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Le Comédien, pièce en quatre actes de M. Sacha Guitry, au théâtre Édouard-VII — Le Pauvre sous l'escalier, pièce en trois épisodes de M. Henri Ghéon, au théâtre du Vieux-Colombier

Référence : MEL_0676
Date : 05/03/1921

Éditeur : Revue hebdomadaire
Source : 30e année, n°10, p.101-104
Relation : Notice bibliographique BnF
Repris p.44-45 et p.58-60, in Dramaturges, Paris : Librairie de France, 1928.

Description

François Mauriac accorde beaucoup d’importance aux deux pièces. Il a aimé particulièrement la première, dans laquelle Lucien Guitry interprète avec talent l’œuvre de son père Sacha, dont le critique admire l’intelligente analyse du métier de comédien. Quant à l’œuvre de Ghéon, Mauriac en aime l’inspiration chrétienne mais il n’est pas pour autant convaincu par la représentation au Théâtre de la Grâce ou de la Sainteté.

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Le Comédien, pièce en quatre actes de M. Sacha Guitry, au théâtre Édouard-VII — Le Pauvre sous l'escalier, pièce en trois épisodes de M. Henri Ghéon, au théâtre du Vieux-Colombier

Une pièce nouvelle de M. Sacha Guitry, on est assuré que c'est encore un monologue: il ne se fatigue pas de se raconter au public, qui ne se fatigue pas de l'entendre. Il nous livre aujourd'hui des réflexions sur son état de comédien dont déjà il nous avait déjà entretenus dans Debureau. Mais Debureau était une transposition; au contraire, dans le Comédien, le rôle du directeur de théâtre est tenu par le directeur lui-même, M. Franck; et celui du grand acteur par le grand acteur Lucien Guitry. De vrais machinistes posent de vrais décors... Bref, l'auteur, non content de ne plus interpréter la nature, ne l'imite même plus; il la porte à la scène sans retouche, et j'imagine que la prochaine fois, la comédie s'appellera les Spectateurs, ou encore le Public, et que, par une illusion d'optique, nous verrons la scène dans la salle et la salle sur la scène.
L'anecdote, comme toujours, est moins que peu de chose. Le vieux et illustre comédien est adoré d'une petite provinciale; il l'enlève; elle veut faire du théâtre, joue mal, et son amant la sacrifie, parce qu'il aime mieux le public. Le plus bel endroit, c'est quand, au lever du rideau, le grand acteur, après avoir joué pour la dernière fois une comédie, avant de se démaquiller, regarde longuement dans la glace le personnage qu'il a fait vivre quelques soirs et qui va rentrer à jamais dans le néant. Donc, l'anecdote n'est rien et les personnages secondaires le sont résolument. Mais le rôle du comédien suffit à nous intéresser, parce que M. Sacha Guitry l'a écrit avec-cette verve et cette passion qui ne lui manquent jamais lorsqu'il parle de lui et que M. Lucien Guitry collabore avec son fils; c'est Guitry qui interprète Guitry. Il nous raconte, au long de ces quatre actes, quel rendez-vous d'amour lui est sa rencontre de chaque soir avec le Public. J'imaginais que, depuis la scène, une salle bien garnie devait ressembler assez à un somptueux jeu de massacre chez un marchand de jouets chers. Il n'en est rien, et le grand comédien adore ces crânes et ces aigrettes: le Public. Quel accent de sincérité trouve Guitry pour raconter les soins que lui coûtent ces douze cents têtes si chères! La vocation des planches est, en effet, une vocation: un appel. Le mystère des coulisses attire comme celui du cloître; le Public trouve d'innombrables et passionnés serviteurs. L'état de comédien comporte une mystique, mais sa grandeur et sa misère viennent de sa dépendance. Au Vieux-Colombier, où Copeau n'impose jamais à sa troupe rien qui soit vil ou médiocre, même au théâtre Édouard-VII, où Sacha Guitry est au moins assuré de ne rien jouer de pire que du Sacha Guitry, nous trouvons que nos dévots aïeux se montraient cruels envers les comédiens; nous nous attendrissons sur Molière et sur Adrienne Lecouvreur... N'empêche qu'en d'autres salles, il nous est difficile de ne pas songer en voyant leurs grimaces: “ Les pauvres gens, et le triste métier que voilà!” Pour les femmes, sauf sur un très petit nombre de tréteaux, il est impossible de ne pas éprouver à leur endroit ce sentiment de Bossuet dont je goûte fort l'expression pompeuse: “Qui ne regarde pas ces malheureuses chrétiennes comme des esclaves exposées, en qui la pudeur est éteinte, quand ce ne serait que par tant de regards qu'elles attirent, elles que leur sexe avait consacrées à la modestie, dont l'infirmité naturelle demandait la sûre retraite d'une maison bien réglée?”
Mais Bossuet lui-même eût été désarmé par Henri Ghéon et n'eût rien trouvé que d'édifiant à ce pieux théâtre, et les comédiennes lui eussent paru propres à nous frayer la route du Salut. Car, enfin, sans plus approuver le père Caffaro théatin amateur de théâtre, que l'évêque de, Meaux, son illustre adversaire, il reste de prendre un tiers parti et d'user de la comédie pour notre bien spirituel. Jean Racine, parce qu'il se convertit, renonce au théâtre, et c'est aussi parce qu'il se convertit qu'Henri Ghéon donne libre cours à son inspiration dramatique: ainsi la Grâce, par des chemins divers, attire les hommes.
Nous avions beaucoup aimé, du même auteur, la Farce du pendu dépendu; récemment encore, Ghéon nous lut, à la Revue des Jeunes, un miracle de sainte Anne d'une verve drue et pieuse qui nous enchanta. Oserons-nous avouer que le Pauvre sous l'escalier nous a un peu déçus? Et sans doute faut-il tenir compte de cette naturelle frivolité qui, même chrétiens, nous détourne des sujets édifiants. Enfants, nous cherchions dans les vies de saints celles qu'épiçaient des récits de supplices à faire peur. L'histoire de saint Alexis, qui fournit à Henri Ghéon le sujet de son mystère, est d'un tragique tout intérieur, à quoi seront surtout sensibles des âmes déjà avancées en sainteté et préparées à ce sublime. Outre notre naturel libertinage, il se pourrait encore que l'auteur fût en droit d'incriminer le jeu des artistes; nos lecteurs connaissent nos sentiments à l'égard de Copeau et de son admirable troupe et qu'il n'est rien que nous mettions au-dessus de leur interprétation du Carrosse ou de la Nuit des rois. On se persuade que de tels artistes doivent avoir toujours raison, et il se peut que ce soit notre faute si nous fûmes hier ennuyés d'un jeu solennel au point que nous pensions assister à une expérience de cinéma ralenti. N'importe; ni le jeu des acteurs, ni notre libertinage ne suffiraient à expliquer notre légère déception, car Ghéon traité un sujet si pathétique qu'il eût été capable d'émouvoir les plus négligeables mondains. Alexis, fils d'un riche sénateur romain, quitte sa femme, le soir de ses noces, et bien des aimées après, devenu un vieux pauvre méconnaissable, revient dans la maison paternelle et y vit sous un escalier, méprisé des serviteurs. De sa niche, il assiste au dur combat de sa femme pour demeurer fidèle à l'époux disparu; il l'aide, par ses prières et par ses sermons, à subir l'orage d'un pur amour. Si nous sommes moins touchés qu'il ne faudrait, c'est que ces êtres de légende nous semblent désincarnés. Sur les plus effarants sommets de la Grâce, les débats de Polyeucte et de Pauline ne cessent jamais de nous paraître humains. Mais dans cet Alexis, continûment sublime en ses propos, la lutte n'est pas assez sensible. De retour dans sa maison après dix-sept ans, nous n'entendons pas battre son cœur. Un mécréant dirait: “Cela ne sent plus.” Nous supposons qu'il souffre de ne pouvoir se faire connaître à sa jeune femme faiblissante, et qui l'a reconnu, peut-être, et près de céder pourtant à la tendresse du seigneur Numa; mais presque rien ne se trahit de son agonie intérieure. Si l'état de sainteté comporte cette sécurité dans l'immolation et dans le renoncement, ne le peignez pas au théâtre, il ne relève pas de la scène. Sans doute l'héroïne de Ghéon se débat-elle, mais c'est une trop pâle figure, quintessenciée et dessinée en marge d'une hagiographie. Le génie de Péguy fut de nous montrer d'abord en sainte Jeanne d'Arc une petite fille charnelle.
Au dernier acte, qui est le plus dramatique, le pauvre meurt sous son escalier au moment où le Saint-Père le désigne comme étant le saint qui délivrera Rome des barbares. Est-il nécessaire d'ajouter que c'est une œuvre d'une forme toute belle, où le poète catholique, Henri Ghéon, trouve des accents inspirés? Peut-être eût-il fallu que spectateurs et acteurs fussent aussi chrétiens que lui. Un théâtre catholique est-il possible dans notre société païenne? Ne fûmes-nous pas influencés, en dépit de nous-mêmes, par les objections et les agacements d'un public mal préparé à entendre ces mystiques colloques? Et ne devons-nous pas louer Ghéon du parti qu'il a pris de mettre son art au service de sa croyance, bravant ce dur siècle, le plus étranger qui fût jamais aux réalités de la Foi?

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François MAURIAC, “Le Comédien, pièce en quatre actes de M. Sacha Guitry, au théâtre Édouard-VII — Le Pauvre sous l'escalier, pièce en trois épisodes de M. Henri Ghéon, au théâtre du Vieux-Colombier,” Mauriac en ligne, consulté le 20 avril 2024, https://mauriac-en-ligne.huma-num.fr/items/show/676.

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