Défendre notre espérance
Éditeur : Carrefour
Source : 2e année, n°70, p.1
Relation : Notice bibliographique BnF



Défendre notre espérance
Devant cette même crèche, il y a un an, nous demeurions à l’écoute des dernières légions du Reich qui déferlaient vers la Meuse. Des bruits sinistres couraient: les Américains étaient coupés de leur ravitaillement: il ne testait plus un seul soldat allié entre Paris et le front… Des parachutistes, de la cinquième colonne avaient été lâchés dans la banlieue. Un coup de téléphone en pleine nuit annonçait aux résistants leur condamnation à mort. Un policier gardait ma porte.
Aujourd’hui, délivrés du cauchemar, nous nous débattons au milieu de difficultés en apparence insurmontables; mais la récompense de l’Histoire ne va qu’à ceux qui, justement, ont dominé une situation désespérée. Les Soviets, après Brest-Litovsk, après la guerre civile menée en Russie par les armées blanches que soutenaient les Alliés, dans les conditions les plus tragiques, au comble de la misère et de la famille, jetaient pourtant les assises de la Russie toute puissant d’aujourd’hui. Si, chez nous, la situation demeure si grave, c’est que la France ne ressemble en rien à un immense pays aux ressources illimitées et que nous sommes, pour tout dire, le contraire: dénués de matières premières et, plus encore, d’hommes, et c’est le pire. Que l’on considère à part chaque secteur de l’administration française, on se trouve en présence de cadres débordés.
Au milieu d’un désordre qui risque d’être mortel, notre meilleur espérance, depuis un an, je la vois dans l’apparition, sur la scène politique, du Mouvement républicain populaire, seul parti nouveau jailli des entrailles de ce peuple exténué, et dont c’est à la fois la force et la faiblesse que de concentrer mille aspirations contradictoires d’où il lui faut dégager une doctrine et une méthode.
Telle est sa chance et ce qui l’oppose aux anciens partis avec lesquels ses adversaires cherchent à le confondre: pour la première fois, un mouvement politique, nullement confessionnel, ouvert à des hommes de toutes les religions ou indifférents à la métaphysique, mais qui ne renie pas l’esprit chrétien dont beaucoup de ses chefs sont pénétrés, se trouve en prise directe avec la classe ouvrière, grâce à la Confédération des travailleurs chrétiens et à la Jeunesse ouvrière chrétienne. Là, réside son originalité; c’est de ce côté qu’il doit chercher à pousser des racines dût-il perdre par ailleurs des soutiens qu’il n’a pas cherchés. Même sur le plan spirituel, il ne saurait avoir d’autre vocation: par lui, triomphe enfin cet effort ininterrompu depuis un siècle et demi, d’une élite catholique, cette volonté de quelques-uns pour comprendre les problèmes que posaient l’apparition de l’industrie et la misère de la classe prolétarienne et pour les résoudre dans la lumière du Christ. Que d’honnêtes gens de ce pays qui continuent, en toute bonne foi, de lancer des anathèmes contre les communistes, les francs-maçons et les juifs, n’ont pas encore été capables d’un retour sur eux-mêmes, sur les responsabilités de leur classe, sur la carence néfaste dont ils récoltent aujourd’hui les fruits amers!
Mais, encore une fois, le M.R.P. n’est pas, comme l’écrivait, je crois, Maurice Schumann, un champignon poussé en une nuit: en lui, trouvent leur justification ceux qui, chrétiens pénitents comme le Père Lacordaire, ont voulu mourir libéraux impénitents; ceux aussi qui ont succombé dans la lutte avec l’infortuné et grand Lamennais (mais il n’est presque aucune des Béatitudes du Sermon sur la Montagne qui ne l’absolve et qui ne lui ouvre le ciel): ceux surtout qui, comme aujourd’hui, Marc Sangnier, reçoivent dès ici-bas la récompense du serviteur bon et fidèle.
Ouvert à tous les hommes de bonne volonté, le M.R.P. se doit de demeurer en dehors du débat métaphysique. Mais, ceux de ses membres qui sont chrétiens n’ont pas à dissimuler l’esprit dont ils relèvent ni à se laisser intimider par certains outrages. Dieu sait que j’aime presque tout de mon pays, et jusqu’au parti pris, et jusqu’à la manie… tout, sauf ce ricanement imbécile sur les choses saintes, du Homais éternel. Comme ils ne trouvent rien à dire contre ces hommes nouveaux et purs dont le passé ne leur donne aucune prise, ils se persuadent et cherchent à nous persuader qu’il y a du ridicule à croire ce qu’ont cru Pascal, Racine ou Péguy, et ce que croit Claudel, et que la liturgie qui se déroule sous les voûtes de Notre-Dame de Chartres et de Notre-Dame de Paris ou dans le chœur de Solesmes, et que les sacrements qui s’y confèrent, et que le mystère qui s’y consomme, relèvent de la caricature et qu’il n’y a rien de plus risible. Je pense au mot de Rimbaud: “Et le printemps m’a apporté l’affreux rire de l’idiot…” Le printemps seulement? Il avait bien de la chance. Rimbaud!
A quoi on me répondra que ce rire, lui aussi, vient de loin, que tout le moyen âge s’est gaussé des moines, que de Rabelais à La Fontaine et de Voltaire à Béranger, cette moquerie ne s’est jamais interrompue et que j’ai un triste caractère pour trouver mauvais aujourd’hui ce dont nos pères, même dévots, étaient les premiers à s’esbaudir.
Il est vrai… Mais c’est que dans une vieille chrétienté où dominaient les gens d’Eglise, cette verve atteignait des institutions puissantes et vengeait dans une certaine mesure, non seulement les libertins, mais aussi les fidèles, de beaucoup d’abus et de scandales; et Pascal, d’ailleurs, dans une Provinciale, revendique hautement le droit d’être un moqueur. Aujourd’hui, tout est différent: il ne s’agit plus que d’une arme politique tournée contre les plus faibles, contre ceux dont on n’a pas peur, et, dans le duel du loup et de l’agneau, de se mettre du côté du loup. Car il est remarquable que les prudents caricaturistes ne s’attaquent, pour ainsi dire jamais, aux hommes dont le parti tout puissant est la réplique de la fameuse Compagnie que Pascal étrillait, et qui sont les casuistes de ce temps. Les communistes, lorsqu’ils feignent de s’en indigner, savent tout ce qu’ils doivent à la légende de “l’homme au couteau entre les dents”. On ne se fie jamais en vain à la lâcheté humaine et, s’ils triomphent un jour, ils le devront, pour une grande part, à la terreur qu’ils inspirent.
Cette campagne de moqueurs contre le M.R.P., on m’objectera qu’elle n’importe guère et que ce grand parti n’en est plus à sentir ces piqûres. Je crois, au contraire, que cela importe beaucoup. L’atmosphère que des ennemis créent autour d’un mouvement nouveau risque, sinon de lui être fatale, du moins d’entraver son développement. Il s’agit de substituer dans l’esprit du public, à l’image d’une force neuve et pure dont il a d’abord été charmé, une grossière caricature, je ne sais quel Tartuffe coiffé du grand chapeau de Basile. Il est évident que les valets camouflés du Parti, se sont donné le mot pour monter avec soin, autour du congrès M.R.P., une campagne de persiflage. On m’accuse parfois de trop donner dans la polémique; je n’en ai point le goût: mais j’ai appris à connaître une certaine espèce d’adversaires inaccessibles aux sentiments comme aux raisons, et c’est un devoir essentiel que de mettre notre espérance à l’abri de leurs coups.