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Les Profondes Pensées de M. Georges Moitet

Référence : MEL_0409
Date : 28/03/1914

Éditeur : Le Journal de Clichy
Source : 8e année, n°492, p.1
Relation : Notice bibliographique BnF

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Les Profondes Pensées de M. Georges Moitet

M. Georges Moitet ne nous cache pas que l’état de l’Eglise lui inspire du dédain et même de la pitié –car il est bon homme; “Grâce à la force acquise, nous dit-il, grâce aux capitaux qui la soutiennent, elle donne encore l’illusion d’une certaine puissance. Mais les masses ont depuis longtemps mesuré le fossé qui la sépare de la société moderne…”
Si telle est la faiblesse de l’Eglise, pourquoi M. Georges Moitet tourne-t-il contre elle tout ce que l’école primaire, tout ce que l’école normale d’instituteur lui ont départi de science et d’esprit? Pour quoi dépense-t-il, à la calomnier, ses petites forces? Mais en dépit de lui-même et pour son humble part, M .Georges Moitet rend si souvent hommage au catholicisme, il montre, au fond, tant de simplicité dans sa malice, que nous devons beaucoup lui pardonner. Que j’ai goûté son dernier article sur le progrès laïque! Les erreurs qu’on y voit sont si grossières qu’elles ne sauraient faire de mal. J’y recueille au contraire de précieux témoignage en faveur de la religion.
Il est excellent, par exemple, qu’un homme de son espèce déclare que sous l’ancien régime “l’Eglise dirigeait l’enseignement en même temps que l’exercice de la charité publique.” Il fallait développer ce sujet passionnant, M. Moitet. Il fallait révéler à vos lecteurs que ni la Révolution, ni les opportunistes, ni les radicaux n’ont inventé l’école gratuite pour les enfants du peuple –que l’honneur en revient à saint Jean-Baptiste de la Salle et aux frères de la doctrine chrétienne. Il fallait leur dire que pendant des siècles, l’Eglise fut à peu près seule à panser les plaies de l’humanité souffrante et qu’aujourd’hui encore, si elle disparaissait de la face du monde, si les sœurs de charité, si les petites sœurs des pauvres, si tant d’autres abandonnaient les orphelins, les vieillards, les cancéreux, les lépreux à qui obscurément elles s’immolent, vous seriez stupéfait, ô philanthrope, de votre impuissance devant tant de misère. Ces pauvres mots de mutualité, de solidarité qui vous enchantent, vous verriez ce qu’ils expriment de néant si la divine charité abandonnait la terre. Heureusement pour vous, malgré vos efforts, des hommes et des femmes croient encore que le Christ leur dira un jour: “J’ai eu faim et vous m’avez donné à manger. J’ai eu soif et vous m’avez donné à boire, j’étais nu et vous m’avez vêtu; j’étais malade et vous m’avez visité…”
J’entends M. Georges Moitet s’indigner de ce que je commente à ma façon une seule petite phrase de son sublime article. Pourtant si je l’aime cet article dans ses détails, j’en goûte encore plus encore l’ensemble et l’ingénieux développement. Comme tous les esprits un peu simples, M. Georges Moitet adore les vastes généralisations. Il raconte en vingt lignes l’histoire de l’Eglise de France, avec l’assurance imperturbable du monsieur qui croit à l’infaillibilité des manuels autorisés par le gouvernement. Mais telle est la force de la vérité que la courte science de M. Georges Moitet sert l’Eglise. M. Georges Moitet ressemble à un général affolé qui mitraille ses propres troupes. Que veut-il en effet nous persuader? Que l’Eglise a mauvais caractère et ne peut s’entendre avec aucun gouvernement.
A l’appui de son dire il affirme que ni l’ancien régime, ni la restauration, ni la monarchie de Juillet, ni le second empire n’ont vécu d’accord avec elle. C’est une question complexe, M. Moitet! et qui demanderait qu’on la traitât avec plus de scrupule. Mais j’accepte grosso modo votre point de vue. Voici que vous défoncez de vos propres mains un vieux bateau anticlérical. Vous reconnaissez que l’Eglise n’est inféodée à aucun parti politique, qu’elle a sauvegardé, même contre le roi très chrétien, la vérité éternelle dont elle est dépositaire. L’Eglise n’a accepté aucun esclavage. Croyez-vous la diminuer en affirmant cela? Vous lui rendez hommage, M. Moitet, au point que j’ai peur pour votre candidature et que vous risquez de n’être plus digne de siéger à la Chambre parmi les Cocula, et les Bouffandeau, et les Trouillot, et les Baudet, et les Chopinet, et les Goujat!
Naïvement, vous déplorez que l’Eglise de France se rattache chaque jour plus étroitement à Rome. Ah! que je vous comprends! Qu’il serait plus doux pour nos catholiques de dépendre d’un Doumergue plutôt que du Saint-Père, de ne pouvoir, comme nous le faisons, créer de nouvelles paroisses, conquérir chaque année des milliers d’âmes! Dites-moi, M. Moitet, qui a souffert du rejet des associations cultuelles, de la rupture des relations diplomatiques avec Rome? Demandez-le à M. Deloncle, qui est radical comme vous, et dont vous ne différez que par la qualité de l’esprit.
Rentrez en vous-même et au lieu de mesurer le fossé qui sépare l’Eglise de la société moderne, reconnaissez plutôt que c’est vous le réactionnaire. Sachez-le: l’élite intellectuelle de la jeunesse française considère les hommes de votre sorte avec un peu d’étonnement et une pitié profonde. Votre philosophie n’est rien en soi. Mais il est vrai qu’elle peut faire de vous un député –qui sait même?– un sous-secrétaire d’Etat. J’en connais qui avaient moins de style que vous –et moins d’orthographe.

[François STUREL]

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François STUREL (pseudonyme de François Mauriac), “Les Profondes Pensées de M. Georges Moitet,” Mauriac en ligne, consulté le 19 avril 2024, https://mauriac-en-ligne.huma-num.fr/items/show/409.

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  1. BnF_Journal de Clichy_1934_03_28.pdf