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La Rose de Roseim, évocation dramatique de Jean Variot, au théâtre des Champs-Élysées - Oncle Vania, pièce en quatre actes de A.-P. Tchekhow, au Vieux-Colombier - Le Passé, pièce en quatre actes de M. de Porto-Riche, à la Comédie- Française (reprise)

Référence : MEL_0681
Date : 30/04/1921

Éditeur : Revue hebdomadaire
Source : 30e année, n°18, p.596-600
Relation : Notice bibliographique BnF
Extraits sur Tchékhov et Porto-Riche repris p.11 et p.92-94, in Dramaturges, Paris : Librairie de France, 1928.

Description

Malgré une mise en scène décevante, François Mauriac est charmé par la simplicité et l’esprit d’enfance dans la pièce de Variot. Il salue ensuite le talent des Pitoëff dans Oncle Vania puis il consacre une longue analyse à la pièce de Porto-Riche, dont l’artifice contraste avec l’humanité de Tchekov mais à qui le jeu de Madame Simone réussit à donner vie.

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La Rose de Roseim, évocation dramatique de Jean Variot, au théâtre des Champs-Élysées - Oncle Vania, pièce en quatre actes de A.-P. Tchekhow, au Vieux-Colombier - Le Passé, pièce en quatre actes de M. de Porto-Riche, à la Comédie- Française (reprise)

Il n'est pas en Alsace que des mines de potasse et, bien avant la guerre, M. Jean Variot en sut extraire les plus touchantes légendes. La Rose de Rôseim nous a charmés et nous jugeons superflu de nous demander, comme l'ont fait quelques critiques, si cette oeuvre ressemble à un vitrail ou à une image d'Épinal. Le soldat Mathias, après avoir servi pendant trente ans sa bonne ville de Roseim, après avoir été blessé vingt fois pour elle, est renvoyé dans ses foyers, avec tous les honneurs dus aux braves, c'est-à-dire que le conseil des bourgeois lui octroie cinq maravédis, cinq livres de pain et une poignée de main. Que va faire Mathias, à cinquante ans, et si léger d'argent? Courir les routes, coucher sur la dure, souffrir de la faim, de la soif, enfin continuer de vivre comme il a toujours vécu. Car si les bourgeois de Roseim sont maîtres de désarmer le vieux soldat, ils ne peuvent rien contre sa vocation qui est de se donner et de souffrir. Jusqu'alors, Mathias avait sacrifié sa jeunesse à la seule Roseim; il sacrifiera ce qui lui reste de vie à toutes les misères rencontrées au hasard de sa route. Les maravédis, il les donne à un aveugle et à une femme délaissée; il nourrit de son pain trois orphelins et étend sur leurs jeunes corps son manteau. Certes, pas plus que Roseim, les enfants ni la femme ne lui montrent de gratitude, le vieux soldat ne l'espérait pas: il sait le cœur des hommes. Au soir de sa vieillesse, épuisé, ayant tout donné, il tombe sur la route au pied d'une croix. Saint Martin recouvre de son manteau le corps sacré du soldat et l'emporte au paradis dans les cantiques des anges cuirassés de lumière.
Telle est la vieille légende alsacienne que Jean Variot a arrangée pour le théâtre. C'est moins une pièce qu'un poème. Dès le premier tableau nous savons où Jean Variot va mener son soldat et l'âme enfantine et nue de Mathias lui interdit tout ce qui s'appelle complication psychologique. Tant de simplicité, un pareil dénuement d'artifices nous ravissent. Laissons se rallumer en nos cœurs cette curiosité émerveillée qui, pendant les soirées de notre enfance, nous maintenait graves et les yeux grands sur les genoux de celui qui racontait une histoire. Certainement Jean Variot n'a pas voulu nous donner d'autre plaisir; il l'accroît encore par les fortes qualités d'un style dont tous les lettrés depuis longtemps connaissent le prix.
La Rose de Roseim a bénéficié en M. Jean Périer d'une admirable interprétation. Moustachu sous la “salade” qui ombrage son front ridé, il a gémi de fatigue et il a souri comme un vieux soldat, compagnon de Gautier sans-avoir. Quant à la mise en scène, si le premier acte nous donna en effet une belle espérance, si le décor du second acte est sobre et brûlé à souhait de soleil, nous n'avons guère aimé le paradis, ni les séraphins qui en ouvrent à Mathias les portes. Le vieux soldat serait-il, une suprême fois, déçu par le metteur en scène?
A toute pièce russe, un spectateur français d'abord résiste. Une longue accoutumance nous incline à rechercher au théâtre de quoi nous divertir, un embellissement niais de la vie, enfin, pour parler comme les réclames, une heure d'oubli. Les Russes, et surtout Tchekhow, nous obligent de voir notre misère, notre médiocre misère que n'embellit pas même quelque beau drame. C'est un art non pas réaliste, comme nous l'entendons en France; mais un art humain et cela dit tout. Une famille, enlisée en province, vit repliée sur soi et se dévore. Un vieux professeur, illustre et retraité, exploite le dévouement de son beau-frère Vania et de sa fille Sonia. Il a une seconde femme jolie et apathique et que l'oncle Vania adore; mais elle lui préfère le médecin de la commune qu'aime en secret et vainement la jeune fille Sonia, âme douce mais ingrat visage. Et tous échouent; même l'oncle Vania lorsqu'il décharge son revolver sur le vieux professeur et le rate. Ils aiment et ne sont pas aimés. Il y a en eux, et surtout chez le jeune médecin, des possibilités de grandeur qui avortent. Tous échouent et se soumettent et font leur besogne sans gloire, sans récompense, et la jeune fille sans amour compte les années qui la séparent de la mort. Pas un mot à effet, pas un couplet, pas une tirade; mais aucun de ces êtres qui ne nous obsède longtemps après que nous avons quitté le théâtre; entre tous ces vivants, Sonia est la plus vivante; nulle autre jeune fille dans aucune littérature ne saurait lui être comparée, sauf peut-être la Natacha Rostow de Guerre et Paix. M. et Mme Pitoeff, qui ont interprété cette pièce, se classent parmi les plus grands artistes de ce temps.
La fameuse pièce de M. de Porto-Riche, le Passé, est une pièce-gigogne qui porte dans ses flancs presque tout ce qui a été écrit au théâtre depuis un quart de siècle. La postérité peut allègrement oublier une bonne part de notre littérature dramatique, pour retenir ces quatre actes qui la résument toute. Cette suprême fleur du théâtre contemporain offre certes des agréments; mais ne pourrait-on supposer qu'ayant d'abord écrit avec beaucoup de soin des “caractères”, l'auteur se divertît à les arranger en dialogue? En dépit de l'opinion établie, nous ne pensons pas que ce psychologue soit un grand dramaturge. Son François Prieur, séducteur, homme léger, mensonge incarné, insaisissable Don Juan, celui qu'inlassablement crée et recrée la vanité des auteurs, nous offre ce qu'au temps des premiers romans de Bourget on appelait une jolie planche d'anatomie morale. C'est de l'excellente psychologie en surface.
Admirons aussi cette Dominique, abandonnée naguère par François Prieur et qui le retrouve. Le réveil de sa chair nous est rendu sensible: “Oublions le passé !” Elle va céder, elle s'abandonne, mais déjà l'homme lui a menti; dès le premier pas, elle se heurte au mensonge cette atmosphère reconnue de fausseté, de tromperie, lui restitue la force de se dérober une dernière fois. Voici donc deux caractères analysés du dehors, mais avec une exacte science. Pourquoi M. de Porto-Riche, au lieu de s'adresser directement à nous dans un roman ou dans un livre d'essais, a-t-il voulu que les sujets de ses expériences se décrivissent eux-mêmes dans le plus alambiqué dialogue? De trop ingénieuses formules se pressent sur les lèvres de ces protagonistes inhumains. Êtres abstraits, ils ne se rattachent ni à une famille, ni à un milieu, ni à un métier. Nul paysage derrière eux: ont-ils été élevés dans une maison de province? Y a-t-il un jardin dans leur passé? Des vacances, des vêpres chaudes, des chansons en patois? Ils sont sans souvenirs, sans devoirs, sans remords. Ce sont des dépouillés. L'expérimentateur, M. de Porto-Riche, a enlevé à ses cobayes toute fonction autre que celle qu'il lui plaît d'analyser: François Prieur est l'homme léger en soi; au cours de l'action, il se prétend bien diplomate à Londres, mais c'est un faux semblant puisqu'il a la prétention de passer plusieurs fois par semaine le détroit pour vaquer aux affaires de son cœur. Ces entités sont également subtiles et précieuses dans leur langage, parce que l'auteur qui les anime de ses deux mains oublie de changer le registre de sa voix quand François répond à Dominique. Et non pas seulement Dominique et François, mais tous les comparses bénéficient indistinctement du fameux esprit de M. de Porto-Riche: des pétards éclatent sous toutes les répliques. Mais cet esprit ne jaillit pas, pour ainsi dire, de l'intérieur, il ne correspond à aucune nécessité interne, il est surajouté, il est généreusement prêté par l'auteur à ses héros. Le hasard a voulu que nous assistions à cette reprise de le Passé après avoir vu représenter la pièce de Tchekow qui nous avait introduits au sein d'une famille provinciale, dans une atmosphère complexe et définie. Ce qu'il y a de profondément humain dans le drame russe nous a rendu plus sensible l’artifice, la virtuosité, la fausse profondeur de la pièce française. Encore une fois, il y a là un curieux travail de dissection dont les résultats s'expriment en des formules contractées et qui frappent. Mais c'est toujours M. de Porto Riche qui dialogue avec M. de Porto-Riche. Ses héros parfois animés d'une vie fugitive, à chaque instant se dégonflent. Cela est vrai surtout de François Prieur et des comparses. Quant à Dominique, Mme Simone lui insuffle sa propre vie, la recrée. Aucune artiste aujourd'hui ne sait unir tant d'intelligence à tant de passion. Nous comprenons par elle ce qu'une grande artiste ajoute à un texte. Tels que les voilà, ces quatre actes ont nourri, nourrissent et nourriront nos auteurs à succès. Ils se passent de l'un à l'autre cet homme et cette femme: Dominique Brienne et François Prieur, le couple éternel en proie à Vénus, —mais non certes à la manière de Phèdre qui lutte, qui crie, qui cherche la nuit;— ce sont des proies inertes; nullement chrétiens, cela va de soi, mais n'ayant plus rien en eux de l'héritage chrétien. Ce couple n'a pas d'ascendants, il n'a pas d'hérédités; la passion chez eux ne se heurte-à rien. L'absence de conflit moral est la marque de ce théâtre et de toutes les misérables pièces qu'il a enfantées. Si à la fin du drame, Dominique renonce à François Prieur, c'est uniquement par lâcheté, parce qu'elle a peur de souffrir; le devoir, à ses yeux, eût été de contenter malgré tout sa passion, comme le devoir de Prieur est de séduire et d'abandonner. Ces héros croient de toute la force de leur barbarie à la fatalité de la passion. Ils n'imaginent pas que le vouloir d'un homme peut créer une fatalité nouvelle et un nouveau destin.

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François MAURIAC, “La Rose de Roseim, évocation dramatique de Jean Variot, au théâtre des Champs-Élysées - Oncle Vania, pièce en quatre actes de A.-P. Tchekhow, au Vieux-Colombier - Le Passé, pièce en quatre actes de M. de Porto-Riche, à la Comédie- Française (reprise),” Mauriac en ligne, consulté le 19 avril 2024, https://mauriac-en-ligne.huma-num.fr/items/show/681.

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