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L’Invitation à la grandeur

Référence : MEL_0326
Date : 15/02/1945

Éditeur : Le Figaro
Source : 119e année, n°155, p.1
Relation : Notice bibliographique BnF


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L’Invitation à la grandeur

DANS le monde, nous nous étonnons de ce que des hommes délicats, incapables d'aucune petitesse, s'irritent d'être mal placés à table. Mais c'est que “la place à table” marque exactement le degré de considération que l'on a pour nous et l'idée que les gens se font de notre importance. Les paroles trompent, la place à table ne trompe pas.
Je doute que nous devions feindre de prendre légèrement le coup qui nous atteint: pour la première fois, dans l'Histoire, les “grands” se réunissent, et le fauteuil de Talleyrand et de Chateaubriand demeure vide. Même après ses désastres, la France avait toujours occupé, dans l'assemblée des nations, la place qui lui était dûe; ses amis lui refusent aujourd'hui ce que ses ennemis les plus haineux, au cours des siècles, n'eussent jamais songé à lui disputer… Nous pouvons bien nous l'avouer à nous-mêmes, puisque ce que j'écris ici restera confidentiel: imaginez-vous ce “Figaro” pour Lilliput sur les tables des clubs de Londres? Même le boy de service ne l'y découvrirait pas. Et nous savons que les “grands” n'ont pas d'yeux pour les grandeurs invisibles.
De toutes les attitudes, en politique, la bouderie est la plus sotte. Nous réagirons, mais il faut que notre réaction soit saine. Il dépend de nous, et de nous seuls, de redevenir cette nation dont naguère l'absence à un congrès européen n'eût même pas été imaginable. Il ne s'agit pas seulement de notre armée déjà renaissante, ni de nos ports à reconstruire, ni de notre flotte, mais de ce travail plus secret sur nous-mêmes: d'abord soigner les corps, la chair vivante de la race, mener contre l'acool une lutte sans merci, contre la syphilis, contre la tuberculose; dépenser sans lésinerie pour les laboratoires; créer des conditions sociales et politiques telles que chaque Français ait intérêt à fonder une famille nombreuse; sauver la vie de tant d'enfants qui chez nous ne naissent que pour mourir; que de tous ces enfants sauvés, il n'y en ait aucun dont le talent demeure enfoui… Si ces clichés, si cette propagande aux formules usées devenait en nous esprit et vie, nous devrions bénir une fois de plus ceux dont l'affectueux dédain nous aurait plus sûrement délivrés que les armes. La doctrine politique du général de Gaulle, qui est aujourd'hui celle de la France, tient dans un mot qu'il faut que nous comprenions enfin: l'invitation à la grandeur.

P.S.– Chaque courrier m'apporte, dans un flot de lettres, des dossiers, des demandes de rendez-vous. Il ne dépend pas de moi de pouvoir y répondre. Ce n'est de ma part ni indifférence, ni dédain. Que mes lecteurs veuillent donc m'excuser.

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François MAURIAC, “L’Invitation à la grandeur,” Mauriac en ligne, consulté le 19 avril 2024, https://mauriac-en-ligne.huma-num.fr/items/show/326.

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  1. BnF_Le Figaro_1945_02_15.pdf