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Comment écrivez-vous ?

Référence : MEL_0526
Date : 26/12/1931

Éditeur : Les Nouvelles littéraires
Source : 10e année, n°480, p.4
Relation : Notice bibliographique BnF
Type : Interview

Description

Compte rendu d’une interview où François Mauriac indique à la fois son rapport à l’inspiration et sa pratique d’écriture.

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Comment écrivez-vous ?

[Un feuillet du manuscrit du NŒUD DE VIPÈRES]

Les déclarations de François Mauriac sont parmi les plus révélatrices qu'il m'ait été donné de recueillir et pourtant il n'a pas répondu à toutes mes questions : "C'est tellement mystérieux, remarque-t-il. Vous dire sincèrement, sans chiqué, ce qui est à l'origine de mes romans est vraiment trop difficile".
François Mauriac écrit sur des cahiers d'écolier qu'il couvre d'une écriture microscopique ; chaque page est raturée, surchargée ; on voit quantité de petits dessins dans les marges ; le manuscrit du Nœud de Vipères, qui paraîtra bientôt, contient nombre de têtes qui semblent le portrait, cent fois recommencé, du même ange, ces dessins aident, je crois, l'auteur à préciser le visage, le physique de ses personnages, Il écrit d'un seul jet et il corrige à mesure ; puis, son roman achevé, il le dicte. Sur la copie dactylographiée, il se livre encore à un travail de mise au point.
J'ai l'impression que l'œuvre de M. Mauriac se divise pour lui en deux parts bien distinctes, l'une se compose des articles, des "commandes", des morceaux de ses romans qui sont écrits "volontairement" ; mais c'est l'autre qu'il préfère ; — Dans presque tous mes romans on trouve une centaine de pages — placées, soit au début comme dans Thérèse Desqueyroux, soit à la fin comme dans Destins — qui sont écrites dans une sorte d'état second. Je passe mon temps à guetter le passage de l'oiseau ; puis, quand j'ai trouvé ce ton de vol plané, il s'agit de le faire durer le plus longtemps possible. J'écris alors quatre ou cinq pages par jour, mais je sais exactement quand ça s'arrête et je ne fais pas une ligne de plus. Si j'aime le Nœud de Vipères, c'est que, de tous mes livres, c'est celui qui coïncide le plus avec l'inspiration, celui où les chutes, les trous d'air sont les moins nombreux : c'est peut-être parce que je l'ai écrit à la première personne, encore que le narrateur, ce ne soit pas du tout moi.
"Dans mes livres, les parties volontaires sont mauvaises, non point tant en elles-mêmes qu'à cause du changement de ton ; l'effort y apparaît davantage. J'ai été frappé de cela en relisant récemment Thérèse Desqueyroux pour en écrire la suite. Ce sont surtout les critiques qui ont éveillé mon attention sur ce point ; plusieurs d'entre eux, à chacun de mes livres, ont signalé une partie qui leur semblait meilleure : c'était toujours celle que j'avais écrite dans cet état de ferveur. Ces périodes coïncident généralement avec les mois que je passe chaque année à la campagne ; j'y arrive avec un roman commencé et c'est là-bas que ça décolle."
François Mauriac dit volontiers qu'il est un "écrivain d'humeur", qu'il travaille sans régularité, dans le plus grand désordre ; en tous cas jamais avant midi : "Le matin, je n'existe pas", dit-il. Cependant, il écrit avec une grande facilité, cela explique qu'il ait pu réaliser déjà une œuvre considérable. Cependant ses romans, s'il les écrit rapidement, il les porte auparavant longtemps en lui :
— Le rôle de l'inconscient est grand, et ce travail — si important — d'avant, le travail, on ne doit pas le hâter. Quand je commence un roman, je sais où je vais ; mon plan n'est pas écrit, mais il existe en moi ; seulement je ne le respecte pas ; je le modifie en route, au cours du travail je découvre nombre de choses, et presque chaque fois un personnage que je croyais secondaire passe au premier plan : c'est le cas pour le Docteur du Désert de l'Amour, comme pour Irène dans Ce qui était perdu, le déséquilibre de ce roman vient de ce qu'à l'origine Irène, dans mon esprit, n'était qu'un comparse. Mais si mes personnages sont dans le roman tels que je les ai conçus, j'ai le sentiment qu'ils ne vivent pas, qu'ils sont inertes : j'aime qu’ils me résistent."

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Georges CHARENSOL, “Comment écrivez-vous ?,” Mauriac en ligne, consulté le 19 avril 2024, https://mauriac-en-ligne.huma-num.fr/items/show/526.

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