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La souriante Madame Beudet, tragédie-comédie en deux actes de MM. Amiel et Obey - Monsieur Codomat, comédie en trois actes de M. Tristan Bernard, au théâtre des Mathurins - Chéri, comédie en quatre actes de Mme Colette, au théâtre Michel

Référence : MEL_0693
Date : 24/12/1921

Éditeur : Revue hebdomadaire
Source : 30e année, n°52, p.494-495
Relation : Notice bibliographiques BnF
Repris p.109-113, in Dramaturges, Paris : Librairie de France, 1928.

Description

En filigrane de cette critique mitigée où François Mauriac loue les intentions plus que les résultats, perce une critique de fond établissant la supériorité du roman sur le théâtre : le lent cheminement du crime dans une conscience relève de l'introspection romanesque alors que la scène s'en tient aux gestes, aux objets et aux lieux (un tiroir, un revolver, une balle) par lesquels s'extériorisent les motivations d'une femme mal mariée qui se mue en criminelle. Comment ne pas pressentir ici la genèse du chef-d’œuvre que François Mauriac écrira six ans plus tard, où, en moins de trois cent pages d'analyse, il rendra émouvante "la grave Madame Desqueyroux" brûlée par "le démon de la connaissance", alors que l'"hallucinée" Mme Beudet laisse de glace le spectateur. Quant aux deux autres pièces, c' est François Mauriac moraliste et chrétien qui déplore qu 'elles aient éclos sur la muflerie et la boue. Notons que François Mauriac consacre encore la prééminence de la version romanesque de Chéri sur son adaptation théâtrale.

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La souriante Madame Beudet, tragédie-comédie en deux actes de MM. Amiel et Obey - Monsieur Codomat, comédie en trois actes de M. Tristan Bernard, au théâtre des Mathurins - Chéri, comédie en quatre actes de Mme Colette, au théâtre Michel

La souriante Madame Beudet n'est peut-être pas un chef-d'œuvre comme l'ont crié quelques-uns, mais c'est une pièce pleine d'excellentes intentions. Les auteurs ont essayé de créer une atmosphère, de dessiner des caractères, ce qui semble aujourd'hui une ambition merveilleuse. L'atmosphère —provinciale évidemment— est obtenue à peu de frais, les caractères sont d'un trait un peu gros: la vérité est que ce sujet conviendrait mieux au roman qu'au théâtre. Une jeune femme délicate souffre d'être mariée à un tyrannique et grotesque marchand de drap, d'ailleurs bonhomme. Pour que nous admettions que la douce dame en arrive à souhaiter de l'assassiner, trois cents pages d'analyse ne seraient pas superflues. A un romancier qui va beaucoup au théâtre la supériorité de son art sur celui de la scène apparaît plus nettement chaque jour. A la scène, l'essentiel n'est pas le travail mystérieux qui accule au crime une honnête bourgeoise; ce qui importe, c'est, si l'on peut dire, la cuisine du crime; le stupide Beudet, entre autres farces, s'amuse à effrayer ses amis en appuyant sur sa tempe un revolver non chargé. Sa femme, un jour, y glisse une balle. Tout le drame se joue désormais autour du tiroir où est enfermée l'arme; ce tiroir, et non plus la conscience de Mme Beudet, nous sollicite; et il est si peu intéressant de savoir si Beudet sera ou non tué que nous sommes presque déçus que la balle, après deux trop longs actes, ne casse rien qu'une vitre. Mme Géniat fait de Mme Beudet une hallucinée; c'est arbitraire et cela réduit encore l'intérêt: une inconsciente n'émeut pas.

Monsieur Codomat est un délicieux mufle; il est brave homme, il est moral, il est immonde. Il ne fait rien que la police ne doive tolérer; son honorabilité est son bouclier; le concierge, les fournisseurs, les locataires chantent les louanges de ce gérant d'immeubles et tremblent devant sa barbe. Il fait travailler à son profit l'argent d'une petite “grue” qui est sa maîtresse, mais qu'entretient un tout jeune homme richissime dont M. Codomat surveille les dépenses avec d'exquises sévérités de père de famille (car le brave homme veut que toute l'eau aille à son moulin). La vertu de M. Codomat s'émeut quand le jeune homme parle de se marier et de lâcher son amie, mais la vertu de M. Codomat s'apaise quand il apprend que c'est sa propre fille que le gigolo souhaite d'épouser. Qu'exiger encore de cette étude minutieuse et sans merci? Un rien de cette colère, de cette indignation qu'on entend gronder dans Tartuffe. On croirait que M. Tristan Bernard ignore qu'il existe d'autres régions que celle dont il nous dépeint la faune, et que le pays du mufle lui soit l'unique planète connue. Il semble si peu triste de ce qu'il nous montre, que nous sommes honteux d'avoir tant ri.

M. Tristan Bernard interprète lui-même son héros, ou plutôt, il ne l'interprète pas: il est M. Codomat. Son jeu démontre l'inutilité du Conservatoire et de toutes les ficelles. Sa diction est déplorable, mais dans la vie, qui soigne sa diction? On jurerait que M. Codomat est dans la salle et qu'il monte sur le plateau. Quand nous rencontrerons M. Tristan Bernard, nous dirons: “Tiens! Monsieur Codomat! Comment allez-vous, monsieur Codomat?”

Mme Colette travaille à même la boue. Elle met son plaisir à nous jeter au plus épais de la lie du monde; un sabbat de vieilles prostituées riches. D'une de ces effrayantes Carabosses un enfant est né, ce Chéri éclos sur quel fumier! Celle des vieilles fées qui n'est pas encore à la retraite l'adopte, éprouve à son endroit les sentiments d'une sorte de maternité voluptueuse. Elle défend, elle protège, elle dresse, elle arme ce jeune animal qui ne sait rien du monde que les caresses. Marié à une jeune fille, ce “chiot” aura la nostalgie de sa vieille femelle, de sa pâtée et de sa niche; il y revient. Les lecteurs du roman qui a inspiré cette pièce se rappellent l'admirable épilogue, Chéri terrifié de reconnaître dans la vieille maîtresse reconquise le spectre d'une Carabosse, et prenant la fuite. Au dernier acte, nous n'en avons retrouvé qu'un bien faible écho; et ici encore s'affirme la prééminence du roman. Le souci de la “scène à faire” a incité Mme Colette à dresser l'une contre l'autre la femme légitime et la maîtresse, ce que son flair de romancière lui avait fait éviter... N'empêche que cette horreur dépasse de mille coudées ce qui nous est servi chaque soir. On frémit en pensant à ce que Bataille ou Wolff eussent tiré d'une pareille matière. Mais Mme Colette bénéficie du don divin; à travers ce comble d'infamie, elle atteint l'âme. Elle nous montre tout de même des âmes. Voici donc des êtres qui ont risqué tout l'enjeu de leur destinée sur deux cartes: la jeunesse, la volupté... De Chéri, l'adolescent adulé, adoré, caressé, déjà sur le retour pourtant, à Léa la courtisane maternelle qui pleure de terreur devant sa glace, et aux sorcières abêties, et au vieux beau que l'opium et la coco consolent, nous contemplons cette effrayante eau-forte... Pas un mot “d'auteur”, rien d'ajouté pour l'effet, il n'échappe à chacun de ces misérables que “le cri du cœur”. A chaque parole nous les voyons jusqu'au fond. Ces instincts déchaînés s'entre-dévorent. Une petite flamme perdue brille; c'est la jeune femme de Chéri, et jusques dans cette Léa même, nous admirons la passion de dominer, un appétit insatiable, je ne sais quoi de forcené, une grandeur qui s'ignore. Dans le rôle de Mme Pelou, mère de Chéri, le comique de Mme Cheirel touche à l'atroce; Mme J. Rolly ennoblit Léa —trop peut-être— car dans aucun moment elle n'est vulgaire, et comment concevoir une Léa sans bassesse? Enfin M. de Guingamp réalise ce tour de force, dans le rôle de Chéri, de n'être pas odieux; pour ne pas exciter l'horreur, il nous oblige de le prendre en pitié: animal hérissé, méchant, faible, et que son instinct trompe et qui cherche un joug.

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François MAURIAC, “La souriante Madame Beudet, tragédie-comédie en deux actes de MM. Amiel et Obey - Monsieur Codomat, comédie en trois actes de M. Tristan Bernard, au théâtre des Mathurins - Chéri, comédie en quatre actes de Mme Colette, au théâtre Michel,” Mauriac en ligne, consulté le 25 avril 2024, https://mauriac-en-ligne.huma-num.fr/items/show/693.

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