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La petite flamme

Référence : MEL_0467
Date : 12/08/1933

Éditeur : L'Echo de Paris
Source : 49e année, n° 19657, p. 1
Relation : Notice bibliographique BnF
Type : Chronique

Description

A l’issue du congrès du Syndicat National des Instituteurs (SNI) qui se tint du 3 au 5 août 1933, FM constate que malgré la virulence opposée à toute manifestation religieuse dans le cadre de l’école primaire publique, quelques instituteurs ne craignent pas de témoigner de leur foi.

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La petite flamme

On aimerait à s'expliquer calmement, et non parmi les hypocrites violences d'un congrès, avec les instituteurs qui accusent leurs camarades catholiques et les “davidées” d'attaquer, du dedans, l'école laïque. A les entendre, il s'agirait d'un nouveau plan de campagne, d'un “noyautage”, d'un complot réactionnaire tramé dans les ténèbres!
Il nous parait impossible que ces accusateurs ne conviennent avec nous que la passion a dicté leurs paroles. Car quelle apparence que ces hommes et ces femmes qui, contre vents et marées, en dépit de l'enseignement officiel, de la formation normalienne, de la pression des maîtres et des confrères, et enfin de leur intérêt temporel le plus évident, sont demeurés fidèles au Christ, ou lui sont revenus après l'avoir abandonné; ou, ne l'ayant jamais connu, l'ont découvert tout à coup –quelle apparence qu'ils aient cédé à des considérations politiques, qu'ils aient consenti à faire le jeu des ennemis de l'école officielle?
Que leurs accusateurs l'avouent donc: cette persistante petite flamme inextinguible les déconcerte. Pour chasser le Christ de l'école, tout a été fait, depuis un demi-siècle, avec une continuité dans le dessein, avec une méthode dont les fruits obtenus, hélas! démontrent l'excellence. Mais tout a été fait, d'abord, pour le chasser de l'âme des élèves-maîtres.
C’est ce qu'il ne faut jamais oublier quand nous sommes enclins à juger durement les instituteurs: ce sont des produits obtenus à grands frais dans les serres et dans les forceries de la IIIe République. Ses favoris? Ses enfants gâtés? Oui, peut-être... Mais bien, plutôt, ses victimes –les victimes de l'Etat maçonnique qui a fait, dans ces âmes immortelles, des créatures à son usage et qu'il a dressées, dès l'enfance, pour tenir à l'établissement de son règne.
On les a pris, on les a isolés du reste du monde, les tenant à l’abri de toute influence extérieure. “Pas plus que dans vos séminaires!” m'opposera-t-on. Mais l’Eglise se présente comme ayant reçu le dépôt de la Révélation, qu'elle doit transmettre; logiquement, la préparation des lévites au sacerdoce demeure une de ses tâches essentielles. La République, elle, ne devrait pas avoir besoin de lévites. Pourquoi priver les futurs instituteurs de l'enseignement départi à tous les autres jeunes Français? Pourquoi ceux-là sont-ils voués, par vous, à la négation du surnaturel –à ce que nous appelons, nous, la mort spirituelle? Les autres petits Français ont le choix entre la mort et la vie. Les maîtres primaires sont tels que vous les avez fabriqués –tels que vous avez voulu qu'ils fussent… Presque tous, mais non pas tous. Et voilà le miracle.
Tout ce qui en eux, humainement, pouvait être détruit, l'a été. Rien ne subsiste, sauf la petite flamme contre laquelle vous demeurez sans pouvoir. Rien qu'un pauvre feu dans d'immenses ténèbres. Il n'empêche qu'aussi faible qu'il soit, il représente une possibilité d'incendie, et c'est ce qui vous fait peur. Du moment qu'il brûle encore après cinquante années de luttes, après le triomphe écrasant de la laïcité, c'est donc que rien n'en pourra venir à bout. Et, en effet, rien n’en est jamais venu à bout; la petite flamme vacillera, jusqu’à la consommation des siècles.
Si vous considérez le catholicisme dans l'Histoire universelle, ou dans l'histoire d'une nation en particulier, où dans celle d'une institution comme celle de l'école laïque, il apparaît toujours ainsi qu’une force combattue, à chaque instant écrasée et sur le point de disparaître: que de fois a-t-on prononcé son oraison funèbre! Que de phrases sur le “parfum d’un vase brisé”! Mais, aussi peu qu'il en subsiste, c'est toujours assez pour qu'à une heure fixée d’avance le feu reprenne.
Le catholicisme semblait presque éteint en Angleterre, au début du dernier siècle. En 1933, l'Eglise catholique d'Angleterre demeure la grande merveille vivante et conquérante –la plus grande merveille anglaise, dont Morand a oublié de parler. Dieu veuille que nous vivions assez pour voir monter, vers le Christ éternel, au-dessus de la Russie soviétique, la première fumée de l’incendie qui couve à cette heure, nous en sommes assuré, qui ne peut pas ne pas couver. Et s’il existe au monde un lieu qui lui fût fermé, c’était bien en France, les écoles normales d’instituteurs. Mais la Grâce traverse les murailles. Il suffit qu’elle vive dans deux ou trois âmes: c’est infiniment plus qu’il ne faut pour maintenir l’Espérance. Bien des fois, le drame de Renan a été raconté ou décrit, le drame du clerc qui perd la foi. Il serait beau de montrer, au plus épais de la cléricature laïque, cette aube qui commence à poindre. On se plaît à imaginer, dans ces écoles normales d'instituteurs, au milieu de ces fanatiques, deux ou trois âmes qui se distinguent des autres par une attitude plus grave et qui détiennent cette paix que le monde ne donne pas. Rien, peut-être, ne manifeste au dehors leur immense amour. Mais chacun d'eux, le soir, est ce jeune chrétien dont parle Newman: “ le soir, il repose la tête sur son oreiller et, le cœur débordant de reconnaissance, il peut confesser devant Dieu que rien ne lui manque, que Dieu est tout pour lui… On peut dire et tenter contre lui bien des choses cruelles, mais il a un charme et un talisman, il ne s'inquiète de rien.”
Oui, deux ou trois âmes seulement… Mais la puissance du catholicisme ne réside pas dans le nombre, comme celle de la démocratie. C'est la sainteté qui fait sa force. Sans les connaître, nous pouvons être assurés que les quelques cœurs demeurés fidèles au Christ, au milieu de ses ennemis déclarés, doivent battre bien près de son cœur. Peut-être suffisent-ils à compenser tous les reniements, tous les blasphèmes de l'école laïque. Peut-être l'école laïque, elle aussi, ne subsiste-t-elle que par ses saints.
“Que nous importe, après tout, m'opposera-t-on, qu'ils ne forment aucun complot contre nous? Ils nous apparaissent d'autant plus redoutables pour l'école laïque qu'ils sont des chrétiens plus convaincus.” Mais quoi? N'avez-vous pas vos dogmes, comme ils ont les leurs? Nous vous défions bien de prouver que les instituteurs catholiques respectent moins la neutralité que les instituteurs révolutionnaires. Catholiques et révolutionnaires, vous avez au moins cela en commun: l'acte de la Foi. Vous partez, vous aussi, d’un acte de foi dans la Raison, dans la Science, ou plutôt dans une certaine façon d’user de votre raison, dans une certaine interprétation des faits. Tous les instituteurs et toutes les institutrices, quelles que soient leurs convictions personnelles, se sont engagés à demeurer neutres dans l’exercice de l’enseignement. La neutralité absolue est-elle possible? C'est là une autre question. En tout cas, les difficultés que chacun y peut trouver demeurent les mêmes pour tous. De quel droit suspectez-vous les chrétiens de la violer, et faites-vous confiance aux autres? Autant que nous en puissions juger personnellement nous avons toujours vu, du côté catholique, chez les instituteurs, un extrême scrupule pour tenir la parole donnée à l'Etat, un loyalisme rigoureux, un grand amour de l’école publique; nous ajouterons: une évidente méfiance à l’égard des catholiques bourgeois et, chez le plus grand nombre, un attachement passionné aux idées de gauche. Peut-être (c'est notre conviction) la démocratie n'est-elle encore sincèrement aimée, en France, que par quelques catholiques. Pourquoi leur faim et leur soif de justice seraient-elles moins exigeantes, parce qu'elle est née d'une parole prononcée, il y a dix-neuf siècles, sur la Sainte Montagne?
Tout cela, sans doute, beaucoup d'instituteurs nous l’accorderaient dans une conversation particulière –mais non dans un congrès où il faut bien hurler avec les loups; surtout aujourd'hui, où les raisons ne manquent pas pour redoubler la rage des loups rouges. Car les faits sont de moins en moins d'accord avec l'enseignement de l'école primaire. C'est peu de dire que la démocratie ne coule plus à pleins bords; et rien n'annonce que l’Internationale doive être un jour le genre humain. Mais, de tous les démentis que le réel leur oppose, le moins cruel n'est pas cette présence constatée, en “en plein vingtième siècle”, d'un certain nombre de maître et d’institutrices publiques à la table de Communion. Ils ont retrouvé cette source oubliée. Ils ne rougissent pas de croire ce que Pascal a cru, ce que Pasteur et Laennec ont cru. On leur a enseigné à ne tenir compte que des faits. Or, ils constatent le fait tangible de la présence eucharistique en eux. Bergson attache une valeur positive aux témoignages des grands mystiques catholiques. Mais le plus humble chrétien peut rendre témoignage, lui aussi, à la petite hostie. Et, ces témoins, le Christ les suscite où il veut: “Ce n’est pas vous qui m’avez choisis…” Et pourquoi pas parmi les maîtres de l’école laïque? Toutes les décisions des congrès d’instituteurs ne sauraient empêcher la petite flamme d’être entretenue. Partout où souffrent ou espèrent des cœurs humains, le Christ établit sa demeure.

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François MAURIAC, “La petite flamme,” Mauriac en ligne, consulté le 30 mars 2023, https://mauriac-en-ligne.huma-num.fr/items/show/467.

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