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La Matinée Claudel

Référence : MEL_0619
Date : 25/11/1916

Éditeur : Revue des jeunes
Source : 6e année, t.13, n°10, p.639-640
Relation : Notice bibliographique BnF

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La Matinée Claudel

A cette matinée Claudel, qui, le 4 novembre dernier, réunit au Gymnase tout ce que Paris compte de délicats –en dépit du malheur des temps, comme il en reste!– j'ai reconnu que Claudel n'est pas un auteur difficile. Partage de midi, ce drame dont nous pûmes admirer les deux scènes principales, réussirait à la Comédie-Française aussi bien que de l'Hervieu. Il abonde en “mots qui passent la rampe” comme disent les spécialistes. Mais ces mots nous arrivent chargés d'une vérité infinie.
Pascal écrivit le discours sur les passions de l'amour. Il est vrai que ce fut avant sa deuxième conversion. Claudel a eu raison de n'avoir point peur d'un sujet qui convient à ce siècle d'esprit charnel et de chair triste. Nul n'a mieux montré depuis saint Paul que la femme est faite pour l'homme et que l'homme est fait pour Dieu. C'est là tout le sujet de Partage de midi. Sur le vaisseau qui le mène en Chine, entre le ciel étouffant et la mer, Mésa rencontre une femme mariée, la femme. Elle est la tentation. Elle est le péché. Elle n'est pas le bonheur, elle est cette chose qui est à la place du bonheur. La femme tout entière se donne, mais n'atteint pas ce qui dans le cœur de son amant demeure la part de Dieu, cette région inaccessible où dure jusqu'à notre dernier jour le combat de Jacob contre l'ange.
Tout ce drame est pénétré d'une sensualité telle que Claudel échappe au danger signalé dans cette pensée de Pascal: “…L'on s'en va de la comédie le cœur si rempli de toutes les beautés et de toutes les douceurs de l'amour et l'âme et l'esprit si persuadés de son innocence qu'on est tout préparé à recevoir ses premières impressions, ou plutôt à chercher l'occasion de les faire naître dans le cœur de quelqu'un pour recevoir les mêmes plaisirs et les mêmes sacrifices que l'on a vus si bien dépeints dans la comédie.”
Partage de midi n'exprime ni les beautés, ni les douceurs, ni l'innocence de l'amour, mais le “durus amor” de Lucrèce. la tristesse sans nom de la chair, la solitude de ceux qui s'aiment dans le péché. –Et nous nous en allons de ce drame avec le désir de faire triompher en nous, sur toutes les puissances d'en-bas, l'Esprit de Dieu. Si quelques scrupuleux se scandalisèrent, je ne suis pas casuiste pour dire jusqu'où peut aller un dramaturge chrétien dans la peinture des passions et, n'étant point Bossuet, je ne récrirai pas sa lettre au Père Caffaro.
L'admirable cantate à trois voix qui nous fut donnée, je la goûte mieux dans mon cabinet que lorsque la gémissante Mlle Lara, vêtue comme pour un drame de Casimir Delavigne, l'interprète de tout son cœur.

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François MAURIAC, “La Matinée Claudel,” Mauriac en ligne, consulté le 20 avril 2024, https://mauriac-en-ligne.huma-num.fr/items/show/619.

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  1. BnF_Revue des Jeunes_1916_11_25.pdf