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Hugues Le Roux, Au champ d’honneur

Référence : MEL_0625
Date : 25/01/1918

Éditeur : Revue des jeunes
Source : 8e année, t.16, n°2, p.63-64
Relation : Notice bibliographique BnF

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Hugues Le Roux, Au champ d’honneur

Que M. Hugues Le Roux ait pu décrire le calvaire de son fils mort au champ d'honneur, cela, d'abord, étonne –puis, nous comprenons: Défendre contre l'oubli cette mémoire bien-aimée, c'est l'unique tâche qui désormais lui agrée. Lorsque l'enfant blessé à mort mais vivant encore lui souriait et lui parlait, d'avance le père s'inquiétait d'un cercueil, d'un drapeau où envelopper ce corps sacré, pour qu'il ne soit pas confondu dans la fosse. Le même sentiment le porte à isoler cette jeune gloire des milliers d'autres. Bien que tous les sacrifices n'aient pas même visage, tant de rayonnements se confondent. Il serait plus facile d'isoler une étoile parmi toutes celles qui forment la voie lactée. Il y a hélas! une telle concurrence pour la gloire...
Mais si cette pensée peut l'aider à vivre, qu'il sache, ce père que son but est atteint... Désormais le sous-lieutenant Robert Hugues Le Roux s'offre à nous comme le type le plus pur de nos premiers martyrs qui emportèrent au delà de la vie un rêve sans ombre. Il était “le jeune homme d'aujourd'hui” fort de corps et d'âme. Les cloches du 2 août 1914 le surprirent au milieu des blancs bouquets de fiançailles... Et ses lettres à sa fiancée parfument tout ce livre et nous montrent quel était ce cœur: amour et sacrifice pour lui ne faisaient qu'un: “Enfin! Je vais pouvoir faire quelque chose pour vous, écrit-il à la jeune fille. C'est un bonheur inouï qui m'est donné de me battre pour vous...” Le nom de Dieu, dans chaque lettre, est prononcé –et émane de ces lignes je ne sais quelle pureté virile –une candeur mâle:
“0 mon Dieu, vous savez combien le cœur des jeunes gens est plein d'affection et combien il ne tient pas à sa souillure et à sa vanité…” Je songe à cette invocation de Paul Claudel en relisant les tendres pages du jeune homme...
Bien des livres sont nés de la guerre. Aucun, selon moi, n'atteint au pathétique de ce récit d'une agonie d'un fils par ce témoin qui est son père. Mais j'éprouve quelque gêne pour en dire la beauté littéraire: on n’analyse pas un sanglot. Voici la visite de la fiancée à Robert agonisant et tous les hommes –condamnés à mourir– demandent qu'elle traverse leur salle: “…celle que ces abandonnés veulent voir passer au pied de leurs lits n'est ni une mère, ni une épouse. Elle est la fiancée qui n'aura pas de noces, le rêve qui restera un rêve, le symbole de ce qui aurait pu être, le pur amour où chacun de ces mourants mire, un instant, le souvenir de son cœur...” Il y a les longues stations du père crucifié, dans les églises, puis l'agonie de son enfant qu'il berce avec les contes de Perrault... Une atmosphère de familiale tendresse baigne ces pages. D'autres douleurs prolongent cette douleur. Toute une famille française est là qui saigne. Mais ni chez le fils mourant, ni chez le père qui le regarde mourir, aucun signe de rancœur, de haine. Pas un mot contre l'ennemi. Ce garçon catholique et français ne sait que donner sa vie. Il ne sait pas haïr. Chez cet être fort, ce jeune athlète mourant, j'aime la nostalgie de son enfance, cette divine faiblesse –il en a bien le droit maintenant!– qui ramène sa pensée vers des convalescences d'enfant gâté à Bordighera, lorsque sa jeune mère tendait de voiles de Gênes les murs de la villa...
Que chacun de nous, aux noms des bien-aimés qu'il a perdus, ajoute dans son cœur, celui de Robert Hugues Le Roux. Au champ d’honneur nous le fait connaître et chérir. Se peut-il que je l'aie jamais rencontré ici-bas? Je le vois si bien, un dimanche de printemps au Bois, après la messe, et j'entends son rire dans la lumière...

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François MAURIAC, “Hugues Le Roux, Au champ d’honneur,” Mauriac en ligne, consulté le 25 avril 2024, https://mauriac-en-ligne.huma-num.fr/items/show/625.

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  1. BnF_Revue des Jeunes_1918_01_25_2.pdf