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Pierre Notomb, Fauquebois, roman

Référence : MEL_0630
Date : 25/07/1918

Éditeur : Revue des jeunes
Relation : Notice bibliographique BnF

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Pierre Notomb, Fauquebois, roman

Il n'est guère de jeunes filles dans notre littérature. Nos auteurs de comédies et de romans se sont attachés surtout aux cœurs des femmes. Je n'oublie pas Chimène, certes, ni la petite infante du Cid. Je me souviens de la princesse Iphigénie et de cette Junie de qui Britannicus aimait les tristes yeux –et aussi de ces jeunes bourgeoises au bel équilibre, ayant des clartés de tout, fort raisonneuses mais pour le plus grand bonheur de Dorante. Pourtant, les vierges de la tragédie française, même quand elles ne sont pas des amantes insensées, n'ont rien de ce mystère adolescent qui est ineffable; –et Molière nous peint des petites commères trop avisées. L'unique jeune fille, au grand siècle, n'est pas de chez nous: Roméo et la nourrice l'appellent Juliette. Au temps des Liaisons dangereuses, quelle femme se souvient d'avoir été pure? Le romantisme nous donne la sœur de René –mais Lucile de Chateaubriand appartient à l'histoire, elle n'est pas plus une fiction qu'Eugénie de Guérin ou qu'Alexandrine d'Alopeus. Mademoiselle de la Môle, du Rouge et du Noir qui aime Julien Sorel d'un amour si pareil à la haine, même vierge, est déjà une femme. Il nous resterait de nous enquérir, avec un peu d'envie, de ces jeunes étrangères: Natacha Rostow de Guerre et Paix ou cette autre Natacha et Katia d’Humiliés et Offensés –si nous ne trouvions, tout près de nous, Renée Mauperin des frères Goncourt. Mais c'est à Francis Jammes que revient la gloire d'avoir mis au monde, pour l'éternité, Clara d'Ellébeuse, Almaïde d'Etremont, Pomme d'Anis. Il est le poète des adolescentes aux robes pareilles à des calices dans les vieilles propriétés d'autrefois, à l'époque des grandes chaleurs.
C'est peut-être le seul ennui que nous donne ce délicieux Fauquebois où Pierre Nothomb fait aimer, se sacrifier et souffrir, à l'ombre des hêtres d'un ancien domaine, de rêveuses ou rieuses jeunes filles, que nous ne puissions, en le lisant, oublier le visage passionné et triste de Clara d'Ellébeuse dans l'ombre du chapeau de paille. Même si Jammes n'avait jamais vécu, nul doute que le poète de Notre-Dame du Matin eût écrit, tout de même, son Fauquebois. Il le portait en lui: et ce n'est point de sa faute si nous venons trop tard dans un monde où trop de gens se sont mêlés avant nous d'avoir du talent, aussi Fauquebois garde-t-il tout son prix. Cette vignette romantique, qui nous rappelle Tony Johannot et Eugène Lami, peut-être est-elle peinte avec un peu d'outrance et dessinée d'un trait trop appuyé? Le lecteur en jugera. Je ne pense point que Pierre Nothomb mérite ce reproche: il écrit d'une époque où le naturel était de n'en pas avoir.
Je lis souvent, pour mes délices, le Musée des Familles; je m'y enchante des mêmes histoires qui ravissaient Laure, Ernestine, Audorade, les héroïnes charmantes de Pierre Nothomb; qu'il nous ait restitué dans Fauquebois le ton romantique, je m'en rendais mieux compte à la lecture de Minette, histoire naïve par ce grand poète: Marceline Des bordes-Valmore et qui est la perle du sixième volume du Musée des Familles, année 1839. –C'est l'histoire d'une petite fille dont une méchante amie frotte le visage avec l'herbe vénéneuse nommée tithymale. Ecoutez ceci:
“... Hyacinthe était assise sur son lit, dormant et pleurant tout ensemble. Ses deux mains déchiraient sans le savoir ce deux visage brûlant, baigné d'autant de sang que de larmes; sa mère approcha d'elle une veilleuse allumée toutes les nuits pour la sécurité de la maison. Douleur d'une mère!! Vous la figurez-vous quand la faible lueur de cette lampe n'éclaira qu'un monstre couvert d'ampoules noires et sanglantes? –Dieu sauveur! dit la mère toute défaillante. Mon enfant! Ma fille! Qu'avez-vous? Ah! Ferdinand! cria-t-elle à son fils aîné ... etc.”
Ainsi écrivait en 1839 Marceline Desbordes-Valmore. Sans difficulté, Pierre Nothomb soutient ce diapason –mais spontané chez Marceline, on l'admire chez Nothomb, comme une réussite exquise. Je sais un poète qui, dans son logis du Palais-Royal, se plaît à réunir des meubles et des estampes du temps de Balzac et de Théophile Gautier: parce que tout y est voulu, le suranné nous attendrit et le ridicule nous charme. Ainsi en est-il de l'“arrangement” de Fauquebois. Et qu'il y fallait de talent pour que nous ne confondions point, dans notre souvenir, ces adolescentes, et que chacune nous sourie avec un sourire différent!
La prose de Nothomb est une prose de poète: cela dit tout. Il n'y a que les poètes (je veux dire: les excellents, et Notre-Dame du Matin témoigne du don admirable de Nothomb) pour écrire de bonne prose. Il faut l'approuver de n'avoir pas corrigé à dessein quelques “belgicismes”–; ce sont des jeunes filles du cher pays martyr qu'il fait revivre: j'aime qu'elles parlent, quelquefois, le français de chez elles. D'ailleurs, il ne s'agit, le plus souvent, que de “provincialismes” tels que ceux qui ont cours dans ma Guyenne.
Fauquebois, sa chapelle et le béguinage, nous en respirons à la suite de Pierre Nothomb, l'odeur de roses mortes, de cretonne, ancienne et d'encens –et nous nous souvenons avec lui de la vague immonde qui recouvre aujourd'hui ces pures solitudes. Cette lecture qui ne nous eût donné, en d'autres temps, qu'une mélancolie douce, nous accable. Que restera-t-il de cette société belge, de ce pieux et romanesque, “petit monde d'autrefois”? Ainsi nous nous interrogeons en lisant la dernière ligne du livre où l'auteur nous avertit que ce roman fut achevé dans la tranchée, au cœur de l'hiver, en vue de Bixchoote. D'autres, à quelques mètres de l'ennemi, écrivent des lettres, fument leur pipe et jouent aux cartes. Nul encore n'avait à sa barbe composé une tendre histoire de petites filles modèles. Cette présence d'esprit de l'homme de lettres qui, sous les armes, ne désarme pas c'est le plus touchant trait d'héroïsme dont notre corporation se puisse glorifier.

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François MAURIAC, “Pierre Notomb, Fauquebois, roman,” Mauriac en ligne, consulté le 25 avril 2024, https://mauriac-en-ligne.huma-num.fr/items/show/630.

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  1. BnF_Revue des Jeunes_1918_07_25.pdf