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La Main tendue

Référence : MEL_0183
Date : 26/05/1936

Éditeur : Le Figaro
Source : 111e année, n°147, p.1 et 3
Relation : Notice bibliographique BnF
Type : Chronique

Description

François Mauriac essaie d’éclairer le choix à faire vis à vis de la politique de Maurice Thorez de la main tendue aux catholiques : communisme et catholicisme sont incompatibles, mais comment dissocier l’Église du capitalisme et accueillir les ouvriers ?

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La Main tendue

“Nous te tendons la main, catholique…” Cet appel du communiste Thorez est apparu à beaucoup comme une ruse électorale, comme une manœuvre de la dernière heure. En vérité, la question posée est des plus graves –la plus grave peut-être de celles qui, aujourd’hui, exigent notre réponse; n’espérons pas nous en tirer par un haussement d’épaules.
Cette réponse, à quoi nous servirait-il d’ailleurs de l’éluder? Elle a été donnée ici et là: dans plusieurs paroisses de la banlieue, catholiques et communistes déjà collaborent contre le chômage. Au lieu de gémir, faisons effort pour nous mettre à la place du pasteur dont tout le troupeau est “soviétisé”. Lui fût-il démontré que l’adversaire obéit à un mot d’ordre et chercher à “noyauter” la jeunesse fidèle, le petit prêtre nous répondra que sur le terrain des œuvres de justice sociale aucun refus, de la part d’un disciple du Christ, n’est possible ni même imaginable. A la Ruse présumée de l’adversaire, il oppose cette Grâce à laquelle le communiste ne croit pas, mais qui, pour être méconnue de lui, n’en est peut-être que plus puissante. Le prêtre accepte le risque d’être dupe, parce que c’est l’unique voie qui lui permette d’introduire auprès du Christ ceux qui n’en avaient jamais entendu parler. Cette foi de tout grand amour le possède: celle qui nous fait dire en songeant à l’objet de notre tendresse: “Comment pourrait-on le connaître sans l’aimer?”
En même temps, il saisit cette occasion inespérée de témoigner que sur un point essentiel les communistes se trompent ou qu’ils nous calomnient: Christianisme et Capitalisme ne sont pas solidaires; certaines compromissions ne prouvent rien contre l’Eglise; le Christianisme a pu être souvent accaparé, exploité, détourné de sa fin véritable; mais sa fin véritable c’est que la volonté du Père s’accomplisse sur la terre comme au ciel; c’est d’étancher dès ici-bas la soif de justice que le Fils est venu éveiller dans les grandes âmes.
A cette défense du petit prêtre, un catholique raisonnable opposera l’autre côté de la question. “Il n’empêche, lui dira-t-il, que vous favorisez l’avènement du régime communiste. Or, le Communisme ne s’oppose pas au Christianisme sur tel ou tel point; ils sont irréductibles l’un à l’autre; le premier se fonde sur les ruines du second. Le Marxisme ne peut s’établir que dans une humanité sans Dieu; la lutte contre Dieu a pris en Russie un caractère officiel.
Le Communisme, au même titre d’ailleurs que l’Hitlérisme, hait toute vie spirituelle qui échappe à sa prise. “La vérité vous rendra libre…” Cette promesse du Christ à ses amis a été tenue au point qu’un vrai Chrétien se moque de toute tyrannie, que ce soit celle de la Classe, de la Race ou de l’Etat; il demeure l’ennemi juré des trois idoles du monde actuel.
Dans une société où il n’est plus question que de “masses”, le Catholique est le seul à qui il demeure impossible de se confondre dans la masse, parce que le Christ a fait de lui une personne que nulle puissance au monde ne saurait désagréger. Pour lui, aucune place n’est à espérer dans un Etat totalitaire où la conscience collective se substitue à la conscience personnelle.
La question posée est donc celle-ci: avons-nous le droit de collaborer (fût-ce sur le plan des œuvres sociales) au règne d’un adversaire –d’un adversaire pour qui c’est une nécessité que de détruire dans l’homme la ressemblance avec Dieu, que de le récréer à une autre image et à une autre ressemblance, et qui ne reculera devant rien pour donner toute sa signification à cette parole mystérieuse du Christ, dont la menace s’étend sur l’Eglise visible: “Lorsque le Fils de l’Homme reviendra, trouvera-t-il encore de la foi sur la terre?”
Tel est aujourd’hui le choix qui s’impose à une conscience catholique.
Le congrès de l’Association catholique de la jeunesse française qui va s’ouvrir, osera-t-il aborder la question brûlante? Faut-il repousser les deux doigts tendus par le camarade Thorez? Faut-il, au contraire, les serrer en fermant les yeux? Dans ces sortes de débats, nos passions, nos convoitises et nos rancœurs trop souvent ont déjà choisi pour nous, alors que nous croyons hésiter encore. Les uns obéissent au vieux sang bourgeois qui coule prudemment dans leurs veines, tandis que les autres, mûs par des confuses raisons qui leur réchappent, cèdent à l’attrait des alliances téméraires.
Ainsi, dans un article d’Europe, un jeune Catholique communisant se rassure en songeant que les vrais amis de Dieu sont peut-être ceux qui le nient et que ses pires ennemis se trouvent parmi ses adorateurs officiels; il se persuade qu’un Chrétien ne risque pas de se tromper en allant “dans le sens des forces rayonnantes de l’univers”. Que répondra à ce dernier trait? Que nous sommes las de nous payer de mots: de toutes les monnaies, la plus avilie.

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François MAURIAC, “La Main tendue,” Mauriac en ligne, consulté le 18 avril 2024, https://mauriac-en-ligne.huma-num.fr/items/show/183.

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