Mauriac en ligne

Search

Recherche avancée

Kœnigsmark, pièce en quatre actes adaptée du roman de M. Pierre Benoit par M. Benno Vigny, au théâtre Antoine

Référence : MEL_0667
Date : 11/12/1920

Éditeur : Revue hebdomadaire
Source : 29e année, n°50, p.230-231
Relation : Notice bibliographique BnF
Repris p.67-69, in Dramaturges, Paris : Librairie de France, 1928.
Type : Chronique dramatique

Description

François Mauriac consacre la moitié de l’article à une évocation ironique des succès faciles de Pierre Benoît romancier. Quant à l’adaptation théâtrale proprement dite, elle est exécutée en quelques phrases évoquant un imbroglio laborieux et obscur.

Version texte Version texte/pdf Version pdf

Kœnigsmark, pièce en quatre actes adaptée du roman de M. Pierre Benoit par M. Benno Vigny, au théâtre Antoine

M. Pierre Benoît est un jeune homme heureux qui a fait une étonnante découverte: il s'est aperçu que les gens aiment qu'on leur raconte des histoires. Au lieu donc de nous décrire sa belle âme et les particularités de son tempérament en un de ces livres où les promesses de génie abondent, mais dont le tirage est restreint, il publie chaque année un ouvrage qui relève de cette littérature que nous pourrions appeler palpitante; et chaque année il connaît ce triomphe qui fut autrefois celui de Mlle de Scudéry et de La Calprenède... La fortune, qui l'avait comblé, le voulut accabler; une ridicule accusation de plagiat rendit mondiale sa réputation qui n'était encore qu'européenne; les presses de nouveau gémirent et l'Atlantide fut lu jusques au pôle. Mais M. Pierre Benoît a, si l'on peut dire, le triomphe méthodique; un naïf aurait cru qu'il n'y avait plus une goutte d'huile à extraire de tant de palmes. M. Pierre Benoît, lui, se dit qu'il serait fort sot de négliger l'écran et de faire fi de la scène; c'est pourquoi M. Benno Vigny dépèce en quatre actes Kœnigsmark au théâtre Antoine et une troupe de cinéma s'occupe à réaliser les imaginations de M. Pierre Benoît au fond des déserts et jusque dans ces sauvages contrées où sévissent les Touaregs. En bref, M. Pierre Benoît a renié la doctrine de quelques-uns parmi ses jeunes confrères et qui tient dans ce qu'écrivait Jules Laforgue à propos de Baudelaire: “Le premier il a rompu avec le public. Le public n'entre pas ici.” Sans doute M. Pierre Benoît m'objectera-t-il qu'on ne saurait rompre qu'avec les gens de qui l'on est connu, et que ces jeunes hommes ne le furent jamais des foules qu'ils feignent de mépriser. La littérature est-elle ou non une carrière? Et le propre d'une carrière n'est-il pas de nous rapporter beaucoup d'argent?
M. Pierre Benoît estime avec La Bruyère que c'est un métier de faire un livre comme de faire une pendule. Ses livres valent surtout par la construction et la science de l'engrenage; aussi n'avons-nous vu sur la scène que les pièces éparses d'une belle machine démontée. Les savantes préparations du roman, toute cette histoire amoureuse de Kœnigsmark à la cour du Hanovre, assassiné puis brûlé secrètement, il faut que nous la connaissions pour nous intéresser au même drame dont un jeune Français, Vignerte, découvre les traces à la cour de Lautenbourg; Dieu merci, mes lecteurs ont lu Kœnigsmark, car comment résumer tant de péripéties: le grand-duc Rodolphe assassiné, son assassin, le duc Frédéric-Auguste, épousant la princesse, sa veuve, et régnant à sa place. L'amour de cette malheureuse princesse Aurore et du jeune précepteur français, la découverte que fait le précepteur des ossements du grand-duc Rodolphe dans la cheminée de la bibliothèque; sa fuite en auto, après l'incendie du palais, le jour de la déclaration de guerre. La difficulté de faire tenir en dix phrases un tel imbroglio, M. Benno Vigny l'a éprouvée aussi et ne l'a pas vaincue; jusqu'au dernier acte, tout se passe en conversations laborieuses, en récits obscurs; enfin, il nous démontre comment de la plus palpitante histoire, on peut extraire la plus languissante pièce. Et puis de quel droit intervient-il dans la destinée du héros de M. Pierre Benoît? Le romancier n'avait pas voulu que Vignerte fût l'amant d'Aurore. M. Benno Vigny prend sous son bonnet cet adultère. Celui qui adapte un roman à la scène doit imiter le Dieu de Malebranche qui n'intervient pas par des volontés particulières.
De même qu'à la représentation de Daniel je n'ai pu atteindre à l'illusion que nous proposait Mme Sarah Bernhardt déguisée en jeune homme de vingt-huit ans, de même (toute proportion gardée) j'ai été un peu gêné par l'aspect de M. Gémier qui, dans le rôle du jeune Vignerte, marque résolument quarante ans. Sa grande autorité même, sa maîtrise le desservent. Il m'avait plu d'évoquer, en lisant le roman de Pierre Benoît, son héros Vignerte sous les traits de Jules Laforgue qui, vers 1885, fut, à Berlin, lecteur de l'impératrice Augusta. Aux jeunes gens qui le viennent visiter le dimanche, M. Paul Bourget aime parler de cet enfant plein de génie, et de son mystérieux destin. Mais M. Gémier montre tant de sécheresse, il est si mûr et si sûr de soi que, drapé dans sa vertu, il nous a paru presque aussi méchant que les criminels auxquels il tient tête. Mme Andrée Mégard en princesse Aurore est délicieusement Slave. M. Puylagarde est un très fin diplomate de comédie, c'est dire qu'il ressemble à un vrai diplomate. Au demeurant, la pièce est moins amusante que le livre, mais on ne saurait dire qu'on s'y ennuie tout à fait un seul instant.

Apparement vous ne disposez pas d'un plugin pour lire les PDF dans votre navigateur. Vous pouvez Télécharger le document.


Mots-clés

Citer ce document

François MAURIAC, “Kœnigsmark, pièce en quatre actes adaptée du roman de M. Pierre Benoit par M. Benno Vigny, au théâtre Antoine,” Mauriac en ligne, consulté le 16 avril 2024, https://mauriac-en-ligne.huma-num.fr/items/show/667.

Transcribe This Item

  1. B335222103_01_PL8602_1920_12_11.pdf