Lettre de François Mauriac

Père,

Je ne regrette pas de m’être si mal fait comprendre, dans cet article du jour de Pâques, puisqu’il vous donne l’occasion de déclarer publiquement, pour notre plus grande joie, que “parmi les peuples du monde, ceux de l’Union Soviétique sont les plus imprégnés de l’esprit pascal, les plus soulevés par l’élan du pardon.” Un article récent de La Pradva, tout ruisselant de mansuétude et qui reproche durement à Ilya Ehrenbourg de rendre l’Allemagne entière responsable des crimes nazis, semble vous donner raison.
Bien loin d’ignorer ou de dédaigner la sainte Eglise russe, que de fois, et avec quelle angoisse, les catholiques français se sont-ils demandé ce qui en subsistait dans le Russie nouvelle! Vous nous apportez un grand apaisement.
Mon Père, comment pouvez-vous croire qu’un écrivain français, lecteur passionné, depuis son adolescence, de Dostoievski, ignore l’âme orthodoxe? Aliocha Karamazov, quand j’avais vingt ans, était mon frère bien-aimé.
L’inimité entre nos Eglises, toutes deux apostoliques, n’existe guère entre les fidèles: c’est une querelle de moines, envenimée par les siècles. Mais la véritable unité existe dans le corps du Christ que nous pouvons adorer les uns et les autres dans nos sanctuaires, dans l’amour de la Vierge qui nous est commun. Nous avons part au même Pain, et comment ne serions-nous pas frère, étant fils de la même Mère? Elle est “notre Dame” comme la vôtre. Deux troupeaux? Il est vrai… mais qui suivent le même Pasteur.
Veuillez agréer, mon père, l’hommage de mes sentiments très respectueux.