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A la Renaissance : la Danseuse rouge, pièce en trois actes et un épilogue de M. Charles-Henri Hirsch - Au théâtre du Grand-Guignol : Ensevelis, Du berger à la bergère, Au petit jour. Monsieur Mézian, par MM. Pierre Weber, André de Lorde, Robert Dieudonné, Jean Bernac, Paul Arosa - Au Vaudeville, Papa, comédie en 3 actes de MM. de Flers et Caillavet (reprise)

Référence : MEL_0692
Date : 17/12/1921

Éditeur : Revue hebdomadaire
Source : 30e année, n°51, p.364-366
Relation : Notice biliographique BnF
Type : Chronique dramatique
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A la Renaissance : la Danseuse rouge, pièce en trois actes et un épilogue de M. Charles-Henri Hirsch - Au théâtre du Grand-Guignol : Ensevelis, Du berger à la bergère, Au petit jour. Monsieur Mézian, par MM. Pierre Weber, André de Lorde, Robert Dieudonné, Jean Bernac, Paul Arosa - Au Vaudeville, Papa, comédie en 3 actes de MM. de Flers et Caillavet (reprise)

Les personnes qui ne purent trouver de place au procès Landru ont obtenu au théâtre de la Renaissance et à celui du Grand-Guignol de terribles compensations. Aux assises de Versailles, les dames mangeaient des sandwichs; je les défie de rien avaler aux spectacles que nous proposent MM. Hirsch et de Lorde: l'héroïne du premier de ces messieurs est une sorte de Mata-Hari torturée par un conseil de guerre plus féroce que nature et défendue par un bâtonnier de l'Ordre qui naguère goûta de son amour la douceur infinie. La danseuse ne pouvant regarder la mort en face (et Mme Cora Laparcerie exprime cette terreur avec une grande force tragique), son amant bâtonnier lui fait croire qu'il n'y aura qu'un simulacre d'exécution. Rassurée à peu de frais, Mme Cora Laparcerie, en costume de restaurant de nuit, passe encadrée de gendarmes, et si nous entendons le feu du peloton, du moins la rare délicatesse de M. Charles-Henri Hirsch nous épargne-t-elle de voir le poteau. Et d'ailleurs nous acceptons de bon cœur qu'une espionne, fût-elle russe, et même danseuse russe, expie. Mais nous n'avons rien perdu pour attendre.
Au Grand-Guignol, nous assistâmes sans broncher aux affres de deux ouvriers ensevelis vivants et dont l'un découvre que l'autre est l'amant de sa femme. Nous vîmes ensuite une jeune femme saignée par un apache; puis du même œil indifférent, nous observâmes l'apache dans sa prison lorsqu'il écoute au petit jour le bruit des chevaux du service d'ordre et cette rumeur autour du montage de la guillotine. Ajoutons que le malheureux est en outre torturé par son co-détenu qui est le père de sa victime. Mais sans doute était-ce assez: au troisième acte, une vraie guillotine, les soubresauts de bête du condamné, les hurlements de la foule ont eu raison de nos nerfs. Rien ne dit que nous n'avons pas vu tomber une vraie tête. De vieux critiques, qui, depuis des lustres, avalent tout sans grimace, ont soudain hurlé à la lunette. L'un d'eux nous exhorta du haut des galeries à défendre l'art théâtral outragé, cependant qu'un des auteurs de Au petit jour le traitait de petite nerveuse. Enfin, ce fut une belle soirée d'émotion.
Ayons le respect des spécialités: le Grand-Guignol est un théâtre de digestion comme les autres; certains estomacs exigent les épices des revues de music-hall; pourquoi refuser à d'autres l'apaisement du sang répandu? Que nous parle-t-on encore d'art à propos du théâtre? Sauf sur deux ou trois scènes, le théâtre à Paris ne relève pas plus de l'art que le musée Grévin ou que certaines maisons tolérées. En cette affaire, le tort de MM. Bernae et de Lorde est de n'avoir pas su “jusqu'où on peut aller trop loin”. Tout de même leur macabre farce donne à réfléchir. Il y a des nécessités honteuses qu'il faut cacher: qu'une société aussi matérialiste, aussi “scientiste” que la nôtre ose parler d'expiation, c'est le comble de l'absurde. Des gens qui croient que l'homme naît bon et que les institutions le corrompent, préfèrent oublier qu'après cent trente ans de démocratie, la guillotine continue d'être d'un usage courant. Dans un monde qui professe le déterminisme, les mots de responsabilité, de châtiment, de justice étonnent. Une société sans Dieu se débarrasse des assassins comme des chiens enragés; mais alors l'appareil de “ses hautes œuvres” est un spectacle désobligeant et pas seulement au Grand-Guignol.
Après tant de sang répandu, les auteurs comiques de la maison ne nous purent dérider. L'acte de M. Robert Dieudonné ne manque pourtant pas de finesse.
Bien que Papa au Vaudeville soit une fort divertissante comédie où l'on se tord de rire, on pourrait s'amuser à soutenir que les auteurs de ces trois actes sont aussi féroces que M. de Lorde lui-même. Leur héroïne, jeune et jolie Roumaine, préfère un cercleux sexagénaire, imbécile et débauché, à son enfant naturel de fils, jeune Hippolyte des Pyrénées, un peu farouche mais charmant, et fait à souhait pour traîner tous les cœurs après soi: “C'est des choses qu'on voit”, disait pendant l'entr'acte un monsieur mûr. Oui, c'est des choses qu'on voit, lorsque le père est plus riche que le fils, lorsque la jeune femme calcule qu'elle n'attendra pas longtemps les délices du veuvage. Sans doute, il nous paraît dans l'ordre que la Georgina de MM. de Fiers et Caillavet adore en son futur beau-père la vie de noce et de casino qu'elle entrevoit, que la séduise la réputation du débauché, que l'enchante son goût des chiffons et des papotages. Mais qu'elle l'aime charnellement, qu'elle lui sacrifie un garçon de vingt-huit ans, cela selon nous serait acceptable si un quatrième acte nous la montrait après le mariage, Phèdre désespérée, fuyant son vieux Thésée ventru pour rejoindre à l'ombre des forêts le beau-fils qu'elle dédaigna. Mais qu'allons-nous parler vraisemblance? Les auteurs de cette charmante comédie ne se sont jamais piqués d'être véridiques; ils n'ont voulu que noirs amuser; un comique né de l'observation est terriblement amer et n'est pas le fait de ces gens d'esprit. Toute convention leur paraît bonne si elle atteint à nous divertir. Notons en outre que si les très grands acteurs comme Guitry, Huguenet, ne font point figure de gigolos, il faut pourtant leur tailler, en dépit de leur corpulence, des rôles d'amants: à quoi s'emploient leurs fournisseurs illustres. Et puis le public est enchanté: les jeunes hommes ont trop berné de vieux messieurs pour leur refuser au théâtre cette compensation. Il est doux, à cinquante-cinq ans, de voir sur la scène un petit fou de notre âge de qui les femmes raffolent; grâce à un délicieux raisonnement par analogie, on croit y être soi-même, on trouve la vie belle. C'est pour que nous la trouvions belle, que MM de Fiers et Caillavet évitèrent toujours, comme le feu, l'observation de la vie. Mais leur fantaisie est irrésistible; comme une robe pailletée, leur dialogue étincelle. Papa est interprété par trois grands artistes: Mlle Dermoz, MM. Huguenet et Francen.

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François MAURIAC, “A la Renaissance : la Danseuse rouge, pièce en trois actes et un épilogue de M. Charles-Henri Hirsch - Au théâtre du Grand-Guignol : Ensevelis, Du berger à la bergère, Au petit jour. Monsieur Mézian, par MM. Pierre Weber, André de Lorde, Robert Dieudonné, Jean Bernac, Paul Arosa - Au Vaudeville, Papa, comédie en 3 actes de MM. de Flers et Caillavet (reprise),” Mauriac en ligne, consulté le 24 avril 2024, https://mauriac-en-ligne.huma-num.fr/items/show/692.

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