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À Lourdes

Référence : MEL_0109
Date : 15/06/1905

Éditeur : La Vie fraternelle
Source : [Sillon de Bordeaux et du Sud-Ouest], 1re année, n° 6, p. 129-131
Relation : Notice bibliographique BnF

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À Lourdes

L'aube, à travers les vitres du compartiment, fait pâlir la flamme qui vacille au plafond. Lourdes!... les pèlerins du Sillon descendent exténués, et leur groupe lamentable piétine dans la boue, sous une petite pluie glacée qui tombe désespérément... Mais voici qu'un trait de soleil déchire la brume, les sommets neigeux s'estompent dans le brouillard, le vent matinal nettoie allègrement le ciel et porte jusqu'à nous les échos adoucis des cantiques lointains. Nous courons à la grotte où tout un peuple à genoux récite de bruyants chapelets, et les mille petites lueurs des cierges palpitent à peine visibles dans le jour éclatant. A la vue de nos épis, des mains se tendent vers nous, et les camarades palois, blayais, limousins, brestois arborent à leur tour l'insigne du Sillon.
Quelques heures après, trente mille hommes enivrés et conquis suivent Jésus à travers la ville, comme les foules d'autrefois sur les chemins de Galilée, l'acclamant, implorant sa pitié avec un amour infini. Au-dessus de cet océan de têtes inclinées, et comme porté par elles, l'ostensoir d'or s'avance, rutilant dans le grand soleil, et autour de lui le vent agite les oriflammes multicolores et les lourdes bannières armoriées. Puis ce fut, le soir, quinze mille flambeaux serpentant sur l'esplanade ainsi qu'une étrange procession de vers luisants, cependant que la basilique s'illuminait jusqu'au faîte et que les Ave Maria déferlaient vers elle en une immense clameur. Un silence s'établit et majestueusement le Credo monta dans la nuit. Alors la foule s'écoula, ce ne fut plus qu'une rumeur lointaine de cantiques et les derniers flambeaux erraient sur le fond noir de la terre, comme les étincelles dans les cendres d'un papier à demi consumé...
Le lendemain, le Sillon eut sa véritable journée. Tandis que les jeunes gens de la Jeunesse Catholique et le député Lasies prononçaient au château-fort d'enthousiastes discours, quatre-vingts camarades gravissaient le calvaire sous un soleil de feu. A chaque station, M. l'abbé Villaume, de Blaye, nous disait avec beaucoup de foi tout ce que peut inspirer à un chrétien du Sillon la voie douloureuse... Et la petite troupe, recueillie, s'élevait dans l'ardente lumière vers le sommet où elle s'agenouilla –très loin, semblait-il, de la terre, –autour de la croix qui se détachait, grêle, sur le ciel profond.
La dernière oraison achevée, nous suivîmes gaîment l'ingénieux Pérotin, qui entonnait avec sa conviction bien connue le chant de la Jeune Garde; et l'on s'étagea sur le revers d'une colline, au bas de laquelle une route passait. Le bord d'un chemin… n'était-ce pas l'endroit choisi pour causer une dernière fois de nos craintes et de nos espoirs avec ces camarades lointains que la destinée nous avait fait rencontrer dans la ville bénie et que le soir nous allions quitter?... C'est sur cette route que Germain, Barbon, Mauriac parlèrent éloquemment du Sillon, et aussi le petit camarade employé à l'arsenal de Brest qui nous dit son attachement à la Cause et son grand désir de la faire triompher... Tout cela était intime et fraternel. Les passants, captivés, s'arrêtaient devant ces jeunes hommes, orgueilleux d'avoir le Christ dans leur cœur et trouvant en Lui une invincible force pour préparer la cité de justice et d'amour... Il montait de la plaine un refrain de litanies avec des éclats de fanfare adoucis par la distance, et une odeur d'encens rôdait à travers les feuillages des marronniers... L'heure vint de se séparer. En la mourante lueur du soleil couchant, le petit chemin fut plein de tristesse. On descendit silencieusement. A cette heure-là, nous rencontrâmes Mgr Enard, évêque de Cahors, le grand orateur qui fit pendant trois jours vibrer autour de sa chaire la foule ardente des pèlerins. Il vit nos épis et il nous dit: “J'aime le Sillon..., dites à Marc Sangnier que j'ai prié pour lui...”. Puis il ouvrit son bréviaire et nous montra le portrait de Marc qu'il y gardait pieusement... Et notre joie augmenta lorsque le prélat italien Mgr Radini-Tedeschi, évêque de Bergame et ami personnel de Pie X, déclara à ceux d'entre nous qui le visitèrent que le Souverain Pontife nous aimait et nous bénissait. Ainsi la Vierge avait bien voulu réserver dans sa ville au Sillon de pareils encouragements!
Le soir, les Sillonistes de Bordeaux, agenouillés devant la grotte, prièrent pour que Jésus demeure l'invisible ami toujours assis au milieu de nous et pour qu'il nous aide à édifier la cité rêvée, malgré l'égoïsme et l'inintelligence du monde... Puis ce fut l'écœurement du morne retour en wagon..., le brusque réveil dans la vie brutale et monotone.

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François MAURIAC, “À Lourdes,” Mauriac en ligne, consulté le 24 avril 2024, https://mauriac-en-ligne.huma-num.fr/items/show/109.

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  1. MICMAU_La Vie fraternelle_1905_06_15.pdf