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Barrès et le catholicisme

Référence : MEL_0537
Date : 24/08/1935

Éditeur : Les Nouvelles littéraires
Source : 14e année, n°671, p.1
Relation : Notice bibliographiqe BnF

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Barrès et le catholicisme

Dans les Cahiers de Barrés, nous nous impatientons de ces notes, de ces travaux d'approche en vue d'ouvrages comme La Grande pitié des églises de France, que nous n'avons plus guère envie de relire. Nous enjambons impatiemment ces chapiteaux inachevés, ces fûts de colonne, tous ces débris d'une œuvre dont l'intérêt fut grand, pour atteindre l'auteur, l'homme qui plus que jamais aujourd'hui nous retient. Barres appartenait à cette race d'esprits-lianes incapables de se passer d'un support. Mais parfois il retombe, abandonne la croix de cimetière à laquelle il s'était enlacé, rampe au hasard: c'est alors que dans les Cahiers il faut surprendre Barrés, limité peut-être mais si aigu, –et ses intuitions fulgurantes.
Un recueil précédent nous avait révélé cette profonde inquiétude métaphysique, qu'il ne trahissait guère dans ses livres ni dans sa conversation. Le plus récent Cahier nous le montre, au contraire, tel que nous l'avons connu, appuyant sa défense du catholicisme sur diverses considérations dont aucune ne touche à l'essentiel de ce qu'a voulu signifier le Christ quand il a dit: “Je suis la Vérité.” Et cela se conçoit, puisqu'il s'agissait pour Barrès de répondre aux objections des députés radicaux-socialistes. Mais l'étrange est qu'on le sente vaguement agacé et irrité lorsque l'adversaire goguenard lui oppose: “Vous-même, monsieur Barrès, croyez-vous à tout cela?”
Peut-être scandaliserons-nous à la fois les dévots et les incrédules en avouant que l'attitude d'un homme qui défend le Christianisme sans y croire, nous est inintelligible. Ce ne saurait être de sa part que manque d'imagination. Il voit la noble et illustre façade que l'Eglise dresse devant le monde, il admire le vaisseau de Pierre, immuable, au-dessus des siècles. Mais il en oublie les fondements: tant de vies sacrifiées, tant d'immolations. Depuis dix-neuf siècles, de génération en génération, la meilleure part de l'humanité se met, de son plein gré, en croix et y demeure, sans qu'aucune raillerie puisse l'en faire descendre.
Nous ferions quant à nous bon marché des cathédrales, de la liturgie, du chant grégorien, si tout cela ne servait qu'à glorifier un simple morceau de pain azyme. Les vertus, la délicatesse des consciences chrétiennes, les miracles de l'amour mystique, la sainteté en un mot serait sans prestige à nos yeux si elle était née d'un mensonge, et reposait sur un mensonge.
Barrès se persuadait peut-être que les couvents, les presbytères (pour ne parler que des clercs et des moniales) sont peuplés uniquement d'âmes sereines, joyeuses, inondées de consolations. Et sans doute elles y abondent. Mais même celles-là jouissent d'une paix qui n'est pas la paix que le monde donne. Leur joie est le fruit d'une victoire continue sur la nature. Elle s'acquiert au prix d'un renoncement qui n'est jamais consenti une fois pour toutes, qu'il faut renouveler à chaque instant dans les moindres choses comme dans les plus grandes, –et c'est la “petite voie” qui a mené si loin et si haut Thérèse de l'Enfant Jésus, la martyre de Lisieux.
Et puis il reste les autres: les fidèles qui demeurent à mi-côte, qui luttent, succombent, se relèvent, retombent, se traînent de nouveau sur ce chemin marqué par le sang de ceux qui les ont précédés. Tous, les pécheurs et les saints, ils ont cru à une parole, ils ont mis leur confiance dans une affirmation solennelle: “Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront pas”. Les uns et les autres, les saints et les pécheurs, ont crié, dans leurs moments de doute ou d'angoisse: “A qui irions-nous, Seigneur? Vous avez les paroles de la vie éternelle.” Ils se moqueraient bien de faire ce qu'ont fait les morts! Que leur importe la poussière de ceux qu'ils n'ont pas aimés! Il ne s'agit pas pour eux d'accepter un héritage national, ni de feindre la foi en des légendes qui aideraient au maintien de certaines vertus utiles. Si par impossible, il leur était révélé que le Christ n'est pas le fils de Dieu, ils ne le suivraient plus, fût-ce pour le salut d'une certaine civilisation, d'une certaine culture. Ils marchent à sa suite parce qu'il a dit: “Je suis le Christ”. et qu'ils l'ont cru sur parole.
On nous objectera que c'est mal poser la question, que Barrés, incrédule, n'a jamais pensé que les croyants fussent des dupes: car enfin, l'essentiel est d'avoir la foi; la foi est une réalité, même si son objet se trouve être une illusion. Un bonheur illusoire est malgré tout le bonheur; l'espérance sans fondement n'en demeure pas moins l'espérance, et s'il n'y avait pas d'éternité, les chrétiens ne le sauraient jamais: le néant ne confond personne.
Ce point de vue nous fait horreur. En tout cas, il ne vaudrait que pour l'espèce de dévots qui n'ont eu à renoncer à rien, ou qui n'ont quitté le monde que lorsque depuis longtemps déjà le monde les avait quittés: ceux qui apportent à Dieu des restes dont personne ne veut plus. Oui, ceux-là, dans le pari où Pascal les engage, gagnent à coup sûr. Mais pour les autres? Pour tant de jeunes êtres consacrés à Dieu dans la force et dans la tendresse de leur âge? Ils ont tout de même renoncé à une réalité: le misérable bonheur humain est tout de même une réalité. L'amour ne nous semble précaire et dérisoire que parce que nous savons qu'il n'est qu'une caricature de l'union divine. Et pourtant, si cette union était un leurre, si les promesses éternelles n'avaient jamais retenti dans le monde, c'eût été ce triste amour qui aurait été la perle sans prix, au-dessus de quoi il n'y aurait rien eu, et il aurait fallu tout vendre et renoncer à tout pour l'acquérir. Mais le Verbe s'est fait chair. La croix n'est adorable que parce qu'il y a été cloué. La croix sans le Verbe ne serait rien de plus qu'une potence.
Encore une fois, nous savons bien que Barrès qui, pour le salut des églises de France, voulait obtenir un résultat pratique et tangible, ne donnait pas les motifs personnels de son attachement au Christianisme, qu'il cherchait seulement des raisons propres à convaincre des hommes dénués de toute croyance, comme Jaurès, Briand ou Sembat. Mais reconnaissons que ces hommes-là ne manquaient pas de bon sens lorsqu'ils posaient à Barrès la question qu'aucun défenseur de l'Eglise n'a le droit d'éluder (qu'il se batte à l'intérieur du sanctuaire ou sur le parvis): “Et vous, que dites-vous du Christ?”

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François MAURIAC, “Barrès et le catholicisme,” Mauriac en ligne, consulté le 23 avril 2024, https://mauriac-en-ligne.huma-num.fr/items/show/537.

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