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La Politique du Vatican n'est pas dirigée contre la France

Référence : MEL_0406
Date : 28/12/1934

Éditeur : Le Journal
Source : n° 15412, p. 1
Relation : Notice bibliographique BnF
Type : Tribune libre

Description

Parce qu’elle lui accorde une totale liberté pour se développer, François Mauriac se réjouit de la séparation de l’Église et de l’État. Il voit ensuite dans la politique du Vatican, soutien des catholiques autrichiens et sarrois, un élément favorable à la France contre les projets d’Hitler.

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La Politique du Vatican n'est pas dirigée contre la France

Rome, 27 décembre – “C’est la première fois que vous venez à Rome?” Les gens me regardent avec un étonnement où il entre de la pitié et du scandale. Je ne sais quelle crainte, quelle paresse m’ont détourné si longtemps de la Ville Eternelle. Et pourtant, cette ville inconnue, comme elle a occupé mon esprit et mon cœur!
Au début du siècle, les adolescents catholiques de ma génération eurent beaucoup à souffrir: leurs maîtres religieux étaient dispersés et exilés; le gouvernement dénonçait le Concordat, rappelait son ambassadeur près le Saint-Siège. Sur un autre plan, l'offensive moderniste ébranlait le dogme et la critique biblique s'attaquait à la racine même de leur foi.
Trente années ont passé. Aujourd'hui, j'erre, émerveillé, dans cette ville qui fut pour moi l'objet d'un tel tourment. Le tombeau de l'Apôtre y attire des foules sans cesse accrues. Un de nos meilleurs diplomates représente la France au Vatican, et ce qu'en 1904 je croyais être un désastre pour l'Eglise m'apparaît en 1934 comme un de ces événements dont le temps découvre peu à peu le caractère providentiel.
Ce que nous vîmes d'abord, et après le rejet des cultuelles par Pie X, ce fut la ruine de l'Eglise de France, la perte de tous ses biens, et pire que cette misère temporelle, la crise des vocations sacerdotales qui semblait la vouer à l'anéantissement.
Le bénéfice que l'Eglise allait virer de cette situation nouvelle n'apparaissait pas encore. Depuis que Bonaparte lui avait passé le collier du Concordat, elle avait perdu en France l'habitude de la liberté et sans doute lui fallut-il plusieurs années pour prendre conscience de sa victoire.
Aujourd'hui, l'Eglise libre ses mouvements n'a plus à choisir ses évêques sur une liste imposée par l'Etat. Elle construit, elle multiplie les paroisses sans en demander la permission à personne. Et non seulement les relations diplomatiques avec le Vatican sont renouées, mais au sein même des partis politiques dont l'anticléricalisme fut pendant un demi-siècle la passion dominante, on ne trouverait plus personne pour approuver une absence que pendant la guerre nous avons failli payer cher.
Quel Français raisonnable, s'appellerait-il Léon Blum ou Frossard, oserait, en janvier 1935, souhaiter que la France ne fût pas représentée auprès du pape, à l'heure où la Sarre catholique va décider de son sort et où la Yougoslavie dont la crise intérieure est essentiellement d'ordre confessionnel, négocie un concordat au succès duquel nous sommes directement intéressés?
Certains estiment, il est vrai, que cette victoire de l'Eglise romaine n'en fut peut-être pas une pour l'Eglise gallicane. A les entendre, les évêques qui ne dépendent plus aujourd'hui que du Vatican n'ont plus de recours contre lui, en aucun cas l'Etat ne pouvant les soutenir, et c'est pourquoi la nonciature à Paris jouirait d'un pouvoir de fait sui l'épiscopat français dont elle ne saurait user dans aucun pays concordataire.
Sans entrer dans ce débat, il est tout de même un point lequel je dirai toute ma pensée. J’emporterai de Rome la certitude que la politique du Vatican, quoi que certains en aient pu dire chez nous, non seulement n’est pas dirigée contre la France, mais que, pour ce qui touche à l'essentiel, elle va dans le sens de nos efforts.
Ce n'est pas ici, une question de sentiment. Rien ne me parait si vain que de se demander si le pape préfère l'Allemagne à la France. Nous avons toujours cette manie de croire qu'on nous adore ou qu'on nous hait. La politique n’est pas une affaire de cœur, sauf peut-être justement pour le pape. Mais toutes les nations sont ses enfants. Il est le père déchiré de frères ennemis. Comme dans les querelles de famille, chacun des enfants voudrait mettre l’autorité paternelle au service de sa haine. Certes, le Souverain Pontife se tait souvent devant le mal, il garde une neutralité apparente qui nous offusque, mais c’est que lui seul est à même de mesurer les conséquences incalculables pour les âmes qui lui sont confiées de ses moindres paroles, d’un simple geste. Ce n'est pas parce qu'elle préfère la France, mais parce que notre cause est juste que l'Eglise d'aujourd’hui seconde nos efforts.
Si le chancelier Dollfuss a maté l'hitlérisme en Autriche, si son successeur continue la même politique, si l'Autriche reste séparée de l'Allemagne, nous le devons pour une grande part à l’Eglise. L'indépendance autrichienne est fondée sur le catholicisme, voilà un premier point.
Ce qui est moins connu et ce que nous avons le devoir de proclamer à la veille du plébiscite de la Sarre, c'est que, là encore, la France ne peut que se louer des procédés du Vatican.
Non que le Vatican ait eu prendre parti; simplement, il est du côté de la justice, il désire que les catholiques sarrois votent librement et c'est aussi tout ce que nous demandons. Lorsque les évêques de Trêves et de Spire, dont les Sarrots dépendent, déplacèrent l'an dernier trois prêtres antihitlériens pour les transférer en Prusse rhénane, le Saint Père envoya en Sarre deux visiteurs apostoliques, d'abord Mgr Testa, puis Mgr Passico, dont le représentant de la France n'eut qu'à se louer. Et non seulement les transferts de prêtres antihitlériens ne se renouvelèrent plus, mais les catholiques partisans du statu quo purent en toute sécurité former en Sarre un front catholique dissident dont le chef fut même reçu paternellement par Pie XI. Nous pourrions citer beaucoup d'autres faits qui nous ont été rapportés ici. Encore une fois, pas plus en Sarre qu'ailleurs, le Vatican n'a eu contre l'un de ses enfants une attitude agressive. Il tient entre eux la balance égale, et nous ne demandions rien de plus. Cela prouve la justice de notre cause.
Le Saint Père nous traite avec équité, soyons, nous aussi, équitables envers le Saint Père. D'un certain côté on nous affirme que ce pontificat est “le plus allemand de l'Histoire”. Le chancelier Hitler ne doit pas être de cet avis.

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François MAURIAC, “La Politique du Vatican n'est pas dirigée contre la France,” Mauriac en ligne, consulté le 19 avril 2024, https://mauriac-en-ligne.huma-num.fr/items/show/406.

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