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La mort d'Henry Bataille

Référence : MEL_0699
Date : 25/03/1922

Éditeur : Revue hebdomadaire
Source : 31e année, n°12, p.460-462
Relation : Notice bibliographique BnF
Type : Critique littéraire
Version texte Version texte/pdf Version pdf

La mort d'Henry Bataille

La mort aura été pour Henry Bataille sa chance dernière: il quitte la scène au moment où commençait de se vider la salle, et où il ne respectait plus autant la loi suprême, au théâtre, qui est de plaire. Car, après l'Homme à la rose, après la Possession et la Chair humaine, ce ne fut plus son seul talent qui donna des inquiétudes, mais aussi la recette.
Il eut même le temps de subir l'ostracisme des gens de gauche. Un rédacteur à l'Humanité, M. Marcel Martinet —dont j'admire la véhémence et l'accent sincère— m'a aigrement reproché de vouloir que Bataille fût bolcheviste. Eussé-je pu croire qu'un parti, qui se glorifie de posséder M. Maurice Rostand, ferait, devant Henry Bataille, la petite bouche?
Et pourtant, ce Bataille, il avait été un poète; et le poète en lui survécut assez pour prêter à toutes ses pièces —même aux pires— un goût secret qui faisait dire à des jeunes femmes: “Moi, je pardonne tout à Bataille...” Elles disaient aussi: “Ah! qu'il nous connaît!”
Il les connaissait en effet; il avait, une fois pour toutes, débusqué le petit animal tout instinct: Maman Colibri, la vierge folle, celles que rien n'arrête, et qui ont tant de courage pour ce qu'elles désirent; la perfide proie de l'homme, l'esclave, l'éternelle possédée, la femme nue. Mais, au vrai, voilà quelques siècles que la femme n’est plus nue.
Bataille a fait trop bon marché de tout ce qui, s'opposant à son instinct, suscite en elle un haut débat. Le théâtre de Bataille est une démonstration par l'absurde de cette loi que la morale —ou pour mieux dire, la religion— crée les conflits hors lesquels il n'est pas de grandes œuvres. Les Grecs et nos classiques en témoignent. Chez les femmes de Bataille, aucune lutte, —mais une force aveugle vers l'assouvissement. Ses “héroïnes” même ne sont héroïques qu'en obéissant à l'instinct le plus animal: ainsi dans la Vierge folle, la femme délaissée suivra, comme une somnambule, son mari coupable pour “qu'on ne le lui tue pas”.
Ce théâtre de l'instinct offre de si médiocres ressources au dramaturge et sa monotonie est telle qu'on comprend que Bataille se soit exténué à inventer des situations saugrenues et sans nulle vérité humaine. Il ne faut pas non plus chercher ailleurs la raison de tant d'épices dont cet auteur prétendit relever son potage. D'une pièce à l'autre, il augmenta la dose de poivre. Tziganes, fleurs pourries, orgies, luxe monégasque... l'horreur que nous donna l'abus de ces “effets misérables”, notre colère, notre indignation, notre dégoût, c'était là tout de même un hommage à l'artiste que Bataille aurait pu être. La violence de la critique n'est souvent l'effet que d'un dépit amoureux.
La mort aura été pour Henry Bataille sa chance dernière: elle enveloppera d'un oubli bienheureux tout ce qui du Phalène à la Chair humaine déchaînait notre fureur; elle laissera émerger de son ombre longtemps encore l'Enchantement, la Marche nuptiale, la Femme nue, les Flambeaux et même Maman Colibri; dans chacun de ces drames subsistent les éléments d'une belle œuvre, mais que gâcha l'inguérissable débilité d'un “esprit femelle ”. Et longtemps encore aussi, des adolescents —à l'âge où le goût n'est pas sûr— se rediront les vers de la Chambre blanche:

Les larmes sont en nous, et c'est un grand mystère...

ou encore:

Les vieilles carrioles ont soufflé leurs lanternes...

Et d'autres jeunes gens auront quelque remords de leur dureté envers un homme de théâtre —mais qui avait été tout de même un poète et qui, dans le vacarme de ces faux triomphes, a dû tellement souffrir! Car l'artiste n'obtient jamais tout à fait la sorte de succès qu'il souhaitait. Un Rostand, un Bataille eussent sans doute donné beaucoup de dithyrambes officiels, pour obtenir un peu de cette ferveur dont furent enrichis tant de pauvres : Baudelaire, Verlaine. Mais nous rappelant l'acte de foi de Baudelaire:

Je sais que Vous gardez une place au Poète
Dans les rangs bienheureux des saintes légions...

nous ne voulons pas douter qu'Henry Bataille soit convié, lui aussi, à l'Éternelle Fête et nous prions pour que la mort lui soit un Beau Voyage.

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François MAURIAC, “La mort d'Henry Bataille,” Mauriac en ligne, consulté le 25 avril 2024, https://mauriac-en-ligne.huma-num.fr/items/show/699.

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