Georges Duhamel, La Possession du monde
Date : 25/07/1919
Éditeur : Revue des jeunes
Source : 9e année, n°14, p. 125
Relation : Notice bibliographique BnF
Type : Note de lecture
Georges Duhamel, La Possession du monde
D'autres, comme Barbusse, sont revenus de la guerre avec un cœur plein de haine; d'autres encore en sont revenus pratiques, indifférents aux choses de l'esprit, soucieux uniquement d'économie politique et de sociologie. M. Georges Duhamel, l'auteur fameux de La Vie des Martyrs et de Civilisation, voit le grand péril qui menace la vie intérieure: aux cris de fureur d'un Barbusse, il oppose des paroles de recueillement, des paroles de repos et d'amour. Mais s'il use du langage chrétien, et nous invite à sauver notre âme, c'est comme un homme qui ne croit pas aux promesses éternelles. Duhamel enseigne à user de la beauté du monde, à s'enchanter des cœurs, à posséder autrui. Il ouvre tous les refuges possibles. Mais comment user sans mésuser? L'intelligente et tendre curiosité qui porte Duhamel à s'intéresser aux autres, tournera au pire dans bien des cœurs. Ses préceptes valent pour un Adam avant la faute, au milieu du terrestre paradis; ils supposent toutes nos passions endormies. Il en est de cette éthique, comme de toute morale païenne qui place l'homme ou trop haut ou trop bas et jamais ne s'adapte à l'humble réalité humaine: “La dignité de l'homme consistait, dans son innocence, à user et dominer sur les créatures, mais aujourd'hui à s'en séparer...” Cette pensée de Pascal concentre toutes les objections que nous voulons faire à Duhamel. Mais je souhaite que d'autres –surtout s'ils sont dépourvus de l'éternelle consolation– lisent ce beau livre et y trouvent du profit: tout effort vers la vie intérieure nous apparaît comme un effort vers Dieu. La possession du monde est un acheminement: l'auteur sait-il jusqu'où peut l'entraîner sa recherche, et le royaume de Dieu n'est-il pas au dedans de nous?