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Francis Jammes, Feuilles dans le vent

Référence : MEL_0019
Date : 15/02/1914

Éditeur : Cahiers de l'Amitié de France
Source : 3e année, n°2, p.104-106
Relation : Notice bibliographique BnF
Type : Note de lecture
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Francis Jammes, Feuilles dans le vent

Seuls les poètes écrivent de bonne prose. Celle de Jammes est incomparable. Des barbares peuvent résister à ses élégies: je ne connais personne qui ait lu Clara d’Ellébeuse sans adorer cette jeune morte. Les Feuilles dans le vent nous apportent aujourd’hui l’histoire de Pomme d’amis qui est une sœur infirme de Clara. Une fois le livre clos, nous songeons à elles comme à des jeunes filles disparues et que nous aurions aimées. “C’est une jeune fille mystérieuse comme toutes les jeunes filles”, dit, d’une de ses héroïnes, Anatole France. Ce mystère est demeuré pour tous impénétrable. Mais il a été donné à Schumann et à Francis Jammes de le déchiffrer.
Jammes eut toujours de l’univers une vision directe et que rien ne déforme. Mais depuis qu’il a fait profession de catholicisme, ce don en lui s’est fortifié. Les sacrements nous entretiennent dans une pureté qui est la jeunesse même. Jammes est ce petit enfant dont il nous dit aux premières pages de son livre: “l’enfant aime le bois où le loup mange dans la main de la fée, le château où dans la joie les trompettes des valets retentissent, la cuisine qui s’ouvre sur le parterre où les fleurs ont la mélancolie du franc sommeil. Il voit à l’horizon le chemin qui serpente vers le ciel…” et toute la suite… Jammes contemple le monde face à face.
Et de même, s’il a toujours eu cette simplicité du cœur qui lui permettait de lire dans les plus humbles cœurs, il y réussit mieux encore aujourd’hui qu’il participe à la communion des saints. L’auberge des douleurs, L’auberge sur la route révèlent chez lui une connaissance exacte des pauvres gens qui ont la foi. Il excelle à nous faire admirer ce mystique trésor de la foi chez des êtres malades, ignorants et vieillis. Et dans ces simples récits, que de bonhomie e de bonne humeur! Quelle fantaisie! On dirait d’un génial curé de campagne –d’un Rabelais qui serait pur…
Les feuilles dans le vent contiennent aussi La brebis égarée qui, à la scène, m’avait par endroits gêné. Un acteur se confessant à un autre acteur déguisé en capucin, deux jeunes hommes d’aujourd’hui interrompant l’action à l’instant le plus pathétique –c’est, en somme, ce que j’avais retenu de cette représentation. Je l’avoue sans peine, aujourd’hui que ces légers défauts s’effacent et que je ne résiste plus à l’évangélique pureté du dialogue. Comme il voit le monde face à face, Jammes a vu aussi face à face ces âmes pécheresses et repentantes dont il nous décrit l’aventure. Le prologue en vers me fait songer au théâtre populaire qui aurait pu exister dans une France demeurée chrétienne. Quel poème de Jammes l’emporte sur les simples distiques de la brebis égarée et de la femme repentante? Ecoutez-les lorsqu’elles évoquent leur péché:

LA BREBIS

Il y avait dessus les pierres

Les silences de lumière.


LA FEMME

Il y avait entre nos corps

Les silences de la mort.


LA BREBIS

Le vent rendait plus câline

Ma murmurante clarine.


LA FEMME

Mon amant ne parlait pas

Sans que mon cœur ne chantât…

Les feuilles dans le vent contiennent bien d’autres richesses: quatre cents cinquante pages, où je trouve chaque soir à puiser. Tantôt c’est une Ouverture de printemps, où Musset erre dans le jardin nocturne du poète: “…J’aperçus un chapeau haut de forme, une barbe courte, un habit pincé, une cravache et ce cou de cygne expirant. –C’est ma dernière nuit, dit-il. Nous vîmes alors la Lucie le regarder comme une source regarde le ciel. Elle semblait à peine existante dans sa robe pou-de-soie bombée par le crinoline, une fleur gigantesque qui va se flétrir en vous embaumant. –C’est ma dernière nuit, répéta-t-il. Alors elle fouilla dans son corsage; on distinguait ses bandeaux blonds et lisses sagement appliqués sur ses fines oreilles. Elle fouilla dans son corsage, en retira une croix d’or de première communiante, et sans l’enlever de la chaîne qui la retenait, la tendit aux lèvres du débauché…”
Et tantôt des méditations qui nous rendent vivants Eugénie de Guérin, Carrière, Charles Guérin…

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François MAURIAC, “Francis Jammes, Feuilles dans le vent,” Mauriac en ligne, consulté le 25 avril 2024, https://mauriac-en-ligne.huma-num.fr/items/show/19.

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  1. BnF_Cahiers_1914_02_15_1.pdf