Vive la liberté !

LE 14 juillet 1944, nous n'étions pas encore délivrés, mais, dans ce village du Valois où j'avais cherché refuge, déjà les garçons allumaient un grand feu au milieu d'une prairie et bondissaient à travers la flamme. Les filles chantaient la “Marseillaise”, le “Chant du départ”. La liberté était aux portes, nous le savions, et, bien que la bataille se rapprochât, ce pauvre peuple tressaillait de joie.
En ce premier 14 juillet de la délivrance, nous voudrions croire que les hommes sont partout redevenus libres, ou, du moins, que la liberté demeure ce qu'ils attendent, ce qu'ils espèrent, le bonheur vers lequel ils avancent –un peu moins qu'une réalité, sans doute, mais, enfin, beaucoup plus qu'un mythe. Nous voudrions croire que les petites nations respirent librement et que sur elles ne s'étend aucune ombre étouffante.
Si 1789 fut l'une des plus belles époques de l'Histoire, c'est qu'alors, en dépit de tant de misères, l'espérance humaine était intacte. L'est-elle encore aujourd'hui? Ayons le courage de l'avouer: un peuple délivré n'est pas forcément un peuple libre. Il lui faut beaucoup de temps pour retrouver les mœurs de la liberté. Au vrai, qui donc les a retrouvées en Europe? N'espérons pas de demeurer libres au milieu d'autres nations asservies ou dominées. La liberté sera pour tous les peuples, ou bien elle n'appariendra à aucun.
Mais n'est-elle pas devenue une idée périmée, du moins sous l'apparence qui faisait battre le cœur de nos pères? Peut-être importe-t-il de la réviser, de l'adapter à ce monde encore en fusion dont nous commençons d'entrevoir, vaguement, l'aspect qu'il va prendre, pour des siècles. Dans ces nébuleuses de petites nations qui semblent se former autour des grandes puissances victorieuses, l'idée de liberté évoluera. Il faudra qu'elles apprennent à se sentir libres dans une condition qui aurait paru être, naguère, celle de la vassalité. La liberté des satellites… voilà un beau sujet de méditation et d'enquête, il me semble, à proposer aux journalistes, pour le 14 juillet 1945.
Que pensent, à ce sujet, les populations que l'on transfère? Car, enfin, cette abomination entre, de plus en plus, dans l'usage. Il est évident que les peuples transférés devront apporter à leur notion de la Liberté quelques retouches… Ce qui subsiste, ce qui n'a pas changé depuis qu'il y a des hommes et qui pensent, c'est la liberté intérieure, la liberté au dedans de nous. Celle-là demeure intacte. N'y aurait-il eu qu'un seul homme en Europe pour tenir tête aux nazis, elle eût été sauvée. Mais il s'en est trouvé des milliers pour subir toutes les tortures et la mort plutôt que de trahir. Et c'est pourquoi, en dépit de toutes nos déceptions et de tous nos dégoûts, nous croyons encore que la victoire sur l'Allemagne nazie demeure celle des hommes libres dans le monde entier.