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L’Ambassade du Vatican

Référence : MEL_0385
Date : 08/02/1920

Éditeur : Le Gaulois
Source : 55e année, 3e série, n°45465, p.1
Relation : Notice bibliographique BnF

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L’Ambassade du Vatican

Sur la reprise de nos relations avec le Saint-Siège, M. Millerand a tenu des propos de bon augure; mais enfin, quand on parle d'augure, c'est qu'il y a tout de même incertitude. L'augure jugeait de l'avenir par le vol des oiseaux: nous interrogeons les paroles ailées de M. Millerand. Qui nierait qu'elles rendent un son favorable? “Du jour où l'intérêt national paraîtra commander de reprendre les relations avec le Vatican…” Un fâcheux m'assure que cela signifie que pour l'instant cette reprise ne s'impose pas. La majorité de la Chambre escompte cependant une reprise immédiate. D'instinct, la France la désire: les moins catholiques se sentent exilés de cette colline éternelle où pendant des siècles nous eûmes la prééminence du droit d'aînesse sur toutes les nations du monde. Nous l'avons cédé, et pour quel plat de lentilles! Avoir déserté de notre plein gré une telle place, des vaincus l'osèrent; mais cela paraît incroyable à des vainqueurs. Qui put nous dégoûter d'une tel héritage? Quand on lit de sang-froid le discours d'Anatole France à Tréguier, pour l'inauguration de la statue d'Ernest Renan, et sa préface aux discours de M. Combes, on saisit sur le plus “français” de nos maîtres le ravage de cette étrange grippe anticléricale, aujourd'hui en décroissance, et que l'on peut observer de sang froid.
Le vrai est que toute l'élite française, même l'incroyante, est fille aînée de Rome, car il ne s'agit pas seulement ici de dogmes: le catholicisme est aussi une culture –celle qui s'oppose scientifiquement à la trop fameuse Kultur; pas un Français digne de ce nom qui n'en procède. Tant que dure la France, Bossuet, Fénelon continuent d'instruire le Dauphin: nous sommes tous, en quelques mesure, dauphins de France. Selon nos tempéraments, nous sûmes où nous adresser, les uns plus volontiers soumis à la règle de la fameuse Compagnie, les autres plutôt familiers des petites écoles de Port-Royal des Champs. Notre catholicisme nous fournit de tout, et même de raillerie lorsque nous nous sentons d'humeur frondeuse: les Provinciales ne sont-elles pas l'œuvre d'un dévot? Ces débats à propos de la question religieuse, qui troublèrent les années d'avant-guerre, ne pouvaient monter à un tel diapason que dans le pays où naguère on se passionnait autour du traité de la Fréquente Communion et de la bulle Unigenitus. Chez les Français passionnés de discussion métaphysique, les guerres de religion sont à l'état endémique; mais nous voilà revenus au temps du roi Henri, où l'amour de la France, dans chaque cœur de partisan, l'emporte; où l'on entend, à la tribune française, un pasteur de la religion réformée plaider avec une haute éloquence en faveur de cette reprise des relations séculaires, interrompues par représailles, et qui sera le signe de la réconciliation nationale.

*

Ce ne sera donc pas seulement notre droit de fils aînés qui nous assurera au Vatican la première place, mais notre culture; nous sommes depuis des siècles de la maison, nous en parlons la langue, nous nous échauffons pour le moindre mot de sa doctrine, ceux d'entre nous qui l'adoptent la font fructifier en héroïsme, en prodiges de charité –car la France n'a pas toujours ni partout le masque tragique de la Marseillaise de Rude, mais souvent les ailes immaculées des filles de Saint-Vincent de Paul battent sur son front, adoucissent son regard altier de princesse de Racine, née de sang royal et baptisée.
On aimerait que notre représentant au Vatican ait le sentiment de cette culture catholique. Nous comptons sur M. le président du conseil; mais surtout nous attendons de cet écrivain français, Paul Deschanel, un choix qui nous ferait souvenir de ce grand homme, notre ambassadeur à Rome en 1828: “Le roi de Bavière est venu me voir en frac...”, écrivait à Mme Récamier le vicomte de Chateaubriand. Ce seul mot révèle comme l'ambassadeur de France auprès de Sa Sainteté savait alors tenir sa place: la première. N'est-il pas parmi nous quelque maître qui hériterait sans effort de ce grand style? Mais il faudrait aussi qu'il sût donner des fêtes. Chateaubriand y excellait: celle qu'il inventa à la Villa Médicis, en l'honneur de la grande duchesse Hélène, après tant d'années enchante encore l'imagination: “Borée, tout à coup descendu de la montagne, a déchiré la tente du festin et s'est enfui avec des lambeaux de toile et de guirlandes, comme pour nous donner une image de tout ce que le temps a balayé sur cette rive. L'ambassade était consternée; je sentais je ne sais quelle gaieté ironique à voir un souffle du ciel emporter mon or d'un jour et mes joies d'une heure. Le mal a été promptement réparé. Au lieu de déjeuner sur la terrasse, on a déjeuné dans l'élégant palais: l'harmonie des cors et des hautbois dispersée par le vent avait quelque chose du murmure de mes forêts américaines. Les groupes qui se jouaient dans les rafales, les femmes dont les voiles tourmentés battaient leurs visages et leurs cheveux, le sartarello qui continuait dans la bourrasque...” Ainsi, à cet orage romain, la fête française emprunte un charme plus secret. Certes, le bel accord dont nous rêvons parfois sera troublé. Nous aurons encore la tentation, dans un débat où l'intérêt français doit être seul considéré, de faire intervenir nos opinions particulières touchant la métaphysique et l'histoire. Mais de cette manie MM. De Monzie Lazare Weiler, Soulier témoignent que nous commençons à guérir.

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François MAURIAC, “L’Ambassade du Vatican,” Mauriac en ligne, consulté le 19 avril 2024, https://mauriac-en-ligne.huma-num.fr/items/show/385.

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  1. GALLICA_Le Gaulois_1920_02_08.pdf