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Arlequin, comédie féerique en trois actes et deux rêves, par M. Maurice Magre, au théâtre de l'Apollo — La Comédie du génie, pièce en trois actes, de M. François de Curel, au théâtre des Arts

Référence : MEL_0678
Date : 26/03/1921

Éditeur : Revue hebdomadaire
Source : 30e année, n°13, p.476-479
Relation : Notice bibliographique BnF
Repris p.24-26, in Dramaturges, Paris : Librairie de France, 1928.
Type : Chronique dramatique

Description

Les deux pièces rassemblées ici ont en commun leur médiocrité aux yeux du critique. Le ton badin et quelques compliments aux auteurs ne masquent pas la sévérité de François Mauriac ni la cruauté de ses appréciations.

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Arlequin, comédie féerique en trois actes et deux rêves, par M. Maurice Magre, au théâtre de l'Apollo — La Comédie du génie, pièce en trois actes, de M. François de Curel, au théâtre des Arts

Il fallait qu'un jour M. Jean-Gabriel Domergue, peintre et décorateur, rencontrât M. Maurice Magre, poète. On ne saurait rien imaginer de plus heureux que cette conjonction: leurs sublimes s'amalgament. A l'art de l'un et de l'autre nous pouvons adresser la même louange: c'est, si l'on peut, dire, un art collecteur —nous entendons par là qu'il ramasse avec une habileté heureuse ce que, de toutes les modes picturales et poétiques en honneur depuis des années, un public moyen s'assimile. Et de même que la ravissante mise en scène de M. Domergue rappelle tout ce qui s'est fait de ravissant avant et depuis les premiers ballets russes, la comédie de M. Magre nous offre un curieux raccourci de la poésie contemporaine: on ne saurait être à la fois plus romantique et plus symboliste. Arlequin est ensemble banvillesque, verlainien, voir maeterlinckien. Si M. Magre maltraite la vieille prosodie, l'audace est toujours chez lui une forme de la négligence et, quand il est obscur, nous sommes assurés qu'il n'y a rien à attendre de ces ténèbres. Mais, parfois, un beau vers entendu rappelle le vrai poète de la Chanson des hommes. Au demeurant, ce spectacle luxueux n'ennuie pas; il y a là ce qui s'appelle un effort d'art et qui force l'estime. Arlequin, dans une Venise de rêve et de carte postale, séduit tour à tour une servante, puis la femme et la fille du duc; il se laisse entraîner dans les jardins de ce seigneur qui le veut assassiner. Dieu merci, une petite courtisane qui l'adore se fait tuer à sa place: selon l'inévitable poncif romantique, possédée par tous les matelots, elle possède toutes les vertus. M. Magre montre en maints endroits le même entêtement à nous peindre blanc ce qui est noir: ainsi invente-t-il deux jeunes seigneurs poltrons bâtonnés honteusement par Arlequin. Or on peut bien prêter tous les vices aux jeunes seigneurs de ce temps-là sauf la lâcheté et, n'en déplaise à Arlequin, c'est Voltaire qui reçut des coups de bâton. C'est vrai que mon exemple ne vaut rien puisque le chevalier de Rohan confia cette besogne à ses laquais, mais le résultat fut le même et Arlequin demeure le rossé. Au dernier acte, la petite courtisane agonisante se confesse à Arlequin déguisé en archevêque. Il faut loyalement reconnaître qu'ici la critique a crié au sublime, et c'est un grand mystère. Le tout finit sur un rêve où Arlequin-don Juan dialogue avec le désespoir, avec le plaisir et diverses allégories. L'étrange est que nous ne voyons pour ainsi dire pas Pierrot. Comment peut-on séparer Arlequin de son compagnon blafard? “Il y a toujours dix femmes pour un Arlequin, me confiait Mme X... Son inconstance suscite notre amour, et le pire en lui nous retient. Les Pierrots sont les belles âmes dédaignées, les chandeliers éternels, les fidèles bergers des perfides Colombines, les poètes qui éveillent la langueur des jeunes femmes... mais c'est Arlequin qui en profite.”
Les ouvrages de M. François de Curel sont de ceux qui ne sauraient se passer d'avant-propos, de notes et d'avertissements. Et d'abord le plus attentif spectateur ignore si Félix Dagrenat, le héros de la Comédie du génie, nous est proposé par M. de Curel comme un pseudo-génie ou comme un grand homme authentique; il est croyable que sa maladie ressemble au génie, comme la para-typhoïde à la vraie typhoïde, ou comme le faux croup à la diphtérie. Une comédienne révèle un jour à ce Dagrenat qu'il possède tous les dons d'un auteur dramatique: il aime se raconter des histoires et double sa vie plate et désœuvrée d'une existence imaginaire, féconde en péripéties, puis il a le goût des expériences psychologiques et les autres sont ses jouets éternels. Dagrenat, piqué au jeu, écrit une pièce que la critique et le public portent aux nues. Comme la gloire ne va jamais sans l'amour, il devient l'amant de la fameuse comédienne. Son art, délice des délicats, ne séduit pas le peuple et cela inquiète le grand homme: c'est que son génie l'isole et que sa vie n'est qu'artifice; il joue avec les autres, et avec soi-même il observe, il expérimente, et cependant oublie de vivre. Il se trouve, de par son génie, exilé de la communion humaine. Au cours d'une tournée, dans sa ville natale, l'une de ses œuvres est mal accueillie: à sa mère même, il semble un monstre. Ah! si M. de Curel avait traité à fond ce sujet, nul doute qu'il eût arraché des larmes aux misérables hommes de lettres qui composaient la salle. Dagrenat dégoûte sa petite fiancée de province qu'il a eu le front de recevoir chez lui en même temps que sa maîtresse, la fameuse comé¬ dienne, déguisée pour la circonstance en cuisinière! Dès lors il juge que, dans l'intérêt de son art, il conviendrait de devenir pareil aux autres hommes. Nous imaginons qu'il va se marier, mais ce serait trop simple! Il estime plus convenable de séduire la fille du fermier et d'en avoir, sur commande, un bel enfant, qu'il fait élever chez des bourgeois! Et sans doute l'histoire littéraire nous enseigne que le génie et la naïveté ne furent jamais incompatibles, mais tout de même, à cet endroit de la pièce, Dagrenat témoigne d'une rare candeur. Le petit Bernard, devenu un grand garçon, vient habiter chez son père et échange avec lui des propos philosophiques, en l'un de ces dialogues où, depuis les fameux “nénuphars” de la Nouvelle Idole, M. de Curel a raison de croire qu'il excelle. Il pleut mieux que des truismes et que des vérités premières sur une salle impressionnée. Et soudain une autre pièce commence où nous voyons le père devenir jaloux de son fils qui se mêle aussi d'écrire pour le théâtre. Le même soir, à la Comédie- Française, Bernard triomphe et Dagrenat est sifflé. Le vieillard se réfugie au bar des Folies-Bergère, où une dame de petite vertu et son frère, prêtre défroqué, lui démontrent que l'homme de lettres se prostitue plus bassement que les courtisanes. Revenu au théâtre, il a un rêve: don Juan, Hamlet, Tartuffe, tous les héros immortels créés par le génie, lui apparaissent; le héros de la pièce de Bernard se joint aux autres, mais Dagrenat, parmi eux, ne reconnaît aucun des siens. Selon le conseil de don Juan, il va réclamer à Dieu dans une église le don du génie. Là, un vieux moine que nous avons vu, dans la scène la plus cocasse, malmener une duchesse qu'il prend pour une fille, révèle à Dagrenat qu'il existe un seul dramaturge génial: le Christ, puisque la Messe se joue depuis dix-neuf cents ans, sans lasser les spectateurs; c'est que le Christ se donne lui-même en pâture aux hommes et que son œuvre est amour et vie.
Telle est cette Comédie du génie où plusieurs pièces s'amorcent et se coupent dans le plus confus désordre, C'est l'œuvre d'un maître fort de sa gloire et décidé à ne se plus gêner. Peut-être M. de Curel se croit-il, de par son génie, dispensé de choisir? 0n sent qu'à ses yeux les moindres scories valent qu'on leur fasse un sort. Et sans doute, nous lui savons gré, dans un temps où le théâtre connaît la pire misère, de porter à la scène de nobles sujets. Mais outre qu'il aurait mieux valu, selon nous, que M. de Curel étudiât le phénomène appelé Génie sur un artiste atteint sans conteste de cette maladie — et non sur ce Dagrenat — oserons-nous lui rappeler que lorsqu'un Racine écrit Phèdre, il ne s'occupe que de peindre, avec un art minutieux, une vivante passion? — L'œuvre achevée, libre à lui et à nous d'en dégager des lois ou une théorie de la Grâce. L'auteur de la Comédie du génie, qui possède le don admirable d'animer des êtres, parfois leur remplit la bouche de truismes, et les étouffe.

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François MAURIAC, “Arlequin, comédie féerique en trois actes et deux rêves, par M. Maurice Magre, au théâtre de l'Apollo — La Comédie du génie, pièce en trois actes, de M. François de Curel, au théâtre des Arts,” Mauriac en ligne, consulté le 25 avril 2024, https://mauriac-en-ligne.huma-num.fr/items/show/678.

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