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Notre devoir
c’est d’accepter la Patrie tout entière
Lettre ouverte à des touristes français

Référence : MEL_0594
Date : 01/08/1938

Éditeur : Paris-Soir
Source : 16e année, n°5486, p.2
Relation : Notice bibliographique BnF
Type : Tribune libre

Description

En analysant ironiquement une anecdote rapportée par le correspondant du Figaro en Espagne, François Mauriac exprime son indignation contre ceux qui nuisent à l’unité nationale en n’acceptant pas « la Patrie tout entière », y compris le Front populaire.

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Notre devoir
c’est d’accepter la Patrie tout entière
Lettre ouverte à des touristes français

Nous ne saurions donner trop de louanges à M. Georges Ravon, envoyé spécial du “Figaro” en Espagne nationaliste, pour n’avoir pas craint de dénoncer dans son reportage du 26 juillet ce qu’il a vu et ce qu’il a entendu à Oviedo. Dans un café de la ville martyre, des touristes français causent avec des Espagnols: “Les Espagnols disent grand bien de la nouvelle Espagne, écrit M. Georges Ravon, les Français disent grand mal de la France; de la sorte, tout le monde est à peu près d’accord.”
Il faut savourer cette phrase, il faut en exprimer les sucs. On n’en pénètre pas d’un coup la malice. “A peu près” me plaît surtout. Les détracteurs français de la France ne sont qu’à peu près d’accord avec leurs hôtes… Je le crois bien! Ces patriotes hésiteraient à traiter leur patrie de “bicoque infecte et puante” (una casucha infecta y mal oliente) comme le fait le journal “Hierro” de Bilbao. Oseraient-ils ouvertement prendre à leur compte les insultes d’Arriba Espana: “L’odieuse France, pays d’anormaux…” et approuver cette feuille lorsqu’elle dénonce: “les grotesques fanfaronnades du Chantecler déplumé d’une démocratie pourrie”?

En tout cas, c’est en disant grand mal de la France que quelques touristes français (un petit nombre, nous voulons l’espérer) se sont mis à peu près d’accord avec leurs hôtes. M. Georges Ravon, journaliste de droite, dut peut-être hésiter avant d’assener ce témoignage terrible. Par pudeur d’abord; il est de ces plaies qu’on ne découvre pas sans honte. Nous sommes tous solidaires. A Oviedo, c’était le pays entier qui se reniait en la personne de ses fils impies.
Peut-être aussi M. Georges Ravon a-t-il songé à tout ce qu’attire sur sa tête un journaliste capable de porter un témoignage contre l’opinion du milieu et du public pour lequel il travaille? Du moins a-t-il bien choisi son heure. Le tranquille courage dont il fait preuve lui vaudra aujourd’hui moins d’insultes que s’il l’avait manifesté quelques semaines plus tôt: à Reims, autour de la cathédrale ressuscitée; à Paris, autour d’un roi et d’une reine en qui respire le plus puissant empire du monde, la France a repris conscience de son unité. “Je ne puis me souvenir d’une occasion, a déclaré M. Chamberlain aux Communes, où l’on ait vu une telle unanimité de toutes les classes et de tous les partis de la nation française.”

Qui songerait aujourd’hui, en Europe, à attaquer la France unanime? Mais il ne faut pas que nos adversaires puissent croire que nous nous sommes repris pour un jour, pour une heure. Les touristes français en Espagne nationaliste, quelles que soient leurs préférences politiques, ne devront jamais oublier qu’ils sont les hôtes d’un pays provisoirement soumis aux directions de Berlin et de Rome.
Une fois la frontière franchie, personne n’a plus le droit de subtiliser et, par exemple, de faire la part du pays légal et du pays réel. Croyez-vous que des étrangers, et dont beaucoup nous haïssent, soient capables de saisir ces nuances? On ne choisit pas dans l’être qu’on aime, surtout quand il est pressé d’ennemis. Sous peine de mort, les Français devront interrompre cet interminable procès qu’ils se font à eux-mêmes et qui est devenu une sorte de manie atroce, d’instinct presque inconscient et jusque dans les plus petites choses. Ceux qui ont préparé, pour les souverains anglais, cette réception triomphale, durent travailler dans le vacarme des critiques, des moqueries et même des outrages, au point que tels de leurs adversaires ressentent aujourd’hui comme une défaite personnelle le prestige qui en a rejailli sur la France.

Et bien sûr: “le Front populaire n’est pas la France!” Mais nous ne saurions trop méditer cette parole admirable du Premier Consul que cite mon confrère Louis Madelin dans le troisième volume, paru ces jours-ci, de sa passionnante Histoire du Consulat et de l’Empire: “Depuis Clovis jusqu’au Comité de Salut Public, je me tiens solidaire de tout” Parole que, pour son humble part, chaque Français, aujourd’hui, devrait faire sienne.
Elle ne signifie pas que nous sommes condamnés à approuver tous les excès ni à couvrir tous les crimes, mais qu’en ce moment de l’Histoire qui coïncide avec notre vie éphémère, le devoir est d’accepter la patrie tout entière: qu’il s’agisse de la patrie ou d’une créature humaine, l’amour s’attache à l’être indivisible.

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François MAURIAC, “Notre devoir
c’est d’accepter la Patrie tout entière
Lettre ouverte à des touristes français,” Mauriac en ligne, consulté le 25 avril 2024, https://mauriac-en-ligne.huma-num.fr/items/show/594.

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  1. GALLICA_Paris-Soir_1938_08_01.pdf