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Pour le peuple basque

Référence : MEL_0195
Date : 17/06/1937

Éditeur : Le Figaro
Source : 112e année, n°168, p.1
Relation : Notice bibliographique BnF
Type : Chronique

Description

Au moment où Léon Blum voit sa position menacée par ses alliés communistes, François Mauriac est informé par des amis basques de leur défaite qui s’annonce. François Mauriac déplore le manque de solidarité de la France envers un peuple qui empêchait l’aide économique à l’Allemagne et qui avait construit un modèle de société fondé sur un syndicalisme catholique fort.

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Pour le peuple basque

Dans la nuit de mardi à mercredi, tandis qu’une rumeur courait la ville: “Blum est lâché par les communistes…” nous étions un petit nombre d’amis groupés autour de trois catholiques basques qui nous parlaient de Bilbao: des rides profondes creusaient leurs jeunes fronts; ces visages bouleversés reflétaient l’horrible bataille. Leurs yeux fixés sur nous, sans colère mais avec une douleur poignante, cherchaient à surprendre notre pensée. Pourquoi cette indifférence de leurs frères catholiques? Pourquoi cette hostilité, cette réprobation?
Je voudrais, sans forcer la voix, me faire l’écho de leur plainte. L’enseignement constant de l’Église catholique a toujours été que nous devons l’obéissance au pouvoir établi. Nul ne saurait nier que le jour où les généraux espagnols entrèrent en action, un gouvernement légitime siégeait à Madrid —ou du moins un gouvernement légal. Même si nous accordons qu’en la circonstance, le peuple basque aurait dû comprendre que l’insurrection devenait tout à coup le plus sacré des devoirs, jamais erreur ne fut plus excusable que la sienne: on n’assassine pas un vieux peuple chrétien parce qu’il a cru qu’il ne fallait pas se révolter.
Le gouvernement légal de l’Espagne a dit aux Basques: “Vous êtes libres.” Cette indépendance dont ils rêvaient depuis des siècles, que les rebelles leur refusaient, et qui enfin leur était légitimement concédée, comment ne l’auraient-ils pas défendue pied à pied, avec cette dure obstination de leur race? (Nous les connaissons depuis l’enfance, nous autres Bordelais, ces petits Basques au front têtu qui jouaient farouchement à la balle contre le mur du préau…)
S’ils ont eu tort, ce n’est pas le lieu de l’examiner ici. Mais s’ils ont commis une faute inexpiable en refusant de livrer à l’Allemagne le minerai de Bilbao, que les Français, du moins, leur soient indulgents. Un jour peut-être nous comprendrons que ce pauvre peuple souffrait et mourait pour nous. Dieu veuille alors que nous ne retrouvions pas leurs morts à l’endroit même où il nous faudra enterrer les nôtres… C’est un crime que de traiter en criminels des héros coupables d’avoir combattu pour cette liberté qu’ils n’avaient même pas prise, qui leur avait été donnée.
Ils ne sont pas les complices de Moscou. Ils n’ont eu de part à aucun des massacres qui ont déshonoré la cause de Barcelone et de Valence. Ils se sont battus chez eux et seuls. Quand on racontera l’histoire de cette guerre, on saura comme ils ont été peu soutenus par Madrid (qui d’ailleurs n’en avait pas les moyens), dans quel abandon ils ont été laissés: sans avions, sans défense antiaérienne: Hitler et Mussolini ont eu beau jeu.
Ce que nous ignorons en France, c’est que les prêtres basques si calomniés, avaient réussi, presque seuls en Espagne, à opposer aux syndicats révolutionnaires communistes et anarchistes, un syndicalisme catholique d’une puissance égale. Nous ne pouvons donner ici des statistiques. Mais nous affirmons qu’une œuvre est en train de s’effondrer, en ce moment même, qui faisait honneur à l’Église d’Espagne, à l’Église catholique tout entière.
Quelle qu’ait pu être leur erreur, ces curés méritent l’indulgence de ceux qui se refusent à les admirer. Durant ces heures tragiques, ils demeurent debout au milieu de leur troupeau décimé. D’ailleurs, Santander la rouge pourrait-elle leur être un refuge? Il leur reste d’attendre ces vainqueurs qui se réclament de Dieu.
Nous essayons de nous rassurer: ce sont des prêtres et l’Église n’abandonne jamais ses prêtres. Elle prend à sa charge l’enfant qui a tout quitté pour se donner à elle. Nous essayons de nous rassurer: nous nous tournons vers le Père commun, vers celui que Sainte-Catherine de Sienne appelait le Christ en terre, vers le Serviteur des serviteurs de Dieu. Nous savons qu’il a fait beaucoup déjà, que beaucoup de vies grâce à lui ont été sauvées… mais qu’est-ce que cela devant la menace d’un massacre légal de prêtres et de fidèles? Le général Franco est, lui aussi, un fidèle. Une seule puissance au monde peut suspendre son bras prêt à s’abattre: celle dont le Royaume n’est pas de ce monde. Ah! cette faible voix qui suffirait à couvrir le fracas des bombes! Et les pelotons d’exécution s’éloigneraient sans avoir tiré; et ce serait Pierre lui-même qui délierait les liens des pauvres prêtres basques coupables d’avoir trop aimé, trop aveuglement aimé, leur terre et leur peuple.

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François MAURIAC, “Pour le peuple basque,” Mauriac en ligne, consulté le 16 avril 2024, https://mauriac-en-ligne.huma-num.fr/items/show/195.

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  1. GALLICA_Le Figaro_1937_06_17.pdf