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La Matrone d'Éphèse, pièce en trois actes et en vers, de M, Jacques Richepin (au théâtre de la Renaissance) - La Nuit des rois, de Shakespeare (théâtre du Vieux-Colombier)

Référence : MEL_0670
Date : 01/01/1921

Éditeur : Revue hebdomadaire
Source : 30e année, n°1, p.105-107
Relation : Notice bibliographique BnF
Type : Chronique dramatique

Description

François Mauriac utilise son don de la satire dirigée contre la fausse et ridicule fantaisie de la pièce de Richepin pour mettre en valeur le travail de la troupe de Copeau au service de la vraie fantaisie de la comédie de Shakespeare.

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La Matrone d'Éphèse, pièce en trois actes et en vers, de M, Jacques Richepin (au théâtre de la Renaissance) - La Nuit des rois, de Shakespeare (théâtre du Vieux-Colombier)

M. Jacques Richepin a aumoins ceci de commun avec les auteurs du grand siècle qu'il emprunte ses sujets à l'antiquité. Quand on voit comme se battent les flancs pour découvrir des sujets de pièces et la nécessité où ils se trouvent d'en revenir nos écrivains de théâtre toujours à l'adultère, on admire qu'ils n'aient pas tous la même idée que M. Jacques Richepin: l'unique avantage qu'il y ait à être venu trop tard dans un monde trop vieux est qu'on peut collaborer avec des écrivains excellents et de qui les droits d'auteur sont périmés.
Une veuve inconsolable, résolue à vivre dans le mausolée de son époux, se laisse séduire par un soldat qui, non loin de là, garde un pendu. Cependant que les amants s'amusent, le pendu est dépendu et rendu à sa famille. Pour que le soldat ne soit pas puni, la belle consent à laisser attacher à la corde le cadavre de son propre mari. Il y avait là matière à un acte comique, au moins pour ceux d'entre nous qu'une méthodique tuerie de cinq années n'a pas corrigés de trouver plaisantes des farces sur un tombeau. Mais M. Jacques Richepin a prétendu tirer trois actes de cette frêle des intrigue et nous y intéresser jusqu'au dernier métro il n'y parvient qu'avec de la poésie de bien médiocre et une figuration féminine dont il serait injuste de nier l'agrément. En dépit de ces diverses recettes pour la sauce, les spectateurs de la Matrone d'Éphèse pourraient être dans leur lit à onze heures et demie si les entr'actes n'étaient démesurés; et pourtant l'unité de lieu y est, avec rigueur, observée: aucun changement de décor n'excuse ces mornes moments devant le journal lumineux du rideau.
Dans la comédie de M. Jacques Richepin, comme d'ailleurs dans tous les spectacles du boulevard, l'amour se ramène exactement à un geste. Tout ce dont l'enveloppèrent des siècles de christianisme et de chevalerie, ces précieuses galanteries, cet héroïsme charmant, ce prix infini que les jeunes femmes attachaient au don d'elles-mêmes, de tout cela il ne reste rien dans notre beau siècle; les fournisseurs des théâtres ont tant fait que le mot amour est devenu obscène.
“O douce sôuffrance d'aimer!” soupirait hier sur la scène du Vieux-Colombier l'un des héros de la Nuit des rois. Il n'est pas exagéré d'affirmer qu'aujourd'hui la compagnie du Vieux-Colombier sauve l'honneur du théâtre français. Des représentations de la Nuit des rois en 1914, nous avions gardé un souvenir si beau que nous en redoutions la reprise. Mais non, la réalité l'emporte encore; il existe donc en France une compagnie capable d'exprimer cette unique poésie où les grelots de la folie font un bruit plus léger que les soupirs de l'amour. Jamais tant de rire et tant de mélancolie ne furent confondus au gré de notre cœur. Le malheureux amour d'Orsino duc d'Illyrie pour la comtesse Olivia, le penchant d'Olivia pour le messager qui est une jeune fille déguisée peut-être nous feraient-ils trop rêver, si le bouffon d'Olivia, si son oncle messire Tobie, si messire André et l'intendant Malvolio ne nous obligeaient de rire et n'atteignaient à extraire d'un triste songe la plus étrange allégresse. Le Vieux-Colombier est connu dans le monde pour ne point se livrer à des débauches de décoration; mais quel théâtre réaliserait cet accord de couleurs, ces inventions de costumes et surtout cet équilibre des groupes? Chacun des acteurs tient si exactement sa place que d'abord on ne pense à aucun d'eux en particulier et qu'on ne peut louer que cette compagnie, ce beau corps vivant. Nous savons déjà jusqu'où Romain Bouquet et Louis Jouvet ont porté l'art de composer un rôle comique. Robert Allard est un bouffon qui bouffonne pour son plaisir, un jeune fou qui danse et qui chante parce qu'il adore danser et chanter; sa grâce est irrésistible, rien n'égale l'agrément de sa fantaisie. Mais qui, de ces jeunes gens, ne mériterait d'être porté aux nues? Mmes Blanche Albane et Suzanne Bing, Albert Savry, Jean Le Goff, François Vibert, Georges Vitray, Paul Œttly ont tous droit à notre admiration et à notre gratitude.
Cette jeune compagnie, disions-nous, sauve à Paris l'honneur du théâtre, nous ajouterons: l'honneur des comédiens. A fréquenter tant d'immondes spectacles, il nous arrive parfois de songer que l'ancienne sévérité de l'Église à l'égard des comédiens était, après tout, légitime. La compagnie du Vieux-Colombier nous rappelle la noblesse de cette profession et nous enseigne qu'elle comporte une mystique. Il nous apparaît que ces jeunes gens n'usurpent pas le beau nom d'artistes. Ils collaborent avec Shakespeare, avec Molière. Jamais ils n'interprètent une vilenie; ils ont horreur de ce qui est bas. Ils sont les serviteurs du génie. M. Jacques Copeau est un homme heureux: il réalisé le plus noble rêve.

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François MAURIAC, “La Matrone d'Éphèse, pièce en trois actes et en vers, de M, Jacques Richepin (au théâtre de la Renaissance) - La Nuit des rois, de Shakespeare (théâtre du Vieux-Colombier),” Mauriac en ligne, consulté le 20 avril 2024, https://mauriac-en-ligne.huma-num.fr/items/show/670.

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