Enquête sur la liberté d’écrire et contre la censure
Date : 15/02/1923
Éditeur : Les Marges
Source : t.26, n°104, p.130
Relation : Notice bibliographique BnF
Enquête sur la liberté d’écrire et contre la censure
- […]
- François Mauriac
La censure est nécessaire à l'art d'écrire –surtout à l'art d'écrire des romans. Le romancier doit avancer aussi loin qu'il peut dans la connaissance des passions– il doit tout pouvoir dire, mais avec une science du langage dont il usera justement pour éviter ce que M. Margueritte a cherché. Le renoncement à l'effet sale, c'est la vertu essentielle des écrivains qui prétendent à l'audace. L'important est que nous soyons notre propre censeur. Mais nous le serons d'autant mieux que nous redouterons d'être rejetés par le corps social ainsi que des toxines. Et par exemple, un romancier, s'il est catholique, a bien des ennuis; n'empêche que son art bénéficie de la réserve à quoi il est tenu: il faut qu'il devienne le maitre de l'allusion, de la suggestion et de l'ellipse. Notre plus grande époque littéraire fut aussi celle où la vertu de prudence parut la plus nécessaire à l'écrivain; et tout de même Pascal, Molière, La Bruyère ont dit ce qu'ils avaient à dire sans recourir aux gazettes de Hollande; et peut-être l'ont-ils mieux dit que s'ils avaient eu leurs coudées franches. Et j'entends bien qu'il existe une littérature licencieuse dont l'agrément n'est pas forcément bas. Mais celle-là, il en fleurira toujours assez chez nous, où le talent désarme les plus pudiques. Ni Claudine, ni l'adorable Retraite sentimentale ne sont livres fort édifiants. Qui s'est jamais gendarmé contre eux! Et sans doute le grand péché de Margueritte, celui qui ne lui sera pas pardonné –parce qu'il est pour l'écrivain une forme du péché contre l'Esprit– c'est de ne pas avoir de talent.