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L'Annonce faite à Marie, mystère en quatre actes et un prologue, par Paul Claudel, à la Comédie-Montaigne

Référence : MEL_0683
Date : 14/05/1921

Éditeur : Revue hebdomadaire
Source : 30e année, n°20, p.231-233
Relation : Notice bibliographique BnF
Repris p.100-102, in Dramaturges, Paris : Librairie de France, 1928.
Repris p.153-155, in La Vague et le rocher : Paul Claudel-François Mauriac, correspondance 1911-1954, Paris : Lettres Modernes Minard, 1988.

Type : Chronique dramatique
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L'Annonce faite à Marie, mystère en quatre actes et un prologue, par Paul Claudel, à la Comédie-Montaigne

Sur le théâtre de l'Œuvre en 1913, l'Annonce faite à Marie nous donna l'avant-goût de ce que Polyeucte appelle les saintes douceurs du ciel. Nous acceptâmes volontiers ce baiser au lépreux par quoi Violaine renonce à la joie des noces et souhaite d'être consumée du mal afin que Jacques Hury, son fiancé, épouse Mara, sa sœur méchante. Nous ne fûmes pas surpris, dans la sainte nuit de la Nativité, quand la lépreuse ressuscite l'enfant mort de Mara et qu'il renaît, avec la couleur des yeux de Violaine et, à ses lèvres, une goutte de lait. Cela n'est rien d'autre en vérité que le mystère de la Croix: la mort enfante la vie et Violaine a choisi de souffrir: “Heureux celui qui souffre et qui sait à quoi bon.”
M. Gaston Baty, qui reprend ce mystère à la Comédie- Montaigne, ne veut plus qu'il se déroule entre terre et ciel; il s'est souvenu que cette famille du drame claudélien est paysanne; il lui a plu de réaliser une sorte de mystique paysannerie; enfin il a enraciné fortement à leur sillon tous ces saints; mais, ce faisant, ne fût-il pas plus fidèle à la lettre du drame qu'à son esprit? M. Charles Dullin, qui est un artiste excellent, met tous ses soins à dépouiller, de sa poésie le rôle de Jacques Hury. Ce fiancé de Violaine, nous savons qu'il est en effet un simple ouvrier des champs de qui la part est de nourrir les cloîtrées de Monsanvierge. Mais n'est-il aussi le clair jeune homme qui salue sa fiancée dans le grand verger ensoleillé de Combernon? M. Charles Dullin s'est donné beaucoup de mal pour défleurir toutes les branches du verger. Oserons-nous dire que nous ne fûmes guère plus content de Mlle Eve Francis qui fut, jusqu'à ce jour, l'interprète admirable de Claudel? Elle connaît le métier maintenant; c'est une grande actrice; mais Violaine n'était pas si curieuse de ses attitudes; mais la petite lépreuse consumée, nous comprenons mal qu'elle soit, sur la table de cuisine où elle agonise, une de ces belles saintes, une de ces trop voluptueuses pénitentes qu'aimaient peindre les Bolonais. Une aussi intelligente artiste aurait dû [co]nsentir à réduire son corps, selon qu'il est écrit: “Maintenant je suis rompue tout entière...” Il nous semble enfin que M. Baty a trop insisté sur ce que cette œuvre toute belle comporte d'artifices: de même qu'un auteur du boulevard abuse des tziganes dans la coulisse, Claudel parfois se sert sans discrétion de carillons et de liturgies. Nous pensons que l'ouvrage eût gagné à plus de dépouillement.
Ces réserves faites, nous demeurons fidèle à l'admiration de notre adolescence. C'est notre génération qui a salué en Claudel un maître et les moqueries des plus fins et des plus intelligents critiques n'atteignent en rien notre certitude. Sa déconcertante et savante syntaxe les irrite comme les irrita toujours ce qui ne ressemble pas à ce qu'ils ont accoutumé d'entendre, mais c'est surtout cette vision catholique du monde qui les étonne et qui les scandalise. Non, nous ne renierons pas ce grand Claudel. Tel il nous apparaissait naguère, comme dans les vers du Voyage:

De même qu'autrefois nous partions pour la Chine,
Les yeux fixés au large et les cheveux au vent...

tel nous l'imaginons encore, solitaire à la proue, et qui emporte le bloc du dogme catholique, découvert un matin à Notre-Dame. Claudel, plongé dans la vie comme un poisson dans la mer, s'empêtra au fond des nasses du Pêcheur d'hommes. La liturgie découverte l'éblouit; il y puisa de ses puissantes mains des métaphores; les mots nettoyés par lui resplendirent dans leur jeunesse originelle. Un ouragan de grandes orgues monte des Hymnes joyeuses et des cinq Grandes Odes où les images se bousculent: Cris de joie! Éclats de rire de l'homme-avec-Dieu! C'est tout de même ce Claudel qui, au plus noir des années du Scientisme, et quand ce n'était pas l'usage encore de se convertir, élevait vers Dieu la vocation de la cinquième Ode: “O mon Dieu, je me rappelle ces ténèbres où nous étions face à face, tous les deux, ces sombres après-midi d'hiver à Notre-Dame. —Moi tout seul tout en bas, éclairant la face du grand Christ de bronze avec un cierge de vingt-cinq centimes. —Tous les hommes alors étaient contre nous et je ne répondais rien, la Science, la Raison. —La foi seule était en moi et je vous regardais en silence comme un homme qui préfère son ami...”

C'est la gloire de Claudel: en France, où Baudelaire déjà se plaignait que tout le monde ressemble à Voltaire, où M. Bergeret fait les délices d'un peuple qui naguère sacra grand homme Béranger, il est le génie à genoux et il est le poète debout au pied de la croix; non comme Verlaine, sans cesse dépris de la pénitence, ni comme Baudelaire prisonnier des faux paradis; — mais paroissien, enfant de l'Église, et d'une foi têtue; — pour qui le système clos de la Création contient chaque chose à sa place dans l'immense atelier de la Connaissance.
Il est excellent que la critique dénonce son “galimatias”. Nous redoutons pour lui une trop facile gloire. Il n'a que faire de ce qui s'appelle consécration parisienne et plût à Dieu que les esthètes aussi le rejetassent! Qu'il s'écarte de la cohue, afin que nous puissions de nouveau dire de lui, comme Baudelaire d'Edgar Poë: “Un homme qui ne veut pas être coudoyé par la foule et qui court à l'extrême orient quand le feu d'artifice se tire au couchant...”

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François MAURIAC, “L'Annonce faite à Marie, mystère en quatre actes et un prologue, par Paul Claudel, à la Comédie-Montaigne,” Mauriac en ligne, consulté le 24 avril 2024, https://mauriac-en-ligne.huma-num.fr/items/show/683.

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