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Une nation à la mesure de l’homme

Référence : MEL_0509
Date : 12/05/1945

Éditeur : Les Lettres françaises
Source : 5e année, n°55, p.1
Relation : Notice bibliographique BnF

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Une nation à la mesure de l’homme

J’essaie de me représenter comment j’imaginais ce jour, du temps que les collaborateurs des Lettres françaises se réunissaient, sans beaucoup de secret, chez Edith Thomas, du temps que Marguerite et Jean Blanzat m’avaient ouvert le refuge d’une petite chambre, où, en dépit du malheur universel, j’étais heureux grâce à leur chère amitié. Il me semble que c’était à la libération que je songeais alors et que je ne voyais guère plus loin que cette merveille: la marée immonde se retirant enfin. Mais l’Apocalypse, telle qu’elle s’accomplit sous nos yeux, ce colosse qui s’effondre, et les témoins de ses crimes effroyables surgissant des décombres, je ne suis pas certain de l’avoir envisagée avec netteté.

*

Tout s’accomplit selon une justice exacte, rigoureuse, élémentaire comme au dernier chapitre d’un livre d’enfant où le grand méchant loup est pendu par les pieds. Il est vrai qu’il n’y a pas de dernier chapitre à l’histoire du monde… Mais aujourd’hui, nous avons le droit de ne pas regarder plus loin que la minute présente, de nous reposer d’avoir tant souffert, de reprendre souffle au cœur de ce grand Paris, au cœur de cette rose miraculeusement intacte, qui n’a pas perdu un pétale. Mais n’oublions pas Rouen, Caen, Le Havre, toutes nos cités martyres… Mais aujourd’hui, nous nous donnons cette permission de ne contempler que le visage adorable, à peine marqué de quelques cicatrices: Paris tout frémissant de vie, et l’Ecole française qui est toujours là et les jeunes peintres qui continuent d’apprendre au reste de la terre à regarder le monde, et tout à coup ce musicien qui surgit: Olivier Messiaen, et les stupides garçons qui sifflent Strawinski, et les disputes autour de Sartre… Cela n’est rien? dites-vous… Ce n’est rien et c’est tout: entre beaucoup d’autres, ce sont les signes de la vie française qui continue, comme l’ont voulu Jacques Decour et Roger Pironneau, et tous nos soldats, et tous nos martyrs: il y a encore une France libre dans une Europe libre; il y a encore Paris, ville éternellement invitante, capitale d’une nation ni grande, ni moyenne, ni petite; la Nation à la mesure de l’homme.

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François MAURIAC, “Une nation à la mesure de l’homme,” Mauriac en ligne, consulté le 20 avril 2024, https://mauriac-en-ligne.huma-num.fr/items/show/509.

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  1. BnF_Les Lettres françaises_1945_05_12.pdf