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L'Avare, de Molière - Vingt-neuf degrés à l'ombre, de Labiche, à la Comédie-Montaigne - Le Bourgmestre de Stilmonde; Le Miracle de saint Antoine, de M. Maurice Maeterlinck, au théâtre Moncey

Référence : MEL_0674
Date : 12/02/1921

Éditeur : Revue hebdomadaire
Source : 30e année, n°7, p.239-242
Relation : Notice bibliographique BnF
Extrait sur Molière repris p.5-7, in Dramaturges, Paris : Librairie de France, 1928.
Type : Chronique dramatique

Description

Une riche semaine de théâtre marquée par l'implacable description de la nature humaine que propose Molière et les bouffons divertissants de Labiche.

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L'Avare, de Molière - Vingt-neuf degrés à l'ombre, de Labiche, à la Comédie-Montaigne - Le Bourgmestre de Stilmonde; Le Miracle de saint Antoine, de M. Maurice Maeterlinck, au théâtre Moncey

On peut ne pas approuver en tout les inventions de MM. Gémier et Baty pour mettre en scène l'Avare à la Comédie-Montaigne. Mais les artistes de ce théâtre, après ceux du Vieux-Colombier, méritent notre gratitude parce qu'ils ont délivré Molière d'une interprétation officielle et figée. Dans l'ombre de son temple, nous arrivions à ne plus voir le dieu. Des mains pieuses certes, mais audacieuses, le ravissent et nous le montrent dans un jour cru.
Le terrible homme que ce Molière! Il n'en veut pas seulement à nos ridicules, à nos vices: l'Avare est la tragi-comédie de la famille. L'Adolescence et l'Amour y bafouent un vieillard hideux. Harpagon est un père horrible et un sexagénaire à faire peur: “Tant mieux, morbleu!” crie-t-il à la proxénète qui lui souhaite de survivre à ses propres enfants. Ce bourgeois qui, en secret, s'engraisse d'usure, il y avait une espèce de sadisme à vouloir qu'il fût amoureux. Ses mignardises autour de sa belle, ses grimaces passionnées, nous ne connaissons rien au théâtre de si cruel. Dans ces familles bourgeoises du grand siècle, où l'autorité paternelle imposait une effrayante contrainte, on imagine les révoltes, les haines de père à fils, les crimes: il serait vraisemblable qu'au dernier acte, le fils d'Harpagon consultât la Brinvilliers. Derrière cette majestueuse façade dont nous sommes encore charmés, Mme de Montespan faisait dire ses messes noires; le poison secourait les héritiers impatients. Les farces de Molière corroborent les témoignages de Tallemant et de Saint-Simon. Sans doute les institutions, par leur armature, défendaient-elles la société contre les passions de l'individu. La religion dispensait aux pécheresses à leur déclin ses cloîtres entr'ouverts sur le monde, ses illustres directeurs d'âmes; et au moins deux hérésies exerçaient le goût que l'on avait alors de la controverse. Ces institutions permirent à Molière de nous montrer dans sa laideur la bête humaine: avec quelle vérité! Car, la monarchie abattue, c'est bien l'homme de Molière que nous voyons à nu: Oronte, les marquis, calomnient la reine et émigrent; l'homme aux rubans verts rompt en visière à tout le genre humain; Tartufe, l'incorruptible, organise les massacres et la fête de l'Être suprême; Harpagon dénonce sa propre famille, spécule, achète des biens nationaux. Désormais déchaîné, l'homme se révèle grotesque et de la même façon qu'il le paraissait à Molière: en prétendant corriger la Nature. Il semble d'abord que le Jacobin et Molière soient d'accord sur un point. Molière est révolutionnaire parce qu'il veut qu'on laisse faire la Nature et qu'il exècre toute contrainte: la dévotion, le monde, l'autorité du père de famille et du mari, la science du médecin. Mais il se sépare des Jacobins en ceci qu'il ne croit pas que l'homme soit né bon et trouve excellent qu'un sage tyran le jugule:

Nous vivons sous, un prince ennemi de la fraude.

Ennemi de la fraude, mais ami des louanges, de celles surtout qui flattent ses amours et l'on sait du reste que l'auteur d'Amphytrion s'entendait à encenser des adultères augustes. En somme, il rejette toutes les contraintes morales, et semble compter sur l'autorité politique pour maintenir l'ordre. Tout de même, cette contradiction chez lui est choquante: il bafoue des disciplines que rendent pourtant nécessaires les vices de cette humanité dont il nous divertit. Sans doute, il y a de la bonhomie dans Molière; il se peut que ses farces ne prétendent qu'à nous faire rire, à moins qu'à force de calembredaines, il veuille nous obliger d'accepter ce qui, sans elles, paraîtrait intolérable. Dans l'Avare, surtout, il est visible que le comique tend à nous masquer le goût d'un remède, amer.

En vain M. Dullin, qui est un admirable Harpagon, se livrait à mille gambades et jouait à chat perché sur les fauteuils, il ne put nous donner le change; les contemporains non plus ne s'y trompèrent pas. Bossuet, avec bien de l'exagération, dénonça les “impiétés et les infamies” dont sont pleines les comédies de Molière: la religion prétend corriger la Nature, et elle est en cela l'ennemie de Molière au même titre que la médecine, d'où l'anathème fameux de Bossuet: “La postérité saura peut-être la fin de ce poète-comédien, qui, en jouant son Malade imaginaire ou son Médecin par force, reçut la dernière atteinte de la maladie dont il mourut deux heures après, et passa des plaisanteries du théâtre, parmi lesquelles il rendit presque le dernier soupir, au tribunal de Celui qui dit: “Malheur à vous qui riez, car vous pleurerez.”
De même que le théâtre de Molière nous révèle un siècle plus terrible et moins solennel qu'il ne paraît d'abord, dans celui de Labiche, ainsi que dans les opérettes d'Offenbach, nous admirons comme fut calomnié le Second Empire, le moins orgiaque des empires. Lemaître fut le premier frappé de la place qu'occupe la vertu dans les pièces de Feuillet, d'Augier, de Dumas fils. Les héros y méprisent l'argent, prennent l'amour fort au sérieux, relèvent la femme adultère, et vénèrent l'enfant, surtout s'il est naturel. Les passionnants mémoires de M. Augustin Filon nous ont fait connaître récemment cette cour de Compiègne, où tout respire l'honnêteté. Honnête Labiche! qu'il eût été étonné de l'honneur dont le comblent MM. Gémier et Baty qui, pour Vingt-neuf degrés à l'ombre, fignolent la mise en scène, et déguisent les acteurs, car Labiche ne se joue plus avec le costume moderne: il commence à “dater”, il “fait époque”. Nous avons ri de tout notre cœur: ses petits bourgeois sentencieux, vaniteux et froussards, demeurent fort divertissants, bien qu'il n'y ait pas une once de perversion dans cette malice.
Au théâtre Moncey, M. Maurice Maeterlinck vient de fournir un argument nouveau contre nos adversaires: les atrocités allemandes qu'il porte à la scène, pour vraies qu'elles soient, y paraissent invraisemblables, leur horreur dépasse le “grossissement” du théâtre. Dans un mélodrame, elles feraient crier à l'exagération le public du paradis. Les officiers ennemis que nous montre M. Maeterlinck, sont des monstres au point qu'on n'en revient pas de ce qu'il les ait peints d'après nature et, pour ainsi dire, photographiés. Les Allemands n'ont pas su garder dans leurs atrocités cette mesure qui les rendrait supportables au théâtre, et c'est sans doute leur faute plus que celle du peintre si nous ne pouvons plus les voir, même en peinture. Il eût été si inutile d'ajouter à l'horreur qu'il faut croire que le Bourgmestre de Stilmonde ne nous révèle rien que de vrai. Nous assistons à l'arrivée des Allemands dans une petite ville flamande. Un de leurs lieutenants est le gendre du bourgmestre. Un officier allemand ayant été assassiné, un vieux jardinier est, contre toute vraisemblance, accusé du crime. Il faut qu'à la fin du jour le bourgmestre le livre au peloton d'exécution ou se livre lui-même. Nous voyons, d'un acte à l'autre, ce bourgeois pacifique et timoré se hausser au plus sublime héroïsme. Le commandant allemand exige que ce soit le gendre qui préside à l'exécution du beau-père. Après cela, nous avions besoin de nous détendre et comptions sur la farce promise. Le Miracle de saint Antoine est, de ce point de vue, fort décevant. Saint Antoine vient ressusciter une vieille demoiselle et les héritiers le livrent au commissaire. Ces deux actes n'ajouteront rien à la gloire de M. Maurice Maeterlinck.

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François MAURIAC, “L'Avare, de Molière - Vingt-neuf degrés à l'ombre, de Labiche, à la Comédie-Montaigne - Le Bourgmestre de Stilmonde; Le Miracle de saint Antoine, de M. Maurice Maeterlinck, au théâtre Moncey,” Mauriac en ligne, consulté le 24 avril 2024, https://mauriac-en-ligne.huma-num.fr/items/show/674.

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