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Dieu se cache

Référence : MEL_0546
Date : 20/06/1941

Éditeur : L'Hebdomadaire du Temps nouveau
Source : 2e année, n°23, p.1
Relation : Notice bibliographique BnF

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Dieu se cache

Certaines paroles, qui nous ont obsédés pendant des années, prennent soudain tout leur sens dans une heure solennelle: que de joie ai-je cité le mot de Pascal: “Si Dieu nous donnait des maîtres de sa main, oh! qu’il leur faudrait obéir de bon cœur! La nécessité et les événements en sont infailliblement.” Mais ce n’est qu’aujourd’hui que la leçon nous touche, nous brûle de son feu. Nous avons été menés où nous ne voulions pas aller et l’aiguillon reste fiché dans notre chair. Il ne suffit pas de l’accepter, il faut comprendre qu’il nous est bon et que ce qui est advenu était sans doute le meilleur pour chacun de nous en particulier.
Qu’il y avait longtemps que je n’avais été seul! Ce bourdonnement de la notoriété, où les attaques même renforçaient la louange, s’est interrompu enfin! A peine si quelques injures me rappellent que j’occupe encore la pensée de certains: mais les outrages s’anéantissent dans le grand silence d’après le cyclone.
Rien ne trouble plus cette méditation sous l’œil de Dieu, cet examen de ce que fut notre nation et de ce qu’elle doit être dans les jours qui viendront. D’abord pousser un cri de ralliement vers tant d’âmes désorientées: Jeanne témoignait au milieu des flammes que ses voix ne l’avaient pas trompée, et nous, catholiques de France, au plus noir de la défaite, nous croyons que l’Evangile, que l’Eglise, ne nous ont pas trompés. Des hommes furent au-dessous de leur tâche; nous avons été battus parce que nous étions les plus faibles… Pour le reste, que notre cause ne fût pas pure, que nous ayons été condamnés à défendre un monde qui, sur plus d’un point, nous faisait horreur, nous n’avons pas attendu les mauvais jours pour le crier.
Mais nous craignons rien des jours qui viennent; peut-être avons-nous beaucoup à gagner, d’une dure discipline qui nous forcera à dégager de ce qui passe la Vérité qui ne passe pas. La liberté sans frein, en nous obligeant de prendre parti dans les batailles de la politique, nous engageait à des choix où le pire et le meilleur s’entre-pénétraient.
L’Histoire est l’œuvre des passions humaines: j’avoue ne pas la voir avec les yeux de Bossuet. Dans le filigrane des événements, ni la puissance du Père ne m’apparaît, ni l’amour du Fils; et, sur l’écran sinistre où s’inscrit l’éphémère, la Face adorée ne pleure et ne saigne qu’à travers la souffrance de la créature. L’orgueil, l’avarice, la luxure, quelle trinité redoutable recouvre le nom de Clio!
Mais, sous tant d’horreurs que nos yeux voient, la grâce court, souterraine, d’une âme à l’autre; et le crime apparent du monde dissimule l’invisible miracle de l’amour caché.
Devrons-nous nous efforcer encore d’imposer à la politique d’un monde condamné les lois du Royaume qui n’est pas de ce monde? Ne craignez pas que je chercher une issue pour m’évader; mais à chacun de nous il appartient de discerner sa route dans cette aube sombre, et de découvrir un accent nouveau pour rendre le même témoignage au Fils de l’homme, dont nous n’avons jamais rougi devant les hommes, et aujourd’hui moins que jamais.
Je ne saurais ici qu’orienter votre méditation, lui frayer une piste. Je vous suggère un thème: à vous de le développer pour vous seul, dans le secret.

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François MAURIAC, “Dieu se cache,” Mauriac en ligne, consulté le 26 avril 2024, https://mauriac-en-ligne.huma-num.fr/items/show/546.

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  1. BnF_Hebdo du temps nouveau_1941_06_20.pdf