Mauriac en ligne

Search

Recherche avancée

Jean-Louis Vaudoyer

Référence : MEL_0016
Date : 31/01/1914

Éditeur : Burdigala
Source : 3e année, n°1, p.9-10
Relation : Notice bibliographique BnF

Version texte Version texte/pdf Version pdf

Jean-Louis Vaudoyer

Jean-Louis Vaudoyer publiait d'un air négligent des plaquettes si joliment éditées que les esprits superficiels supposaient qu'elles valaient surtout par l'impression et l'archaïsme délicieux de la couverture. Mais un jour, de toutes ces feuilles précieuses, il a composé un bon gros livre à trois cinquante. Alors nous avons connu que Jean-Louis Vaudoyer était un poète. Que d'autres s'abandonnent à leur fumeux génie! Pour lui, sa mission est de ne point laisser mourir cet art où excelle Théophile Gautier dont il est l'enfant. Si nous voulons lui assigner de plus lointains ancêtres, il faut remonter jusqu'à la Pléiade, jusqu'à l'harmonieux et sourd amant de Cassandre.
Mais le plus somptueux artiste se fatigue à ciseler des vers –comme on disait naguère. Aussi Jean-Louis Vaudoyer accepte-t-il de s'abandonner à sa fantaisie. C'est l'aimable abandon de Musset, un air de négligence, un débraillé savant de dandy débauché. S'il rappelle quelquefois le poète d’Une soirée perdue, du moins n'aurait-il jamais signé L'Espoir en Dieu. Jean-Louis sait bien que la métaphysique n'est pas de son ressort. Il est le seul de sa génération qui se résigne de bonne grâce à ne rien comprendre aux beautés de Claudel. Son talent est délicieux pour beaucoup de raisons, dont la première est qu'il ne le force pas...
Tel est son art qu'il nous détourne parfois de découvrir le lyrisme, la désuète et pudique passion de ses stances: sentimentalités de tout jeune homme; parfum de cette fleur qu'une jeune fille laissa tomber pour nous, un soir de bal; retours enivrés dans le Paris nocturne, au mois de mai, alors que chaussés d'escarpins nous suivons indéfiniment les avenues désertes, avec, au fond de notre cœur, la flamme du premier amour...
Après les stances, je ne sais rien de mieux chez Jean-Louis que sa Commœdia. Le Roi, Le Valet, Cassandre, Le Ruffian, L'Ingénue sont des ombres légères qu'il a poursuivies et fait prisonnières sur les chemins d'Italie. Il en est le plus amoureux pèlerin et doit à ce goût une grâce stendhalienne ou plutôt byronienne. Il adore l'Italie pour ses peintres vénitiens et pour les petits gâteaux de Padoue. Il ne dédaigne pas plus le vin d'Orvieto que les églises romaines. Voyageur, toujours étonné de sa joie, il reçoit de la priante. Assise une volupté non moins douce que celle dont l'enchante Venise. A Paris même, il poursuit aisément ses imaginations italiennes, en son logis du Palais-Royal où l'Italie du siècle avant-dernier et celle qu'idolâtrait Byron sourient au fond des glaces vénitiennes. Les nobles architectures du Vieux Palais d'Orléans, ces galeries où, un soir, Lucien de Rubempre a respiré l'odeur de Paris sont propices aux songes ingénieux de Jean-Louis Vaudoyer. Il y conçoit des romans dont l'un: La Bien-Aimée sent l'aubépine et devrait porter en exergue ces vers de Verlaine:

Ah! les premières fleurs, qu'elles sont parfumées!

Et qu'il bruit avec un murmure charmant

Le premier “oui” qui sort de lèvres bien-aimées!

Je doute que notre génération laisse rien de plus achevé que cette œuvre amoureuse et chaste d'un jeune Parisien sentimental qui ne se pique pas d'être un jeune homme d’aujourd’hui, ni de porter en écharpe sa sagesse...
Il embellit d'amusements délicieux sa vie. Au temps de la Saison russe, qu'il devait savourer la nostalgique ritournelle de Weber et ce Spectre de la Rose!

Lui-même en inventa la trame ingénieuse…

Dans une époque dépourvue de toute grâce, Jean-Louis Vaudoyer demeure gracieux et, en un temps où l'on hait la mesure, il montre de la discrétion. Alors que nul ne souffre d'avoir moins que du génie, il est satisfait de son talent. Et cependant que chacun se déguise en yankee, il maintient, sans ostentation, la jolie mode française et romantique. Il est le dernier sourire de ce siècle ennuyeux et ennuyé. Voilà un “honnête homme”, celui qui ne porte pas enseigne et qui ne se pique de rien. Pascal peut-être l'eût aimé, lui qui aima le chevalier de Méré et le jeune duc de Roannez.

Apparement vous ne disposez pas d'un plugin pour lire les PDF dans votre navigateur. Vous pouvez Télécharger le document.


Citer ce document

François MAURIAC, “Jean-Louis Vaudoyer,” Mauriac en ligne, consulté le 19 avril 2024, https://mauriac-en-ligne.huma-num.fr/items/show/16.

Transcribe This Item

  1. BnF_Burdigala_1914_01_31.pdf