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L’Enchantement de Pâques

Référence : MEL_0397
Date : 26/03/1921

Éditeur : Le Gaulois
Source : 56e année, 3e série, n°45879, p.3
Relation : Notice bibliographique BnF

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L’Enchantement de Pâques

L'ombre d'un gibet couvre la terre. Jérémie se lamente devant l'autel désert. Mais, au seuil de l'église ténébreuse, l'exultation du monde nous enchante. La nature devance son Dieu et n'attend pas, pour ressusciter, que le troisième jour ait lui. Cerné de bitume et de grilles, le plus chétif marronnier est une miraculeuse résurrection. L'Eglise pleure encore que déjà, nue, sans feuillage, entourée d'ivres oiseaux, Cybèle frissonne et rit. C'est pourtant l'époque où l'accomplissement du mystique festin de Pâques nous oblige de purifier notre cœur. Difficile victoire! Victoire chèrement achetée! Car il n'est rien au monde, en ces beaux mois, qui ne nous invite au bonheur par la tendresse. Mais, dès que nos yeux sont devenus purs, Cybèle aussi se purifie. L'état de grâce nous rend dignes de comprendre ce que Charles Baudelaire appelait l'incomparable chasteté de l'azur. O cloches! Cloches du matin de Pâques qui faisiez tomber la coupe empoisonnée des mains tremblantes du vieux Faust: “Autrefois, le baiser de l'amour céleste descendait sur moi, pendant le silence solennel du dimanche; alors, le son grave des cloches me berçait de doux pressentiments… des désirs aussi incompréhensibles que purs m'entraînaient vers les forêts et les prairies...” Ainsi s'émeut le vieillard lorsqu'il entend le chœur des anges annoncer aux femmes extasiées que le Christ est vraiment ressuscité. O cloches venues de Rome, pour nous aussi vous ressuscitez les beaux jours candides, les réveils dans un éclat de rire, les volets écartés devant la prairie où l'aube, en s'évadant, avait laissé sa gelée blanche comme un dernier voile oublié. Le jeune soleil splendide nous aveuglait et nous voilions nos visages; nos mains, sur nos yeux, étaient transparentes et toutes pénétrées d'une rose lueur. On se criait: “Alléluia” d'une chambre à l'autre; nous étions joyeux parce que nous étions immortels, et celui de nous qui devait mourir le premier et qui était le plus jeune et le plus beau accueillait aussi avec un plus grave bonheur la promesse de la Résurrection. Nous l'accueillerons d'un même cœur, dans l'été de notre vie. Car ce qui nous est promis, c'est la résurrection de notre chair, c'est la résurrection de la chair. Dogme le plus mystérieux, qui confond plus qu'aucun autre la raison, mais qui satisfait le mieux notre cœur. L'enfant qui, au réveil, fermait les yeux dans trop de lumière –ce matin de Pâques empli de cloches et d'oiseaux– je verrai son éblouissement éternel. Devant la splendeur de la Trinité, il écartera, d'un même geste, ses mains translucides, telles que je les ai vues élevées devant le soleil de Pâques, et il rira. Seigneur, il rira, comme s'il n'avait jamais frémi dans l'angoisse de la mort, comme, si jamais les sueurs de l'agonie n'avaient mouillé son front, comme s'il n'avait jamais été crucifié. Nous croyons qu'aucun visage n'est effacé à jamais, qu'aucun regard ne s'éteint et que tout amour s'accomplira.

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François MAURIAC, “L’Enchantement de Pâques,” Mauriac en ligne, consulté le 24 avril 2024, https://mauriac-en-ligne.huma-num.fr/items/show/397.

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  1. GALLICA_Le Gaulois_1921_03_26.pdf