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Vingt ans de vie syndicale à Limoges,
par M. l’abbé J. Desgranges

Date : 25/02/1909

Éditeur : Revue Montalembert
Source : 2e année, n°10, p.118-120
Relation : Notice bibliographique BnF

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Vingt ans de vie syndicale à Limoges,
par M. l’abbé J. Desgranges

Mercredi 10 février,

M. l'abbé Desgranges qui habite une grande cité ouvrière du centre, veut bien nous apporter le résultat des observations qu'il y a pu faire sur le mouvement syndical, durant ces vingt dernières années. Dans une première partie, il marque les différentes étapes franchies par les syndicats ouvriers et distingue la période politicienne, la période révolutionnaire, puis celle des syndicats véreux et suspects; enfin l'ère, qui semble s'ouvrir, des syndicats véritablement professionnels. Dans une seconde partie, il note les expériences qui furent tentées à Limoges pour y instaurer des syndicats mixtes, des syndicats jaunes –et des syndicats patronaux–. Pour terminer, M. l'abbé Desgranges, se basant sur les faits qu'il vient d'exposer, nous enseigne ce que doit être l'attitude des catholiques en face du problème social. La loi de 1884 sur les syndicats fut en général mal reçue, –et en 1897, un patron disait à l'abbé Desgranges qui se préparait à faire une conférence aux ouvriers: “Surtout ne prononcez pas le mot de syndicat!” –Les catholiques négligèrent de s'en occuper et laissèrent aux socialistes le champ libre. –Mais ceux-ci avaient du syndicat une conception simpliste: “Pour faire un syndicat, disait J. Guesde, il faut un trésorier, un secrétaire et un timbre on caoutchouc.” De 1887 à 1900, on vit ainsi se multiplier des syndicats subventionnés par les départements et qui furent des comités électoraux. Ils ne servirent en rien les intérêts ouvriers, mais fournirent aux secrétaires généraux de la bourse du travail, des places grassement rétribuées. –Les journaux socialistes dénoncèrent ce scandale, et l'on tomba d'un extrême dans un autre: les ouvriers, persuadés que les politiciens étaient leurs pires ennemis, écoutèrent ceux qui leur montraient les syndicats comme les seules machines de guerre capables de détruire la société capitaliste. Cette conception révolutionnaire du syndicat amena les tragiques journées d'avril 1905 dont M. l'abbé Desgranges nous fait un vivant récit. Les syndicats organisèrent d'abord des grèves sans interruption, et jamais pour des raisons professionnelles, mais parce que la grève était le point de départ d'un mouvement révolutionnaire. On en compta 37 en 16 mois. Certains patrons furent réduits à autoriser l'élection des contremaîtres par les ouvriers. L'absurdité de quelques-unes de ces grèves est incroyable. Voici un exemple entre mille: Les ouvriers de la maison X ... étaient plus payés que ceux des autres usines, qui réclamèrent. On fit droit à leurs doléances et le tarif de la maison X ... fut établi partout. C'est alors que les ouvriers de cette maison se mirent en grève parce qu'ils voulaient eux aussi une augmentation!
M. l'abbé Desgranges assista vraiment “aux grandes manœuvres de la Révolution”. Les ouvriers campaient dans les rues, cernaient les usines et les habitations particulières des patrons, insultaient les personnes qui entraient ou qui sortaient. Le jour de l'entrée solennelle du général Tournier à Limoges, ils se livrèrent au sabotage des costumes officiels et les constellèrent de crachats. Le 17 avril 1905, 15.000 grévistes après la proclamation du lock-out se heurtèrent à 8 régiments, et à plusieurs centaines de gendarmes. Des révolutionnaires de profession, experts dans l'art des barricades, vinrent de Paris diriger le mouvement. Des armureries furent pillées, les portes de la prison enfoncées. Mais dès que la troupe eut tiré sur la foule, une morne stupeur succéda à l'agitation. Ce fut la déroute des ouvriers. Les syndicats révolutionnaires tombèrent dans le plus complet discrédit, surtout depuis la condamnation d'un de leurs secrétaires qui avait fait des faux et emporté la caisse. Après ces rudes épreuves et ces expériences chèrement payées, il semble que le désir se précise dans les milieux ouvriers, d'organiser des chambres syndicales sérieuses, libérées de toute influence politique ou révolutionnaire, et occupées seulement d'intérêts professionnels. On essaya d'organiser des syndicats mixtes qui ne fonctionnèrent jamais sérieusement parce que les patrons s'en désintéressaient et que les seuls ouvriers besogneux en faisaient partie. Les syndicats jaunes ne donnèrent pas de meilleurs résultats. Les ouvriers sérieux qui se résignent à y entrer sont considérés toujours comme des mouchards et perdent toute influence. D'ailleurs à Limoges, le secrétaire du syndicat jaune disparut lui aussi avec la caisse, et cet incident marqua l'échec définitif de la tentative. Les patrons s'avisèrent de fonder des syndicats patronaux et y réussirent parfaitement. Grâce à l'arme terrible du lock-out, ils sont restés maîtres du champ de bataille. Mais, M l'abbé Desgranges nous montre éloquemment quels effets désastreux peut causer l'emploi trop fréquent du lock-out. C'est par lui que s'exaspère la lutte des classes, que de lamentables divisions se produisent dans la classe ouvrière, et que l'armée tend de plus en plus à devenir une force au service du patronat. Enfin M. l'abbé Desgranges demande aux catholiques qui l'écoutent, de ne jamais faire servir la religion à la défense de la classe privilégiée, contre celle des travailleurs. Que chacun de nous s'efforce de collaborer pour son humble part, à la formation d'une élite ouvrière, d'où sortiront les chefs syndicalistes dont la classe ouvrière a besoin.

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F. M., “Vingt ans de vie syndicale à Limoges,
par M. l’abbé J. Desgranges,” Mauriac en ligne, consulté le 23 avril 2024, https://mauriac-en-ligne.huma-num.fr/items/show/1020.

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  1. BnF_Revue Montalembert_1909_02_25.pdf