit connaître la maîtresse de son fils. Le public, la critique ont bien goûté la bonhomie de ces mœurs, cet aimable laisser-aller. Le plus revêche bourgeois ne peut se défendre de sourire. M. Sacha Guitry n'atteindra jamais à nous choquer: tout cela a une si bonne odeur d'âge d'or! Au fait, son éthique va peut-être plus loin qu'on ne pourrait croire. Elle nous persuade que nous nous faisons une idée exagérée de ce qui toucheaux choses de l'amour, qu'une femme qui sort de notre vie n'y doit pas mettre plus de trouble qu'une autre qui y entre sans crier gare. Le mari trompé de Mon père avait raison ne se console pas d'avoir été inconsolable; il emploiera sa vieillesse à mettre, si j'ose dire, les bouchées doubles et M. Sacha Guitry nous assure qu'il ne s'en portera que mieux. Il se peut que nous fassions beaucoup de bruit autour de ce qui apparaît à M. Guitry la chose la plus simple du monde. Je connais certaines gens, et non des moindres, qui professent que “la bagatelle” peut avoir un retentissement infini... Mais qu'allais-je dire? Ce serait trop beau que la comédie de M. Sacha Guitry nous incitât à des propos de métaphysique: ce serait le plus fameux triomphe de l'illusionniste et ses tours n'auraient pas obtenu d'effets plus surprenants depuis la dernière fois qu'on l'a comparé à Molière.
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A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1919-12-06
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Au Gymnase : le Voleur (reprise), par M. Henry Bernstein - A la Porte-Saint-Martin : Mon père avait raison, par M. Sacha Guitry
Publisher
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Revue hebdomadaire
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28e année, n°50, p.119-126
Type
The nature or genre of the resource
Chronique dramatique
Creator
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François MAURIAC
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
Pdf
Language
A language of the resource
Français
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<a href="http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34350607j/PUBLIC" target="_blank">Notice bibliographique BnF<br /></a>Repris p.29-34 et p.38-41, <span>in<span class="apple-converted-space"> </span><em>Dramaturges</em>, Paris : Librairie de France, 1928.</span>
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
MEL_0656
Subject
The topic of the resource
théâtre de boulevard, acteurs, amour, culpabilité.
Description
An account of the resource
Ce texte rendant compte de deux pièces du répertoire de boulevard part de considérations esthétiques pour aborder des questions qui deviendront essentielles dans la thématique mauriacienne : le plaisir, l’amour vu comme un sentiment et dans sa réalité physique, la vérité des êtres.
acteurs et actrices
amour
culpabilité
théâtre de Boulevard
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Représentations théâtrales
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La reprise de la Vierge folle nous donne-t-elle sujet de reprendre le procès de M. H. Bataille? Après celle de le Voleur, de la Passerelle, de l'Epervier, du Prince d'Aurec, il faut convenir d'abord qu'elle impose à notre esprit un assez tragique dilemme: ou les directeurs de théâtre reprennent ces vieilles pièces parce qu'on ne leur apporte rien qui vaille; mais c'est alors le procès de la génération nouvelle qu'il faudrait que nous eussions le courage d'instaurer; ou les directeurs, confiants dans le succès de plats cuisinés selon de vieilles recettes, se refusent à courir d'autres aventures, et ce serait le pire, parce qu'aucune puissance au monde n'obligerait ces hommes d'affaires à ouvrir leurs cartons pour en délivrer le chef-d'œuvre inconnu. Le salut ne nous pourrait venir que de grands seigneurs, jaloux de posséder, comme leurs ancêtres, une troupe de comédiens, ou d'un président de la République qui, faute d'entretenir des demoiselles de Saint-Cyr, inviterait les Sévriennes à jouer une tragédie entre deux paravents de l'Élysée.
Au vrai, il nous paraît incroyable que les nouveaux venus ne comptent dans leurs rangs aucun dramaturge. Sans doute, quelques-uns, avec leur noble parti pris contre tout romantisme et leur méfiance à l'égard de ce qui touche à l'instinct, ont donné lieu de craindre qu'ils fussent capables surtout de critique; mais j'admire au milieu d'eux trop de romanciers pour les croire impropres à tout autre genre et le fond de l'affaire est qu'un jeune homme trouve plus facilement un éditeur qu'un imprésario: de toute éternité, les industriels de la scène exècrent les nouveautés et le talent leur semble la plus désavantageuse denrée. Segrais, en ses Anecdotes, déjà les dénonce: “La Beaupré, écrit-il, excellente comédienne, qui a joué aussi dans les commencements de la grande réputation de M. Corneille, disait: “M. Corneille nous a fait grand tort; nous avions ci-devant des pièces de théâtre pour trois écus que l'on faisait en une nuit; on y était accoutumé, et nous gagnions beaucoup; présentement, les pièces de M. de Corneille nous coûtent bien de l'argent et nous gagnons peu de chose. Il est vrai que ces vieilles pièces étaient misérables, mais les comédiens étaient excellents et ils les faisaient valoir par la représentation...”
Il se peut que les auteurs de qui on reprend inlassablement les comédies leur aient consacré plus d'une nuit et, en tout cas, nous sommes assurés qu'elles leur rapportent beaucoup plus que trois écus. A ces détails près, l'anecdote de Segrais nous explique pourquoi nous devons courir à Montmartre pour applaudir une pièce de Curel. Mais gardons-nous de nous frapper: d'abord, un artiste comme M. Paul Gavault est fort désireux d'ouvrir l'Odéon à de jeunes talents et il y donnera à l'automne cette Mademoiselle Pascal de M. Martial Piéchaud que, l'autre soir, chez un ami de la Revue, Mlle Suzanne Desprès lut devant une assistance recueillie. Puis, le théâtre a toujours compté ses fanatiques, ses apôtres et ses martyrs: le flambeau d'Antoine passera de génération en génération; l'“Œuvre” de Lugné-Poejamais ne manquera d'ouvriers; enfin, “le Vieux-Colombier” de Jacques Copeau suscite des espérances infinies.
Que dirons-nous de la Vierge folle qui ne coure les rues? Avant le Phalène, le critique avait quelque mérite à dénoncer les tares de ces pièces, d'ailleurs pleines de séductions; depuis le Phalène, il serait ridicule de le prendre de haut avec M. Bataille et de jeter des cris parce qu'il a plu à cet auteur, en se pastichant lui-même, d'ouvrir les yeux des plus aveugles: dans Maman Colibri et dans la Vierge folle, — c'est je crois une remarque du clairvoyant Pierre Gilbert, — dans ces drames universellement portés aux nues, tout le pire du Phalène est déjà contenu.
Qu'un avocat mûr et marié séduise puis enlève la fille du duc de Charance, nous ne sommes pas si hypocrites que de trouver invraisemblable ce fait divers; mais que cette fille de duc nous apparaisse sous les traits d'une petite courtisane ivre, qu'aucune de ses habitudes héritées ou acquises, que ni les préjugés de caste ni ceux de religion ne s'opposent une seconde à son appétit — non pas même pour en être dominés, — qu'enfin nous n'ayons plus sous les yeux “qu'un instinct qui va”, cela prive cette vierge folle de l'unique nécessaire pour une héroïne et qui est d'être vivante. Chez son séducteur, la part d'humanité est aussi réduite: ce semeur de désastres s'en admire et, dans un style affreux, exige que nous l'admirions: c'est l'apôtre bavard de l'assouvissement.
Comme autrefois Mme Bady, Mme Réjane, qui tient le rôle de la femme abandonnée par ce grotesque, sauve la pièce; elle nous fait accepter qu'une épouse amoureuse se résigne, consente à vivre parce que l'infidèle peut être délaissé, lui aussi, et qu'il a promis de ne pas chercher d'autre refuge que ce foyer où elle l'attendra, patiente. Nous allons jusqu'à trouver naturel, lorsque les deux amants sont poursuivis par le frère de la jeune fille, que la femme légitime leur fasse un rempart de son corps. Mais à quoi ne nous ferait consentir Mme Réjane? Où avais-je déjà vu cette démarche cassée, ces épaules ramenées, cet horrible affaissement d'une femme qui s'accroche aux meubles? Je me souvins alors de cette malheureuse que son amant avait rossée dans la rue et qu'avec un ami j'avais aidée à franchir le seuil d'un pharmacien: Mme Réjane n'interprète pas la vie, elle la représente avec une fidélité, une exactitude qui tient du miracle... mais est-ce une louange que je lui donne là?
Le public s'est fort diverti à cette Chasse à l'homme et l'on y trouve autant d'esprit qu'on en pouvait attendre de M. Maurice Donnay. Mais ces trois actes ne sont pas, dans son œuvre, ceux qui nous renseignent le mieux sur un auteur dont la nonchalante grâce a souvent détourné notre attention de qualités plus profondes. Ce don qu'il a de recueillir, de fixer dans le plus vivant dialogue le type de conversation bourgeoise et parisienne, à une époque déterminée, s'affirme dans la Chasse à l'homme; j'y ai pour ma part trouvé cet agrément d'entendre l'incomparable Raimu émettre, touchant les domestiques (“... que ta pauvre mère traitait vraiment comme des esclaves et qui ont des aspirations comme nous...”), touchant la vie chère et nos autres pauvres soucis d'entre guerre et paix, les axiomes que je répète de confiance après que tout le monde m'en a rebattu les oreilles. De nous-mêmes, bourgeois satisfaits et inquiets, Donnay nous invite à sourire et les jeunes filles d'aujourd'hui se peuvent reconnaître dans un miroir à peine grossissant et leurs jolies compétitions autour d'un garçon flatté mais perplexe. Ce que l'on découvre à un moins haut degré dans cette pièce que dans quelques autres du même auteur, c'est son pouvoir de peindre les fantoches tels qu'ils grimacent dans l'intervalle de temps où il écrit, mais à travers eux et comme en se jouant, d'atteindre le fonds humain, ce par quoi de futiles individus se rattachent à l'humanité de tous les temps. “Cette Bérénicette...”, écrivait Lemaître à propos d'Amants. Dans des comédies qui, d'abord, ne semblent prétendre qu'à nous divertir, on goûte mieux, en dépit du ton gouailleur, une secrète atmosphère assez pareille à celle que nous avons beaucoup aimée dans les livres de Jean de Tinan. Amants (au fait, à une époque si fertile en reprises, que ne reprend-on cette trilogie: Amants, la Douloureuse, l'Affranchie, si digne de survivre au triste théâtre contemporain?) est encore la pièce qui m'aide le mieux à comprendre plusieurs de ceux de mes amis qui ont aujourd'hui cinquante ans; une certaine façon délicate d'aimer les femmes, de les servir, de les très bien connaître, et leurs mensonges, et leurs ruses, de se complaire à souffrir par elles, d'être trompé sans être dupe; enfin d'unir à beaucoup de passion beaucoup de clairvoyance et un sentiment très vif de l'inévitable déclin de tout amour dans le moment même où l’on aime le plus ardemment. Un jour, Donnay découvrit qu'une guerre civile déchirait son pays et cet honnête homme prit parti; il osa toucher au sujet le plus redoutable: le conflit des races, qui en renferme un autre fatal à presque tous les écrivains dramatiques: la patrie. Par un miracle de naturel, en sachant ne pas hausser le ton, il écrivit ce très admirable Retour de Jérusalem qui est le triomphe de ce que Pascal appelle l'esprit de finesse.
Ce n'est pas tout à fait ce Donnay-là que nous retrouvons dans la Chasse à l'homme, mais vous y serez enchantés du tableau le plus férocement drôle de la société bourgeoise depuis la victoire: si je vous dis que deux sœurs, l’une jeune fille, l'autre divorcée, font la chassé à un démobilisé qu'elles ne savent pas réduit par la vie chère à conduire un taxi; si j'ajoute qu'une autre jeune fille, bachelière et nouvelle pauvre, entre dans la maison comme femme de chambre avec l'intention de séduire le maître de céans, y réussit à merveille, mais est sauvée par le chauffeur de taxi qui l'épousera, je déflore une pièce qui vaut surtout par le plus charmant dialogue et par maint hors d'œuvre. En dépit de cette donnée, l'observation et l'esprit empêchent de sombrer jamais dans le vaudeville. Ajoutons que le grand bourgeois cinquantenaire et amoureux, de qui joue la petite femme de chambre, relève de la grande comédie et Tony sent la griffe du maître.
Le succès de l'Ame en folie, le nouveau drame de M. de Curel, est propre à donner de l'audace aux directeurs de théâtre. Il y a tout de même une lassitude et comme une gêne, une honte de la critique et du public devant tant de reprises misérables et les œuvres puissantes, comme celle de Curel, en bénéficient: on les porte aux nues, on crie au chef-d'œuvre par représailles et parce que, en dépit des dancing et des modes absurdes, une large élite, après tant de massacres, éprouve un obscur besoin de noblesse; ce n'est pas en vain, quoi qu'on dise, qu'au long de ces cinq années, les plus frivoles ont dû penser à leurs fins dernières, que les moins métaphysiciens d'entre nous ont interrogé leur destinée.
Non que le public du théâtre des Arts, — j'y étais un dimanche soir, — entende parfaitement une œuvre aussi complexe; j'observais autour de moi les fronts plissés des hommes, les yeux hagards des femmes, et, dans les entr'actes, je notais, au lieu du bavardage habituel, une réserve prudente de gens pas très sûrs d'avoir compris et qui sagement s'abstiennent de commentaires. Mais que le public est malléable! Sur la foi de son journal, il ne doutait pas que ce mystère fût un chef-d'œuvre et il était physiquement sensible à l'atmosphère, noble, à l'air des hauteurs qui parfume les trois actes. Une foule, sinon enthousiaste, au moins recueillie, descend chaque soir des Batignolles et, dans le métro, on voit des dames qui, leur programme à la main, relisent, avec application, le résumé de la pièce.
C'est une pièce à thèse ou plutôt à idée — ce qui n'offre rien de surprenant — mais à idée scientifique, et voilà qui déconcerte d'abord, bien que cette idée trouve sa confirmation dans des scènes d'ordre psychologique et moral. Un rédacteur du Journal qui demandait à M. de Curel le principe essentiel de l'Ame en folie obtint du grand dramaturge cette déclaration: “La sélection par l'amour, par la pensée, telle qu'elle se pratique dans notre société moderne, donne une race de plus en plus affinée quant à l'esprit, de plus en plus affaiblie quant au corps. Nous devenons plus sensibles et plus expressifs, mais d'une animalité moins vigoureuse...”
Aux spécialistes à donner leurs objections; nous, public, nous consentons à être convaincus; nous nous abandonnons au prestige de l'artiste à qui deux méthodes s'offrent pour obtenir notre créance, soit qu'il mette en scène une action psychologiquement vraie et qui confirme sa thèse; soit que, poète, il la vivifie par des symboles qui, sans convaincre notre intelligence, la rende sensible à notre cœur et surprenne notre adhésion. Dans l'Ame en folie, Curel ne choisit pas et use ensemble de l'observation et du symbole. Le premier acte est ce qu'à l'époque du naturalisme, on appelait si drôlement une tranche de vie. Son héros, Riolle, disciple de Darwin et de Lamarck, habite une vieille maison perdue sur la lisière des forêts et s'y occupe à observer les mœurs des cerfs et des sangliers en liberté, singulièrement dans la saison de l'amour — non certes pour s'en divertir ! — mais il estime que rien ne nous renseigne mieux sur l'homme que la bête. Sa femme vit à ses côtés, grosse personne essoufflée et cardiaque, tout à fait inintelligente, occupée des servantes et du menu, et à qui, d'ailleurs, échappa toujours la supériorité de son mari. Dès ces premières scènes, M. de Curel compose sans effort l'atmosphère si étrange de cette demeure campagnarde et perdue et alors qu'un autre n'eût pas manqué de nous peindre un homme de génie que l'incompréhension de sa femme désespère, Son Riolle au contraire (et comme c'est vrai !) ne souffre guère de sa vieille sotte; comme ils ne sont pas sur le même plan, elle ne le heurte pas; ce vigoureux arbre pousse ses branches dans la solitude et sans que le gêne cette servante bougon à ses pieds.
Une actrice parisienne, poursuivie par un jeune auteur qu'elle désire sans l'aimer (car elle en aime un autre), vient chercher un refuge auprès de son oncle Riolle; mais le jeune homme la suit de près: le couple “en folie” s'abat dans la tranquille demeure. Ainsi finit le premier acte où pas un instant l'auteur ne s'écarte de l'observation la plus exacte de la vie; mais dès le début du second, la thèse montre, si j'ose dire, le bout de l'oreille. Chez les cerfs, qu'au clair de lune Riolle épie, la sélection naturelle joue, les biches appartiennent au plus fort; chez les hommes, l'intelligence contrarie la sélection naturelle, la femme ne cédant pas au plus vigoureux, comme l'exigerait l'intérêt de la race, mais au plus habile, au plus spirituel, enfin au plus intelligent. Aucune espèce animale ne résisterait à de telles méthodes si l'intelligence ne possédait une vertu miraculeuse pour accroître la force vitale: le vieux Riolle note qu'il a plus de vigueur que les bûcherons de son âge. Ces idées et d'autres sont émises au long d'une conversation entre le savant et son hôte, le jeune artiste parisien; ces sortes de scènes présentent un danger qu'il me semble qu'en dépit de son admirable “métier”, M. de Curel ne conjure pas. Tel est en effet le dilemme: ou vous exposerez votre thèse en savant et en philosophe avec toute la rigueur requise, mais alors il faut aller contre les nécessités du théâtre, interrompre l'action et endormir le spectateur; ou vous vous adapterez aux exigences de la scène, mais comment prendre au sérieux des affirmations péremptoires, une argumentation dont l'artifice et l'arbitraire indisposent les moins avertis?
On aperçoit aisément cette conséquence des théories de Riolle, qu'une femme qui aime un homme intelligent, soumise aux lois de l'espèce, peut être séduite par un homme vigoureux; enfin qu'elle peut aimer celui-ci et désirer celui-là. Ce ne serait rien que la jolie nièce du vieux Riolle se débattît dans une aussi agréable contradiction; mais avec une candide audace, M. de Curel invente que la quadragénaire cardiaque, d'ailleurs passionnément attachée à son mari, éprouve du trouble à respirer ce parfum d'amour qu'apporta avec lui le couple amoureux. Avec plus de malice, Barrés approuva naguère les défaillances de Bérénice et il trouvait admirable ce distinguo: qu'une jeune femme aime d'amour quelque artiste ou quelque savant, mais qu'elle ne néglige pas certaine relation dans l'élite de la cavalerie française ! Encore qu'il ne s'agisse pas, dans l'Ame en folie, d'une petite Bérénice, mais d'une vieille femme quasi moribonde, sa “folie” (et je vous jure que M. de Curel n'use pas de périphrases !), si elle nous gêne quelquefois, n'atteint pas à nous choquer: rien de louche, rien qui rappelle ces musées de cires dans les foires, à prétentions scientifiques mais où les enfants “au-dessous de seize ans ne peuvent pas entrer”. N'empêche que le spectacle d'une matrone trop agitée — même si son agitation confirme une ingénieuse idée — n'offre non plus rien qui soit agréable; mais il s'agit sans doute de toute autre chose que de notre agrément ! Ajoutons que si elle est physiologiquement vraie, cette émotion d'une vieille dame, nous ne pensons pas que l'aveu qu'elle en fait à son mari (celui-ci, par un comble de dilettantisme, s'est amusé à éclairer la bonne femme sur un état dont elle n'avait pas conscience), nous doutons que cet aveu soit selon la vérité psychologique. Aussi simple qu'on nous la montre, sa franchise, en de tels secrets et honteux désirs, stupéfie.
Je confesse, à ma honte, que le troisième acte me demeure mystérieux: ce n'est pas que le symbole n'en paraisse à mon gré beaucoup trop facile: un squelette composé d'ossements empruntés à de nombreux morts y figure notre personnalité complexe et nos multiples hérédités. Avec la voix d'un confesseur derrière sa grille, il chuchote à Mme Riolle agonisante des lieux communs sur l'atavisme, lui promet le ciel et je m'en veux d'avoir résisté à ce sublime. Le plus triste est que nous ne saurons jamais si la malheureuse est morte “l'âme en folie”, en dépit des assurances de salut que semble lui prodiguer le squelette: on la trouve morte le nez sur un dictionnaire historique ouvert au mot: Messaline, et l'on sent qu'une confirmation si éclatante de ses idées sauvera le vieux Riolle du désespoir.
Est-ce là un chef-d'œuvre comme le veulent, avec une mystérieuse unanimité, nos grands critiques? C'est en tout cas une œuvre forte et qui ne nous laisse pas, comme tant de tristes pièces, démunis, appauvris. (Ah! tristesse des sorties de théâtre! Migraine! Sensation de vide!) L'Ame en folie nous enrichit au contraire; ce drame délivre de l'abstraction, rend palpitantes les idées que de grands hommes ont conçues touchant notre origine et notre fin dernière et si j'y ai trouvé trop de physiologie, une physique de l'amour un peu insistante, j'admets aisément que cela me soit particulier.
Après tant d'années, c'est le même enchantement triste que je subis dès qu'apparaît Nora Helmer et que je respire l'odeur tragique de cette maison de poupée. Nora! d'abord l'écureuil, l'alouette de qui joue son solennel mari, la femme enfant, si enfant, que par bonté elle emprunte une somme importante et fait candidement un faux! Quel étonnement quand l'usurier Krogstadt, qu'Helmer a chassé de sa banque, découvre à Nora l'abîme et joue de sa terreur pour qu'elle le fasse rentrer en grâce auprès de son mari! Elle y échoue; le misérable écrit à Helmer la lettre de dénonciation; la pauvre poupée, pendant des heures, s'exténuera à éloigner son mari de la boîte où est déposé le pli fatal, jusqu'à ce qu'enfin il l'ouvre! Rien n'égalera sa fureur et sa cruauté, si ce n'est sa brusque indulgence dès que Krogstadt repentant renvoie le papier où Nora fit un faux. Scène admirable où la bassesse d'Helmer se révèle à la poupée et l'injustice des lois humaines; pas un mot, mais l'éloquence du front et des yeux de Mme Suzanne Desprès en cette minute dépasse toute parole. Ce mari qui lui est un inconnu, ses trois enfants, son foyer, elle les quittera pour réfléchir, pour trouver sa loi...
Réentendre Maison de poupée, c'est remonter à la source du pire théâtre de ces vingt-cinq dernières années — source admirable d'ailleurs, source toute pure! — Il n'est plus triste destin pour un chef-d'œuvre que d'avoir enfanté tant d'œuvres médiocres: de cette Maison de poupée du grand Ibsen, combien s'envolèrent de mamans Colibri! Cette Nora qui abandonne son foyer a suscité sur la scène et dans la vie des milliers de petites philosophes qu'elle fournit en même temps d'arguments et de raisons pour courir la pretentaine. Ah! les devoirs envers soi même, qu'il y avait peu d'urgence de les rappeler aux pauvres femmes qui ne prient plus! Mais l'ingénue Scandinave, si elle déserte, c'est pour se trouver soi-même, tandis que ses filles du théâtre de France abandonnent le foyer pour la chasse aux sensations. Alors que tant d'autres artistes mettent leur talent au service de tant de bassesse, Mme Suzanne Desprès est la servante unique du génie.
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Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1920-01-24
Title
A name given to the resource
La reprise de la Vierge folle - La Chasse à l'homme - L’Âme
en folie - Maison de poupée
Publisher
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Revue hebdomadaire
Source
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29e année, n°4, p.540-547
Type
The nature or genre of the resource
Chronique dramatique
Creator
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François MAURIAC
Format
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Pdf
Language
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Français
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<a href="http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34350607j/PUBLIC" target="_blank">Notice bibliographique BnF<br /></a>Repris p.14-16, p.21-24 et p.52-53, <span>in<span class="apple-converted-space"> </span><em>Dramaturges</em>, Paris : Librairie de France, 1928.</span>
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MEL_0657
Subject
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acteurs, théâtre de boulevard, vieillesse, Ibsen
Description
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La reprise de pièces médiocres d’Henry Bataille suscite à François Mauriac des questions sur l’état du théâtre contemporain.
acteurs et actrices
Ibsen
théâtre de Boulevard
vieillesse
-
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3c7c685639a7cf8b7dae7acb6ae0187e
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Title
A name given to the resource
Représentations théâtrales
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Ressource textuelle
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L'un des auteurs de Mon Homme, M. Francis Carco, se montra toujours fort curieux des apaches; le séjour préféré de sa muse fut une auberge montmartroise, ce fameux Lapin-Agile. Il nous fit connaître, en ses récits, les mœurs de cette société où le vagabondage est spécial, — monde singulier et certes plus fermé que le plus noble faubourg. Avec de la patience, de l'humilité, beaucoup de gens peuvent aspirer à faire ce qui s'appelle une carrière mondaine; mais tels mystérieux bals-musettes où des messieurs en espadrilles et des dames en cheveux dansent la “java”, les grands-ducs eux-mêmes ne s'y risquent guère. M. Carco est en quelque manière notre ambassadeur auprès de cette pègre que depuis la mort de Jean Lorrain nous risquions de connaître mal.
Un auteur a le droit d'étudier cette espèce d'humanité (plus révélatrice du primitif amour que ne le sont les bêtes sauvages chères à M. de Curel), mais il faut que ce soit en des romans où la plus stricte observation est requise; le théâtre ne convient guère à un tel sujet. Un auteur aussi fin que Carco n'y a pas évité le piège tendu qui était de tout sacrifier au plaisir de dresser un apache romantique plein de force, de vertu, de courage et d'amour, en face d'un homme du monde lâche, hypocrite, voleur et assassin. Le public du cinéma exige qu'un drame se déroule dans le plus beau monde, où des laquais aux mollets superbes viennent annoncer que Mme la duchesse est servie, mais à condition que le duc soit criminel et que le vertueux ouvrier accusé par lui, au dernier tableau, le démasque. M. Carco et M. Picart prêtent au public de la Renaissance les mêmes goûts qu'à celui du Gaumont; en quoi ils se montrent peut-être fort avisés: on a tout dit de ce public d'après guerre, sans réaction et qu'une longue retraite derrière un comptoir d'épicerie et de fallacieuses balances prépara mal à juger des choses de l'esprit. La plus divertissante exactitude dans la mise en scène, la plus arbitraire convention dans la psychologie des personnages, voilà de quoi assurer à Mon Homme une carrière indéfinie. Qu'une princesse sortie du ruisseau y revienne clandestinement la nuit; que dans le tohu-bohu d'un bal-musette elle s'éprenne, d'un Hernani des fortifs, que ce “lion superbe et généreux” pénètre dans l'hôtel de la princesse, la protège contre les entreprises du secrétaire de son mari (le crime en habit noir!) et lui sacrifie sa vie, tout cela sans doute serait supportable, d'autant que les épisodes sont fort plaisants, surtout la tournée des gens du monde au bal-musette et la mésaventure de cette jeune veuve que la curiosité entraîne à suivre la princesse dans ses équipées nocturnes et qui voit un apache de très près, de beaucoup plus près que ne l'eût permis la plus facile morale. Mais un esprit équilibré toujours résistera à ces essais d'embellissement de l'apache: si les brigands de la Calabre, les nihilistes, la bande à Bonnot même prêtaient à quelque romantisme, les héros de M. Carco ont, touchant le rôle de la femme dans la société, une conception trop particulière; il n'est rien de plus vil ni d'aussi lâche, et il faut tout le talent de Carco pour que le plus apathique public souffre cette outrecuidante apologie. J'entends bien que notre auteur admire cette vie de lutte, de ruse et de risque; mais le courage ne nous éblouit pas qu'exige le coup du lapin pratiqué en traîtrise sur des passants désarmés. Carco m'objectera l'intérêt de l'artiste à observer une vie toute d'instinct, cette lutte des mâles, ce goût de la femme pour la servitude; il me dira aussi que les usages des boulevards extérieurs ne sont peut-être pas aussi différents qu'on le pourrait croire de ceux d'un monde plus raffiné, plus policé: le vicomte de Courpières, à qui M. Abel Hermant consacra de terribles pages, peut donner la main au beau Fernand des Batignolles. A propos des personnages d'un roman “mondain” de Paul Hervieu, Jules Lemaître écrivait autrefois: “Hervieu nous a fait concevoir de secrètes analogies entre cette vie-là (la vie du monde) et celle que mènent à l'autre bout de la société les joyeux et les joyeuses des boulevards extérieurs, qui sont des oisifs, eux aussi, mais moins polis et pressés de nécessités quine leur permettent pas d'être inoffensifs...” Il se peut et nous n'y contredirons pas; mais de telles nuances s'accommodent mal du théâtre, de l'inévitable “grossissement” et de la simplification qu'impose la scène.
Passer de Mon Homme à la Grande Pastorale, c'est être transporté de l'enfer au ciel! M. Gémier eut la pieuse pensée de consacrer à chaque province de France un spectacle. Il nous offre, au Cirque d'Hiver, un mystère provençal dont les auteurs, MM. Hellem et d'Estoc, ont collaboré avec les siècles; tous les vieux Noëls, toutes les galéjades y cristallisent autour de l’évangile de la Nativité. Le metteur en scène, M. Baty, a su rendre vivants les “santons” bariolés des crèches de notre enfance. Comme c'est la méthode chez Gémier, le metteur en scène est le personnage le plus important et passe avant l'auteur même, — ce qui était fort déplaisant lorsque ce passe-droit lésait Shakespeare, — mais l'inconvénient est moindre s'il s'agit d'une œuvre presque anonyme. Il exista toujours, aux meilleures époques du théâtre français, des divertissements où plusieurs auteurs mettaient la main et où le spectacle seul importait. Ne demandons à la Grande Pastorale que cette sorte de plaisir que donnent les images d'Épinal animées et ce plaisir n'est pas petit. L'enfer surtout est représenté de telle manière qu'on y voit les damnés rôtir à la broche et sauter dans une marmite; les péchés capitaux en chair et en os nous y sollicitent, — surtout la luxure, à propos de laquelle nous devons loyalement avertir M. Baty qu'elle est mal faite (ou trop bien faite) pour inspirer aux libertins des idées pénitentes.
Est-ce à dire que ce spectacle ne nous donna aucune émotion? Les vieux Noëls sont bien puissants sur nos cœurs et peut-être la joie d'une foule parisienne au Cirque d'Hiver ressemble, plus qu'on ne pourrait croire, à celle qui faisait rire et pleurer en Provence nos dévots aïeux. En dépit de la merveilleuse mise en scène de M. Baty, malgré moi je fermais les yeux pour retrouver, au delà des figurants et du décor, cette nuit de la chambre maternelle, qu'étoilaient les bougies bleues de la crèche... Le bourdon de la cathédrale emplissait la nuit pluvieuse d'une solennelle joie...
Pour évoquer la Provence, il a fallu à MM. Gémier et Baty de coûteuses farandoles, des acrobates, des danseuses, des musiques, un âne apprivoisé, un chien dressé (sachant aboyer à la lune), des lapins et des poules. Avec quatre plantes vertes et un rideau à ramages, M. Copeau, au Vieux-Colmobier, compose l'atmosphère du palais où Mgr le vice-roi du Pérou, à Lima, tourne comme un toton aux mains de la danseuse Périchole. Ce Carrosse du Saint-Sacrement de Prosper Mérimée nous a beaucoup plu et un peu déplu. Cette très classique comédie de caractère fut écrite en 1825 et l'on n'y trouverait pas un mot qui date; juste assez de couleur locale pour que les romantiques aient tiré la pièce à eux; mais elle y est discrète et ne détourne pas le spectateur de s'intéresser aux personnages: Mérimée donne à la couleur locale l'importance que Copeau donne à la mise en scène, il ne la dédaigne pas, mais lui assigne sa place; quelle autre pièce de la même époque pourrait-on représenter, qui, en maints endroits, ne parût ridicule? Comme son ami Beyle, Mérimée est de notre temps; il dépouillait son œuvre des ornements qui sont “la mode” et ne durent pas. Il aimait mieux s'attirer le reproche de sécheresse. Ce par quoi un ouvrage plaît lorsqu'il paraît, c'est presque toujours ce qui le rendra insupportable après un demi-siècle. Le talent.de Mérimée, comme le génie de Stendhal, est de savoir, de prévoir par quels renoncements un ouvrage dure.
Mais, comme Beyle aussi, il hait cruellement la religion et la dernière scène du Carrosse déplaira fort à ceux qui ne peuvent souffrir la vue, sur une scène, de soutanes odieuses ou ridicules. Il n'est à Lima que trois carrosses; le vice-roi donne le sien à la danseuse Périchole pour se faire pardonner d'avoir découvert qu'un soldat et qu'un matador le trompent tour à tour avec sa belle maîtresse. Elle en fait d'ailleurs si mauvais usage que, pour étouffer le scandale, Périchole renonce à son carrosse en faveur de l'évêque: les prêtres qui portent aux mourants le Viatique ne risqueront plus d'arriver trop tard; à ce carrosse, beaucoup devront leur éternelle béatitude: on voit aisément ce que peut être, sur ce sujet, la raillerie de Mérimée. Rien de trop, rien qui choque d'abord, mais c'est pourquoi elle porte. Chez ce futur chef de cabinet du ministre des Affaires étrangères, et qui sera inspecteur des monuments historiques, puis sénateur de l'Empire, que déjà la haine est prudente! Gomme nous choquent moins la maladroite passion et les boutades de Henri Beyle! La moquerie de Mérimée porte toujours sur la lettre de la religion qu'il dépouille de l'esprit pour la rendre odieuse et ridicule. Ce trop habile homme sait que la lettre tue et déjà Voltaire usait de cet hypocrite procédé: qu'un chapelet bénit guérisse la sciatique du vice-roi ou que le salut éternel d'un grand nombre dépende du carrosse d'une courtisane, il y a bien là de quoi faire rire, mais au moyen de quel mensonge, de quelle falsification! Nul doute que M. Copeau, lorsqu'il choisit une telle pièce, n'écouta que ses goûts de lettré; mais qu'il fasse attention de ne pas blesser plusieurs de ses amis; on m'assure que déjà il suscite, dans le groupe Clarté, de grands espoirs...
Il n'est rien de si périlleux que de mettre à la scène des ouvriers; en de tels sujets, l'auteur, s'il ne sombre pas dans un gros réalisme, risque d'adoniser des prolétaires de convention. Il faut louer M. Charles Vildrac de ce que les deux jeunes typographes du Paquebot Tenacity sont des êtres vivants, surtout celui à qui il prête le plus de délicatesse: un entreprenant camarade le décida à s'expatrier, mais une avarie à la machine du paquebot retarde leur départ et les oblige de demeurer quinze jours dans une auberge; l'un s'y éprendra secrètement de la servante; il est de ces cœurs qui, partout où ils passent, s'attachent et souffrent et en rêve échafaudent une heureuse vie; cependant son camarade séduit la servante et fuit avec elle, délaissant l'ami qu'il avait entraîné; l'abandonné, celui qui d'abord ne voulait pas partir, s'embarquera seul. Je me rappelle, au camp de Châlons, quelques heures avant l'offensive de Champagne en 1915, un chasseur à pied avec qui je causais; c'était un typographe de Lille: “Le pire, dans la tranchée, me disait-il, c'est qu'on y souffre seul...” Le héros de Vildracme rappelait trop vivement ce jeune ouvrier pour que je pusse résister à ce drame. Les faiblesses y sont évidentes et l'étrange idée que de donner à un prolétaire alcoolique l'emploi du raisonneur de la pièce! mais à chaque instant, nous sentons que c'est ici l'œuvre d'un poète, nous reconnaissons l'accent d'un inspiré.
Sur toute autre scène qu'au Vieux Colombier, l'École des athlètes nous aurait divertis; mais chez Copeau, cette comédie est très singulièrement piquante: M. Georges Duhamel invite les jeunes hommes de lettres qui emplissent la salle à rire aux dépens d'un bel esprit de qui tous, peu ou prou, nous sommés frères, et nous avons consenti à rire avec beaucoup de bonne grâce. Duhamel eut raison de se mettre sans vergogne à l'école de Molière: il combine ensemble Trissotin, Tartufe et Vadius, et cette synthèse crée Beloeuf, auteur, directeur de la P. P.(la revue Puissance et Progrès!), enfin chef de l'école des athlètes spirituels. Ce monsieur qui s'introduit chez de paisibles petits bourgeois, trouble leur cervelle, séduit leur fille, sans doute est-il plus odieux que nature, mais non certes plus ridicule. Lui et ses amis nous parurent si vivants que nous ne doutions pas qu'à l'entracte, il faudrait leur serrer la main...
Voilà longtemps que nul n'osait toucher aux beaux esprits. Les encyclopédistes établirent solidement le trône de l'homme de lettres; tous ceux qui font métier d'écrire se sont partagé la puissance de Voltaire, comme les généraux d'Alexandre son empire. Pourtant, il n'est aucune corporation où le ridicule soit plus répandu. Un auteur, qu'il ait ou non du talent, toujours doute de soi et ne se peut rassurer que sur les louanges qu'on lui donne: quel homme de lettres se passerait de sa provende d'encens? De là naît cette grotesque soif d'applaudissement et, pour que coûte que coûte on parle de lui, cette recherche de la singularité. J'imagine une autre pièce que Duhamel devrait avoir le courage d'écrire et qui s'appellerait les Précieux ridicules.
Chez le paisible pharmacien où Beloeuf s'introduit, les femmes d'abord cèdent à son prestige, puis les parents; seuls lui résistent un jeune garçon et un vieil employé qui comprennent que ce poète a banni de la maison la poésie; au dernier acte, après les plus folles farces, ils s'embarquent pour la Patagonie où nul Belceuf ne sévit. Les acteurs sont incomparables: ils créent des personnages à la fois falots et réels, chimériques et vivants. Ils unissent la plus exacte observation à la plus libre fantaisie; ce sont des fantoches de Dickens dans une farce de Molière.
*
* *
Dans Athalie, Voltaire ne peut souffrir le grand prêtre Joad, mais la fille d'Achab lui plaît fort. Tous ces encyclopédistes avaient du penchant pour les Sémiramis, qu'elles fussent du Nord ou du Midi. Mme Sarah Bernhardt nous oblige d'être du même avis que Voltaire: nous ne fûmes heureux que pendant les brèves scènes où Athalie raconte ses songes, interroge un enfant, subit sa séduction... On m'affirme qu'un fameux critique n'a pas craint d'écrire qu'Athalie lui avait paru un spectacle ennuyeux. Confessons que les chœurs, pitoyablement chantés, ralentissaient l'action; mais surtout Sarah Bernhardt nous condamne à être inattentifs aux actes où elle ne figure pas. Quel chef-d'œuvre résisterait à une telle interprète? Mme Sarah Bernhardt tire tout à elle. Nous nous moquons bien des lévites, d'Abner, du roi de Juda! Il s'agit d'entendre, une fois encore, la célèbre tragédienne pour qui, depuis cinquante ans, de si médiocres poètes ont écrit de si médiocres pièces. Quand elle apparaît sur son palanquin, nous applaudissons celle qui a vaincu le temps. De toute autre artiste, on admire qu'elle sache se retirer et devancer son déclin. Mme Sarah Bernhardt a passé, depuis des lustres, l'âge du déclin ; elle joue en dehors du temps; elle psalmodie sur le plan de l'éternité; comme un hypogée son demi-siècle de gloire la garde intacte. Son tragique et beau visage témoigne qu'il n'existe pas d'irréparables outrages. N'empêche que servie par une plus humble artiste, par des choristes passables, la tragédie de Racine se fût révélée au public ce qu'elle est réellement: un terrible et presque brutal drame, la lutte du Dieu d'Abraham et dé Jacob contre le Monde, contre ce qu'Athalie appelle les Suprêmes Puissances... Et personne — pas même un rameux critique — n'aurait eu le front de s'y ennuyer.
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1920-04-17
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Mon Homme, à là Renaissance - La Grande Pastorale, au Cirque d'Hiver - Le Carrosse du Saint-Sacrement et le Paquebot Tenacity, au Vieux-Colombier - L'œuvre des Athlètes, au Vieux-Colombier - Athalie, au théâtre Sarah Bernhardt
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Revue hebdomadaire
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29e année, n°16, p.393-398
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The nature or genre of the resource
Chronique dramatique
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François MAURIAC
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Français
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<a href="http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34350607j/PUBLIC" target="_blank">Notice bibliographique BnF<br /></a>Repris p.8-10, p.54-55 et p.70-72, <span>in<span class="apple-converted-space"> </span><em>Dramaturges</em>, Paris : Librairie de France, 1928.</span>
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MEL_0659
Subject
The topic of the resource
théâtre de boulevard, pègre, Provence, Mérimée, Georges Duhamel, Racine
Georges Duhamel
Mérimée
pègre
Provence
Racine
théâtre de Boulevard
-
https://mauriac-en-ligne.huma-num.fr/files/original/3a2edb36b072a021e9dabd3ee045d42a.pdf
97f81b367be4b6165a4c15960fb47701
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Représentations théâtrales
Texte
Ressource textuelle
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Beaucoup de mères ne peuvent supporter que leurs enfants souffrent. Elles ne redoutent aucune intrigue, aucun mensonge pour leur assurer le bonheur. Ainsi l'héroïne de M. Ch. Oulmont a obtenu que son fils épouse la jeune fille qu'il aime et dont il n'est pas aimé. De même elle fait sans vergogne des avances à un jeune homme de qui sa fille est amoureuse. Mais ce garçon sans délicatesse, non content de n'épouser pas la fille, enlève la bru. C'était un beau sujet: il arrive en effet que la passion maternelle, comme toutes les passions, suscite des désastres. Pourtant il est des mères passionnées, mais assez politiques pour ne pas, au prix d'un bonheur immédiat, compromettre l'avenir de leurs enfants. Nous doutons qu'il existe une maman aussi dénuée de prévision que celle que nous vîmes hier au théâtre des Arts. C'était, disions-nous, un beau sujet; encore le fallait-il traiter: surtout il eût été important que M. Oulmont possédât une connaissance au moins superficielle de son métier. Ses personnages sont rudimentaires, et il n'est rien de moins naturel que son dialogue ni de plus maladroit que l'agencement des scènes. Enfin M. Oulmont ne nous donne pas un instant l'illusion de la vie. Et sans doute beaucoup d'auteurs ne nous la donnent que grâce à des recettes. On serait tenté d'aimer dans Bonheur qu'il y ait si peu d'habileté, si peu d'invention, une telle indigence, et qu'à aucun moment l'auteur ne nous jette de poudre aux yeux: est-ce impuissance, candeur, ou parti pris?
Ce drame était précédé d'une légende antique de M. A. Mortier. Le mythe de Pygmalion et de Galatée compte parmi les plus émouvants. Peut-être cet acte donnerait-il quelque agrément à la lecture; mais rien n'est si redoutable qu'un dialogue philosophique sur un tréteau. M. Mortier y montre d'excellentes intentions et le plus louable spiritualisme. Galatée, de qui la statue s'émeut devant Pygmalion, méprise cet amour charnel, rêve de l'âme et ne trouve pas que la vie vaille un baiser...
Crommelynck est un rude ouvrier qu'on imagine sculptant avec une énorme verve les péchés capitaux dans une pierre catholique: c'est un imagier du temps des cathédrales et le Cocu magnifique nous met en garde contre la lubricité d'abord, mais surtout contre sa fille la jalousie. Bruno — le magnifique — est au premier acte en proie à une crise de ce que M. M. Donnay a ici même dénommé candaulisme; son indiscret amour éveille des convoitises qui éveillent sa jalousie. Et voici le jaloux, un jaloux haut en couleur, si violemment enluminé, si grassement taillé que tous les barbons du répertoire, ceux de Molière et Ceux de Beaumarchais, Othello lui-même, apparaissent auprès de lui pleins de modération et de bénignité. Au second acte, sa petite femme, Stella, se montre affublée par son tyran d'un masque horrible, tous les verrous sont tirés, tous les volets sont clos; le jaloux devient l'avare: il couve ce corps, comme Harpagon sa cassette... et tout à coup, parmi ces outrances, jaillit une scène si délicate et si chargée de poésie, que nul ne songe plus à rire: Bruno, un instant, soulève le masque et dès qu'il a vu le visage adorable de son amour, il s'agenouille, s'attendrit, pleure, demande grâce, console l'enfant si douce... Mais son mal n'est qu'un instant conjuré et le jaloux en arrive au point d'exiger de sa femme qu'elle le trompe, parce qu'il préfère tout à l'incertitude. Nous suivons Crommelynck jusque-là; cette fureur jalouse devait atteindre à ce comble de sottise conjugale de souhaiter que Stella le déshonore avec mille garçons pour qu'il découvre dans leur foule l'inconnu qu'elle aime. Mais comment admettre que, par amour, la jeune femme cède à l'immonde exigence du fou? Visiblement, l'auteur est vaincu par sa verve flamande, il ne la contient plus et s'abandonne aux inventions d'une fantaisie sans frein. Des musiques de kermesse viennent du village en folie dont Stella est devenue la proie à la fois infâme et innocente. Le Magnifique se déguise pour atteindre au fin du fin qui est de se tromper lui-même. Le public serait-il entré dans le jeu sans la magistrale interprétation de M. Lugné Poe? Un tel artiste imposerait l'œuvre la plus scabreuse. Mais la candeur savante de Mlle Régina Camier dans le rôle de Stella eût suffi à gagner le plus récalcitrant des publics. Nous avons aimé sa soumission de petite fille amoureuse, et, au dernier acte, cette étrange pureté parmi tous les hommes ivres qui la pressent; elle sauve tout par l'ingénuité. Elle est l'Ève charmante de qui l'âme échappe aux souillures de son tendre corps et qu'on imagine, au dernier acte, emportée par les anges.
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1921-01-15
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Bonheur, pièce en trois actes, de M. Ch. Oulmont - Galatée, légende antique en un acte, de M. A. Mortier, au théâtre des Arts - Le Cocu magnifique, de M. Crommelynck, au théâtre de l'Œuvre
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Revue hebdomadaire
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30e année, n°3, p.356-358
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The nature or genre of the resource
Chronique dramatique
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François MAURIAC
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<a href="http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34350607j/PUBLIC" target="_blank">Notice bibliographique BnF<br /></a>Extrait sur Crommelynck repris p.79-78, <span>in<span class="apple-converted-space"> </span><em>Dramaturges</em>, Paris : Librairie de France, 1928.</span>
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Français
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MEL_0672
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The topic of the resource
jalousie, théâtre de boulevard, acteurs
Description
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Faisant le compte rendu de trois pièces, Mauriac livre ses idées sur le rapport entre le théâtre et la vie, le théâtre et les idées philosophiques. Mais il laisse également apparaître ses sentiments sur l’amour, la jalousie, sa relation à la femme, en se montrant insensible au côté "farce" des situations.
acteurs et actrices
jalousie
théâtre de Boulevard
-
https://mauriac-en-ligne.huma-num.fr/files/original/1d7da3472681b3e9dd85e3d5722ec7a1.pdf
ad8d43b0da6b0b66f403ceb44ac88989
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Représentations théâtrales
Texte
Ressource textuelle
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On peut ne pas approuver en tout les inventions de MM. Gémier et Baty pour mettre en scène l'Avare à la Comédie-Montaigne. Mais les artistes de ce théâtre, après ceux du Vieux-Colombier, méritent notre gratitude parce qu'ils ont délivré Molière d'une interprétation officielle et figée. Dans l'ombre de son temple, nous arrivions à ne plus voir le dieu. Des mains pieuses certes, mais audacieuses, le ravissent et nous le montrent dans un jour cru.
Le terrible homme que ce Molière! Il n'en veut pas seulement à nos ridicules, à nos vices: l'Avare est la tragi-comédie de la famille. L'Adolescence et l'Amour y bafouent un vieillard hideux. Harpagon est un père horrible et un sexagénaire à faire peur: “Tant mieux, morbleu!” crie-t-il à la proxénète qui lui souhaite de survivre à ses propres enfants. Ce bourgeois qui, en secret, s'engraisse d'usure, il y avait une espèce de sadisme à vouloir qu'il fût amoureux. Ses mignardises autour de sa belle, ses grimaces passionnées, nous ne connaissons rien au théâtre de si cruel. Dans ces familles bourgeoises du grand siècle, où l'autorité paternelle imposait une effrayante contrainte, on imagine les révoltes, les haines de père à fils, les crimes: il serait vraisemblable qu'au dernier acte, le fils d'Harpagon consultât la Brinvilliers. Derrière cette majestueuse façade dont nous sommes encore charmés, Mme de Montespan faisait dire ses messes noires; le poison secourait les héritiers impatients. Les farces de Molière corroborent les témoignages de Tallemant et de Saint-Simon. Sans doute les institutions, par leur armature, défendaient-elles la société contre les passions de l'individu. La religion dispensait aux pécheresses à leur déclin ses cloîtres entr'ouverts sur le monde, ses illustres directeurs d'âmes; et au moins deux hérésies exerçaient le goût que l'on avait alors de la controverse. Ces institutions permirent à Molière de nous montrer dans sa laideur la bête humaine: avec quelle vérité! Car, la monarchie abattue, c'est bien l'homme de Molière que nous voyons à nu: Oronte, les marquis, calomnient la reine et émigrent; l'homme aux rubans verts rompt en visière à tout le genre humain; Tartufe, l'incorruptible, organise les massacres et la fête de l'Être suprême; Harpagon dénonce sa propre famille, spécule, achète des biens nationaux. Désormais déchaîné, l'homme se révèle grotesque et de la même façon qu'il le paraissait à Molière: en prétendant corriger la Nature. Il semble d'abord que le Jacobin et Molière soient d'accord sur un point. Molière est révolutionnaire parce qu'il veut qu'on laisse faire la Nature et qu'il exècre toute contrainte: la dévotion, le monde, l'autorité du père de famille et du mari, la science du médecin. Mais il se sépare des Jacobins en ceci qu'il ne croit pas que l'homme soit né bon et trouve excellent qu'un sage tyran le jugule:
Nous vivons sous, un prince ennemi de la fraude.
Ennemi de la fraude, mais ami des louanges, de celles surtout qui flattent ses amours et l'on sait du reste que l'auteur d'Amphytrion s'entendait à encenser des adultères augustes. En somme, il rejette toutes les contraintes morales, et semble compter sur l'autorité politique pour maintenir l'ordre. Tout de même, cette contradiction chez lui est choquante: il bafoue des disciplines que rendent pourtant nécessaires les vices de cette humanité dont il nous divertit. Sans doute, il y a de la bonhomie dans Molière; il se peut que ses farces ne prétendent qu'à nous faire rire, à moins qu'à force de calembredaines, il veuille nous obliger d'accepter ce qui, sans elles, paraîtrait intolérable. Dans l'Avare, surtout, il est visible que le comique tend à nous masquer le goût d'un remède, amer.
En vain M. Dullin, qui est un admirable Harpagon, se livrait à mille gambades et jouait à chat perché sur les fauteuils, il ne put nous donner le change; les contemporains non plus ne s'y trompèrent pas. Bossuet, avec bien de l'exagération, dénonça les “impiétés et les infamies” dont sont pleines les comédies de Molière: la religion prétend corriger la Nature, et elle est en cela l'ennemie de Molière au même titre que la médecine, d'où l'anathème fameux de Bossuet: “La postérité saura peut-être la fin de ce poète-comédien, qui, en jouant son Malade imaginaire ou son Médecin par force, reçut la dernière atteinte de la maladie dont il mourut deux heures après, et passa des plaisanteries du théâtre, parmi lesquelles il rendit presque le dernier soupir, au tribunal de Celui qui dit: “Malheur à vous qui riez, car vous pleurerez.”
De même que le théâtre de Molière nous révèle un siècle plus terrible et moins solennel qu'il ne paraît d'abord, dans celui de Labiche, ainsi que dans les opérettes d'Offenbach, nous admirons comme fut calomnié le Second Empire, le moins orgiaque des empires. Lemaître fut le premier frappé de la place qu'occupe la vertu dans les pièces de Feuillet, d'Augier, de Dumas fils. Les héros y méprisent l'argent, prennent l'amour fort au sérieux, relèvent la femme adultère, et vénèrent l'enfant, surtout s'il est naturel. Les passionnants mémoires de M. Augustin Filon nous ont fait connaître récemment cette cour de Compiègne, où tout respire l'honnêteté. Honnête Labiche! qu'il eût été étonné de l'honneur dont le comblent MM. Gémier et Baty qui, pour Vingt-neuf degrés à l'ombre, fignolent la mise en scène, et déguisent les acteurs, car Labiche ne se joue plus avec le costume moderne: il commence à “dater”, il “fait époque”. Nous avons ri de tout notre cœur: ses petits bourgeois sentencieux, vaniteux et froussards, demeurent fort divertissants, bien qu'il n'y ait pas une once de perversion dans cette malice.
Au théâtre Moncey, M. Maurice Maeterlinck vient de fournir un argument nouveau contre nos adversaires: les atrocités allemandes qu'il porte à la scène, pour vraies qu'elles soient, y paraissent invraisemblables, leur horreur dépasse le “grossissement” du théâtre. Dans un mélodrame, elles feraient crier à l'exagération le public du paradis. Les officiers ennemis que nous montre M. Maeterlinck, sont des monstres au point qu'on n'en revient pas de ce qu'il les ait peints d'après nature et, pour ainsi dire, photographiés. Les Allemands n'ont pas su garder dans leurs atrocités cette mesure qui les rendrait supportables au théâtre, et c'est sans doute leur faute plus que celle du peintre si nous ne pouvons plus les voir, même en peinture. Il eût été si inutile d'ajouter à l'horreur qu'il faut croire que le Bourgmestre de Stilmonde ne nous révèle rien que de vrai. Nous assistons à l'arrivée des Allemands dans une petite ville flamande. Un de leurs lieutenants est le gendre du bourgmestre. Un officier allemand ayant été assassiné, un vieux jardinier est, contre toute vraisemblance, accusé du crime. Il faut qu'à la fin du jour le bourgmestre le livre au peloton d'exécution ou se livre lui-même. Nous voyons, d'un acte à l'autre, ce bourgeois pacifique et timoré se hausser au plus sublime héroïsme. Le commandant allemand exige que ce soit le gendre qui préside à l'exécution du beau-père. Après cela, nous avions besoin de nous détendre et comptions sur la farce promise. Le Miracle de saint Antoine est, de ce point de vue, fort décevant. Saint Antoine vient ressusciter une vieille demoiselle et les héritiers le livrent au commissaire. Ces deux actes n'ajouteront rien à la gloire de M. Maurice Maeterlinck.
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1921-02-12
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L'Avare, de Molière - Vingt-neuf degrés à l'ombre, de Labiche, à la Comédie-Montaigne - Le Bourgmestre de Stilmonde; Le Miracle de saint Antoine, de M. Maurice Maeterlinck, au théâtre Moncey
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Revue hebdomadaire
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30e année, n°7, p.239-242
Type
The nature or genre of the resource
Chronique dramatique
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François MAURIAC
Relation
A related resource
<a href="http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34350607j/PUBLIC" target="_blank">Notice bibliographique BnF<br /></a>Extrait sur Molière repris p.5-7, <span>in<span class="apple-converted-space"> </span></span><em><span>Dramaturges</span></em><span>, Paris : Librairie de France, 1928.</span>
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Pdf
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Français
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MEL_0674
Subject
The topic of the resource
Molière, théâtre de boulevard, nature humaine, Grand Siècle, Allemagne, acteurs
Description
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Une riche semaine de théâtre marquée par l'implacable description de la nature humaine que propose Molière et les bouffons divertissants de Labiche.
acteurs et actrices
Allemagne
Grand Siècle
Molière
Nature humaine
théâtre de Boulevard
-
https://mauriac-en-ligne.huma-num.fr/files/original/779a00e684761de3d446ba413ca95a72.pdf
e8a67850fe83eaa19aed7cc09b79639f
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Title
A name given to the resource
Roman
Texte
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Le cahier vert de M. Julien Benda est remarquable à plus d'un titre. D'abord, vit-on jamais si longue préface à de si courtes histoires ? On songe à ces repas russes où le hors-d'œuvre est l'essentiel. Dans sa préface, M. Julien Benda interroge son cœur, qu'ont ému les critiques des Amorandes : parce qu'il est philosophe, on ne veut pas qu'il soit romancier. M. Julien Benda, qui a des idées, a bien raison de croire qu'il a aussi le droit de les incarner. Mais ses incarnations sont-elles des romans ? On n'ose rappeler à un philosophe qu'il faut d'abord définir les termes de la discussion, si l'on veut éviter une querelle de mots. Peut-on définir le roman, l'incarnation des idées ? Nous ne le pensons pas. Le roman crée d'abord des êtres qui vivent, et, si du conflit de leurs passions, se dégagent des idées générales touchant les caractères et les mœurs, il faut que ce soit à l'insu du romancier – ou que, du moins, les lecteurs puissent croire que c'est à son insu. Les êtres que nous ayons créés il importe qu'ils nous dominent et s'imposent à nous ; sinon nous substituerons à la vraie destinée de nos héros notre caprice et notre passion. Le romancier doit être pareil au Dieu de Malebranche, qui n'intervient pas par des volontés particulières. Ainsi, Dostoïevski est à chaque instant débordé par ses personnages, qui l'entraînent où il ne voudrait pas aller.
Cela ne veut pas dire que nous condamnions l'art de M. Julien Benda. Mais faut-il appeler roman ces récits ? Pour la Croix de Roses, conte philosophique nous paraîtrait mieux convenir — ou, si M. Benda y tient, roman philosophique. « La nature n'a pas besoin que votre partenaire vous plaise. Notre excitation seule est nécessaire pour l'amour. La vôtre n'est qu'un luxe. » Cela est dit dans le silence de la nuit, sous les baisers de sa maîtresse, par le héros de M. Julien Benda. Quelle alcôve entendit jamais de tels accents ? Conte philosophique, vous dis-je. Mais comme les idées de M. Benda sont fort ingénieuses et excitantes, nous ne nous plaignons pas. Voyons-les d'un peu près. La Croix de Roses est celle où se crucifie le malheureux homme dont la destinée est d'être amant. M. Benda nous fait de son martyre une peinture qui nous tire les larmes. Les femmes l'aiment, mais elles le méprisent ; il est un objet à leur usage et détourné par elles de toute grande œuvre. Cependant, il n'a jamais la femme tout entière, celle que le- mari, même trompé, possède. Il ne connaît d'elle que le petit animal luxueux et qui aime qu'on le caresse. Il l'ignore humiliée, souffrante, et quand il fout la secourir, et quand elle donne la vie. Tout cela est vrai, d'une vérité relative. Ce cahier vert est un livre consolant à l'usage des personnes pas aimées. Mais les idées perdent bien de leur vérité en s'incarnant, C'est l'inconvénient des contes philosophiques en général que si les idées y sont quelquefois vraies les personnages y sont presque toujours faux.
Et d'abord M. Benda nous montre une jeune femme qui se partage entre l'homme qui lui plaît, mais qu'elle dédaigne, et un grand physiologiste qu'elle admire. Et, selon l'auteur, c'est le grand physiologiste qui a la meilleure part. Il ne s'agit pas ici de la « femme parfaite », telle que l'a conçoit Barrés, quand il écrit à un endroit du Jardin de Bérénice :
« Une femme parfaite se choisirait un amant plein d'ardeur dans l'élite de la cavalerie française et, pour l'aimer d'amour, un prêtre austère comme notre divin Lacordaire... » Certes, nous imaginons une dame cérébrale, de celles qu'enchantent les Dialogues d'Eleutère, s'essayant à cette perfection. Mais, dans aucun cas, si elle adore son amant, elle n'ira par amour de la science caresser chaque samedi le grand physiologiste. Lui faire la lecture, tout au plus.
Nous ne croyons pas non plus beaucoup à cet amant crucifié sur des roses, à ce condamné aux travaux forcés de l'amour. Il nous semble que M. Benda a été trop impressionné par le théâtre de Porto-Riche. Il répète que ce sont toujours les mêmes qui sont amants, et jusqu'à l'âge le plus avancé. Nous ne pensons pas que ce soit aussi simple. Certes, rien n'est si commun que l'homme qui n'est pas né amant. Mais l'amant jusqu'à l'âge le plus avancé est un type fort rare ailleurs que sur les planches. Porto-Riche et, à sa suite, tous les fournisseurs habituels du Boulevard, aiment faire triompher le quinquagénaire, pour des raisons plus humbles qu'ils ne le croient eux-mêmes : peut-être parce qu'ils ont passé cet âge, on parce qu'il faut que, le rôle aille à Guitry, ou encore parce qu'une salle est toujours pleine de vieux messieurs qui ont besoin qu'on les rassure. Le vrai est qu'il y a un âge pour être amant et un autre pour être cocu, et que la justice immanente distribue équitablement aux deux extrémités de notre vie les grâces requises pour ces deux états.
Enfin, au risque de rendre vaincs les consolations que prodigue M. Benda à ceux qui ne sont pas nés amants, reconnaissons qu'il n'est aucune de leurs joies matrimoniales que ne puisse goûter l'homme-à-femmes lorsqu'il se résout à se fixer. La moindre liaison suffit pour qu'il connaisse le corps de son amie « dans toute sa condition humaine, non pas seulement dans ses triomphes, mais dans ses tristesses, dans ses défaites... » Bref, s'il y a des hommes qui ne connaîtront jamais la joie des amants, il n'est pas d'amant qui, une fois au moins dans sa carrière, ne connaisse la grandeur et la servitude conjugale ; un collage y suffit. L'homme qui a eu la plus brillante destinée amoureuse est sûr, tôt ou tard, au moins une fois, d'aimer et de n'être pas aimé.
N'empêche qu'il y a beaucoup de sagesse et de lucidité dans les aphorismes de M. Benda touchant le servage des amants. L'homme sage, après avoir lu son livre, reconnaîtra qu'il faut se déprendre Croix de Roses. Mais c'est un effort que tout le monde n'a pas l'occasion de tenter. Car on ne peut renoncer qu'à ce qu'on a, se dit l'homme qui n'est pas né amant. Du moins, ce petit livre acide et contracté le fournira de raisons pour se glorifier de l'indifférence des femmes à son égard et pour être bien content de sa part ici-bas qui, d'un point de vue bas, n'est peut-être pas la meilleure, mais dont il est bien sûr qu'elle ne lui sera pas ôtée.
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A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1923-04-07
Title
A name given to the resource
La Croix de roses par Julien Benda
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Les Nouvelles littéraires
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François MAURIAC
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2e année, n°25, Une
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Pdf
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Français
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MEL_0514
Subject
The topic of the resource
roman, théâtre de Boulevard, amour, vie conjugale
Description
An account of the resource
Dans ce compte rendu du roman de Julien Benda, François Mauriac exprime son idée que le roman ne peut pas être de la philosophie incarnée mais de la création de personnages autonomes. En même temps, rapprochant l’œuvre de Benda du "trio" habituel du théâtre de Boulevard, il saisit l’occasion pour exposer sa perception de la vie conjugale.
Type
The nature or genre of the resource
Critique littéraire
amour
roman
théâtre de Boulevard
vie conjugale