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L'heure qui passe, par Jacques Sermaize
—Visions, par Charles-Raphaël Poirée
—Le Jeu des dix-huit ans, par Prosper Roidot

Référence : MEL_0649
Date : 02/01/1911

Éditeur : Revue du temps présent
Source : 5e année, t.1, n°1, p.85-87
Relation : Notice bibliographique BnF
Type : Note de lecture
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L'heure qui passe, par Jacques Sermaize
—Visions, par Charles-Raphaël Poirée
—Le Jeu des dix-huit ans, par Prosper Roidot

Les poèmes que M. Jacques Sermaize a réunis sous ce titre L'Heure qui passe, d'une précision un peu sèche, nous touchent par beaucoup d'émotion profonde et contenue. Ils font penser quelquefois à la claire harmonie de Sully-Prudhomme, et c'est aussi une vie intérieure qu'ils expriment dans ses plus délicates nuances. Mais, plus que le poète des Vaines Tendresses, M. Jacques Sermaize semble s'émouvoir de l'aspect du monde, il ne se contente pas des “paysages d'âmes”: les premières pages de son livres évoquent les jardins trempés de pluie –et les beaux soirs dont l'âme indéfiniment garde la nostalgie. Le poète sait nous dire le mystérieux accord de l'univers sensible avec le cœur humain:

La nature a le charme alangui d'un visage
Encore ému des pleurs que l'amour a séchés...

Et plus loin:

O Soir que je n'ai su contempler sans envie,
Combien d'hommes, hélas! lorsque s'éteint leur vie,
Quand leur dernier regard autour d'eux est jeté,
Combien, dans leurs yeux clos, ne peuvent l'emporter,
La paix dont s'enivra ta mourante beauté!

L'“heure qui passe” donna au poète, avec les joies et les peines de chaque jour, l'enchantement d'un amour heureux. Mais l'amour humain, le plus heureux, ne montre-t-il pas quelquefois un visage baigné de larmes? Il y a les inévitables séparations dont la détresse est ici exprimée en des vers que Lamartine eût bien goûtés:

Tandis que nos deux cœurs battaient des mêmes fièvres,
Mes yeux ont bu tes yeux une dernière fois,
Mes lèvres ont livré leur tristesse à tes lèvres,
Puis nos tremblants amours ont désuni leurs doigts...

... Morne retour! La ville, où l'on chantait encore,
D'équivoques rumeurs environnait mes pas:
Moi j'allais, en songeant qu'à la prochaine aurore,
Je chercherais en vain le collier de tes bras...

Et puis, le plus bel amour souffre par cela seul qu'il dure –parce que le bonheur présent ne saurait faire oublier le bonheur passé, ni l'infini de joie, à jamais perdu, qu'évoque cette fin d'un sonnet de Verlaine:

Ah! les premières fleurs, qu'elles sont parfumées!
Et qu'il bruit avec un murmure charmant
Le premier oui qui sort des lèvres bien-aimées...

Et c'est pourquoi le poète de l'Heure qui passe veut revoir les lieux où il promena son jeune amour. –Inévitable romantisme à quoi nous devons le Lac de Lamartine, les tristesses d'Olympio, toutes les strophes qui révélèrent à nos quatorze ans un monde inconnu d'émotions et de rêves... Il faut lire ce poème de M. Jacques Sermaize: le Parc. –Le décor de son ancien bonheur est là, derrière une grille… il ne peut l'atteindre et s'y résigne, en lui disant:

Vous aviez trop changé peut-être... nous aussi.

Je n'ai indiqué dans cet ouvrage que les sources de tendresse et d'émotion sentimentale. Le lecteur y trouvera aussi des “poèmes philosophiques”, de forme très parnassienne, qui font penser encore à Sully-Prudhomme et ne sont pas ceux que je préfère. Mais sachons n'être pas les prisonniers d'un rythme ni d'une école, et louons M. Jacques Sermaize de nous avoir donné une œuvre riche et diverse, harmonieuse et grave.

Retenons du livre de M. Charles-Raphaël Poirée, Visions, une préface pleine d'humour qu'écrivit M. Florian-Parmentier; elle nous renseigne abondamment sur les origines du poète: “…Un buste de son arrière-grand-père paternel perpétue, à l'Ecole des Ponts et Chaussées, le souvenir de l'inventeur des barrages mobiles. Son oncle, M. Elie Poirée, a écrit de nombreux ouvrages de critique musicale qui font autorité... à l’étranger... Lui-même est sorti, en 1906, ingénieur agronome de l'Institut national agronomique... (toutes nos félicitations!)... Fils de l'étude et du savoir, M. Charles-Raphaël Poirée, dès qu’il fut libre, aspira à la simplicité de la vie biblique..... mystérieuse nostalgie d'une race parvenue à son extrême degré de civilisation.....”
Il ne reste plus à M. Charles-Raphaël Poirée que de répéter chaque jour avec le Psalmiste: “Je te loue, ô mon Dieu! de ce que tu m'as fait créature si admirable...”
Après avoir lu quelques-uns de ses poèmes, je voudrais cependant rappeler à l'ingénieur agronome qu'est M. Raphaël Poirée, une phrase de Dominique, dans le roman de Fromentin: “J'ai le goût et la science de la terre... –je fertiliserai mon champ mieux que je n'ai fait de mon esprit, à moins de frais, avec moins d'angoisse et plus de rapport, pour le plus grand profit de ceux qui m'entourent. J'ai failli mêler l'inévitable prose de toutes les natures inférieures à des productions qui n'admettaient aucun élément vulgaire...”
J'offre à M. Charles-Raphaël Poirée, ingénieur agronome, ce sujet de méditation, dans l'espoir qu'il lui sera profitable.

Le Jeu des dix-huit ans est un petit livre plaisant et triste, dont l'auteur, M. Prosper Roidot, semble beaucoup aimer Verlaine, Laforgue et Jammes. J'y ai goûté la souffrante ironie d'un homme de trente ans qui met sa joie à évoquer la dix-huitième année, à se faire le prisonnier de son adolescence...

Vraiment, c'est le matin, ce cuivre dans le vent?
Etait-on un poète, était-on un enfant,
Et maintenant comment se croire et qui se croire?
De dix-huit ans on saute à trente,
Sans posséder de gloire...
De dix-huit ans on saute à trente
Sans grand profit –sauf qu'on invente
Que dix-huit ans vient après trente...

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François MAURIAC, “L'heure qui passe, par Jacques Sermaize
—Visions, par Charles-Raphaël Poirée
—Le Jeu des dix-huit ans, par Prosper Roidot,” Mauriac en ligne, consulté le 24 avril 2024, https://mauriac-en-ligne.huma-num.fr/items/show/649.

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  1. BnF_Revue du Tps présent_1911_01_02.pdf