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Rostand

Référence : MEL_0632
Date : 25/01/1919

Éditeur : Revue des jeunes
Source : 9e année, n°2, p.107-109
Relation : Notice bibliographique BnF

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Rostand

Malgré les triomphes qu'il connut, ce poète fut un poète malheureux: personne jamais ne lui rendit justice, ni ceux qui voulaient qu'il fût Shakespeare, ni les jeunes gens qui voulaient qu'il ne fût rien; mais les premiers surtout lui ont fait du tort en le condamnant à forcer sa voix; leurs dithyrambes l'ont à jamais persuadé qu'il n'était propre qu'aux grands sujets alors qu'au contraire il était excellent clans les petits. La princesse lointaine garde encore bien du charme –et le premier acte de l’Aiglon, quelle jolie vignette romantique! Sa nature ne l'inclinait que trop à se persuader qu'il pouvait toucher à tout: avant même les enivrements de Cyrano, il met le Christ sur la scène –un Christ esthète, beau diseur, qui fait des mots et qu'on a bien de la peine à lui pardonner, même “in articulo mortis”. Après Cyrano, désormais rien ne lui fera peur: l'Aiglon devint son Hamlet; Chantecler ne l'aida pas à se connaître puisque, nous dit-on, il laisse un Don Juan, un Faust: un peu plus, il eut recommencé l'Illiade.
Au vrai, Rostand était un charmant et précieux poète de ruelle, –un acrobate auquel il ne manqua, dans ses acrobaties, que le respect de la langue française pour mériter que nous l'appellions un frère de Banville –et le compliment n'est pas petit! –Or, ce poète, qu'auraient adoré Cathos et Madelon, se trouva, par miracle, posséder à fond toute la cuisine du théâtre; à ce mélange qui n'a rien donné de vraiment grand, nous devons tout de même la réussite de Cyrano: ici les défauts du grand homme le servent; comme il fait grouiller sur la scène le monde charmant et fou de la Fronde, il peut s'en donner à cœur joie, ajouter au gongorisme, nous aveugler de concetti; le mauvais goût, en [l'occurrence], est de rigueur: le naturel est de n'en pas avoir: Cyrano n'est-il pas en somme un parent riche de Mascarille et Cathos, une sœur pauvre de Roxane?
Bien que je ne goûte qu'à demi cet idéal de bravacherie, d'enthousiasme à vide, –ce fameux “panache” enfin qui se pourrait définir: prendre, aux yeux de la galerie, l'attitude la plus avantageuse, –tout de même le sage doit inscrire, en exergue de cette comédie héroïque, la parole d'olympien bon sens qu'Eckermann recueillit sur les lèvres de Goethe: “Ce qui dure vingt ans et se maintient avec la faveur populaire est bien quelque chose.” Au jeune homme qui lui expose ses raisons de ne point admirer tout-à-fait Rostand, un maître que je sais –de qui l'œuvre est goûtée d'une élite– ne cèle pas que les transatlantiques frétés pour la première de Chantecler l'impressionnent, l'inclinent à aimer ces tirades, ces papillotants miroirs aux alouettes.
Les jeunes hommes de lettres ont montré au triomphateur moins d'indulgence. Ce ne fut pas jalousie ou haine du succès: à vingt ans, on a d'abord la passion d'admirer. Mais tous ceux que nous aimons comptèrent peu ou prou parmi les familiers de ces mardis de la rue de Rome où Stéphane Mallarmé entouré de Viélé-Griffin, d'Henri de Régnier, de Moréas, pontifiait Rostand a traversé son époque, sans en être. Ce romantique n'a rien retenu (si jamais il les a lus) de Baudelaire, de Verlaine, de Rimbaud, ni d'aucun de nos bien-aimés; mais enfin c'était son droit, et ce n'était pas le nôtre de méconnaître son mérite de poète populaire. En dépit d'un style de tarabiscotage et de mièvrerie, Rostand est peuple: son Flambeau n'ajoute rien au vieux de la vieille des images d'Epinal, son Metternich est exactement le personnage noir qu'à l'Ambigu, le paradis siffle. Nul homme ne porta si loin le courage, l'audace du lieu commun: c'est chez lui coquetterie que de fignoler un couplet sur le drapeau, la croix d'honneur, le petit chapeau; il triomphe dans le morceau de bravoure et [déclanche] des applaudissements automatiques. Notons qu'en 1900, ce coté cocardier est un héroïque défi à la mode et soulève le cœur des beaux esprits d'alors; Rostand s'en va au moment qu'on allait commencer de lui en savoir gré: l'autre soir, à cette piteuse reprise de l’Aiglon (amputé de deux actes, parce qu'il ne faut pas rater le dernier métro), en applaudissant l'entrée fameuse de Flambeau, c'était le Poilu que nous acclamions.
Rostand parfois se hausse jusqu'à tenir avec convenance l'emploi d'interprète officiel de la nation; il fut un très suffisant poète de circonstance: les écarts même de son goût amuse et nous rendent supportable ce genre décrié. Le “oh! oh! c'est une impératrice!” ne me déplaît pas et il faut connaître par cœur le sonnet où il nous dit que Krüger débarque dans son cœur. Mais retenons surtout cet émouvant Vol de la Marseillaise qui sera récité, tant qu'il y aura des écoliers, en France.
N'en déplaise aux chroniqueurs, qu'attendrit la mort de toute vedette, Rostand ne fut pas notre plus grand poète, –il ne fut pas non plus un grand poète– mais un poète simplement, qui avait le goût des grands sujets et une jolie adresse à les dénicher: Chantecler traité par un autre, quelle forêt de symboles! Sa muse jamais ne fut [bucoélique]: dans ce tissu de calembredaines, de calembours et de coq-à-l'âne, reniflons-nous une seule odeur de forêt ou de plaine? Pour Chantecler, un liseron est un récepteur de téléphone et une fleur s'appelle un promenoir!...
Voilà que souhaitant de louer ce fameux auteur, malgré nous notre louange tourne court: un tel désaccord éclate entre son mérite et le rang qu'il occupa, qu'en dépit de nous-mêmes, d'abord il faut le remettre à sa place; mais nous ne sommes pas si riches en poètes, que nous ne sentions douloureusement tout ce que perdent avec lui les lettres françaises.

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François MAURIAC, “Rostand,” Mauriac en ligne, consulté le 20 avril 2024, https://mauriac-en-ligne.huma-num.fr/items/show/632.

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