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L’eau du Puits, par Robert Vallery-Radot
—Le Réseau fragile, par Hélène Seguin
—La dame en noir, par Pierre Rodet
—A l’ombre des marbres, par Jacques Nayral
—Les Triomphes, par Nicolas Beauduin

Référence : MEL_0644
Date : 02/01/1910

Éditeur : Revue du temps présent
Source : 4e année, t.1, n°1, p.58-65
Relation : Notice bibliographique BnF
Type : Note de lecture
Version texte Version texte/pdf Version pdf

L’eau du Puits, par Robert Vallery-Radot
—Le Réseau fragile, par Hélène Seguin
—La dame en noir, par Pierre Rodet
—A l’ombre des marbres, par Jacques Nayral
—Les Triomphes, par Nicolas Beauduin

L'eau du puits, par Robert Vallery-Radot[1]. Le sens mystique de ce titre L'eau du puits convient excellemment à l'œuvre de M. Robert Vallery-Radot. Sa poésie est bien l'eau pure que l'on recueille dans une âme profonde –l'eau qu'une femme Samaritaine trouva un soir au puits de Jacob.
Mais comment analyser des poèmes écrits par un enfant, cependant que sa mère agonise? On n'use que redire la parole des Juifs quand Jésus pleura sur Lazare: “Voyez comme il l'aimait...” Il apparaît que chez le poète “la chair et le sang” ne furent pas seulement atteints par cette mort: sa mère l'avait enfanté une seconde fois à la vie de l'esprit, des liens spirituels les unissaient –impérissables ceux-là, et plus forts que la mort même– et cette douleur que l'on sent infinie n'est pas désespérée:

O chair dont je suis né, chair maternelle et sainte,
Va retrouver nos morts. Je te livre sans crainte
Au tombeau, car au jour dernier tu surgiras!

Avant de la retrouver “en la splendeur sans ombre de la Trinité”, le poète vit encore avec celle qui n'est plus. Il la possède à la manière de Dieu, en esprit et en vérité –et ce qui domine cette œuvre si haute et si pure, c'est la vision d'une mère éternellement vivante, penchée sur la destinée de son fils, dont elle protège et bénit le premier amour.
Mais il est des heures où l'âme, vaincue par la douleur, essaye vainement de se perdre en une vision d'immortalité. Les moindres objets, témoins de l'ancienne joie, deviennent les complices de son désespoir: c'est le silence à jamais introublé de la chambre où la bien-aimée ne viendra plus, c'est le banc sur la terrasse où une nuit elle s’est assise et lui a dit des paroles éternelles:

Cette nuit j'ai revu, terrasse horrible et douce,
Ton banc désert, tes grands tilleuls velus de mousse,
Ton mur rongé de pluie et brûlé de soleil;
Rien n'est changé, rien n'est détruit, tout est pareil;
C'est le même horizon familier que j'embrasse;
Pourquoi tant m'évoquer sa présence, ô terrasse,
Quand je foule tes feuilles sèches sous mes pas?
Ne sais-tu pas qu'elle n'est plus? Ne sais-tu pas
Que je ne viendrai plus comme aux nuits ordinaires
Boire la vaste paix des silences lunaires?
Que me fait ton immense rêve aérien?
La somptuosité de ton décor n'est rien,
Si tu ne veux me redonner l'extase unique
Que goûtait Augustin près de sainte Monique...
Garde ton odorant mystère, ta clarté,
Tes rameaux noirs et ton paysage enchanté,
L'impalpable mirage et les lignes fondues
Et l'immobilité des pâles étendues
Avec de place en place un vieux noyer debout...
Garde en tes bois le chant émouvant du hibou,
Garde l'auberge où veille une lumière, garde
La rivière étoilée où la lune s'attarde,
Puisque jamais, jamais, tu ne me la rendras
Cette nuit où ma mère a pleuré dans mes bras!

Dans d'autres poèmes de L'eau du puits il arrive qu'on souffre parfois d'un léger désaccord entre la pensée, toujours si vivante et si haute, et l'expression, trop négligée, un peu facile, et dénuée d'images... Mais ici et en maint endroit, M. Robert Vallery-Radot trouve des vers larges et mystérieux comme ceux de Charles Guérin et dont l'écho se prolonge indéfiniment à travers le cœur.
Il y a dans L'eau du puits l'éternelle et pure histoire d'un premier amour. Mais j'en veux surtout retenir les poèmes où revit une immense douleur spiritualisée par la foi. C'est vraiment l'âme de ce livre et sa sublime originalité.

Le Réseau fragile, par Hélène Seguin[2]. –Je songeais, en lisant le Réseau fragile, à ce que dit quelque part Anatole France: “Cette jeune fille, mystérieuse comme toutes les jeunes filles...” –C'est bien par l'attrait de ce mystère que nous séduisent les vers de Mlle Hélène Seguin. Elle nous explique dès la première page, il est vrai, le sens de ses poèmes, et qu'elle voulut revêtir la vie brutale du “réseau fragile” des illusions. –Mais l'intérêt précisément est de connaître ces illusions –et de savoir, mieux que par les vers de Musset, “à quio rêvent les jeunes filles... ”
Il m'apparaît que l'âme d'un tout jeune homme romantique et “fatal ” ressemble beaucoup à l'âme d'une jeune fille: les aspirations de l'adolescence froissées par les réalités de la vie, telle est bien la cause première de la mélancolie d'un René ou d'un Werther –or nous voyons que Mlle H. Seguin donner le même sens au titre de son volume le Réseau fragile.
Dans son immense ennui, le héros de Chateaubriand, René, s'attache à sa mélancolie comme à l'amie la plus chère. “Je m'aperçus avec un secret mouvement de joie, dit-il, que la douleur n'est pas une affection qu'on épuise comme le plaisir...” Ainsi, l'auteur du Réseau fragile se complaît dans sa tristesse:

Mon rêve épanouit ses fragiles pétales
Dans la mélancolie ombreuse où je me plais.
Le bonheur a pour moi des clartés trop brutales...
Sa lueur me suffit au travers des volets.
.
Laissez-moi ma tristesse enveloppante et douce,
Désirs aux yeux trop beaux que la honte a rougis;
Je ne veux pas savoir..... mon geste vous repousse.
Laissez-moi, la tristesse habite mon logis.

Ne sont-ils pas, ces vers, d'un archaïsme charmant, l'œuvre d'une jeune fille des temps romantiques, de cette Clara d'Elébeuse dont Francis Jammes nous conta l'histoire?

L'écolière des anciens pensionnats
Qui allait, les soirs chauds, sous les tilleuls,
Lire les magazines d'autrefois...

Comme René, cette jeune fille aime la solitude, et comme lui elle y cherche “l'idéal objet d'une flamme future” et sait la peupler de fantômes:

Solitude, tandis que ta forme incertaine
S'évapore là-bas aux brumes du lointain,
L'inconnu –grave et doux– vers l'aurore m'entraîne,
Ses grands yeux lumineux font naître le matin.
D'un rêve heureux, palpite en moi l'inquiétude
Près de la vision qui ressemble à l’amour.
Toi qui fus mon amie, ô chère solitude,
Je redoute à présent ton possible retour.

J'imagine assez bien ces quatre derniers vers sous une gravure du XVIIIe siècle, qui représenterait “la jeune fille, ou l'attente de l’amour”. Mais elle n'attend pas seulement “un fantôme blond”. Il est un autre amour qui déjà émeut la jeune fille évoquant ses joies de jeune mère:

Il sera doux pourtant, lorsque vous grandirez,
De refaire avec vous, mon fils, ce beau voyage,
Où vous entraîneront les vers que vous lirez,
Les mêmes que j’aimais lorsque j'avais votre âge.
De sentir votre esprit s'ouvrir à la beauté,
Tandis que la bonté germera dans votre âme,
O mon fils, vous serez mon unique fierté,
Vous par qui je saurai la gloire d'être femme.

Soyons reconnaissants à Mlle Hélène Seguin de faire mentir Abel Hermant –ce Saint-Simon bourgeois– lorsqu'il dit: “Les femmes qui écrivent n'ont aucune pudeur.” Hélas! Il y a tant de jeunes filles aujourd'hui dont la prose non plus que les vers ne peuvent être mis entre toutes les mains –surtout entre les mains des jeunes filles!

La dame en noir, par Pierre Rodet[3]. –La dame en noir est un titre évocateur de romans policiers et de cambrioleurs sympathiques. Il ne choque pas au début de ce mince recueil où l'intérêt va grandissant de page en page ainsi que dans un ingénieux feuilleton. Qu'est-ce que la dame en noir? –Au lecteur qui se pose la troublante question, M. P. Rodet se garde bien de répondre avant l'ultime vers –et pour avoir le mot de l'énigme on lit le volume d'un trait. –Cela dure d'ailleurs un petit quart d'heure, M. P. Rodet poussant très loin l'art d'éparpiller peu de vers sur beaucoup de papier:

La dame dont je rêve est belle étrangement

Ce vers mystérieux incite aux troubles imaginations, et selon la formule des théologiens, aux délectations moroses. Mais il paraît fade si on le compare à ceux qui suivent, car la dame en noir, qui est un symbole, est un symbole –comment dirai-je?– palpable, ainsi que le témoigne ce poème: “et nous nous sommes aimés”. Je conjure les jeunes filles de ne pas s’y arrêter.
Enfin, à la page 54, la dame en noir dévoile son identité. Elle le fait en vers que je signale aux auteurs de grammaires françaises: ils y trouveront de remarquables exemples d'adjectifs pris substantivement:

Je suis Celle qui verse en le cœur le Désir
Et s'en va... Je deviens alors l'Inapprochable,
Celle qu'on ne doit plus désormais ressaisir,
La farouche Insoumise et la froide Indomptable...
.....Pour l'orgueilleux alors je deviens le Pouvoir,
La popularité, l'argent, la gloire austère,
Pour le Savant, je suis l’universel Savoir,
Je suis les Temps meilleurs pour le cœur libertaire.....

Telle est la dame en noir.

A l'ombre des Marbres, par Jacques Nayral[4]. –Dans mon dernier article, je donnai étourdiment au livre de M. Jacques Nayral un titre qui n'était pas le sien. Mes regrets furent d'autant plus vifs que ce volume contient, comme on disait autrefois, de grandes beautés.
J'ai déjà dit que ces poèmes expriment avec une étonnante puissance verbale ce qu'il faut bien appeler “l'angoisse du doute”. Je crois même ravoir marqué avec une légère ironie qui me paraît aujourd'hui singulièrement déplacée. Sans doute me rappelais-je un mot de Jules Lemaître dans les Contemporains: “Un des lieux communs de notre littérature lyrique et romanesque, c'est “le supplice du doute”. “A mon sens c'est assez souvent une plaisanterie. Je ne crois que difficilement à la douleur métaphysique. Du moins, j'ai connu des esprits, même éminents, qui ne souffraient pas du tout de ne pas croire.....”
Les hommes se font rares de plus en plus, qui savent comme Jules Lemaître garder le sourire jusqu'à un âge très avancé. Le dilettantisme n'est guère plus pratiqué aujourd'hui. On le traverse mais on ne s'y attarde pas. Jules Lemaître lui-même a dû prendre parti. Il l'a fait avec espièglerie, avec de jolis mots sur le retour à l'ordre par le désordre. Ainsi l'œuvre inquiète et grave de M. Jacques Nayral me paraît significative de l'état d'esprit actuel de la jeunesse française: “Nous ne goûtons plus l'ironie, écrivait naguère M. Ernest Charles à propos de l'Histoire Comique d'Anatole France. Nous ne considérons plus la vie plaisamment. Cet état d'esprit, cet état d'âme railleuse, amorale, antisociale, que le génie charmant d'A. France avait propagé ne sont plus les nôtres.” La Nouvelle Revue française, qui représente, je crois, une élite dans le monde artistique et littéraire, commentait dernièrement –et avec quel dédain!– “les sept femmes de Barbe-Bleue”et les contes puérils où s'attarde l'ironie du vieux maître. Elle appelait cela “les derniers exercices de M. Anatole France”. Les jeunes gens d'aujourd'hui trouvent que ces vieillards manquent de sérieux.
Cela me ramène à mon sujet, dont je ne me suis d'ailleurs écarté qu'apparemment. M. Jacques Nayral en effet me semble être de ceux qu'aimaient Pascal, de ceux “qui cherchent en gémissant”.

…O Seigneur, j'ai vécu sans amour et sans foi,
Promenant le rire dédaigneux de ma bouche,
Plus seul qu'en sa caverne une bête farouche.
Et j'ai souffert d'avoir méconnu votre loi.....
.
Crispé dans mon orgueil et mon aveuglement,
O mon Dieu, j'ai nié votre Toute-Puissance,
J'ai perdu les beaux jours de joie et d’innocence,
Sans lire le poème écrit au firmament.
.
Et ma vie, ô Seigneur, fut douloureuse et rude,
Car je n'ai point connu la douceur d'être aimé,
Et je me suis comme en un sépulcre fermé,
Tout vivant, emmuré dans une solitude.
.
…Ce qui m'effraie, ô Dieu, c'est le néant, la nuit
Informe où périrait mon âme tout entière.
C'est l'ombre pour jamais écrasant ma paupière
Dans le gouffre insondable où nul rayon ne luit.
.
Mon âme veut s'ouvrir aux beautés infinies
Vivre dans votre amour et votre vérité
Voir la lumière que répand votre bonté.
Et vibrer à vos éternelles harmonies
.
…Ouvrez mon cœur si triste et presque inanimé,
Laissez-moi vous aimer, moi qui n'ai point aimé...

Cet immense et sublime appel n'a pas d'écho. Comme Alfred de Vigny, le poète défaille devant “le silence éternel de la divinité”. –Silence qui peut-être n'est qu'une illusion: bien avant que Pascal ait entendu le mot sublime: “Tu ne me chercherais pas si tu m'avais déjà trouvé”, le vieux moine qui écrivit l’Imitation avait mis dans la bouche de son Maître cette parole d'ineffable consolation: “Quand vous croyez être loin de moi, c'est alors souvent que je suis le plus près de vous.”

Les Triomphes, par Nicolas Beauduin[5]. –Le héros subtil de Maurice Barrès, Philippe, dit quelque part: “J’aimerais mieux avoir la mentalité de Victor Hugo!” sut le même ton qu'il dirait: “J'aimerais mieux mourir!”
Les jeunes gens d'aujourd'hui évitent d'afficher pour le grand poète un aussi comique dédain –mais ils ne subissent guère plus son influence qu'au temps où Maurice Barrès était un jeune homme. Aussi est-ce bien ce qui étonne d'abord dans les poèmes de M. Nicolas Beauduin, d'y retrouver la manière de Victor Hugo –curieuse originalité!–: “Son âme écoute en lui chanter la voix, murmurer la plainte ou pleurer les larmes des choses. Il les “orchestre” alors, et on veut dire par là qu'il en soutient; qu'il en développe et qu'il en amplifie le chant par les ressources d'une harmonie où concourent à la fois la nature, l’histoire et la passion.” Cette admirable formule que Brunetière applique au poète des Voix intérieures convient –toute proportion gardée– à l’auteur des Triomphes.
La grande voix qui dans la nature domine pour lui toutes les autres voix est celle de la mer. Il s'identifie avec elle. Il y voit le symbole vivant de son exaltation et de son génie:

Je veux ton amplitude, ô mer, je veux saisir
L'absolu de ton gouffre et ta profondeur sainte.
Tempête aux mille bras, prends-moi dans ton étreinte!
Viens, viens m'écheveler, tourbillon de la nuit,
Que je sois ce qui brûle au sein de ce qui fuit...

Quelquefois M. Nicolas Beauduin se complaît dans les contrastes énormes, les énumérations, ces accumulations d'épithètes où excellait Victor Hugo –alors cela rappelle le petit jeu de nos pères dans les brasseries du quartier latin, il y a trente ans : on y faisait “du Victor Hugo” et quelques-uns atteignaient à la perfection du maître.
Les Triomphes n'en laissent pas moins une impression de force, de puissance même, qui ne va d'ailleurs pas sans quelque monotonie...

Notes

  1. Un vol. Edit de la Revue des Poètes.
  2. Un vol. Edit de la Revue des Poètes.
  3. Un vol. Edit. du Beffroi.
  4. Un vol. chez Gastein Serge.
  5. Un vol. Edit. des Rubriques Nouvelles.

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François MAURIAC, “L’eau du Puits, par Robert Vallery-Radot
—Le Réseau fragile, par Hélène Seguin
—La dame en noir, par Pierre Rodet
—A l’ombre des marbres, par Jacques Nayral
—Les Triomphes, par Nicolas Beauduin,” Mauriac en ligne, consulté le 25 avril 2024, https://mauriac-en-ligne.huma-num.fr/items/show/644.

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